From 98c1e33eb439c91b83f9ad86a4d0a98b0f5f0b24 Mon Sep 17 00:00:00 2001 From: lb42 Date: Mon, 4 Nov 2019 20:29:51 +0000 Subject: [PATCH] finalising FRA for release --- level1/FRA00101_Adam.xml | 34 +- level1/FRA00102_Adam.xml | 2282 ++++++++++++++-------------- level1/FRA00201_Audoux.xml | 37 +- level1/FRA00301_Aimard.xml | 47 +- level1/FRA00302_Aimard.xml | 45 +- level1/FRA00401_Allais.xml | 149 +- level1/FRA00501_Balzac.xml | 36 +- level1/FRA00502_Balzac.xml | 34 +- level1/FRA00503_Balzac.xml | 36 +- level1/FRA00601_Boisgobey.xml | 43 +- level1/FRA00602_Boisgobey.xml | 43 +- level1/FRA00701_Carraud.xml | 30 +- level1/FRA00801_Dash.xml | 30 +- level1/FRA00901_Daudet.xml | 36 +- level1/FRA00903_Daudet.xml | 38 +- level1/FRA01001_DelarueMardrus.xml | 32 +- level1/FRA01101_Dombre.xml | 43 +- level1/FRA01102_Dombre.xml | 30 +- level1/FRA01201_Feval.xml | 47 +- level1/FRA01202_Feval.xml | 34 +- level1/FRA01203_Feval.xml | 41 +- level1/FRA01301_Flaubert.xml | 45 +- level1/FRA01302_Flaubert.xml | 42 +- level1/FRA01303_Flaubert.xml | 34 +- level1/FRA01401_Fleuriot.xml | 39 +- level1/FRA01402_Fleuriot.xml | 27 +- level1/FRA01403_Fleuriot.xml | 41 +- level1/FRA01501_France.xml | 30 +- level1/FRA01601_GautierJ.xml | 30 +- level1/FRA01602_GautierJ.xml | 30 +- level1/FRA01603_GautierJ.xml | 32 +- level1/FRA01701_GautierT.xml | 30 +- level1/FRA01702_GautierT.xml | 30 +- level1/FRA01801_Gay.xml | 66 +- level1/FRA01901_Gaboriau.xml | 42 +- level1/FRA01902_Gaboriau.xml | 45 +- level1/FRA02001_Gilbert.xml | 23 +- level1/FRA02101_Girardin.xml | 30 +- level1/FRA02201_Gouraud.xml | 36 +- level1/FRA02202_Gouraud.xml | 30 +- level1/FRA02203_Gouraud.xml | 41 +- level1/FRA02301_Greville.xml | 72 +- level1/FRA02302_Greville.xml | 30 +- level1/FRA02303_Greville.xml | 30 +- level1/FRA02401_LeRouge.xml | 39 +- level1/FRA02402_LeRouge.xml | 29 +- level1/FRA02501_Loti.xml | 32 +- level1/FRA02502_Loti.xml | 40 +- level1/FRA02601_Malot.xml | 34 +- level1/FRA02602_Malot.xml | 43 +- level1/FRA02603_Malot.xml | 49 +- level1/FRA02701_Maupassant.xml | 38 +- level1/FRA02702_Maupassant.xml | 34 +- level1/FRA02801_Mirbeau.xml | 40 +- level1/FRA02802_Mirbeau.xml | 43 +- level1/FRA02901_Noailles.xml | 32 +- level1/FRA03001_Ohnet.xml | 32 +- level1/FRA03002_Ohnet.xml | 32 +- level1/FRA03003_Ohnet.xml | 42 +- level1/FRA03101_Ponson.xml | 34 +- level1/FRA03102_Ponson.xml | 49 +- level1/FRA03401_Reybaud.xml | 30 +- level1/FRA03601_Proust.xml | 40 +- level1/FRA03701_Sand.xml | 38 +- level1/FRA03702_Sand.xml | 34 +- level1/FRA03703_Sand.xml | 32 +- level1/FRA03801_Stern.xml | 524 ++++--- level1/FRA03802_Stern.xml | 30 +- level1/FRA03803_Stern.xml | 30 +- level1/FRA03901_Stolz.xml | 30 +- level1/FRA03902_Stolz.xml | 27 +- level1/FRA03903_Stolz.xml | 39 +- level1/FRA04001_Verne.xml | 38 +- level1/FRA04002_Verne.xml | 32 +- level1/FRA04101_Erckmann.xml | 32 +- level1/FRA04102_Erckmann.xml | 36 +- level1/FRA04201_Rolland.xml | 32 +- level1/FRA04202_Rolland.xml | 38 +- 78 files changed, 2640 insertions(+), 3066 deletions(-) diff --git a/level1/FRA00101_Adam.xml b/level1/FRA00101_Adam.xml index 3746673..3308ee7 100644 --- a/level1/FRA00101_Adam.xml +++ b/level1/FRA00101_Adam.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -22,31 +24,25 @@ 21777 - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Mon village Juliette Lamber (Madame Adam) 2019-02-10 - - + MON VILLAGE JULIETTE LAMBER Michel Lévy Frères, Libraries Éditeurs, Rue Vivienne 2 Paris 1868 - - + 1868 - - +

@@ -62,7 +58,7 @@ - + Checked by releaseChecker script File created upgrade to ELTeC-1 @@ -344,7 +340,7 @@ III LES PARIGOTS - [8] + [8] .

Le parigot de Thérèse, la femme à Jean-Claude, avait toussé la nuit d’une toux qui ne semblait pas naturelle.

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« Agréez, Messieurs - [15] + [15] ... »

— Les politesses d’usage ! dit Jean-Claude. Hein ! la compagnie, et qu’est-ce que vous pensez de cette pétition-là ?

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+ \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA00102_Adam.xml b/level1/FRA00102_Adam.xml index 88b6b63..d7b8547 100644 --- a/level1/FRA00102_Adam.xml +++ b/level1/FRA00102_Adam.xml @@ -1,1143 +1,1139 @@ - - - - - - - - Païenne : ELTeC edition - Adam, Juliette (1836-1936) - - encoded by - Pia Geißel - - - Original data capture - Wikisource - *j*jac - Kaviraf - El Verdugo - Acélan - - - - 28266 - - -

- First ElTeC edition - 2019-09-30 -

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- - - Païenne - Juliette Lamber (Madame Adam) - - 2017-05-17 - - - PAIENNE - Juliette Lamber (Madame Adam) - Paul Ollendirf, Éditeur, 28 Rue de Richelieu - Paris - 1883 - - - - 1883 - - -
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- - - - - - - - - - - - - - Conversion to level 1 - File created - - - - -

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Païenne Juliette Lamber (Madame Adam)

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Paul Ollendorff, Paris, 1883

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À M. ALEXANDRE DUMAS FILS

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C'est à vous seul, mon cher ami, que je pouvais dédier cette Païenne.

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Elle vous déplaira parce qu'elle est une apothéose de l'amour, mais vous y trouverez un double courant mystique et sensuel qui sera pour vous, j'imagine, un curieux sujet d'observation.

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Littérairement, le livre est hardi. Dans le val fermé où Pétrarque immortalisa l'amour platonique, j'ose décrire un amour ardent, échangé, possédé.

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Si l'ombre de l'amant de Laure s'offense d'un tel sacrilège, les lieux mêmes qu'il a choisis m'invitent à le commettre.

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Vaucluse, dont les versants calcinés servent de coupe à la Sorgues aux rives plantureuses, dont la fontaine, antre consacré par les Phéniciens, abritait un dieu fécondateur, est fait pour servir de cadre à d'autres passions que la passion exclusivement idéale.

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Ce ne sont point des sonnets que je vous offre, c'est un cantique d'amour, à la fois divin et humain.

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Quoi que vous pensiez de Païenne, acceptez d'en être le parrain, et croyez à mon amitié déjà vieille.

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JULIETTE LAMBER

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- MÉLISSANDRE DE NOVES À TIBURCE GARDANNE -

Maison de Pétrarque, île de Sorgues, à Vaucluse

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Château de Saint-Estève, octobre 2.

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Prenez garde, mon illustre ami, vous me faites la cour ! Seule ici jusqu'à demain, je vous défends toute visite. Cependant je me laisse attendrir sur un point qui touche ma vanité. Je consens, puisque, selon vous, je sais décrire mieux que vous ne savez peindre, à tracer une esquisse du gai manoir paternel. J'y mets une condition : vous m'enverrez, en retour, deux sonnets de Pétrarque illustrés.

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Payez votre compliment ce qu'il vaut, signé par vous.

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Voici mon paysage :

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« Entre les rives changeantes, sablonneuses, dévastées, de la Durance et les versants nus des Alpines, s'étend l'une des plaines les plus riches de notre Provence.

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« Oasis dans laquelle se cache le châtelet de Saint-Estève.

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« Au milieu des vastes prairies, un canal répand le limon jaune et fertile du fleuve.

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« L'eau chante plus clair, coule plus vite, devient plus légère lorsqu'elle pénètre dans nos vergers, tandis que les oiseaux gazouillent plus lourdement dans les arbres aux fruits nombreux.

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« Des platanes centenaires entourent le château et retiennent la fraîcheur qui monte des jardins arrosés. »

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- TIBURCE GARDANNE À MADAME DE NOVES -

Maison de Pétrarque.

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Je ne suis point changeant comme la Durance, pourtant mon cœur est dévasté ! Pas un rameau ne me prête son ombre ; ce qui chante en moi ne trouve point de fruits qui le nourrissent. Dans ma course à travers une existence aride, je ne rencontrerai jamais une oasis...

-

Vous avez ordonné, madame, à votre serviteur, d'illustrer pour vous des sonnets de Pétrarque et de vous les envoyer. Ils sont là. Ai-je réussi à traduire les révoltes douloureuses, les langueurs molles, la désespérance attendrie de mon Maître en la souffrance d'aimer ?

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J'ai dessiné avec émotion les traits de Laure ; me pardonnerez-vous leur ressemblance ?

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Voici les deux strophes des sonnets que j'ai choisis :

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« Quelle nymphe à la fontaine, quelle déesse au bois déroule une tresse d'or si fin, et quelle mortelle possède les vertus assemblées dans son âme ? »

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Et puis :

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« Ne sait point comme amour guérit et tue, qui ne sait comme doucement Laure soupire, comme doucement elle parle et doucement elle rit. »

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- MÉLISSANDRE À GARDANNE -

Je n'ai, seigneur peintre, ni le caractère, ni les sentiments de l'amante de Pétrarque, et je ne dois pas en rappeler le visage.

-

Si j'aimais ! Certes, je n'irais pas jusqu'à dire, comme monsieur de Noves, mon noble époux, étrange petit-neveu de Laure : « L'amour est un plaisir qu'il faut varier sans cesse », mais je voudrais que dès sa naissance il fût un bonheur, et je ne l'admettrais pas désolé comme celui de Pétrarque, lequel, « soir et matin, jour et nuit, fait répandre des larmes ». Si j'aimais, moi, j'aimerais à aimer ! Fût-il sans échange, l'amour est déjà une richesse que les privilégiés seuls possèdent. Aimer ! vivre de la grande vie païenne de la nature, c'est fleurir avec les fleurs, chanter avec les oiseaux, sourdre avec les sources, voir tout d'or dans le soleil, croire qu'on a son étoile !

-

Monsieur mon triste amoureux, je désire un troisième dessin de vous et vous en offre le sujet :

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« Sans eau la mer, sans clarté le ciel, se verront plutôt que moi sans ma plainte d'amour, que mal je cache. »

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Remplacez par votre visage le visage de Pétrarque (comme le mien remplace celui de Laure), faites exprimer à votre physionomie les sentiments nébuleux du « Maître en la souffrance d'aimer ». Je vous décrirai mélancoliquement à mon tour un coucher de soleil.

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-
- GARDANNE À MADAME DE NOVES -

Malgré ce qu'il recèle d'ironie, j'accepte l'échange avec gratitude, comme tout ce qui me vient de vous, cruelle. Si je mets des larmes dans les yeux de l'amant de Laure, c'est que je n'y puis mettre une espérance. J'attends le coucher de soleil. M'autorisez-vous à le traduire en tableau, à le peindre, et à vous l'offrir, s'il est digne de la description ?

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- MADAME DE NOVES À GARDANNE -

« Je regardais, sur la route de Cabane, la silhouette brisée des Alpines, me demandant si l'artiste, créateur vieilli, avait tremblé en faisant ce dessin, ou si le temps, de ses dents ébréchées, avait rongé les lignes pures.

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« Sombre, avec ses bases puissantes, la montagne noire s'élevait dans le ciel à mesure que le soleil descendait.

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« Mes yeux fixent l'astre à son déclin, et je le vois répandre sa lumière, soit en flèches, soit en globules. Les flèches dansent, retenues autour de la face brillante, mais les globules semblent tomber de ses lèvres.

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« Signes divins, ces globules forment des caractères enchevêtrés, qu'Apollon n'a point encore appris à lire aux hommes nouveaux, et que seule, peut-être, depuis les âges sacrés de la Grèce antique, je commence à déchiffrer.

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« La nappe d'azur du ciel s'émiette, poudroie, les cyprès s'entourent d'une buée d'ombre et se gonflent. Le Luberon blanchit, les Alpines se teintent lentement de violet.

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« Peu à peu, le soleil ramasse ses clartés et sa chaleur, puis, brusquement, il les rejette par delà l'horizon ; des feux s'allument au-dessous de l'astre et renvoient d'en bas leurs flammes au ciel.

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« Le dôme de la grande allée de platanes est rutilant sous la pourpre, le faîte des peupliers se dore ; des nuages se forment ; ils boivent une dernière fois à la coupe de lumière, ils sont lie de vin.

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« Le soir tombe. Les oliviers s'argentent. Les nuages se dissipent en flocons d'un gris tourterelle, des crinières dorées apparaissent une dernière fois au sommet des Alpines.

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« Bientôt la nuit froide pleure le jour brûlant disparu. »

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- GARDANNE À MADAME DE NOVES -

Madame, un mot de votre précédente lettre a failli me rendre fou. Il me donne l'espoir insensé d'une aurore nouvelle dans « la nuit froide où je pleure le jour brûlant disparu. »

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Si j'aimais ! dites-vous. Si vous aimiez, madame ! Vous pouvez donc aimer ? Quelqu'un peut donc avoir l'audace de vous répéter : « Je vous aime ! »

-

Oui, madame, je vous aime et vous aimerai de votre amour, maintenant que vous me l'avez révélé. Vous riez des amoureux tristes, vous ne rirez plus de moi. Vous êtes celle que j'ai follement cherchée à travers les autres femmes. Si j'ai osé vous parler de l'amour de Pétrarque pour Laure, c'est qu'au milieu de mes aventures je n'avais sauvegardé que ma passion de l'idéal, et que celle-là seule me paraissait digne de vous. Mais vous êtes assez noble pour tout purifier d'un regard. N'êtes-vous pas la beauté divine, la poésie ? Vous qui donnez une âme à toutes les formes, à toutes les choses, donnez la vie à mon adoration !

-

Ô païenne, ce n'est point l'amour mystique, subtilisé, ni le sentiment quintessencié, éthéré, ni la passion abstraite, affinée par cent générations littéraires, qu'il faut vous peindre et dont un adorateur doit vous faire hommage ; c'est l'amour divinement humain, puisé aux sources de la simple et grande nature. Mais je ne sais rien de celui-là, madame, parlez-m'en. Voyez ce qu'un seul mot a transformé ou plutôt renversé d'idées en moi. Dites qui vous êtes : femme ou nymphe ? On ne connaît rien de vous autour de vous.

-

Permettez que je vous aime. Laissez-moi vous dire un dernier chant de Pétrarque. Celui-là ne pleure pas :

- - Non prego già, ne puote aver più loco, - Che misuratamente il mio cor arda ; - Ma che sua parte abbia costei del foco. - -
-
- MADAME DE NOVES À GARDANNE -

Qui je suis ? Personne encore ne m'avait posé cette question. Me l'étais-je seulement posée à moi-même ? Non. Qui je suis ? Je suis païenne. Voilà ce qui me distingue des autres femmes. Pourquoi suis-je païenne ? Je veux bien, mon grand ami, le chercher avec vous.

-

Je remonte le cours d'une existence dont la préoccupation unique, longtemps inconsciente, a été de se garer des sentiments ayant cours, des idées toutes faites, des opinions classées par catégories, des jugements dont il faut épuiser la série logique, dès qu'on en accepte un seul.

-

Vous connaissez mon père. Il a été le compagnon de plaisir du vôtre. Jusqu'à mon mariage, à seize ans, j'ai vécu seule à Saint-Estève, avec ma gouvernante grecque, recevant les visites de mon père, du vôtre, d'une douzaine de leurs amis communs venant tour à tour pêcher ou chasser, s'amuser, selon leur expression marseillaise, et que je ne voyais guère, tenant, disaient-ils, à ne se point gêner pour une fillette.

-

Les paradoxes de mon père, sa violence contre toute idée religieuse, son athéisme agressif m'avaient, dès l'enfance, révoltée Je comprends aujourd'hui son intolérance. De telles opinions si farouches ne lui étaient pas venues sans cause et sans épreuves.

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Il adorait ma mère, belle entre les femmes ; il avait la passion du bonheur. Ma mère détestait les joies de la vie, préférant la béatitude à l'amour. Malgré la tendresse d'un mari, ou plutôt d'un amant, elle se jeta pour ainsi dire dans la mort, égarée par une pieuse folie, attirée par le vertige de l'immortalité de l'âme.

-

J'avais trois ans à la mort de ma mère. Je ne revis pas mon père durant une année. Il voyageait, cherchant l'oubli qu'il trouva dans le plaisir.

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En son absence, on essaya de me distraire avec des jouets sans cesse nouveaux qu'il m'envoyait. Lorsqu'il revint, je lui demandai la seule chose qui m'eût manqué, des livres. Il me les refusa, défendit longtemps qu'on m'en donnât. J'appris à lire, au hasard, toute seule.

-

« Il ne faut savoir que ce que l'on voit, sentir que ce que l'on ressent, répétait mon père ; au moins, avec cela, on n'a pas d'exaltation religieuse. Les livres entretiennent l'erreur dans les esprits ; comme l'eau prise à sa source est plus pure, l'idée prise sur le fait est plus claire. »

-

Les seules leçons que reçut mon enfance furent celles qui devaient me garantir de toute notion religieuse, mon père s'imaginant que les croyances ne viennent qu'à ceux à qui elles sont enseignées. Cela est vrai peut-être pour bien des gens. Il arriva pour moi qu'on me mit en présence de la nature, du seul maître qui pût avoir une influence définitive sur mon esprit, et dont on me laissa lire le livre grand ouvert.

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- GARDANNE À MADAME DE NOVES -

Contez, contez, madame. Dites-moi quels chemins vous avez parcourus, pour que je vous y retrouve.

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La nature ! Je n'ai jamais vu en elle, jusqu'à vos lettres, jusqu'à vous, que ce qu'un peintre y voit d'ordinaire : rien que des images, des formes. A-t-elle une personnalité ? Se révèle-t-elle à qui la scrute ? Se donne-t-elle à qui la cherche ? Est-elle mystérieuse ou simple ? Peut-elle répondre si on l'interroge, guider si on la consulte ? Ses forces doivent-elles être quelquefois rebelles ou toujours associées à l'homme ? Sont-elles tantôt résistantes et tantôt favorables à son action ? Peut-on indifféremment les dompter ou se les rendre bienfaisantes ? Faut-il vivre dans la nature, sans cesse, ou parfois s'en abstraire pour grandir humainement ? Ce que vos dieux vous ont enseigné, mon amie, enseignez-le moi.

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- MADAME DE NOVES À GARDANNE -

Vous réclamez une confession ; la voici :

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Je voulus connaître le secret des choses, seule, puisqu'on refusait de me transmettre les connaissances amassées par les hommes ; sans guide, sans direction, je cherchai. Tout enfant, de si loin que je me souvienne, je quittais ma chambre lorsque ma gouvernante reposait, je descendais au jardin et je regardais sous les étoiles, sous la lune, ce qui se passait durant la nuit.

-

Je me couchais dans la prairie, pour que la rosée m'habillât de perles comme les herbes et les fleurs. J'appris à grimper dans les platanes, pour dormir perchée comme les oiseaux. J'essayais de surprendre le peintre qui, du soir au matin, colore de rouge les fraises, qui met un duvet sur les pêches, brunit les prunes, fait luire les pommes, noircit ou blanchit le raisin, dore les abricots.

-

Je ne savais rien, mais je n'avais rien à désapprendre. L'intelligence, fruit mûri dans la culture de ceux qui nous ont précédés et dans l'atmosphère de ceux qui nous entourent, est souvent, par le sophisme ou par des jugements relatifs, en contradiction avec le vrai éternel.

-

Mon esprit se formait d'après nature. Les notions de mon savoir, quoique restreintes, prenaient dans ma pensée leur place définitive, à leur rang, selon mes aptitudes personnelles. Mes connaissances se groupèrent par l'attraction de mes facultés. J'échappais aux méthodes, aux classifications faites pour le grand nombre, et qui faussent, qui détournent de soi-même un esprit original.

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Toute leçon me venait de la chose vivante elle-même, et non à travers des observations recueillies par d'autres.

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Je me rappelle que, montant beaucoup à cheval, je galopais sans cesse dans la plaine, regardant chaque objet en détail, n'osant pas escalader la montagne, convaincue que j'étais trop jeune, trop ignorante, pour voir des ensembles, et me promettant, comme récompense suprême, de gravir les hauteurs, de m'élever !

-

Ma personne extérieure et mon être intime grandissaient dans des exercices communs. Nul ne me poussait à une croissance hâtive et je me développais sûrement. Ma jeunesse, je la vivais en moi, par moi, sans être tenue de la vivre dans la jeunesse de cent races, dans les erreurs, les caducités de cent sociétés mortes de vieillesse.

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Mes idées étaient simples. Elles gravitaient sans effort dans les voies supérieures où l'on rencontre les dieux. Je ne voyais pas seulement avec les yeux, mais avec tout mon être. Il y a dans l'homme moderne des lumières éteintes, des sens atrophiés. Je pénétrai le secret des lois d'échanges avec la nature et mêlai mon individualité au grand tout.

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Ce qui frappa le plus mon imagination fut le soleil. Il me parut l'expression la plus sensible du divin, celle qui prépare le mieux la germination de l'idée religieuse dans l'homme.

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Je me grisai en respirant la flamme de l'astre immortel, j'en recherchais les embrassements ; je crus trouver un être semblable à moi, plus brûlant, que je coiffais de rayons, que je personnifiais, dont je partageais les habitudes, me levant, me couchant à ses heures, amoureuse de sa face étincelante, désespérée de ses disparitions comme de l'absence d'un être adoré. Le soleil fut ma première passion, mon premier culte.

-

Les grandes formes des montagnes, je les animalisais, je leur trouvais des figures mystérieuses. Quand je courais à leur pied, je m'imaginais les entraîner avec moi dans des courses vertigineuses, au galop de mon cheval. Les arbres m'accompagnaient en longue file ou par troupe, je me sentais emportée par le mouvement de toute la terre sous le regard de toutes les étoiles. Ah ! les belles chevauchées que celles faites avec la nature entière !

-

Je parvins à entendre croître l'herbe, se former la fleur, grossir le fruit. Je chantais le langage des oiseaux. Dans leur marche, les astres me visitaient, venaient à ma rencontre : j'étais nuage au vent, terre à la pluie, roche au soleil, poisson dans l'eau.

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Je parlais à tout, même au silence, même aux pierres, et tout me parlait. Comme le berger avec son troupeau, le chasseur avec son chien, le laboureur avec ses chevaux, je comprenais l'esprit des bêtes. Je découvrais les affinités divines, humaines, naturelles, de toute chose, de toute force, de toute vie, et je goûtais le bonheur d'un accord parfait de l'être avec son milieu.

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Les paysans étaient mes amis et me comprenaient, surtout les vieux, parce qu'ils savent, comme je savais, ce que disent les nuées, ce que demande la terre, ce que regardent les étoiles, ce que cherche la lune, ce que donne le soleil.

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- À MADAME DE NOVES -

Votre bon génie me dégage du fatras de mes connaissances inutiles. Je ne veux plus rien comprendre qu'à travers vos initiations, à travers vous. Tout ce que la nature vous a répondu, je l'ai demandé à l'art, qui souvent est resté muet, et voilà que l'art même s'éclaire à mes yeux par vos révélations. Mélissandre, jusqu'à vous je ne voyais, dans le vivant, que des natures mortes. Je vous bénis de répandre sur moi la lumière. Je vous aime ! Je serai ce qu'il vous plaira que je sois dans votre vie : frère, esclave, adorateur. Tout s'accorde en mon esprit pour vous admirer. Revenez à Vaucluse : le val fermé est vide sans vous.

-

Je regarde ce qui m'entoure, puisque regarder c'est lire dans le même livre que vous ; j'écoute, puisque écouter c'est entendre vos voix ; mais, seul, je sais à peine balbutier les mots, les sons de votre langue. Revenez !

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Ce soir, je suis allé au château, ayant appris que M. de Noves était rentré de Marseille. Votre noble époux, comme vous dites, m'a traité en camarade, ce que je ne subis que par affection pour vous ; il m'a fait ces vilaines confidences de libertin qu'il ose faire devant vous, trouvant cela « grand seigneur », et auxquelles vous répondez avec un joli sourire : « Vous êtes le plus corrompu des hommes. »

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Moi aussi, madame, j'ai été un corrompu, mais je ne vous connaissais pas, je n'avais pas eu la fortune de contempler votre beauté, de découvrir la grandeur incomparable de votre esprit, d'adorer la bonté de votre cœur. N'avais-je pas le droit de mépriser les faux semblants de l'amour qu'on m'offrait, de dédaigner comme inférieures les femmes qui ne sont pas Mélissandre ?

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Permettez que je vous écrive ce que vous lirez dans mes yeux, ce que je ne cesse de vous dire en pensée... Je vous aime !

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Il me reste quatre jours encore sans vous voir. Mon impatience devient de l'angoisse. Ai-je peur de vous retrouver dans ce grand calme superbe, dans cette sérénité olympienne que je prenais pour de la hauteur, pour de l'insensibilité, et qui ne sont que la dignité d'une âme incomprise ?

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Je ne me consolerai de cette longue attente que si vous daignez m'envoyer encore l'un de ces paysages qui me font faire à vos côtés une inoubliable promenade.

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Vous trouverez à la maison de Pétrarque, quand vous daignerez honorer mon atelier de votre visite, vos descriptions si achevées devenues esquisses.

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- MADAME DE NOVES À GARDANNE -

Voici ma dernière lettre, et je vais vous la faire bien longue, mon grand ami, car il me plaît de vous écrire, comme il me plaira de vous revoir.

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Je commence par le tableau de ma promenade d'hier, puisque vous désirez l'avoir faite avec moi :

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« Au milieu de la plaine, sur le grand fleuve qui roule ses eaux lourdes, est suspendu le pont de Cavaillon. Il ressemble, avec ses cordages, au pont d'un immense navire à voiles.

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« Les flancs ravagés du Luberon étalent des entrailles d'or. Les hauteurs de ses collines prennent les aspects rugueux de la peau des mastodontes. L'un des sommets a la forme d'un monstre. Il semble nager sur les vagues de la terre, s'abaisser pour se relever dans le roulis des mouvements du globe, tandis que les nuages floconneux, posés sur le monstre, l'entourent d'écume soulevée.

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« Plus près, la colline de Saint-Jacques, toute nue, s'enveloppe amoureusement de ciel d'un bleu pâle.

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« Dans les îles formées par la Durance, et que recouvrent des galets roulés, de grands roseaux se vêtissent de soleil, de lumière et de gloire.

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« Je quitte le fleuve et je reviens à Saint-Estève. Au seuil des maisons de paysan, la vigne se soulève sur des ceps allongés, grimpe, se déploie pour former un abri contre la chaleur. Tantôt la vigne est vierge : elle a le sang aux feuilles comme les jeunes filles l'ont aux joues, car le fruit seul règle le cours normal des sèves. Tantôt la vigne a les feuilles vertes et le raisin noir, où le sang s'est amassé dans le jus des grappes.

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« Les insectes bourdonnent, les mouches luisent et traversent, en se jouant, les rayons de soleil. Je suis assise au bord d'un ruisseau, entourée de fleurs : des luzernes rougeâtres, des chardons violacés, des pissenlits dont la couleur d'or enrichit la vulgarité, de la menthe et des scabieuses lilas, des pâquerettes blanches et roses, une sorte de muguet qui s'accroche aux tiges fleuries et les orne de beaux colliers de perles noires.

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« Octobre a déjà teinté de rouge la graine de l'aubépine, les clématites ont leur beau plumet de duvet, les mûriers sauvages offrent au passant des fruits parfumés. Sous les ronces se cachent de fines giroflées. Aux fusains pendillent, à travers les feuilles pourprées, des bijoux de corail en forme de trèfle.

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« Perchée dans un arbre, une fille chante. Elle cueille les feuilles d'un mûrier pour la pâture des moutons. Grimpé dans un peuplier, cueillant aussi des feuilles, chante un garçon. Tour à tour ils unissent leurs voix, ou s'interrogent ou se répondent en des couplets monotones tirés d'une complainte.

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« Deux pâtres sur la route, vêtus de blouses bleues, écoutent et répètent le refrain de la triste chanson, tandis que leurs chèvres blondes, blanches et noires, se suspendent aux ronces des talus.

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« Les paysans sont répandus ici et là. L'homme au travail des champs a l'allure grave, les mouvements nobles. Le laboureur, tandis que son cheval s'agite sous les mouches, se tient droit dans le sillon. Il dirige et maintient son socle sur la terre qu'il creuse, qu'il retourne et qui se laisse mordre en silence. »

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Déjà tout pose dans mon esprit. Je ne vois plus que la forme des choses, et leur âme m'échappe. Je ne regarde plus le dehors à travers moi seule.

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Mon affection pour vous grandit chaque jour. J'espère que votre tendresse humaine ne me fera pas oublier mes dieux. Il me fallait un ami, il vous fallait une initiatrice. En pénétrant le sens de la nature, vous rencontrerez comme moi le surnaturel. Sous le soleil de Provence, tous les chemins mènent à l'infini.

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Autant le divin est repoussé dans les villes par l'agitation et le scepticisme, autant il s'offre et vient au-devant de nous dans nos campagnes silencieuses. Les courants des dieux à l'homme et de l'homme aux dieux ne se rencontrent qu'en pleine lumière.

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Vous me demandiez, à l'une de nos premières conversations, comment il se faisait que j'eusse choisi, pour les adorer, les dieux païens.

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J'ai su par hasard, et par ma gouvernante, le grec moderne, et les seuls livres que mon père n'ait point songé à me faire enlever, n'imaginant pas que je pusse un jour y lire, c'est l'Iliade et l'Odyssée. Mon premier culte avait été le Soleil. Je découvris Phébus parmi les dieux homériques, et il m'initia au culte des autres dieux. Toute forme définie du divin devait me trouver prête à l'adorer, mais surtout celle vers qui mon être, développé en pleine nature, s'élançait plus librement.

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J'invoque les dieux païens sans exaltation, je les adore sans sacrifier en moi ce que je crois avoir reçu d'eux. Ils m'assistent et m'apparaissent sans miracle. Plus je les conçois parfaits, plus ils se font parfaits pour moi.

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Le divin, qui crée l'infini des formes, peut s'incarner à son gré dans la forme que les hommes lui prêtent. Toute religion est agréable aux dieux.

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Ce qu'ils veulent, c'est la prière, encens de l'âme, fumée des sacrifices de l'être intérieur, ambroisie dont ils se nourrissent.

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- À MÉLISSANDRE -

Ô ma belle païenne, je prierai vos dieux. Mon âme ardente brûlera pour votre culte et pour leur culte tout son encens, elle s'enflammera de tous ses feux. J'obtiendrai d'Apollon qu'il me révèle l'incantation mystérieuse qui livre à l'amour des hommes l'amour des nymphes et des déesses. Mélissandre, je vous aime ! Mon adoration va vers vous tout entière. Pourquoi faut-il que je la traduise par des mots ? Si la pensée pure pouvait s'exprimer, être comprise, sans l'aide épaisse et lourde de l'écriture ou de la parole, si vous consentiez à percevoir ce que je sens, quel langage divin vous entendriez, ô divine !

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- À LA MÊME -

Au château de Noves.

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J'ai reçu de vos yeux, hier, mon amie, l'un de ces regards qui lient autant qu'ils illuminent, et j'ai cru deviner que vous pouviez m'aimer.

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Je vous ai quittée à la hâte, craignant de réclamer trop vite une espérance qui m'eût rendu fou de bonheur.

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J'irai vous revoir aujourd'hui pour vous dire que je peux être aussi intimement uni à vous que votre pensée l'est à votre esprit, sans troubler par un désir votre noble existence.

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- À TIBURCE -

Ai-je écouté Apollon en personne ? Êtes-vous l'inspirateur des chants de mon âme ? Jamais je n'ai entendu en moi ce que j'entends. L'amour est-il si harmonieux ? Est-il la révélation complète du divin ? Les vers de Shakespeare, les paroles de Roméo, dits par vous, ont enfanté dans mon cerveau mille visions poétiques et l'ont fait merveilleusement délirer. Où suis-je ? En quel monde irréel m'avez-vous transportée ? Je vous aime depuis quelques heures, et déjà vous avez pris possession de ma pensée. Vous ne me quittez plus. Vous m'êtes présent si je me reporte en moi dans le passé le plus lointain, et vous m'apparaissez dans l'avenir le plus obscur. Tout me paraît plus grand, plus haut, plus profond dans la nature, plus divin dans le divin.

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- À MÉLISSANDRE -

Je n'ai jamais rêvé plus délicieusement que cette nuit, tant j'avais amassé d'images riantes et empli mon être de bonheur, de tendresse et d'espérance. Je vous dois la plus violente et la plus noble émotion de ma vie, et j'imagine que mon amour sera fait d'autant de gratitude que d'enivrement.

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- À TIBURCE -

Une tristesse inexplicable, douloureuse, m'envahit. Sans votre tendresse, la vie maintenant me paraîtrait cruelle à vivre. Si je pouvais appuyer ma tête sur votre épaule et longuement m'y reposer, les larmes que je répands seraient de douces larmes.

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- À MÉLISSANDRE -

C'est bien la même âme qui anime nos deux corps et les pousse à l'indissoluble union. Je suis encore tout ébloui des clartés et des langueurs de vos yeux. Je voudrais être auprès de vous et m'assurer que votre cœur s'est calmé, rasséréné. Que lui faut-il ? La sécurité dans le bonheur, la paisible et délicate intimité de deux natures sœurs ? Mélissandre, ces joies, nous les possédons. Nous avons tous deux, sous la main, les plus beaux fruits de la vie à cueillir. Qu'exigent vos dieux en échange de tels dons ? Une large confiance en chacun de nous, le mépris du danger, l'ardeur de vivre. Vous m'avez dit ce soir que l'amour diminuait en vous la passion de la nature, et que la mort vous attire. N'allez pas comme votre mère, ma bien-aimée, préférer l'extase au réel, épargnez mon affection craintive encore.

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J'apporterai le bonheur, je le veux, dans une existence qui l'a trop attendu. J'ai cet orgueil de croire que je le puis.

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- À LA MÊME -

Jamais mon âme n'a enlacé la vôtre comme ce soir. Ce n'est plus de l'attrait, comme au début de notre amour, c'est de la pénétration, l'embrassement infini et conscient de nos deux êtres. Pourquoi, Mélissandre, vous qui dédaignez les amours de Pétrarque et de Laure, n'être que platoniquement à moi ? L'amour dans l'absolu, c'est-à-dire par l'âme seule, a quelque chose du vide de l'irréel. Pour le bien concevoir, pour éprouver l'amour dans toute son ardeur, dans toute sa soif, dans tout son infini, pour en avoir la conscience et la possession vraie, il faut qu'il s'appuie à l'appui même que vos dieux, Mélissandre, ont donné à l'âme, à l'enveloppe physique. Ce n'est qu'unie au corps que l'âme peut goûter dans ses voluptés célestes tout ce que l'amour a de grand, de beau, d'immortel.

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- À TIBURCE -

Sans doute, la nature exige que l'âme s'unisse au corps, mais voyez aussi, mon bien-aimé, combien la vie de l'âme en soi peut apporter à l'être humain, divinisé un instant, de bonheur céleste !

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N'ai-je pas trouvé aujourd'hui la vie propre de ma pensée, ce qu'on appelle le hors de soi, et ce qui n'est au contraire que le moi détaché de ses entraves humaines ? N'avez-vous pas vu mon être intime émergeant pour ainsi dire au-dessus de la nature, comme j'ai vu votre être intime dégagé de ses liens terrestres ? Ne nous sommes-nous point apparus dans nos éléments divins ?

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Comment exprimer ce que nous avons ressenti, ce qui nous a été révélé ? Nous avons éprouvé le tressaillement des antres sacrés, nous avons reçu l'initiation antique des mortels qui avaient pénétré dans les entrailles de la terre, vu les âmes vêtues seulement de l'ombre des corps ; nous avons traversé les cercles où l'on quitte la vie pour se réveiller dans la mort. Rappelons-nous cette heure suprême et fixons-la dans notre souvenir, pour en offrir, durant toute notre vie, la reconnaissance aux dieux.

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Nous marchions vers la source de Vaucluse. L'eau des cascades de la fontaine s'était retirée subitement depuis la veille, le grand lac verdâtre était vide ; l'antre blanchi, lavé, avec sa voûte énorme, prenait l'aspect d'un temple, s'ouvrait dans toute sa profondeur pour nous attirer... Ma main dans la vôtre, j'eus à tel point le vertige des profondeurs, que je me penchai sur l'abîme. Votre main quitta la mienne et je crus éprouver la sensation de la chute ; mais bientôt, enlacée par votre bras, serrée contre votre poitrine, votre souffle brûlant mon visage, enlevée par vous, je descendis.

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La pierre des roches émiettée, roulée, polie par l'eau, descendait avec nous vers le trou béant. Le sol marchait ; une terreur sacrée nous envahit. Votre bouche effleura la mienne, et je reçus de vos lèvres, tout à coup devenues froides, un premier baiser.

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Nous prononçâmes la même parole : « Mourir ! »

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J'eus alors la vision religieuse et païenne du grand être terrestre avec son œil unique. Dans la source, ronde, verte, luisante, au fond de la grotte immense, le regard de l'eau nous regardait. Je fermai les yeux pour ne plus subir la fascination, et je m'évanouis.

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Ma pensée se détacha de mon corps, attira la vôtre, et toutes deux voltigèrent sur l'abîme. Pensée, âme, ombre, je n'avais plus rien de corporel, et cependant je me voyais et je vous voyais. Un allégement divin me ravissait. Apollon resplendissant m'appelait à lui au milieu des cercles de lumière.

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Je m'éveillai dans vos bras, la tête penchée sur votre épaule, votre bouche appuyée sur mon front, répétant mon nom. Vous étiez pâle comme les voûtes de la grotte. À mi-chemin de l'abîme vous aviez heurté contre une roche moins arrondie que les autres, vous vous y étiez accroché, vous aviez pu gagner le petit sanctuaire où nous étions sauvés tous deux.

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Le grand arceau de la grotte s'arrondissait sur nos têtes en un dessin admirable. Ses parois marmoréennes, incrustées par l'eau, étaient éblouissantes de richesse. Il semblait un palais féerique, sorti de terre pour fêter quelque noce divine.

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Mon amour ne me parut plus le même, et je ne m'étonnai pas, après cette échappée de la vie, de vous entendre me répéter : « Nous sommes unis pour jamais, et tu me dois ton amour sans réserve. » Une puissance terrestre, faite d'épouvante comme toutes les initiations, nous avait unis.

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Je vous jure d'être à vous quand mon âme, remise d'une si terrible émotion, sera un peu rassérénée. Elle aussi veut se donner.

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Pétrarque et Laure n'étaient point descendus au fond du gouffre où nous sommes descendus. Ils buvaient l'amour de Vaucluse dans la poussière des cascades, ils l'ont miré dans les reflets irisés de l'eau courante ; ils n'ont vu le temple qu'à travers le rideau de verdure qui tremble sur la source remplie. L'antre sacré, qui attire la vie pour l'engloutir, ne les a point attirés ; mais non plus Cybèle, qui arrache à Saturne les couples amoureux initiés, ne les a point dotés de tous les désirs terrestres, ni préparés à la jouissance de toutes les joies.

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- À MÉLISSANDRE -

Je suis trop enivré pour traduire les ineffables sensations que j'ai emportées de cette heure divine. J'ai goûté profondément, ce soir, la joie de pénétrer une noble nature et d'en être moi-même pénétré.

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Tout d'ailleurs, autour de nous, ajoutait à la majesté de l'incantation. Cette lumière ambrée que nous versait la lune, en nous donnant l'apparence des ombres, semblait ouvrir devant nous les perspectives mêmes des champs Élyséens. Je murmure tout bas l'hymne d'amour, et c'est sous le regard d'Éros, dieu de la vie, que je mets mon cœur à vos pieds.

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- À TIBURCE -

Après vous avoir écouté de longues heures parler de ce qui me charme ou m'émeut ou me passionne, dans la nature et dans l'art, après avoir savouré toutes les joies de l'esprit que le vôtre jetait en moi avec profusion, j'ai pleuré comme une enfant ; pourquoi ? Parce que je n'avais pu, un seul instant, boire l'amour à vos lèvres.

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Ce matin, je suis redevenue forte, heureuse, et ma gratitude se répand sur toutes les choses qui ne sont point un obstacle à mon bonheur. Je viens à vous en pensée, prenez-moi et gardez-moi.

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- À MÉLISSANDRE -

Si vous avez juré de m'enivrer, de m'éblouir, ô divine, jouissez de votre triomphe, je suis ravi, extasié. Je rêve encore les yeux ouverts, les lèvres tremblantes ; je me rappelle au fond du cœur les paroles définitives : « J'aime, je suis aimé ; » je sens bien que nous nous sommes mis deux pour forger un amour d'un impénétrable airain.

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Je me jette dans cet amour tête baissée, sans réserve ni mesure, et je remercie ma bien-aimée des tendresses infinies qu'elle excelle à verser dans mon cœur.

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Je tiens à prolonger et à nuancer cette délicieuse préface d'un livre que nous écrirons toute notre vie, sans l'achever jamais.

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Mélissandre, à demain. Je vais dormir, c'est-à-dire rêver de vous, à vous, en vous, toujours. Quand vous lirez ces lignes, le réveil sera venu. Je vous prie de vous lever, de vous placer devant votre grand miroir et d'envoyer à l'image de votre beauté tous les baisers que je lui adresse.

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- À TIBURCE -

Vous m'avez, dans notre dernière conversation, parlé chimie d'amour, quand vous n'auriez dû me parler que de l'art d'aimer. Vous m'avez tenu un langage que vous avez tenu cent fois à d'autres femmes. Vous m'avez déplu. Je hais les raisonnements déjà employés et, par conséquent, vulgaires.

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Il serait indigne de notre amour d'y laisser pénétrer un doute sur vous ou sur moi. Depuis longtemps je me suis reprise à M. de Noves. Ses infidélités m'ont faite libre. Je ne me crois pas adultère, mon amour ne me paraît point coupable. Il est consacré par sa hauteur morale. Prenez garde de le juger avec votre expérience des femmes ordinaires, dont les réserves, les résistances sont des précautions prises pour un détachement futur.

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Vous ai-je marchandé le don fier et osé de moi-même ? Si les dieux que j'adore m'ont jetée dans vos bras, c'est pour que je vous élève jusqu'à eux, et non pour que vous m'abaissiez en confondant nos amours divines avec vos amours passées trop humaines.

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- À MÉLISSANDRE -

Pardon, ma bien-aimée, le baiser de votre mari vous avait souillée à mes yeux. Les réflexions brutales de votre père m'ont exaspéré. Je n'ai senti que mes révoltes et n'ai point songé à votre souffrance. Avec des sacrilèges, moi-même j'ai été sacrilège ; pardon ! Je suis à vos genoux, implorant une grâce que je saurai mériter et obtenir.

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- À LA MÊME -

Sois bénie, Mélissandre, pour les saines et salutaires émotions que tu me donnes. Je croyais avoir, dans ma coupable existence d'aventures, épuisé les surprises, non du sentiment de l'amour, mais de ses premières impressions...

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Il me semble retrouver la virginité de mes sensations printanières, avec la saveur que l'expérience de la vie y ajoute en plus.

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C'est une renaissance, et il n'en pouvait être autrement, puisque je puise dans ta pensée pour y alimenter la source de la mienne. Je t'ai toujours connue, toujours aimée, j'ai toujours été toi, à toi et en toi. Je n'ai garde de mettre à ce délicieux échange de tendresse une restriction, une timidité. Je me laisse attirer, absorber. Il me semble que, prédestinés l'un à l'autre, nous nous sommes simplement rejoints et retrouvés, au milieu des accidents, des banalités, des plaisirs mêmes de ma vie, et à travers les songes de la tienne.

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Tu dois, comme moi, penser que nos cœurs se sont échangés parce qu'ils étaient formés pour être l'un à l'autre. Désormais, ils se possèdent sans même nous prévenir, sans que, peut-être, tu y consentes aussi entièrement.

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Je te porte en moi et ne te rendrai jamais plus.

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- À LA MÊME -

J'allais errant depuis trois jours, triste et seul comme une âme en grande peine, retournant aux lieux où ton amour me fut par toi révélé, cherchant le moment favorable de reparaître sous le feu de tes beaux yeux. Je suis venu, j'ai vu, j'ai vécu.

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Quelle place, Mélissandre, tu as prise dans ce cœur ! Il est bien à toi, sans rival que l'art. Et encore la nature dans sa magnificence, tes dieux dans leur générosité, ont fait pour toi et pour moi ce prodige de te créer tellement belle, que je ne peux voir désormais l'idéal humain, la forme féminine, que sous tes traits, avec ton incomparable grâce et ton délicieux visage.

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Rien dès lors ne me paraît plus cruel que de ne pouvoir t'adorer, te prier à la face du monde, te dresser des autels, m'enorgueillir devant tous de la piété que j'ai vouée à mon idole.

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J'attends, avec des rayons plein la tête, l'heure si lente à venir où je pourrai verser mon âme à tes pieds, te couvrir de caresses.

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Je fais les projets les plus fous, je trace les combinaisons les plus savantes et je trompe mes impatiences et mes ardeurs dans ces calculs impuissants.

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J'ai besoin de ta divine présence pour retrouver un peu de calme d'esprit. Loin de toi, je commence à ne plus rien valoir. Tu es devenue à ce point nécessaire à mon existence que je me sens diminué de moitié quand je ne te possède pas.

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- À TIBURCE -

Ce n'était pas un rêve, c'était le réel goûté, bu jusqu'à l'ivresse. Une lumière radieuse m'illumine, m'enveloppe. Je marche dans l'éblouissement. Si tu veux reproduire nos deux visages dans notre extase d'hier, comme tu l'as tout à l'heure essayé, il faut tremper tes pinceaux dans l'or du soleil. Je te revois tout brillant, tout enflammé de nos feux. Je possède le bonheur sans limites, l'infini du bonheur. La vie ne peut ajouter à mes joies, ni la mort me les reprendre.

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- À MÉLISSANDRE -

Je suis encore tout frémissant, mon cœur bat à rompre dans ma poitrine, et j'ai peine à contenir le mouvement de mon sang dans tout mon être. Je n'ai jamais plus cruellement ressenti l'impuissance de peindre mes sensations. Je voudrais les exprimer toutes à la fois, pour bien rendre l'orage d'amour qui s'est déchaîné au fond de mon âme, dans ces heures délicieuses.

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Toi seule, en écoutant les voix intimes de ton cœur, peux suppléer à mon insuffisance et à cet indigne bégayement.

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J'ai, grâce à toi, gravi, touché les sommets de la passion, je refuse d'en descendre pour retomber dans la vie réelle.

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Tu as donc reçu un secret jusque-là inconnu, que ta seule volonté ait suffi pour m'ouvrir une vie nouvelle, tout un étincelant domaine de joie, d'ivresse, d'extase ! Je te suis désormais attaché comme l'esprit à la chair, et, si tu voulais te reprendre, tu mourrais comme meurt le corps que l'âme abandonne.

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Je ressens comme un cruel besoin de t'absorber ou de m'abîmer en toi. Ce qui domine en ce moment les sensations terribles et confuses qui m'assiègent, c'est comme un violent appétit de mourir dans tes bras, si je ne désirais survivre pour t'aimer davantage.

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- À TIBURCE -

J'ai voulu te verser tant de joie folle que tu n'aurais pas le temps de la boire. L'amusant jeu d'amour ! Sous un dôme de lierre, à l'ombre des pins, l'un de mes dieux y présidait. Tu essayais de saisir au vol mes baisers qui t'échappaient dans un éclat de rire, et ta lèvre demeurait ouverte, semblable à celle du Tantale de mes fables.

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Et quelle victoire ! Sans rien saisir, tu t'es grisé !

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- À ELLE -

Mon adorée, tu es bien telle que je te désire, aimante et joyeuse. Comme tes lèvres sont faites pour l'amour et le rire ! En lisant ton billet, je voyais à chaque mot les perles de ta bouche provocante. Je cueillais en imagination ces baisers que tu m'as volés. Je me faisais assez d'illusion pour croire qu'ils m'étaient rendus, et j'en avais le cœur ravi.

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J'ai donc cette faveur suprême, en mon amour que je croyais à son plein de joie, de posséder une femme qui, à la beauté merveilleuse, à toutes les qualités de l'esprit, à toute la noblesse du cœur, à tant de trésors si rarement assemblés, est assez magicienne pour ajouter le rire, la gaieté, c'est-à-dire le don divin qui a fait en tout temps les héroïnes et les maîtresses incomparables.

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Je suis gâté par la fortune et, si je n'avais la certitude de te voir, je craindrais d'être le jouet d'une hallucination.

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Tu ne peux imaginer comme chaque jour, au réveil, je trouve mon amour grandi, exalté. Qui donc disait que la possession arrête le développement de la passion ? Piètre et froid amoureux ! J'y ai puisé de nouvelles ardeurs, j'en tremble d'émotion, et, si j'étais à tes pieds, mon front te brûlerait les mains.

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- À LA MÊME -

Un orage violent a tout à coup éclaté dans notre ciel pur. La secousse a été d'autant plus forte qu'elle agitait une atmosphère plus calme.

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De quel droit celui qui vous trompe, Mélissandre, avec tant d'impertinente élégance, qui se bat pour des filles, qui les entretient et les affiche, qui se fait en riant l'apôtre des mauvaises mœurs, qui place l'infidélité (répète-t-il à chaque instant devant vous) à la tête des vertus conjugales, de quel droit M. de Noves vous défend-il un sentiment qu'il croit être seulement de l'amitié ? Je n'accepte pas pour vous cette tyrannie et je veux... Pardon, Mélissandre, ne t'irrite pas de mon emportement.

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Tu me l'as dit avec ta grandeur d'âme, il ne faut nous laisser envahir ni par la tristesse, ni par la haine. Restons confiants dans la destinée, la fortune est pour nous. Je veux me répéter sans cesse tes fières et douces paroles : « Ne songeons, dans l'épreuve, qu'à nos joies, et, quelque tempête qui se déchaîne, rappelons-nous que notre bonheur est fixé. »

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- À TIBURCE GARDANNE -

Après tout ce courage déployé, j'éprouve un attendrissement inexplicable. Les larmes coulent de mes yeux comme si elles y étaient amassées. Je pleure, et cependant j'ai l'esprit fortifié par sa victoire sur un esprit faible. Non seulement, ai-je dit à M. de Noves, je me permettrai d'aimer Tiburce Gardanne de tendre amitié, mais je l'aimerai d'amour quand il me plaira. Je vous ai laissé libre de disposer de vous, et ne vous ai jamais, quoi que ma dignité en ait souffert, adressé un seul reproche ; je veux être libre à mon tour de distraire l'existence isolée que vous m'avez faite, par les soins, fussent-ils amoureux, d'un artiste illustre et d'un galant homme. Si vous voyez l'honneur de votre nom en danger par moi, reprenez-le. Celui de mon père est d'aussi bonne noblesse, et les titres de ma mère m'appartiennent. Réfléchissez jusqu'à demain et décidez en « grand seigneur ». Je suis assez « grande dame » pour tout comprendre.

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Il m'a priée sur l'heure de lui épargner un scandale et d'oublier son équipée.

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« Gardanne, a-t-il ajouté, est d'ailleurs un homme avec qui l'on peut se battre et qu'on peut tuer à l'occasion. » Je me suis contentée de répondre : « Vous auriez dû penser à cela plus tôt. »

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- AU MÊME -

Soit que je porte vers les dieux mes actions de grâce, soit que ma pensée revienne à toi, je vous bénis tour à tour.

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Autrefois, dans les échappées de mon imagination, en rêvant de héros et d'amants, j'avais cru prévoir jusqu'où peut conduire l'amour ; mais les cercles de la félicité où tu m'entraînes, je ne les avais pas entrevus.

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Il me semble, par instants, que nous arrêtons l'infini au passage plus sûrement que Josué n'arrêta le soleil.

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Mon être tout entier, dans un mouvement soudain que je n'essaye pas de maîtriser, se précipite vers toi.

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- À MÉLISSANDRE -

Je vais te voir, je vais boire la lumière dans tes regards, respirer le parfum de ton haleine, m'emplir le souvenir des traits de ton adorable visage, entendre les notes argentines de ta voix, causer ta causerie de longues heures.

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Et qu'est-ce que ces doux plaisirs auprès de l'ivresse que je goûterai demain ? Mon adorée, je suis tout songeur. Je te tends les bras mille fois en un jour. Je ne me croyais pas si envahi par ta volonté amoureuse. J'ai toutes les ardeurs, et comment n'en serait-il pas ainsi, ô charmeuse ? N'est-ce pas la vie, l'éclat, l'attrait, qui sortent de toi comme des chaînes d'or, qui m'enveloppent, et dont je sens avec délices le poids ineffable sur tout mon être ? Aime ton amant captif qui demeure à tes pieds.

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- À LA MÊME -

Divine compagne, quel délicieux voyage ! De quelle terre promise, et trop rapidement traversée, revenons-nous ? J'ai la certitude d'avoir pénétré dans un monde nouveau, inexploré.

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Nous avons retrouvé l'île de Délos, remontée tout exprès des fonds de la mer de l'histoire pour nous servir d'asile et de sanctuaire. Ah ! le doux mystère de tendresse idéale qu'on m'a révélé ! j'en ai le cœur parfumé. Je bénis la déesse qui s'est humanisée pour moi.

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Tu es vraiment divine, Mélissandre. Je sens au fond de mon âme (car, depuis que je t'aime, j'en vois nettement le fond) tous les sentiments réunis dans le même amour. Je ne veux pas les séparer. Je tiens à t'aimer de toutes les manières, sous tous les modes, depuis l'affection de l'ami jusqu'à la tendresse de l'enfant, la piété fraternelle, la passion de l'amant, la gratitude du blessé guéri, jusqu'à l'adoration religieuse et enthousiaste de l'artiste pour l'harmonieuse beauté.

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- À TIBURCE -

C'est avec une inexprimable émotion que je retrouve en mon souvenir les exquises jouissances rapportées de cette entrevue. Il ne se mêle à tant de félicité parfaite que la désespérance de ne pouvoir traduire l'hymne d'amour reconnaissant que chante mon cœur. Si je parvenais à lui arracher ce qu'il dit tout bas dans la langue mystérieuse de l'extase, et te l'écrire, je posséderais le bonheur absolu.

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Les mots me manquent ; toute parole me paraît de glace. J'éprouve le besoin d'effacer aussitôt ce que j'écris, tant je le trouve banal et mesquin. Écoute et prête l'oreille à la voix du dedans.

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Je renonce à t'aimer en langage humain.

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- À MÉLISSANDRE -

J'avais fait bien des rêves, caressé bien des ambitions, désiré bien des plaisirs, jamais mon imagination n'était allée ni si haut ni si loin que la réalité présente. Ah ! comme je t'attendais ! Je n'avais rencontré jusqu'à toi que le mensonge, le sentiment artificiel ou les satisfactions grossières des sens, ou la fugitive volupté des rencontres sans lendemain. Je t'aime et je trouve réunis, par la main de tes dieux que je confesse en t'aimant, la beauté admirable, la grâce charmante, la poésie, la vaillance du cœur, la passion vraie, et mon bonheur se fait de tous ces dons, de toutes ces fortunes.

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Je sens avec un tremblement religieux que le divin à travers toi me protège, je tombe à tes genoux et je couvre de larmes de joie tes belles mains.

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- À LA MÊME -

Mon amante adorée, Je ne t'ai pas aperçue ce matin, et je suis triste. Heureusement, il me reste aux lèvres un rayon de miel, un peu d'ambroisie, qui me permettent d'attendre jusqu'à ce soir. J'aurai la joie de te revoir et d'exprimer silencieusement, avec l'éloquence des yeux, l'amour qui embrase chaque jour davantage tout mon être.

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J'interroge souvent le passé, je cherche les indices du feu qui couvait sous la cendre d'amours indignes de m'avoir enflammé. Il devient manifeste, et je m'enorgueillis de cette conviction, que, dès la première heure où je t'ai aperçue, mon âme est allée à la tienne comme une exilée qui rentre dans sa patrie idéale. J'habite en toi aujourd'hui, je t'appartiens pleinement. Il n'y a pas jusqu'à la souffrance intérieure que me causent nos séparations, qui n'aiguillonne en moi la passion de te retrouver.

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Je ne me figure pas sans orgueil que dans la suite des annales humaines on n'ait jamais rencontré deux natures plus faites pour s'unir, se compléter l'une l'autre, s'ennoblir par le contact, s'agrandir et s'épurer par leur intime communion. Je t'aime comme on aime le résumé de toutes les grâces, de toutes les beautés morales et plastiques, et je me sens devenir, à cette possession, plus conscient de ma valeur d'artiste, plus fier de ma nature d'homme.

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- À TIBURCE -

J'ai des accès de lyrisme auxquels je résiste mal, et je conserve, en m'y abandonnant, la crainte de redire, avec des expressions déjà dites, un amour qui se meut dans les hauteurs inaccessibles des êtres, infranchies, indécouvertes jusqu'à nous.

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Cependant je veux te chanter mon amour, il faut que j'en note les rythmes, que j'en réentende les harmonies. Un mot apaise mon exaltation loin de toi, il se murmure à mon oreille, je le vois s'échapper de tes lèvres, je le balbutie et je le crie tour à tour :

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« J'aime ! »

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J'admire en toi ton génie, et cette étrange beauté de l'homme, si inquiétante pour la femme. Tes yeux bleus profonds et sombres, je les aime, quoiqu'ils aient, à certains moments, les lueurs dantesques de ceux qui ont vu les cercles infernaux du mal et pourraient y rentrer. Ami, parfois j'ai la terreur de ton passé, et elle me donne un vague effroi de l'avenir.

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- AU MÊME -

Nous avons fait, ce matin, mon père et moi, une très belle promenade à cheval. Malgré nous, la conversation prit une allure tendre. Je ne sais à quel propos mon père s'est laissé hanter par de vieux souvenirs : « Ta mère avait ton élégance, m'a-t-il dit brusquement, elle était fière et silencieuse comme toi. Tu lui ressembles chaque jour davantage. Tes yeux, l'expression de ta bouche, ta physionomie, ont changé depuis quelques semaines. Je te sens livrée au rêve intérieur, je devine en toi une exaltation contenue ; quelque joie mystérieuse te possède. Je ne puis exiger tes confidences ; tu n'as pas voulu que je fusse un camarade, et je n'ai pas su être père.

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« J'ai mal choisi ton mari. Ses compagnons de plaisir, qui sont les miens, le blâment de te délaisser, toi si merveilleusement douée de tant de grâce, de tant de beauté. Nous nous demandons comment il se fait que de Noves ne soit pas amoureux de toi. »

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Je me suis écriée en riant :

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« Les dieux me préservent de son adoration !

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— Moi, reprit mon père, si j'ai cherché à m'étourdir, si j'ai mené l'existence que je mène, c'était pour oublier la morte, celle qui, vivante, m'avait chassé de son cœur.

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— M. de Noves est aussi excusable que vous, mon père, car je l'ai chassé de ma pensée.

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— Tu ne t'es détachée de lui que parce qu'il t'a publiquement trompée, et pour qui ? Pour je ne sais quelle créature de bas étage, la maîtresse de cent peintres, un modèle lancé par Gardanne !

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Et, comme je ne répondais pas :

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« Mélissandre, ajouta-t-il, crois-tu donc pouvoir te passer toujours de l'affection ou de ses semblants ? Prends garde au premier sentiment que tu éprouveras ! Il deviendra vite passion.

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Et si tu t'égarais alors, si, n'aimant pas ton mari, aimant peu ton père, parce qu'ils sont ce que tu appelles des corrompus, tu n'aimais encore qu'un viveur ?... »

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Nous entrâmes dans une avenue où l'on ne pouvait marcher à deux. Je laissai mon père derrière moi. Il ne vit pas la rougeur me monter au front, ni les larmes tomber de mes yeux. Je ne veux pas vous dire ce que j'ai souffert de cette conversation. Il faut que je l'oublie.

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Imaginez une avenue faite de cyprès et de saules. Les cyprès aux flancs arrondis, parsemés de pommes roussies et rugueuses, s'avancent dans l'allée et mordent sur l'horizon. Leurs masses épaisses, protectrices et lourdes, servent de barrière au mistral.

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De l'autre côté de l'avenue, les saules, pénétrés par la lumière, détachés sur le bleu, courbés, flexibles, étendent leurs branches allongées ou traînantes ; leurs feuilles si fines, d'un vert pâle, tremblent au plus léger souffle de la brise.

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Sur les saules, des oiseaux voltigent sans se poser, tandis que, dans les cyprès touffus, la troupe entière d'alentour habite, crie, chante, s'agite, au milieu des arbres paisibles.

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Si j'étais pinson, ou rouge-gorge, ou chardonneret, ou fauvette, moi aussi je préférerais les cyprès aux saules. Il ne faut pas que la branche où l'on pose ses amours ploie trop aisément ; mieux vaut la sûreté que la souplesse.

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- À MÉLISSANDRE -

Je vous ai en vain attendue dans l'allée des cyprès et des saules. Je sentais que vous ne viendriez pas, que vous ne pouviez venir, malgré vos promesses. Je vous avais vue trop souffrante hier, et cependant je m'obstinais à rester, à fouiller du regard l'étendue.

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À chaque silhouette lointaine j'espérais, à chaque déception je songeais avec amertume que vous étiez sur votre lit de douleur, et que vous songiez tristement à l'ami qui vous attendait sans espoir.

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Mélissandre, comme je vous aime ! et quel chemin cet amour a fait en quelques semaines dans mon cœur ! Il lance de tous côtés ses racines, et le passé, si je puis me souvenir que j'ai vécu sans vous aimer, est bien complètement étouffé par lui.

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- À TIBURCE -

Je souffre. Est-ce le mal qui m'accable ? Est-ce une angoisse précédant l'épreuve ? Mon amour était-il une vision d'un jour ? Le songe que j'ai fait, je veux le refaire, ou mourir.

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- À MÉLISSANDRE -

Guérissez, ma bien-aimée, sans quoi je maudis la nature assez cruelle pour nous séparer, quand elle devrait opérer tous les miracles pour nous réunir, car elle n'a jamais formé deux êtres plus sûrement destinés par elle-même l'un à l'autre.

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- À TIBURCE -

Ne maudissez pas ! Invoquez le guérisseur, Apollon, dieu bienfaisant. Qu'il me délivre de la douleur. Je suis enfermée, je ne puis le voir. Vous qui le voyez, priez !

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- À MÉLISSANDRE -

La longue séparation ! Je compte les heures. En dépit des tristes émotions qui m'assiègent, je vois toujours flotter devant mes yeux ton adorable image. Grâce à elle, je conserve un peu de force. Seule la certitude de pouvoir compenser les ennuis de notre éloignement par ma tendresse me soutient. Quel arriéré d'amour tu me devras ! Je sens grandir loin de toi ma passion. Mon cœur devient trop étroit pour la contenir, et je sens que, si elle ne se mêle pas à chaque instant à la tienne, sa violence me brisera. Conviens, Mélissandre, que le mystère de notre union a ses cruautés, puisqu'il m'est interdit d'aller m'asseoir à ton chevet, quand tu souffres.

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Ne t'irrite pas de ma plainte ; je sais quel est ton désir : j'y répondrai avec soumission, ma bien-aimée. Je te dirai même, si tu l'exiges, que la privation de ta vue augmente ma ferveur, car c'est de la piété que je t'ai vouée, comme aux divinités absentes.

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- À TIBURCE -

Jamais je n'ai senti une pareille impossibilité de me reprendre à la santé. Quoi ! ce bonheur surhumain se briserait parce qu'avant de te connaître j'ai manqué de foi dans ta venue, et que, dédaigneuse de la vie, j'ai pris plaisir à la laisser s'amoindrir en moi ! Maintenant, ma volonté n'a plus la puissance de retremper mes forces. Pourquoi, en mes jours sombres, n'ai-je pas eu la révélation de mes jours lumineux ?

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Je voudrais ne t'apporter que le bonheur, la sérénité, et voilà que je t'accable de soucis et de plaintes. Tu m'accusais de ne pas détester ce qui nous sépare, de me soumettre au joug du sort avec trop de résignation. Triomphe, mon bien-aimé. Je me désespère. Je voudrais briser les liens qui m'enchaînent. Je souffre des obstacles qui te tiennent éloigné de moi, plus que de ma souffrance même.

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- À MÉLISSANDRE -

Ma bien-aimée. Je suis orgueilleux d'avoir ramené un peu de calme et d'apaisement dans ton cerveau, et rien n'est mieux fait pour augmenter ma tendresse que ces preuves d'influence sur ton esprit. Je me dis tout bas que ton cœur seul est moralement malade, que je suis cause de sa souffrance, et que, si j'étais le maître, je te rendrais en peu de temps la plus vaillante et la plus fière des héroïnes.

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Je vais essayer tantôt de mon pouvoir magnétique ; en dépit des obstacles, je pénétrerai jusqu'à toi, et il suffira que je te regarde pour enlacer ton âme. Alors, écoute ce que je te dirai. C'est mon être tout entier que j'épancherai en ton être. Je suis sûr que tu comprendras aussi bien ce langage muet que les paroles brûlantes de ma passion. Je vis en toi.

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- À TIBURCE -

Je doute encore si je n'ai pas rêvé, tant je me sens étrangère aux conditions habituelles de la vie.

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T'aimer silencieusement au milieu des jaloux, te sentir vivre, te voir penser à coté de moi, répondre à chacune de tes interrogations les plus intimes, provoquer la même sensation au même instant, causer sans mot dire avec la voix des esprits, et prolonger cet amoureux dialogue sans trouble, sans autre sentiment que celui qui anime les dieux de l'Olympe dans la sereine tranquillité de leur ciel : quel miracle ! Et tu le fais, rien que par ta présence et ta volonté.

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J'ai réellement possédé le bonheur des Immortels. J'ai vu l'amour se dépouiller, s'épurer, devenir religion, culte et prière. Pour la première fois, j'ai éprouvé les délices de l'adoration intérieure.

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- À MÉLISSANDRE -

Il est donc vrai que l'idée de perdre l'amour de sa bien-aimée centuple la passion et le bonheur de la ressaisir et de la retrouver ? Je sentais mon cœur se fondre de reconnaissance, de tendresse et d'enivrement. Je mesurais l'étendue même de ma félicité à la profondeur des angoisses qui m'avaient précédemment agité. Je te serrais à t'étouffer pour me convaincre que tu étais revenue et que je t'avais reconquise.

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La figure brillante du soleil se glissait entre nous deux pour bénir notre réunion. Tu l'avais donc sur toi, ce beau et brillant Apollon, qu'il s'est échappé de ta tunique et mis à tes pieds, où il est resté chaud et lumineux pendant ton idéale visite ?

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C'était bien sa figure qui se gravait sous nos yeux en médaille d'or. La merveilleuse apparition prenait pour nous un caractère religieux. Jamais je n'oublierai cette présence réelle dans notre sanctuaire. Quels dévots ont mieux vu que nous le visage de leur Dieu ?

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- À LA MÊME -

Si je n'étais que peintre, à ce moment de l'œuvre de mon amour, je voudrais terminer le tableau, n'y plus rien ajouter. Après ce que nous avons découvert en nous, après ta dernière lettre, rien de nouveau, rien de mieux, rien de plus, ne peut nous être révélé. J'ai comme un éblouissement perpétuel, et il me semble que j'ai voyagé avec toi dans les espaces célestes.

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Je t'adore ! il faudrait te le répéter cent fois de suite, avec l'accent que je mets dans ce seul mot, pour rendre toute l'intensité de passion, d'amour, d'ardeur, de sentiment profond, qu'il renferme pour toi.

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Je t'évoque dans ma pensée, et quand je t'ai là, avec tes yeux qui laissent échapper ton âme, avec tes lèvres où elle vient se jouer, avec ta tête idéale où je la vois se mouvoir et faire ces gestes ineffables et gracieux qui se traduisent en paroles et en sourires, alors je deviens immobile, comme pétrifié, et je sens mon âme doucement, lentement, s'échapper de moi, se précipiter vers la tienne et l'étreindre sous ses baisers.

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- À TIBURCE -

Bonjour, ami tendre. Éveillez-vous et souriez à qui vous appelle aux joies matinales, à qui vient, par un court billet, vous remercier du gai bonheur que vous lui avez rendu, des joies que vous répandez sur chacun de ses jours.

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Je ne vous visite que par lettre, et cependant vous tressaillez de plaisir. Vous m'aimez donc autant que je vous aime ? J'avais cru la chose impossible.

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- À MÉLISSANDRE -

Quel délicieux réveil ! Je déroule cette bandelette sacrée. J'y respire le parfum qu'y a laissé ta main. J'entends, à travers ma lecture, les douces paroles, écho de cette musique intérieure et divine qui porte du cœur au cœur l'harmonie des accords parfaits. Quelles extases et quelles déceptions tout ensemble !

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Quand viendras-tu, Laure, dans la maison de Pétrarque ? C'est, depuis quelques jours, un immense désir de te voir seule. Je fais et défais mille projets plus bizarres les uns que les autres. Je ne trouve rien de sensé, rien de réalisable pour t'attirer plus souvent. Mon amour est si haut, qu'il me semble au-dessus des conditions humaines. Alors ses droits ne sont-ils pas des droits divins ?

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- À TIBURCE -

Je viendrai, t'apportant mon âme faible encore et cherchant sa force en toi, comme mon corps languissant cherche la santé dans les rayons du soleil. Tous deux ne me brûlez pas. Je suis à peine convalescente. Mon angoisse a été si grande ! J'ai cru perdre en un instant ma confiance dans l'amour, dans la lumière. Des ombres épaisses se sont répandues sur ma vie, et il m'a semblé que je franchissais les cercles de la mort. Il vaudrait mieux n'avoir jamais aimé que d'aimer avec crainte.

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Je t'en conjure, ne rentre en mon cœur que si tu es certain d'y rentrer triomphant à jamais. Mes regards jetés sur ton passé y ont rencontré la terreur de t'y voir ramené un jour. Interroge-toi ; et si quelque fugitif, quelque lointain désir d'y retourner t'effleure, arrête tes pas dans la voie d'un bonheur qui me conduirait à l'abîme, ne me redemande pas à moi-même, car je ne sais que me donner tout entière et à toujours.

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Ne m'as-tu pas écrit : « Si je n'étais que peintre, à ce moment du tableau de notre amour, il faudrait l'achever, le terminer ? » Peut-être le devons-nous. Vouloir ne plus s'aimer, en plein amour, est plus noble, plus fier, vaut mieux, que cesser un jour de s'aimer. Le sacrifice héroïque m'effrayerait moins que la lente souffrance d'un sentiment qui s'use.

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Lorsque nous nous serons tous deux redonnés l'un à l'autre, j'ai peur de te lire, de t'écrire, de trouver nos accents plus faibles, l'expression de notre passion amoindrie.

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- À MÉLISSANDRE -

J'ai soulevé le voile d'Isis, j'ai ressenti les délicieuses terreurs de l'amour infini. Pour la seconde fois, j'ai entrevu le sanctuaire de la nature. Je suis vainqueur et vaincu tout à la fois.

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J'ai atteint aux limites de l'émotion. Il m'en reste un tressaillement surhumain. Je me sens grandi de vingt coudées, je suis l'égal des plus grands de notre race, l'amour maître et fécondateur des choses est en moi, et mon être tout entier s'est transporté en ton être. Mon cœur s'est fondu à la chaleur de cette communion, de cet échange divin. L'avenir peut-il me révéler rien d'autre ? Je ne sais, tant les surprises d'un amour qui croît également au milieu des inquiétudes et des joies sont imprévues.

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En ce moment, je répète l'hymne de l'initiation à une vie supérieure. Je t'aime sans mesure, sans limites, sans retour, sans fin. Je redis le Cantique des cantiques.

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Ô ma belle païenne, que tu es belle, comme tu domines la nature entière, et quelle lumière tu répands sur tout ce qui me touche, m'émeut, m'environne !

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Je voudrais vivre à tes pieds, mon esprit déborde d'admiration. J'ai épuisé la coupe du bonheur, remplis-la de nouveau ; je ne puis supporter la vie si tu ne me verses chaque jour le divin breuvage. Je t'envoie toute mon âme dans un baiser, avec l'inextinguible désir de te retrouver sans cesse sous mon regard.

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- À TIBURCE -

Idéal, idéal ! tu t'es fait chair et verbe pour moi. Tout ce qui a travaillé, pensé, grandi dans le cerveau de l'homme ; tout ce qui s'est attendri, humanisé, divinisé dans le temps et l'histoire, se résume en mon bien-aimé, et il est à moi.

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Mes rêves les plus romanesques, les plus brillamment inspirés par tous les amants passionnés de tous les âges, mes ambitions les plus hardies se réalisent.

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Quelles parentés innombrables, quelle généalogie orgueilleuse, quelles hérédités sacrées des grandes amoureuses ajoutent leurs puissances à la puissance de mes joies ! Il me semble que tous ceux qui ont aimé depuis qu'on aime revivent en nous, dans notre passion. Et quelle fortune de venir les derniers !

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Les aventures que tu as courues jusqu'à moi, dont j'étais si jalouse hier encore, je les accepte, parce qu'elles t'ont façonné tel que te voici. Je veux que ce que tu as semé de toi dans ta vie, tu le récoltes en moi. Que tes joies passées se surajoutent aux joies présentes !

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- À MÉLISSANDRE -

Je te revois accoudée, alanguie, avec tes beaux bras de marbre lumineux dans la nuit. Je respire ce parfum qui s'élève de toi comme l'encens d'une cassolette sacrée. Je vois luire tes yeux dans l'ombre, à quelques pieds au-dessus de la cascade qui chante pour nous seuls.

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Quand je me retrouve, il me semble que je jouis de l'amour d'une Sémiramis revenue pour moi sur cette terre, et je m'abandonne à tous les rêves de volupté qui ont agité les cervelles des hommes depuis la grande magicienne des légendes assyriennes.

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Je veux goûter ce plaisir, comme tu l'as goûté toi-même en évoquant les amours passées ; il est le plus ineffable que puisse trouver mon cœur : t'aimer comme un résumé brillant et passionné des grandes héroïnes qui ont laissé leur sillage diamanté dans l'histoire. Je puise, en cette idée dominante de mes sensations, je ne sais quelle tranquillité, quelle béatitude, pour ma passion ; je sens mieux ainsi que tu ne pouvais appartenir à nul autre qu'à moi, car nul ne t'eût si bien comprise, et comprendre est nécessaire pour bien posséder.

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Mais les délices intimes de cette soirée n'étaient pas terminées, j'avais hâte de rentrer chez moi, de me recueillir et d'y savourer en jaloux la lettre parfumée que tu m'avais remise.

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Saintes, joyeuses et vivifiantes paroles ! je les ai couvertes de baisers et de larmes pour la santé, la force morale que tu suscites en mon être.

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Je te dois le succès dont les journaux m'apportent chaque jour l'écho grandissant. Ce n'est pas mon art qu'on admire, c'est ton inspiration. N'ai-je pas mis dans la nature, mon adorée païenne, cette âme que toi seule m'as fait comprendre, m'as révélée ? Mes succès t'appartiennent, je te les dois, je te les veux imposer.

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Ne pense pas, ne dis jamais, cruelle, que notre amour n'est qu'un éclair brillant, une flamme trop brûlante pour ne pas s'éteindre. Cet amour est la trame même de nos existences. Rien ne détachera deux âmes soudées par les dieux, et si l'une se brise, ses éclats briseront l'autre.

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Je t'adore comme ma force dont tu es devenue la source. Disparaître en toi serait la dernière aspiration de ma nature, mais être séparé de toi, je te tuerais plutôt que d'y consentir.

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Mélissandre, je ne désire la gloire que pour honorer mon amour, et je ne puis avoir désormais un plaisir d'orgueil sans t'y associer. La célébrité, quelle qu'elle soit, ne m'éloignera pas de ma bien-aimée. Loin d'elle le monde se vide, et moi-même je ne suis plus rien qu'un atome desséché, impuissant au commerce des choses.

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C'est donc par besoin vital que je me presse sur tes lèvres, que je suis tien, que je m'incarne en toi, que je puise ma personnalité dans tes bras.

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Je vais bientôt te dévorer des yeux, te dire, sans te parler, tout ce qui remue de tendresse en mon âme. Quel adorable supplice !

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- À TIBURCE -

Je pleure de joie en retrouvant dans ma pensée, et jusque dans les fibres de mon être, les émotions inexprimables de la soirée d'hier. Je n'ai jamais été plus envahie que durant ces trop rapides heures, à deux doigts de tes lèvres, brûlée du feu de tes regards.

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Sois béni pour tant de bonheur !

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Je me dis avant de te voir : « Aujourd'hui, je regretterai la félicité dernière. » Quand je te vois, le présent est tel que le passé disparaît, s'efface, comme si le lever du soleil succédait instantanément à son coucher.

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Parfois je crois marcher dans une sorte d'apothéose ; l'amour, porté à cette puissance, fait vivre de la vie supérieure des héros et des dieux.

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- À MÉLISSANDRE -

Le néant lui-même n'entamera plus notre union ; nous pouvons mourir, nous emporterons l'orgueil de n'avoir connu de rivaux ni d'égaux. J'ai réellement senti palpiter ton souffle dans le mien.

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Désormais la forte parole biblique est réalisée par la chair et l'esprit : « Tu es l'âme de mon âme, la pensée de ma pensée, le sang de mon sang, les os de mes os. » Je t'ai recréée et tu m'as recréé.

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- À TIBURCE -

Je savais bien hier que nous courions un danger ; à peine étais-tu sorti que mon père est entré. Je t'aime plus que la paix de mon existence : je l'ai prouvé. Je ne regrette pas ce baiser, puisque tu le désirais et que je ne peux plus goûter d'autres joies que les tiennes.

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Tu étais d'ailleurs irrésistible. Rien n'est comparable à ta verve, à ta grâce dans une intimité tendre. Je ne sais ce que je préfère de ces heures si douces, ou de nos heures de passion.

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C'est un plaisir charmant de notre amour que ce jeu de nos esprits. Leurs traits s'échangent, se confondent, jetés par la bouche de l'un de nous ou lancés en même temps. Où donc est notre façon personnelle de penser ? Te souviens-tu de nos premières discussions ? Tout ce qui ne se prête pas aux échanges, aux fusions avec toi, me paraît étranger à mon intelligence.

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- À MÉLISSANDRE -

J'ai pénétré seul dans ce salon devenu l'un des sanctuaires de mon religieux amour.

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Tu ne devais rentrer, me dit-on, que dans une heure.

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J'ai pris ta place, j'ai appuyé lentement mon bras sur ta table, et j'ai attendu. Alors j'ai senti la fin de cette transformation intérieure commencée depuis notre premier baiser. Je me suis trouvé tout autre. Je pensais en toi. J'avais perdu le sentiment de mon sexe et je jouissais délicieusement de cette transformation de tout mon être. Quelle merveille que l'amour ainsi éprouvé !

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On n'est plus amant, on devient la personne aimée elle-même.

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N'est-ce pas le vrai mystère analogue à ce qui arrive dans les vieilles légendes de l'Inde où le prêtre, à force d'amour, se confond, par la puissance de la prière intérieure, avec la divinité qu'il sert ?

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Mélissandre, c'est sur ton propre autel que je viens t'adorer.

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- À TIBURCE -

Je vis dans l'enivrante fumée de toi, dans ton atmosphère, comme dans un nuage d'assomption. La terre me paraît une petite boule qu'à chaque instant je repousse du pied, pour m'élancer dans l'infini.

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Nous avons dépassé hier les sommets de l'Olympe. À quelle altitude vertigineuse sommes-nous parvenus ? Nul n'a visité ces hauteurs avant nous. J'ai le vertige. Le bonheur absolu m'apparaît.

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- À MÉLISSANDRE -

Mes pensées t'accompagnent sans cesse, mon esprit est identifié à ton esprit, il est assimilé par toi, perdu en toi.

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Je préfère le mot hymen, pour peindre notre union, à celui d'amour. Les dieux terrestres, que nous sommes allés invoquer pour la seconde fois dans leur antre, ont chanté notre hyménée.

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Rappelle-toi la mélodie de la source qui montait.

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Je revois le rideau de verdure, le ciel brillant à travers, les mille étincelles, les mille flammes, les rayons d'Apollon éclairant les nervures des feuilles, la fraîcheur de l'eau, la chaleur de l'air, et ces grands rochers vêtus de longue mousse veloutée, cheveux des naïades que l'eau tarie ne caresse plus en ce moment, mais qu'elle dénouera demain.

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Après ton départ, je suis revenu. J'ai marché où tu avais marché, je me suis assis où tu t'étais assise, penché sur la pierre où tu appuyais ton adorable tête. Alors, j'ai fermé les yeux, j'ai réentendu ta voix harmonieuse, et les vibrations de ta parole claire ont résonné de nouveau dans un cœur qui t'idolâtre.

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J'ai dit à la fontaine combien mon amour était supérieur à celui de Pétrarque, puisqu'il se double de celui de Laure.

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- À TIBURCE -

As-tu remarqué, au milieu des similitudes de nos caractères, une dissemblance ?

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Lorsque nous sommes seuls, c'est toi, tout d'abord, qui chantes l'hymne d'amour. Je t'écoute en silence, ne trouvant rien à répondre. Je suis émue, fiévreuse. Si l'heure de te quitter approche, me voilà prise d'un irrésistible besoin d'expansion, quand toi-même tu te tais et t'absorbes dans un recueillement attendri.

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Hier, pour la première fois, au moment de te dire adieu, je me sentais auprès de toi comme absente ; je n'ai pu, en revanche, croire à ta présence réelle, loin de toi, comme tu me dis croire à la mienne. J'ai appelé le miracle, et il n'est pas venu.

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Que de mystères à découvrir pour éprouver en face l'un de l'autre la joie du souvenir, pour ne s'attrister d'aucune séparation, pour tout mêler de ce qu'on retrouve et de ce qu'on avait emporté !...

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Je désire comprendre l'incompréhensible, réaliser l'irréalisable, fixer le temps. Je veux connaître l'inconnu, réduire l'infini en une part d'amour.

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Ces mots à peine écrits, j'en ai peur, comme si les dieux jaloux devaient m'en punir.

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- À MÉLISSANDRE -

Les dieux sont avec nous ! Je ne consens plus à reprendre mes esprits ; je rêve et je m'abandonne à mon ivresse. Jamais je n'ai été à la fois porté si haut sur tes ailes divines et jeté au plus profond de la passion humaine.

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Après chaque moment de nos heures d'amour disparues, je m'écrie, pour persuader à ma pensée la vérité de mes sensations : « Je viens de vivre, j'ai vécu ! »

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Mélissandre, Éros te doit toutes les couronnes. Je les dépose à tes pieds, ô déesse. Ce n'est point blasphémer que de nous dire les égaux des immortels.

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Ne crains pas. Les dieux eux-mêmes, après nous avoir dotés de telles félicités, ne peuvent nous les reprendre.

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- À TIBURCE -

J'essaye en vain de le cacher ! Mon amour, plus ardent que jamais, est malheureux, torturé. Quelle pensée méchante a traversé l'esprit de M. de Noves ? Pourquoi laisser venir ou amener à Vaucluse cette maîtresse qu'il prétend vous avoir enlevée je ne sais où, à Marseille ou à Paris ?

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Mon ami, je souffre. Ce passé vague, que je ne percevais qu'en vous, qui ne m'apparaissait que sous votre figure, je l'ai vu tout à coup se dresser, élégant, hardi, avec cette beauté malsaine et capiteuse dont un homme autrefois grisé doit ressentir les troubles.

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Ces liaisons libres, audacieuses, qui se rappellent d'un mot ; ces femmes qui tutoient en public, pour qui les anciens amants et les nouveaux se classent sous une rubrique uniforme, je ne les avais point devinées aussi provocantes, je ne les avais pas vues séduisantes de toutes les grâces parisiennes. Il y a là un genre, un milieu, un monde inconnu qui m'inquiète, qui m'irrite, et contre lequel un insurmontable dégoût m'empêcherait de lutter.

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Une larme a glissé sur ma lettre. Elle me fait rougir de moi. J'essaye de me consoler, je ne le puis. Mon âme connaît l'angoisse mêlée au dédain.

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- À MÉLISSANDRE -

Mon adorée, je t'aime ! J'en veux mortellement au passé d'être apparu dans notre fontaine et d'avoir troublé la limpidité de tes joies.

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Cruelle, pourquoi n'es-tu pas venue ? Je sentais en moi une telle puissance d'amour que les heures eussent été plus pleines de magnificence, de passion, qu'aucune autre. J'aime plus que jamais mon amour ! J'ai besoin de tout mon calme pour ne pas courir à toi et te crier : « Viens, ne nous quittons plus, suis-moi, échappons pour toujours aux obstacles que rencontre notre paisible hymen ! »

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Tu es jalouse de mon passé. Enfant ! N'as-tu pas songé que je pouvais, moi aussi, être jaloux du passé, que de folles images traversent parfois mon cerveau et le torturent ?

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J'essaye de t'aimer doucement, sagement. Eh bien, non, c'est impossible ! J'aurais voulu te voir seule aujourd'hui. Me résignerai-je aux caprices du sort et à tes exigences ?

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Je me dis, pour reprendre courage, que tout n'est pas perdu puisque je vais, au milieu des tiens, pouvoir t'adorer en silence, et cependant je suis désolé.

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- À TIBURCE -

Pourquoi de telles paroles ont-elles échappé à ta discrétion ?

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Quel vent a passé à travers ton cœur et t'a rendu fou ? Combien de fois t'ai-je répété qu'il me plaisait d'être incomprise des miens, que mon orgueil était d'être comprise par toi seul, que je ne voulais point partager des biens qui t'appartiennent, que je n'avais pas trop de trésors amassés pour enrichir notre tendresse ?

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Mon père ne me connaît pas, ne peut me connaître ; en essayant de lui dire qui je suis, tu lui as, par chacun de tes mots, confirmé ce qu'il soupçonnait : ton amour ! Que n'ai-je eu la puissance de t'arrêter dans cet élan fatal ! Tu t'enivrais de tes discours comme une alouette s'enivre de rayons. Ton éloquence chaude, hautaine, vibrante, faisait de moi la plus glorieuse des amantes et la plus désespérée. J'ai l'esprit tout plein de flamboiements et le cœur percé de mille flèches. J'aimais hier dans l'Olympe, je suis aujourd'hui précipitée dans le Ténare.

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Le bonheur et le chagrin s'enchevêtrent dans mon âme et la torturent également, parce qu'ils y sont rassemblés sur le même objet. Les noces d'amour étaient à peine fêtées, la lune de miel à peine goûtée, nous apportions chaque jour encore au mariage un tribut de joies nouvelles, et nous voilà chassés de nous-mêmes, du ciel conquis.

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Mon père exige que je le suive dans quelques jours à Marseille. M. de Noves accompagne, ce soir, M lle Clara, votre amie-modèle, c'est ainsi qu'il la nomme ! Elle part pour Monaco, emmenant son cavalier servant ; puisse-t-elle le garder !

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Cette fille, en pénétrant au val fermé, nous a porté malheur.

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Quand vous me disiez : « Les dieux ne peuvent nous reprendre notre félicité, » ils vous ont, sur l'heure, prouvé que le passé ne vous avait point rendu digne de telles joies, qu'il fallait à nouveau les mériter par des épreuves.

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Je quitterai Noves sans vous revoir seul... Mon cœur saigne ; sa blessure s'irriterait au contact brûlant de votre cœur. Je souffre par vous et je vous aime.

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- À MÉLISSANDRE -

J'ai lu et relu cent fois cette touchante et cruelle lettre, et les mille remords qu'elle a fait sourdre en mon cœur ne se redisent point. J'ai épuisé toutes les formes de la douleur morale. Je me confesse impuissant à rien écrire qui me justifie. Tout ce que j'ai pu, c'est de ne pas crier au père de mon incomparable amie : « Vous êtes indigne d'elle, vous méritez que je vous l'enlève, que je vous l'arrache, que je vous la prenne ! Je ne suis grand que par elle, moi que vous admirez ; je ne veux ajouter à ma célébrité, conquérir la gloire, que pour en faire une auréole à son amour. »

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Pardon de cet accès de folie qui m'a rendu coupable envers toi, Mélissandre ; n'y vois, je t'en conjure, que l'explosion d'une idolâtrie trop violente pour être contenue. J'ai déjà essayé vingt fois de lire dans mon cœur. Je me fais pitié et j'ai hâte de me détourner d'un pareil spectacle. Je sens gronder en moi des violences criminelles. Je recule devant le fond de ma pensée. Je suis tombé dans un désordre d'idées, de rêves, de projets, d'où ma raison revient égarée, vaincue. Je n'ose rien m'avouer de ce qui couve en moi-même. Je connais désormais l'amour supplice, l'amour châtiment. J'ai peur de te revoir, et il ne s'écoule pas d'heure où je ne me dirige vers le château.

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Je me demande si tu m'aimes encore, et si tu n'as pas horreur d'un homme qui, dans un moment de passion orgueilleuse, t'a compromise auprès de ton père.

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Je sens que tu vas effroyablement souffrir par moi et pour moi. Si tu allais me haïr ! Pourquoi non ? Est-ce que je ne suis pas venu troubler ta vie, te condamner aux humiliants mensonges ? Dès que le bonheur de cet amour, la joie des rencontres, l'ivresse des sensations, te seront enlevés, tu regretteras l'amour tranquille de tes dieux, tes entretiens avec la nature d'où tu ne rapportais que la sérénité. Déjà, Mélissandre, tu me hais !

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La preuve, c'est que tu désires ne plus me revoir seul. Tu vas partir, tu pars ! Mais nul ne m'empêchera d'aller me jeter à tes pieds dans cette retraite de l'Estaque où l'on veut t'enfermer, et d'où je t'enlèverai, je te le jure.

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Pardon, Mélissandre. Oublie les lignes qui précèdent. Je ne me résous à te les envoyer qu'après avoir vainement tenté d'en écrire d'autres.

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Viens à la maison de Pétrarque, je t'en supplie. Je ne reprendrai un peu de bon sens que sous ton clair regard. Je ne pourrai penser, parler sagement qu'après t'avoir revue seule un instant.

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Jusque-là il ne faut rien croire de ce que j'ai pu dire ou penser. La crainte de te perdre, de te faire souffrir, l'amour enfin qui me dévore et m'embrase, et dont ta présence peut seule régler le cours, sont les causes de mon égarement.

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Tu vois à quelle faiblesse je suis arrivé !

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Je sens que, de nous deux, c'est toi qui gardes la supériorité de la raison et la fermeté d'âme.

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Écris-moi, décide, j'obéis, je suis tien, dispose de moi. Je baise, humble et soumis, tes belles mains.

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- À TIBURCE -

Encore une nuit douloureuse, pleine des visions de ma torture, mais pleine aussi des images de notre amour.

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Ma souffrance vaut la peine d'être soufferte, puisque mon désespoir présent est en raison de mon bonheur passé. L'amour est-il donc un crime punissable qu'il faut expier ?

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Comme toi je m'examine et je regarde au fond de ma pensée. Elle m'épouvante plus que ne peut s'effrayer la tienne. Tu souffriras moins que moi de notre séparation. Le souvenir est pour toi une chose réelle. Ton pinceau merveilleux te retracera mes traits. Moi, sauf de la veille au lendemain, je déteste le souvenir, il ne me rappelle que la privation du présent. La vue des portraits augmente mon chagrin de l'absence. Toute abstraction, toute reproduction, toute diminution de l'être réel, adoré, me glace comme une demi-mort.

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Je t'ai dit un jour que je trouvais du charme à nos courtes séparations ; j'ai menti : je te rendais tes impressions à cet égard.

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Tu te forgeais une telle sérénité d'amour que, parfois, jalouse de ce que moi-même je t'inspirais, j'essayais de te troubler.

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Sache-le, je déteste l'absence. Elle ne m'apporte que l'impérieux désir du retour, la déchirante impuissance de rapprocher ce qui est éloigné, de fixer ce qui a disparu.

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Mais, assez ! Puisque je te revois encore tout un jour, je veux chasser de mon cœur les ombres de la nuit prochaine.

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- À MÉLISSANDRE -

Je t'aime et t'aimerai sans cesse, toujours, à tout jamais !

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- À TIBURCE -

C'est Vénus tout entière à sa proie attachée. Tu sais maintenant quelle est ma passion et combien je suis envahie. Loin de toi, dans l'odieuse absence, si j'essayais de me reprendre, songe à ce jour d'hier, à ces défis jetés par moi à moi-même. Je t'appartiens comme Juliette à Roméo, dans la vie et dans la mort !

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- À MÉLISSANDRE -

Voilà le cri que j'attendais ! Nous sommes éternellement, indissolublement unis dans la vie et dans la mort.

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Si l'un de nous disparaissait, la nature en ses affinités, en ses combinaisons nouvelles, suffirait bien à nous rapprocher.

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Une étrange paix se répand sur mes esprits. Il me semble que tu peux partir, que ces deux mois de retraite qu'on t'impose passeront sans marquer sur mon cœur les douleurs du temps. J'admets à peine que ton éloignement va être une séparation réelle, tant je suis maître de toi, pénétré de ton essence.

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La torture provoque le sublime dans l'extase. Le martyre engendre la béatitude ; on périrait avec délice et l'on jouit sans fin. On s'enivre plus délicieusement, la coupe aux lèvres, avec le vertige de l'abîme. C'est bien à présent que l'amour m'apparaît plus fort que la mort.

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J'ai dans un des replis de ma pensée les mots merveilleux laissés par la bien-aimée pour conjurer loin d'elle ses propres défaillances. À vrai dire, et malgré l'énormité orgueilleuse que je vais commettre, je ne crains plus que tu te reprennes. Je t'ai livré mon âme et tu m'as donné la tienne. Nous nous garderons, puisque nous avons échangé mutuellement nos deux êtres.

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Jamais je ne suis venu à toi d'un cœur plus ferme, plus aimant, plus certain de trouver auprès d'une amante idolâtrée le bonheur attendu.

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- À TIBURCE -

Adieu, mon bien-aimé ; ne souffre pas de mon absence comme je souffrirai de la tienne. Je t'aime d'un amour agrandi par le sacrifice.

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- À MÉLISSANDRE -

Je l'ai reçu et serré au plus profond de mon cœur, l'ineffable aveu d'un amour agrandi. Cet amour est entré en moi comme un nouveau principe de vie, je le sens se répandre dans mes veines et devenir la source même de ma puissance. Grâce à lui, c'est le renouveau. Il me purifiera loin de toi, et je veux que tu me retrouves dépouillé de toutes les souillures du passé. Je vais entrer en une sorte de retraite sacrée, me recréer par toi et pour toi. Tu peux t'éloigner, tu ne seras pas absente. Je te porte avec moi dans toutes mes volontés, dans toutes mes sensations. Mes œuvres s'inspireront de ton souvenir, et quels que soient l'étude, le travail, qui m'occuperont, ton image flottera au-dessus des pensers de ton ami, comme un guide et comme une récompense promise.

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Après avoir fait le portrait de Laure, je ferai celui de Pétrarque. Je revivrai avec le triste amant et relirai pour la centième fois les sonnets : leur plainte adoucira la mienne.

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Combien mon sort m'apparaît enviable ! Ne suis-je pas aimé autant que j'aime ? Je saurai surmonter les angoisses de l'éloignement par l'évocation des joies que tu m'as fait connaître.

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Je visiterai chaque jour l'antre de la fontaine, j'y descendrai ; si la source est tarie, dans cette atmosphère amoureuse, rêvant de toi, je saurai tout supporter, tout attendre, tout retrouver... Ô mon adorée, je t'aime ! je suis donc sûr de ressentir au fond de mon âme noyée toutes les ivresses de l'amour réel.

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Mélissandre aux longs cheveux, aux dents lumineuses, aux yeux changeants, aux mains admirables, le plus fier des amants t'adore.

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- À TIBURCE -

Ces trois jours de sursis dans ma condamnation au cruel exil me rendent folle de joie et m'ouvrent un nouvel infini de bonheur.

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Te voir encore, toi, lui ! Je murmure ton nom, comme je le murmure parfois à ton oreille, et la vibration de mes lèvres, en le renvoyant à mon cœur, mêle une délicieuse résonance à mes palpitations. Je veux être enlacée par tes bras, être reprise.

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- À MÉLISSANDRE -

Quel divin pouvoir est le tien, ô ma belle maîtresse ! Qu'il est fortifiant ! Loin de m'amollir, il m'excite. Je trouve dans tes étreintes un surcroît d'énergie. Oui, je travaille, avec l'ardeur que je mets à t'aimer, à conquérir cette gloire que tu veux pour moi, et dont tu me parles même au milieu des délices de nos rendez-vous. Aussi, comme je sens du respect au fond de cet amour !

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Quand je t'ai rencontrée, je ne touchais pas au dégoût, mais j'étais bien près du scepticisme. Sous l'éclair de tes yeux, j'ai repris la foi, la confiance en moi-même et dans les autres, je me suis, à travers toi, remis à estimer les hommes. Ton amour a réengendré en moi un amour autrefois naissant, aujourd'hui immense, incommensurable, l'amour de l'art. Si je gagne le sommet idéal, si je fixe le beau sur mes toiles, c'est à ta suave et puissante coopération que je le devrai.

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Ce jour-là, je te mettrai au front le laurier cueilli, et tu le permettras. Dis que je t'ai toujours aimée depuis que j'existe, puisque la vie jusqu'à toi me paraît invécue.

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- À TIBURCE -

Amour comme noblesse oblige. Ta lettre s'adresse, pour me tirer de mon égoïsme, à ce qu'il y a de plus élevé en moi. Tu fais un appel suprême à ma passion du beau, je l'entends. Je veux reprendre mes forces, non comme Antée en touchant la terre, mais en touchant l'idéal.

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Je te dirai adieu sans faiblesse, puisque te donner la paix, c'est te donner la grandeur.

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Travaille ! Si ton labeur est rude, ta puissance est égale aux obstacles, elle est supérieure aux difficultés. Je remplirai mieux mon destin si je te fortifie, au lieu de me dévorer.

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L'absence est peut-être, en effet, un détachement purificateur.

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Ma passion amoureuse, je la transformerai en une passion plus ardente pour ton génie. Je ne songerai qu'à toi, loin de toi ; plutôt que de calculer la distance qui nous sépare, je mesurerai ce qui te rapproche de la gloire.

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Mes prières ne seront plus des vœux d'amour, mais des supplications à Phébus Apollon, dieu de lumière, de couleur, dieu inspirateur d'images, qui couronne de lauriers ceux dont il illumine l'esprit.

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- À MÉLISSANDRE -

Ta grande âme a retrouvé ses plus purs accents, ô ma belle païenne ; c'est dire que la mienne en est fortifiée.

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Les raisons toujours violentes du cœur sont forcées de se taire et de se résigner, devant cette ferme et haute éloquence de la bien-aimée éprise d'héroïsme.

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C'est la joie supérieure de ma vie de sentir unis dans ma pensée le culte de l'art et le culte de Mélissandre. Nulle rivalité entre ces deux expansions de mon esprit. Tu es la seule femme sur terre assez magnifiquement dotée par la nature pour présider à de si augustes fiançailles entre l'art et la beauté. Grâces te soient rendues, ô Minerve, pour tant de sagesse divine et d'amour humain !

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C'est sous la protection de telles pensées que je veux t'appeler, tout ensemble, ma sœur, ma compagne, ma maîtresse.

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Je t'adore à tous ces titres. Je peux te quitter, jamais te perdre.

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Au revoir, mon adorée.

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- À TIBURCE -

De l'Estaque, près Marseille.

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Mes dieux m'attendaient. Je dois les aimer davantage pour qu'ils te remplacent, comme toi-même les as remplacés. Le grand Pan est tenu de me consoler de la perte de tes enivrantes paroles avec la douce voix du silence. Apollon me fera-t-il oublier ta flamme ? Qu'il lance alors ses plus brillantes flèches à l'extrémité du golfe de Lion et qu'il m'enveloppe de tous ses ensoleillements.

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Les étoiles et la lune ont ici d'incomparables beautés. Diane s'offre à mes yeux plus dorée, plus nue, glisse dans un ciel plus profond. Parmi les étoiles, j'ai choisi la plus proche de moi, la première, la plus tôt venue, celle du soir : j'en fais ma messagère auprès de toi. Tu la regarderas en même temps que je la regarde, et elle te portera une étincelle de mes baisers brûlants.

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Tout à l'heure, l'étoile en montant traçait un sillon lumineux à la surface de la mer sans rides.

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- AU MÊME -

Il y a cinq longs jours que je ne t'ai vu. Sont-ils ma plus cruelle épreuve, ou mon chagrin va-t-il croître à mesure que les semaines s'écouleront ? Je l'ignore, tant je suis aujourd'hui éperdue et flottante. Je ne me retrouve et ne me ressaisis que par l'intelligence ; mon cœur est demeuré auprès de toi, et avec lui ma bonté. Je t'ai écrit des lettres méchantes, que j'ai déchirées.

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Veux-tu savoir en quel état est Mélissandre ? Tour à tour fiévreuse, attendrie, révoltée, abattue, aimante, insensible.

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Je fais subir de véritables tortures à ma personne morale, je malmène avec rudesse ma personne physique, la lançant, au galop de mon cheval, de longues heures, dans la poussière qui m'aveugle, sous un soleil féroce. Au milieu d'une course effrénée, tout à coup je m'arrête, et, prise d'admiration pour les magnifiques paysages qui m'entourent, je fonds en larmes.

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Tu as été trop vaillant à l'heure de mon départ ; si je te savais de la faiblesse, je serais plus fortifiée que par ton beau courage.

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N'éprouves-tu pas, autant que moi, la douleur mortelle de la séparation ? Un amour comme le nôtre, ami, peut-il se lasser de la possession constante ?

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Nous n'avons pas besoin des excitants vulgaires du doute, de la jalousie, de l'absence. Je demeure loin de toi sans en mourir, mais à la condition que je t'entende gémir sur ton mal d'amour.

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- AU MÊME -

Oui, je hais l'absence ! J'avais raison de craindre qu'elle ne soit fatale à l'équilibre de mes esprits. Déjà la folie me gagne. Pour me réchauffer en ce froid exil, je te cherche dans le soleil comme si je devais t'y voir, comme si tu en avais la face. Ses rayons me rappellent ta barbe d'or et les reflets de ta crinière fauve. Je t'évoque et tu m'apparais tout ruisselant de feux. Je souffre. La tunique de Nessus me brûle au point qu'il me semble entendre crépiter ma chair.

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- AU MÊME -

Je deviens la nymphe Écho. Ton nom, redit tout bas, parfois crié tout haut dans mes longues promenades, berce mon chagrin, chante dans le vide de mon âme. Je t'aime, et puis je t'aime !

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Encore un jour passé, je le bénis. Mais comme je déteste le jour de demain !

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- AU MÊME -

Imagine que la manne ait manqué plusieurs fois aux Hébreux dans le désert ; ils se fussent écriés : « Seigneur, que votre volonté soit faite ! » Moi, qui ne suis pas résignée, j'aurais crié à Jéhovah : « De la manne, Seigneur, ou je retourne au veau d'or ! »

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Cette parabole vous avertit que, n'ayant pas reçu de vous la manne promise, une lettre, je retourne à mes amours premières, à mon dieu tout d'or !

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Je vous bannis de ma pensée, comme aussi, depuis huit jours, sans doute, vous m'avez bannie de la vôtre. Je reviens à Phébus, je me redonne à l'amant divin, toujours fidèle. Il est votre rival, je le respire, il me possède, je l'adore. Il m'embrase et je m'enivre de sa flamme.

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Apollon me console, mais ne me guérit pas. Il se venge de mon inconstance. Quelque chose en moi est consumé. Un feu nouveau brûle mal sous la cendre.

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Pourquoi ces dix jours sans nouvelles ? Tenez, j'en pleure.

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Que vous ai-je fait pour me punir ainsi ? Votre silence devient une injure en se prolongeant.

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Si je ne sais rien de vous, que sais-je de moi ? Semblable à ce personnage d'Hoffmann qui avait perdu son ombre, je ne me vois plus en me regardant.

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- À MÉLISSANDRE -

Tu recevras cette lettre par un courrier que je t'envoie. Nous sommes victimes d'un complot méprisable. M. de Noves avait acheté mon domestique. Le drôle brûlait mes lettres et gardait les tiennes, qu'il était chargé, par ton mari, de remettre à ton père lors de son prochain séjour à Saint-Estève. J'ai soupçonné, interrogé, menacé, tout appris et tout repris.

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J'ignore ce que tu répondras à ce que je t'écris. Tes lettres, quoique je sache la cause de leur injustice, m'ont troublé. Après de longues hésitations, je suis résolu à te dire, sans en rien dissimuler, les inquiétudes, les angoisses qui m'agitent. J'ai lu et relu tes billets : ils m'épouvantent. Je saisis clairement, dans leur succession, un parti pris de m'enlever ton cœur, de détourner tes sentiments. Tu crois te grandir à tes propres yeux en revenant à la passion divine, en te détachant d'un amour que tu n'aurais peut-être pas aussi aisément étouffé auprès de moi.

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Il y a bien çà et là des retours, des protestations sourdes qui témoignent au moins de l'amour passé, mais cela semble comme un soupir qu'on se hâte de cacher sous un flot de reproches.

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Qui peut déchiffrer le cœur d'une femme et à distance ? Ah ! si tu étais là, sous mon regard, j'aurais vite déchiré les voiles et vu le fond. Mais je me perds dans tes lettres. J'augmente moi-même à plaisir les ténèbres qui m'environnent. Je cherche et je trouve les plus nombreuses contradictions. Je te veux immuable, attachée, toujours aimante ; je crée mille raisons de te retrouver telle que je t'ai quittée.

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Puis, le doute revient. Je ne peux pas ne pas tenir compte de certaines duretés que tu m'écris, et je retombe dans les plus intolérables, dans les plus poignants soupçons. Je n'ose m'arrêter et me fixer à rien. Je flotte au hasard, au gré de l'impression du moment. Tantôt j'évoque mes souvenirs, et je me dis avec l'accent de la foi que toutes ces choses sacrées ne peuvent pas être envolées de ton cœur. Je me sens bien le même, je m'assure que je ne puis m'adresser le moindre reproche, que ma pensée est bien restée tout à toi, et qu'à moins d'être criminelle tu ne peux avoir repris ton âme à la mienne.

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Aux impressions atroces de tes lettres, j'oppose l'évocation presque plastique de nos amoureuses promenades, de nos doux entretiens ; je te revois si belle, si clémente, si inspirée, si enivrante et si enivrée ! Non ! ce n'était pas un songe, une fantaisie passagère, et ce poème est de ceux qui ne peuvent finir qu'avec la vie. Que serait mon existence, d'ailleurs, privée de cette lumière et de cette incantation ? Je n'y tiendrais guère et serais bien près de la livrer sans défense au premier souffle, au premier vertige qui viendrait de l'antre où nous avons appris l'amour.

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Tu te dois à moi, Mélissandre, tu ne peux m'aimer moins, ni me délaisser. Jusqu'à toi, j'usais à peine des dons, des faveurs de tes dieux. Je travaillais sans orgueil, sans enthousiasme, sans ambition. Depuis que je t'ai rencontrée, j'ai senti en moi tous les nobles stimulants. Tu as donné un corps, un appui, un sanctuaire, à mes aspirations, et je t'ai aimée sans partage, sans conditions, comme une idole.

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Tu peux mépriser et dédaigner ton adorateur, tu ne le décourageras pas. Je te dois mes plus fortes et mes plus délicates émotions. J'ai reçu de toi la révélation de ma force intérieure, de ma puissance latente, et je défie le temps de mordre sur l'admiration et sur la reconnaissance que je t'ai vouées. Rien au monde ne pourra me détacher de ma tendresse, de mon bonheur. Je t'aime et t'aimerai en dépit de toi-même, et ce ne seront pas les réserves calculées de ton style qui pourront jamais éteindre les ardeurs de mon amour.

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Je suis triste, je suis inquiet, je suis anxieux, je veux apprendre ce que tu penses après mes explications. Je te conjure de tout me dire, de me dépeindre l'état de ton cœur. S'il est vrai que tu me préfères tes dieux, qu'ils me remplacent, comme tu le dis dans ta première lettre, ose le répéter ; mais ne doute jamais de moi. Je t'appartiens depuis le premier jour et me sens de force à tout entendre, car je suis résolu à ne jamais t'arracher de mon âme.

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Tu ne peux me refuser cette satisfaction. Je l'attends, je la réclame. Si terrible, si définitive que puisse être la vérité, ne la farde point. Je n'ai jamais menti, tu peux me parler sans détours, et je te sais trop fière pour rien dissimuler.

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Allons, frappe. Mélissandre : je suis à tes pieds, décidé à ne me relever que pour te presser dans mes bras.

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- À TIBURCE -

J'ai souffert de notre séparation comme d'une rupture, malgré tous mes semblants de courage. Mon amour avait été pétri par moi comme un beau vase d'argile, et, puisque je ne pouvais l'emporter ici, je préférais le briser. J'ai essayé, en arrivant à l'Estaque, de me redonner tout entière à mes dieux ; je ne puis dire à quoi je suis parvenue, sinon à souffrir, à n'être ni à eux, ni à vous, encore moins à moi. Ne cherchez aucune suite dans ce que je vous ai écrit, dans ce que je vous écrirai.

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Après vous avoir envoyé mon dernier billet, j'ai cru tout fini entre vous et moi. J'ai enveloppé laborieusement mon cœur de bandelettes pour fermer sa blessure. Ainsi comprimée, j'ai cru moins souffrir. Vous m'arrachez mes bandelettes, et me voilà de nouveau le cœur ouvert. Il me semble que vous me faites mal en m'aimant encore.

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Votre silence m'eût mieux servi dans la victoire que je voulais remporter sur votre amour et sur moi. Depuis avant-hier, je redevenais lentement et sûrement libre. Je me reprenais à vous préférer ce grand orgueil que vous aviez, dans nos premières heures d'amour, si triomphalement vaincu. Je revivais seule en mon oubliée nature. Je retrouvais la douceur du rêve isolé. J'avais la pensée simple, émanation intime de l'être qui monte et s'élève jusqu'au mystère divin. La sérénité païenne rentrait en moi. Je n'étais plus attirée, conquise, possédée, hors de moi-même, j'étais à moi. Mes dieux me réapparaissaient vivants, loin de vous, eux qui me semblaient irréels à vos côtés.

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Votre lettre me trouble. Je m'interroge éperdue. Je vous revois par la pensée. Je sens revenir en mon âme une puissance de vous qui lutte contre la mienne. Dois-je vous appartenir, que je le veuille ou non ? Cette idée me torture. J'attendais que ma fierté l'emportât, et me voilà faible, pleurant ma joie perdue.

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- À MÉLISSANDRE -

Ce que tout cela signifie, mon adorée, c'est que l'amour se réveille en ton cœur ; il n'y était qu'endolori, non blessé, non étouffé. Entre la vaste mer et le ciel profond que tu croyais rempli de toi et de tes dieux, tu vois le grand espace vide que notre amour seul peut remplir ; les rives immenses de ton golfe léonin te paraissent désertes quand tu t'y promènes seule. Mélissandre, tu m'appelles ! Je viendrai pour t'enlever à cette séparation qui égare nos âmes et les laisse flotter incertaines, se cherchant et ne se trouvant plus.

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- À TIBURCE -

Mes dieux jaloux, eux-mêmes, ne peuvent consentir à ce que je te repousse, puisqu'ils ne me délivrent pas de mes tourments loin de toi. Viens régner sur le cœur où tu as régné. Triomphe où j'ai essayé de te vaincre. Je suis à toi et je t'aime.

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Mon père va passer huit jours à Saint-Estève. M. de Noves suit en Italie une chanteuse célèbre, ayant abandonné votre Clara.

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- À MÉLISSANDRE -

Mon idolâtrée,

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Enfin, le voilà, ce doux billet. J'avais le ferme espoir qu'il ne pouvait manquer. Ta première lettre me désespérait. Tu résistais à ton secret entraînement avec cette férocité singulière que tu as parfois, que tu prends pour de l'héroïsme, et qui eût fait de toi, sans mon amour, une prêtresse d'un culte sacrifiant, comme les chrétiens, la personnalité humaine à l'amour divin.

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Je gémissais de tes révoltes contre moi. Tu voulais résolument m'échapper. L'orgueil, le mysticisme, étaient en ton âme plus forts que la passion. D'où venait cette aversion de toi-même et de ton ouvrage ? Je ne me l'explique pas encore. Je ne pouvais me croire coupable d'une séparation imposée par les tiens, méritée par moi, je le confesse, mais qui était elle-même assez douloureuse pour me faire expier ma faute. Pourquoi y ajouter, cruelle, ta cruauté ?

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Ainsi, il y a eu un moment où, par un stoïcisme de fierté, tu m'avais réellement condamné à tout perdre, à ne jamais revoir ces beaux yeux s'illuminant pour moi seul des flammes d'un amour incomparable ? C'en était fini de nos promenades, de nos rêveries, de nos projets, de cette noble union, de ce commerce idéal et ardent à la fois qui m'enrichissait et me fortifiait ? Un tel mirage allait se dissiper !

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Il me fallait rentrer à Paris chassé du val fermé, seul pour toujours. Relevé, grandi, volant à plein vol, j'eusse été rejeté dans l'abîme, après avoir entrevu les altitudes divines !

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Rien de ce plan criminel ne pouvait réussir, et tu le sentais bien quand tu m'écrivais, me confiant un dépôt précieux : « Mon cœur est demeuré auprès de toi, et avec lui ma bonté. »

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Mais pourquoi s'attarder plus longtemps à ces tristes souvenirs et te troubler de mes justes plaintes ? Ton cœur t'est revenu par moi, et, en te le rendant, je t'ai ressaisie, retrouvée. La vraie Mélissandre s'offre à ma pensée telle que je l'ai toujours vue : belle, aimante, généreuse. Grâces te soient rendues pour ce court et délicieux message ! Les ténèbres et les langueurs malsaines sont dissipées.

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Bientôt je volerai dans son temple adorer ma déesse, les mains pleines d'offrandes, d'amour, et l'âme entière gardée à son culte.

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Je t'aime en corps et en âme, en chair et en esprit, comme la plus merveilleuse incarnation de l'auguste nature, ô païenne !

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- À TIBURCE -

Je désire follement ton arrivée, et pourtant je suis forcée de la retarder encore. Mon père a-t-il deviné, au rayonnement de mon visage, que le bonheur allait me visiter pendant son court voyage à Saint-Estève ? Il ne part que lundi, et je t'attends le soir. Je vis dans une impatience de toutes les heures. Un instant passé est pour moi un instant conquis. Il me rapproche de toi. Mon cœur se gonfle, et j'ai peur qu'il éclate sous une émotion trop violente lorsque je te reverrai. Je me suis tant rudoyée et je m'encourage si bien à l'expansion, que ces deux états, l'un succédant à l'autre, m'enlèvent toute possession de moi-même.

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Tu lis cette écriture fiévreuse, je te vois l'embrassant des yeux. Je suis jalouse de ce papier... Je pose ma tête sur ton épaule, je te donne mes lèvres. Ah ! quel baiser ! Tu aspires mon âme comme autrefois, je la sens monter en souffle dans ma poitrine, s'élancer pour se mêler à ton souffle et me donner l'angoisse délicieuse du vertige d'amour.

-

Tu m'aimes sans m'avoir moins aimée. C'est moi qui suis coupable de mes troubles. Mon orgueil et ce silence que je ne pouvais m'expliquer sont seuls cause de ma peine, et si de loin je les maudis encore, de tout près, bientôt, je vais bénir mon amour adoré.

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- À MÉLISSANDRE -

Tu le vois, ce retour victorieux à la vie, à l'amour, à la nature, c'est une délivrance, une résurrection. Que ton orgueil se rassure : tu ne peux, nous ne pouvons, en nous aimant, nous abaisser. Tu sais bien qu'en dépit de nos moments de passion, c'est dans les régions supérieures de la pensée que nous nous sommes rencontrés et épousés. Tu sais mieux encore que le temps ne peut entamer cet indissoluble mariage, et que c'est le cerveau qu'il lui faudrait broyer, non les sens qu'il devrait éteindre, pour triompher de nos embrassements mutuels. Les séparations, les obstacles, ne peuvent briser de tels liens.

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Je te l'ai dit, je te le répète, en te rencontrant après tant d'années de poursuite, de déception, d'attente, de dégoût, j'ai spontanément aperçu en toi la moitié de moi-même, dont la communion devait mettre dans ma vie, dans ma pensée, dans tous mes efforts, la plus grande puissance de la nature, l'unité et l'harmonie.

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Tu peux juger par ces mots à quelle profondeur de mon être j'ai planté les racines de mon amour, et si elles sont exposées à jamais être arrachées par un caprice de femme. Je vis en toi et je t'aime en moi, c'est-à-dire que je réalise l'idéal souhaité par les plus grands amoureux humains. Tu es mon chef-d'œuvre conçu, et je t'aime comme une victoire de mon génie amoureux.

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Je le dis sans modestie : ton orgueil, si haut qu'il soit, n'a rien à redouter des élans de ton cœur vers un amour qui admire en toi la grandeur morale et la noblesse d'esprit.

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Enfin je vais te revoir, sentir sur moi le feu de ton regard, boire la lumière sur tes traits. J'en ai, par moments, des éblouissements. Avec quelles délices j'éprouverai la commotion de mon premier baiser ! Je me dominerai, mais je confesse que j'ai peur de défaillir au premier choc.

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Songe que la simple réception de tes lettres me fait monter le rouge au visage. De ma vie je n'avais éprouvé d'aussi subites et d'aussi indicibles émotions. Ah ! ce que c'est que d'aimer réellement ! Tout est sujet d'attendrissement et de crainte. Cette alternative brise et enivre. On se meut dans une atmosphère pénétrante et fine qui vous élève, et, sans vous ravir à la réalité, vous permet de planer au-dessus des banalités et des vulgarités de la vie journalière.

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Rien ne pourrait exprimer le mélange des sentiments qui m'emplissent : la reconnaissance, l'admiration, la passion de ta beauté, le besoin de t'idolâtrer, forment mon amour, et c'est cette gerbe d'impressions, de sentiments, de sensations, que je dépose à tes pieds, attendant que je te dévore de baisers.

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Puisque tu m'ordonnes d'attendre encore, je pars ce matin pour Paris, j'y fais en vingt-quatre heures tout le tapage qu'on y peut faire, et je viens à toi silencieusement.

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- À LA MÊME -

De Paris.

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Cette lettre me précédera de quelques heures seulement, et je ne puis résister à la joie de te l'écrire.

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Je sens gronder en moi une tempête d'idées, de passions et de voluptés. Je t'adore comme un fou. Je vais enfin retrouver Andromède, la délivrer de ses chimères, de ses hésitations, de ses angoisses. Je sens mon cœur se gonfler à rompre ma poitrine. Je me fais, à chaque instant du jour, le tableau de cette première minute du retour, et mes yeux se ferment, mes jambes chancellent, le sang afflue dans mon cerveau. Je n'ai jamais tant tenu à la vie, et je crains à tout moment qu'elle m'échappe avant cette heure suprême. Ah ! comme je t'aime, et comme je suis fier de t'aimer ! Crois-moi, Mélissandre, voilà le véritable orgueil : se donner tout entier, sans retour, à un être digne de soi, se convaincre qu'en dehors de cette sublime union tout n'est que vanité, déception et mensonge.

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Encore un jour, un interminable jour, et je serai près d'elle ! Je revois d'un coup d'œil tous les gages de tendresse et d'adoration que j'ai donnés et reçus. J'évoque, je fais apparaître dans leur enivrante réalité les mille détails de ces mois de bonheur et d'extase si rapidement écoulés. Si tu savais à quelle puissance de souvenir je suis parvenu ! Non, je ne dois pas insister : de froides paroles, de simples phrases, ne peuvent peindre la violence de ma passion. Ce que je veux, c'est te saisir, t'étouffer dans mes bras.

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J'ose te l'écrire, rien ne saurait calmer, apaiser mon amour, que toi-même.

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- À TIBURCE -

À Paris.

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Tu m'as emportée, triomphateur ! Je t'aime et je t'admire. Quelle poésie tu as su mettre dans ce renouveau, et comme tu as merveilleusement exprimé tes doutes et ta passion ! Ma confiance est revenue tout entière.

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Je me plonge en ma pensée avec ivresse, parce que c'est toi seul, exclusivement, que j'y rencontre, soit que je songe au passé ou au présent. Mes quelques jours de désolation, il me semble que je n'ai pu les vivre. Quel chant ton amour chante en moi !

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Par toi je revis ! Orphée m'a ramenée des enfers. Dispose de ta maîtresse comme il te plaira désormais. Je m'abandonne à toi.

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C'est à peine si je puis tracer ces lignes, tant mon émotion agite ma main et trouble mes sens.

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- À MÉLISSANDRE -

De Paris.

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Ma belle païenne,

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Quel rêve et quelle réalité ! comment peut-on exister après l'évanouissement de telles délices, et pourquoi ne préfère-t-on pas s'anéantir plutôt que de retomber de ces hauteurs sur le sol plat et fangeux de la vie ?

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Ma raison ni mon cœur ne peuvent rien répondre à de pareilles questions, et je crois que, sans la mémoire, qui réveille et reproduit toutes ces sensations, je n'aurais plus conscience de mon être.

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Je suis parti, je suis revenu à Paris inconsciemment, me sentant plus que jamais seul dans ce grand désert d'hommes. Je poursuis mes souvenirs au milieu de la foule. Je me trouve un homme nouveau, supérieur à moi-même et aux autres, puisque j'ai vu dans sa magnificence le chef-d'œuvre de l'amour, et que j'ai possédé la volupté infinie.

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Ce que j'ai ressenti, éprouvé près de toi, durant ces rapides heures de conversation ou de silence passées ensemble, nulle langue humaine n'est ni assez pure, ni assez déliée, ni assez élégante pour l'exprimer et le peindre. Un tel poème ne sera jamais écrit ; il est là, dans mon cerveau ; mon regard seul, le tien, peuvent se le révéler l'un à l'autre. Quelle force ennemie serait assez forte pour rompre cet accord prédestiné et irrévocable ? Penser, juger, rire, s'attrister, espérer, rêver ou agir à deux, simultanément et pareillement, sans effort, sans communication préalable, quelle autre union que la nôtre s'est donné un semblable concert ? Qu'ajouter, sinon que toutes ces facultés fraternelles font œuvre commune pour présider à l'embrassement, à la fusion de nos deux êtres en un seul ?

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Quelles ardeurs, quelles révoltes provoque un tel retour vers les journées enivrantes si vite écoulées !

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À ce sentiment de regret succède promptement la consolation non moins vive d'avoir emporté avec moi l'inépuisable trésor de bonheur que je vais tous les jours compter et recompter en avare, en jaloux, amoureux de ses richesses.

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Je passerai seulement une semaine à Paris et j'irai t'attendre dans le val fermé, qui, je l'espère, se rouvrira bientôt pour toi.

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Mon âme est pleine de ton image, mes yeux remplis de tes rayons, mes lèvres encore imprégnées de tes baisers.

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Je t'adore sans cesse, toujours !

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- À LA MÊME -

À l'Estaque.

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Ma douce mignonne, mon adorée, puisque je t'aime chaque jour plus que la veille, je recule donc sans cesse les bornes de l'infini de mon amour. Tu craignais et tu désirais à la fois me voir revivre un instant ma vie passée, pour être bien certaine qu'elle ne pourrait plus ni me satisfaire, ni me garder.

-

Je prends plaisir à souffrir de l'agitation passionnée, que j'abhorre aujourd'hui et qui me semble gronder autour de moi. Je tiens à ce que tu saches combien tu es toujours présente et même visible au milieu de mes cent affaires. Je t'envoie, comme à la déesse propice, ma pensée et mon cœur, je t'unis à tout, c'est de toi que je tiens le courage de la journée pour suffire à des occupations sans nombre. Je suis assailli de visites, d'invitations, et c'est à cela que mes amis jugent à quel point ma réputation s'est accrue.

-

Je n'oublie jamais que la plus forte et la plus récompensée des preuves que je puisse t'offrir de mon amour sans bornes, c'est d'être digne de toi, de grandir mon nom, de dominer mes rivaux.

-

Un amour comme le tien réclame d'autres aliments que les sensations et les voluptés. Il faut que ton amant l'entretienne de sa valeur et qu'il y trouve le principe de sa force et l'aiguillon de sa gloire.

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Ainsi compris, il fait corps avec mon esprit, devient l'agent de ma volonté, la source de mes actes, et je le sens si répandu dans mes veines, que je puis dire : « J'aime, donc j'agis ! »

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Je t'adore comme la cause de mes pensées, de mes enthousiasmes, de mes inspirations.

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- À TIBURCE -

Mon bien-aimé, je ne puis demeurer dans cette maison où je t'appelle en vain, et me voici t'écrivant au dehors, avec l'idée que mon amour vole plus librement vers toi dans le libre espace. Je suis assise auprès du balcon de briques dont les découpures se détachent si gaiement sur la mer azurée. Autour de moi les pins verts se dressent sur les rochers blancs ; les joncs d'or luisent à l'ombre, la vague murmure, soulève les galets et se jette, paresseuse, dans son lit d'algues. Les bricks, les chaloupes, les bateaux à l'ancre se balancent dans le petit port dentelé de l'Estaque. La mer s'étend infinie en belles nappes blanches que damasse le soleil. À gauche de Notre-Dame-de-la-Garde, les montagnes de Saint-Loup se dessinent en pleine lumière dans leurs élégants contours. Les grands vaisseaux entrent et sortent des ports, oiseaux avec les ailes des voiliers, mastodontes avec les coques des vapeurs. À droite, au fond du grand golfe, les collines de Mont-Redon s'abaissent par degrés, comme pour baigner leurs pieds dans l'eau. Les îles Pomègue et Ratonneau vacillent sous mes yeux éblouis et se jouent sur les flots autour du château d'If. Je me retourne, lassée par tant de lumière, et je vois le nid de nos amours enfoui sous les arbres, avec ses balcons où pendent les glycines, mêlées aux fleurs de la passion.

-

Je songe à toi et je t'aime.

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- À MÉLISSANDRE -

Notre correspondance se croise sans ordre. Je reçois aujourd'hui seulement ta première lettre, qu'une fausse adresse a failli me faire perdre. Pour qu'elle me soit parvenue, il faut qu'elle ait été conduite par le Dieu des amoureux.

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Je frémis aux frémissements de ton cœur. Je lis et relis cette page d'amour pur, grandiose. Tu es là devant moi, dans la perfection adorable de tes formes, échappées au pinceau de Titien. Je vois la lumière dans tes yeux brûlants, je touche du doigt les lourds et longs cheveux qui encadrent comme une couronne parfumée la tête de mon altière dogaresse. J'entends ta bouche prononcer les enivrantes paroles, et je reste absorbé dans la contemplation de ta beauté.

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Je voudrais te répondre par une prière d'adoration et d'extase. J'écoute en moi mon rêve et je te prie d'écouter à ton tour tes voix intérieures.

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Grâce à toi, Mélissandre, je connais les plus mystérieuses, les plus divines voluptés de la communion des âmes. Mon secret m'emplit d'une joie tumultueuse qui fait éclater ma poitrine. Je ris aux choses extérieures et j'adresse à l'inconnu qui m'environne les flots de reconnaissance qui s'échappent de mon être.

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Lorsque mes vieux amis me demandent ce qui me retient à Vaucluse et que je réponds : « C'est Laure ! » ils sourient doucement de ce qu'ils croient une folie. N'ont-ils pas raison, n'est-ce pas une folie que la mienne ?

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Combien je suis favorisé de la Fortune ! Quelles offrandes faut-il que j'apporte à ses autels pour m'assurer de la perpétuité de sa protection ?

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Penses-y, invoque tes dieux, recommande notre amour à ton divin protecteur, Apollon à l'arc d'argent, et laisse-moi m'endormir sur ton sein, miracle de la nature que Phidias eût divinisé.

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J'embrasse tes genoux, ma seule déesse, et je répands à tes pieds mes actions de grâces.

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-
- À TIBURCE -

Puis-je croire aujourd'hui qu'un seul jour j'ai cru renoncer à un tel bonheur ? Ai-je dit que cet amour, monté si haut, n'avait plus qu'à descendre ? Ai-je pensé que je préférais l'éteindre brutalement, plutôt que de le voir lentement se glacer ?

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J'ai cru tout cela ; je l'ai pensé, je l'ai dit. Mais alors je ne devinais pas, il m'était impossible de prévoir que ce que j'avais possédé en plein épanouissement d'une passion nouvelle serait cent fois dépassé. Ah ! ce que j'éprouve maintenant, je me défie de le réduire. J'escalade sans vertige des sommets accessibles à notre amour seul. Je monte en plein éther.

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Je ne rencontre que nous où je suis, et je t'adore avec je ne sais quelle religieuse conception indienne de vie transformée, réincarnée dans l'amour. Le passé vague se déroule au-dessous de moi, ses routes fuient et disparaissent à mesure que je m'élève au-dessus d'elles. Je vole, je glisse, dans les sphères idéales, célestes, sans secousse que le mouvement d'une ascension.

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- À MÉLISSANDRE -

Depuis trois jours j'étais malheureux ; la fortune avait beau me sourire, la célébrité me chercher, je me sentais inquiet, je ne pouvais arrêter plus de quelques minutes mon esprit sur ces jouissances de vanité pour lesquelles, autrefois, j'aurais donné vingt ans de ma vie.

-

J'avais, au dedans de moi, dans le fond de l'être, une angoisse obstinée, inexplicable, persistante, qui empoisonnait mes jours en me livrant à toutes les angoisses du condamné ; j'allais à ces fêtes qu'on m'offre, la tête pleine de songes bizarres et méchants. Je me plongeais avec colère, pour mieux m'échapper à moi-même, dans l'agitation de Paris, et tout à coup j'oubliais mon tourment intérieur, ma mélancolie, j'étais avide de me retrouver seul, dans le coin le plus retiré de ma chambre, pour contempler l'image troublante que j'ai de toi, les cheveux dénoués et les épaules nues.

-

Je découvrais en te regardant l'étendue de mon mal d'amour, le feu qui me dévore. Quelle révélation j'ai recueillie de ce tête-à-tête avec ton portrait ! Je sais comment naissent les prières, les miracles, les cultes, ce désir suprême de la pénétration constante de l'être adoré.

-

Mon agitation intime venait de ce que, depuis trois jours, je n'avais pas reçu les signes extérieurs, preuves de l'amour de mon idolâtrée.

-

Il y a bien paru au cri d'admiration, de joie, de gratitude, qui m'est échappé en rentrant ce soir, à la vue de ce magnifique bouquet de fleurs que tu m'as envoyé. J'ai senti mon cœur se détendre et s'épanouir d'allégresse. Quelle haleine de vie s'est échappée de ces roses vers mon cerveau ! Je t'ai vue distinctement flotter au-dessus de tes fleurs, chaque feuille de rose rappelant ta lèvre embaumée et me disant que ton amour s'exhalait dans leur arome.

-

Je les ai respirées d'un long trait, à perdre haleine, comme je t'ai respirée, te souviens-tu, Mélissandre ? à la pointe de l'Estaque, devant la grande mer, par cette journée lumineuse où je m'assis à tes pieds sur les roches brûlantes ? Les délicates, les éloquentes messagères que tes roses ! Je les ai mises une à une en leur vase, pour que chacune pût me faire son récit et me tout révéler. Ah ! mignonne, que tu as d'esprit, et comme tu sais inspirer aux fleurs un doux et poétique langage ! Ma bien-aimée, je suis radieux, guéri, triomphant.

-

Quelles terribles épargnes je sens s'amasser dans mon être ! Par moments, j'ai besoin de crier ton nom. Je t'appelle en vain et je ne tarde pas à maudire le sort qui me condamne à la séparation. Je t'aime à en mourir, et j'ai besoin de retrouver ton image pour retrouver ma joie.

-

Ces fleurs, ta lettre exquise, m'apportent le cordial. Elles me réconfortent pour quelques heures, et puis la fièvre me reprendra.

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C'est ta parole, tes yeux, ta grâce, toi, qu'il me faut. Je veux te revoir et mourir.

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- À TIBURCE -

De Vaucluse.

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On me remet une incomparable lettre de mon bien-aimé.

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Quelle page, quels accents, quel commentaire de nos derniers entretiens ! J'ai l'âpre joie de te voir souffrir de mon absence, et l'exquise douleur de souffrir avec toi. Comme tu sais, mieux que moi, peindre ta peine amoureuse ! Tu veux donc me faire expirer d'orgueil et de plaisir ? Je suis enivrée, mais vaincue par toi dans l'expression de notre amour : je ne t'écrirai plus qu'en tremblant, je me déclare indigne de répondre à de tels cantiques.

-

Tu peux tout traduire, tout rendre, tout exprimer ; tu ne m'as jamais rien envoyé de vibrant comme cette lettre, et j'admire en mon amant la puissance d'idéaliser et de définir ce qu'il y a de plus insondable, de plus mystérieux, de plus insaisissable dans notre passion.

-

Ah ! si tu pouvais lire en mon âme, si tu pouvais assister à l'éblouissement intérieur que tu y allumes !

-

Je ne te ferai jamais l'injure de te comparer à un autre amoureux, dans le présent ou dans le passé. Léandre, Roméo, m'apparaissent moins épris d'Héro et de Juliette que tu ne l'es de Mélissandre. J'ai l'ivresse de ton adoration. Je suis la plus captivée, la plus enchantée des femmes, et je ne crains pas d'être sacrilège en t'aimant à l'égal d'un dieu.

-

Reviens, je suis de retour au val fermé.

-
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- À MÉLISSANDRE -

Je reçois à l'instant ta dernière lettre, et je pars. Je vais te retrouver à Vaucluse.

-

Quelles interminables confidences j'aurai à te faire sur ce voyage que tu craignais tant ! Je me suis senti plus éloigné de Paris, moins repris encore que je ne l'aurais cru ; je ne pense qu'à toi, je ne rêve que de toi, je n'aime que toi !

-

Je voudrais pouvoir te peindre les merveilleux aspects sous lesquels je t'ai aperçue dans mes longues insomnies. Ce serait la véritable galerie de Diane, où l'on verrait la déesse de mon cœur dans ses plus triomphantes attitudes, depuis l'orgueilleuse et insensible chasseresse jusqu'à la tendre amante d'Endymion endormi.

-

Tu sors si naturellement de l'ancienne Grèce, ô païenne, que je ne peux songer à toi sans évoquer le mythe de cette religion que tu m'as apprise, hors de laquelle je ne sais plus rien adorer. Je retrouve, dans la réalité que me fait ton amour, les plus beaux poèmes de l'Attique.

-

Je tremble d'émotion à la pensée d'être bientôt dans tes bras.

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- À LA MÊME -

Ma sublime amante,

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Enfin, je t'ai revue ! Je suis ivre d'orgueil et de volupté. Je tressaille encore des derniers frémissements de nos baisers.

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Quels cris de passion nous avons jetés tous deux en nous retrouvant ! Tu es bien mienne et je suis à la fois ton maître et ton esclave ; j'ai perdu auprès de toi la notion des choses qui se mesurent, j'ai pu mourir d'extase sur tes lèvres. Le voile du temple est soulevé, Isis m'appartient ! Ses mystères me sont révélés. Un feu sacré brûle mes artères.

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-
- À TIBURCE -

Nous avons vécu ces deux journées, altérés de joie, avides de nous griser de notre ivresse, et nous n'avons adoré que nous-mêmes.

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Ce matin, par ma fenêtre laissée ouverte, le soleil me réveille, m'appelle à la bénédiction de nos dieux. J'admire la lumière extérieure, je m'émeus de sa beauté. Une reconnaissance infinie monte de mon cœur à mes lèvres pour le rayonnant Phébus qui donne la chaleur à l'amour, la clarté aux cieux, le vêtement de gloire aux montagnes, la transparence à l'eau, la profondeur à l'espace.

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Dans notre passion pour la créature, ne soyons pas ingrats envers celui qui nous inspire le plus divin des sentiments humains : l'admiration !

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La main dans la main, quand tout à l'heure nous marcherons à l'ombre des yeuses et que les rayons brillants du dieu de lumière, glissant à travers le feuillage, nous poursuivront, veux-tu que nous nous arrêtions un moment ? Agenouillés tous deux à l'entrée de la charmille qui forme l'arceau d'un temple, enveloppés des feux d'Apollon, élevons vers lui notre prière et adorons-le !

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- AU MÊME -

Nous l'avons adoré ! Les lueurs étincelantes de ses reflets ont passé dans nos yeux, sa lumière a versé la lumière dans nos cœurs. Mêlés à la personnalité du dieu, émus de lui et de nous, notre éblouissement s'est transformé en une impression religieuse d'une douceur incomparable.

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Des extases voilées nous sont venues à l'ombre des arbres protecteurs, et nous avons joui pour la première fois de notre amour contenu et apaisé.

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L'éternel renouveau fleurit en nos cœurs. Jamais nous ne connaîtrons l'uniformité ; notre passion s'alimente à la source féconde de notre esprit ; elle prend part à la variété des choses qui nous entourent ; elle vit de notre vie et ne peut cesser qu'avec elle.

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Je retrouve le bouquet d'héliotropes que tu m'as donné hier et qui est resté le soir à mon corsage. L'héliotrope cueilli se fane en un instant. Ô miracle ! les tiges coupées de la veille sont encore fraîches. J'en glisse une dans cette lettre. Je confie à la fleur aimée d'Apollon un message amoureux, secret toujours révélé, toujours gardé : « Je t'aime ! »

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- À MÉLISSANDRE -

Ma maîtresse,

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Voilà bien le seul nom que je puisse te donner, car je suis possédé tout entier. Mon cerveau, mon âme, tout cet être intérieur qui était, jusqu'à mon amour pour toi, demeuré libre, dont on pouvait seulement ravir les sens, le voilà définitivement livré. Règne sur ton amant sans partage, sans réserve, sans retour.

-

Tes douces lettres me promènent à travers un paysage divinisé par la présence du dieu ardent. J'entre avec toi dans je ne sais quel monde mystique où le grand silence, la solitude harmonieuse, vibrent au choc de la lumière.

-

Il me semble que, jusqu'à notre dernière promenade, je ne connaissais pas ta voix. J'écoutais hier son rythme doux et sonore, qui me paraissait la voix même du paysage, du lieu, chantant l'hymne sacré au dieu de lumière.

-

Te rappelles-tu ce baiser si chaste sous les feux d'Apollon ?

-

Je ne sais ce que je préfère en mon amour, de mes désirs violents ou de cette possession idéale où je crois vraiment étreindre ton âme.

-

Je suis rentré plus heureux que je ne l'ai encore été : ivre de bonheur surhumain, j'ai longuement goûté ma félicité complète. Puis, tout à coup, il m'a paru que je n'étais ni assez bon, ni assez grand, ni assez pur pour toi, et je me suis juré de mériter ton amour, que, peut-être, j'ai seulement conquis.

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Jusqu'alors, je n'aimais que ta beauté terrestre, Mélissandre ; je t'ai vu hier une beauté céleste.

-

Je la fixerai sur mes toiles, car elle est plus grande encore, plus admirable que l'autre : elle est divine. Je te possède avec un visage nouveau ; je respire un autre air, j'ai gravi des hauteurs sur lesquelles il n'y a que le ciel et toi.

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- À TIBURCE -

Mon ami, il faut que vous sachiez à l'instant la nouvelle. Mon père m'écrit qu'il part de Marseille pour Naples, où M. de Noves fait toutes les sottises du monde. Le noble seigneur joue, mène grand train, se ruine, en compagnie de sa chanteuse. Mon père désire que je l'accompagne, pour ramener mon mari, dit-il. Le ramener ! Voilà un mot dont les deux sens ne me tentent guère ! Je réponds que, si j'allais à Naples, ce serait pour trouver les éléments d'une séparation. Mon père n'insistera pas.

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- À MÉLISSANDRE -

Songer que tu portes un nom qui sera mêlé à quelque ridicule scandale de ville d'hiver, me trouble et m'irrite. Les amis de ton père, les tiens, sont autorisés à te protéger des ennuis que les folies de M. de Noves peuvent apporter dans ta vie ; moi seul au monde, je suis réduit à l'impuissance. Il faut que je me taise, que je me dérobe, et, si nous n'étions dans ce doux pays solitaire, je devrais, par bon ton, défendre ton mari, s'il était blâmé devant moi. Je hais cet homme auquel je n'ai jamais pu sans désespoir tendre la main, et à qui j'ai cent fois été tenté de dire : « J'aime votre femme, et je veux vous tuer ! »

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Mélissandre, laisse-moi te confier un instant mon désir secret, mon vœu constant : je donnerai ma vie entière pour qu'un seul jour tu sois ma femme.

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- À TIBURCE -

Je rentre, je suis seule. Quelle lumière plus rayonnante encore a tout à l'heure frappé mes yeux ravis ! Que sont les merveilles du monde extérieur, la beauté des jours, la clarté des nuits, la fraîcheur des paysages, la couleur des eaux, à côté de l'éblouissement dans lequel tu m'as jetée ?

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Pour te peindre au vrai ce que j'éprouve, il faudrait arracher mon cœur de son enveloppe et l'étaler ici dans sa vivante chaleur. Quelle désolation de ne pouvoir parler de notre amour qu'avec les mots habituels aux amants ! J'ai comme une insurmontable aversion de t'aimer avec des paroles qui ont servi à tant d'autres avant nous. Ah ! combien sont supérieurs ces entretiens muets que se donnent nos âmes sur nos lèvres unies !

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C'est sous cette impression à ne nous dire rien qui vaille mon adoration intérieure, que je sens le prix de ma mémoire, que je me plonge avec violence dans mes souvenirs. Eux seuls peuvent satisfaire les élans de tendresse passionnée de tout mon être.

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- À MÉLISSANDRE -

Les tressaillements de ton cœur vibrent encore dans le mien. Moi aussi, j'ai besoin de me souvenir pour t'adorer comme tu es digne d'être adorée. En te quittant, je retrouve, et j'admire à nouveau les perfections multiples de la déesse qui règne sur mes esprits. Je me rappelle avec ravissement l'éblouissante beauté de ses formes, enveloppe animée, éloquente, de la beauté intérieure.

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Je me sens l'égal d'un dieu, à l'orgueilleuse pensée que tous ces trésors sont à moi.

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Je n'ai jamais mieux éprouvé qu'aujourd'hui la bienfaisante influence de tes conseils.

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Cette ébauche de Pétrarque, plusieurs fois recommencée, deviendra un chef-d'œuvre, inspiré, voulu pour ainsi dire par toi. Je te devrai d'avoir compris Pétrarque à travers ton jugement, comme j'avais compris Laure à travers ta beauté. Ma gloire t'appartient, car ce que j'avais conçu avant de venir à Vaucluse n'est pas comparable à ce que j'ai réalisé depuis que tu m'as doté de ton amour. Je sens toutes mes visions d'art, toutes mes puissances doublées par les tiennes.

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Tu es bien, dans le sens élevé et sublime, je le répète, la maîtresse de ma vie, le guide de mes efforts, la récompense de mes travaux, et je ne veux des couronnes que pour les mettre à tes pieds.

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- À TIBURCE -

Comme je te remercie de me faire assister au spectacle extraordinaire de tes observations sur toi-même ! J'ai parfois dans mes recherches, à tes côtés, des vues soudaines, des divinations heureuses ; mais combien tu excelles avec ton abondance, ta générosité d'esprit, à m'initier d'un mot à toutes les ressources de ton génie !

-

Crois-moi, n'envie rien à cet être idéal dont tu me parlais hier, et qui ne te vaudrait pas. Cet homme qui s'en irait, à travers le monde, accompagné de son amante, butinant le miel de toutes les intelligences d'élite, serait un curieux, un maître mosaïste, mais il ne serait pas, comme toi, un artiste, un créateur. Ce qu'il y a d'exceptionnel en toi, c'est ta personnalité, ton indépendance vis-à-vis de ton art lui-même. L'image naît dans ton esprit avec une spontanéité qui tient du miracle. N'ajoute rien à tes supériorités : tu les fausserais ; reste l'homme que te voici : tu es grand, tu es le favori des dieux ; ne cherche pas dans les autres les quantités des qualités que tu possèdes en si grand nombre. Je te le dis, il faudrait additionner bien des valeurs pour faire la somme de la tienne.

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- À MÉLISSANDRE -

Amie, j'ai pour ainsi dire à chaque heure le sentiment croissant de la prise définitive que tu as faite de mes pensers. Le résultat le plus singulier de cette invasion irrésistible, c'est de me rendre insatiable de travail. Il me semble que ma vie si confuse, si désordonnée, si vide jusqu'à toi, malgré ses entraînements, ses tourbillons, ne date que de toi ; je n'en ai conscience qu'à travers ta possession, et je ne me suis connu moi-même tout entier qu'à partir de l'heure où je me suis donné sans retour. Je t'aime avec toute ma raison, follement. Je me trouve impuissant à calmer sans toi le besoin de diversion morale qui me tourmente. Je ne me sens apaisé et heureux qu'à tes côtés, dans les instants fugitifs que je peux arracher aux convenances qui t'enchaînent. Sans doute, ma joie précède nos réunions de quelques heures ; mais j'emporte, après t'avoir rencontrée, cet enivrement mêlé d'amertume qui me rend fou d'orgueil, d'allégresse, de poésie et de chagrin. Je ne te possède que pour te perdre sans cesse, et ce que tu as souffert autrefois de ma longue absence, je le souffre de nos courtes séparations aujourd'hui.

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Ah ! je n'aurais jamais pensé pouvoir être absorbé dans ton amour au point de ne regarder tout le reste de la vie que comme un insupportable néant.

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Tu le vois, je fais plus que t'aimer. Je te tiens désormais pour le principe même de mon existence, et j'attends avec la fièvre le moment où je peux me retrouver en toi.

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- À TIBURCE -

Tu as prononcé hier, sous les rayons de notre Phébus, un mot vraiment divin : « Je goûte le bonheur absolu ! » Non, je n'avais pas rêvé d'entendre une parole d'amour plus triomphante.

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J'ai dormi comme une illuminée qui a conversé avec son dieu ; une paix profonde s'est emparée de moi ; l'agitation de mes nuits a disparu. Ce matin, une sérénité olympienne, la joie des Immortels, m'envahit tout entière. Je suis heureuse en nous.

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- À MÉLISSANDRE -

La plénitude de ce bonheur absolu est telle, ma bien-aimée, que je ne sens ni ne désire rien au delà, même par ton amour. C'est avoir couronné sa vie que d'y avoir mis cette félicité vainement poursuivie et convoitée par tant d'autres.

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J'ignore le temps que me compteront encore les dieux, je ne sais quand je mourrai, mais, quoi qu'il advienne de cette heure dernière, il suffira à mon âme d'évoquer ce glorieux amour pour finir sans le regret d'une plus longue existence.

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Notre passion est si élevée qu'elle semble à hauteur divine ! Elle nous grandit sans nous épuiser, nous dévore sans nous amoindrir. Elle est telle que l'ont voulue, sans toujours l'atteindre, les amants dont le nom illumine le poème de l'humanité, également éloignée des froides ou mélancoliques rêveries du platonisme et de la préoccupation dominante des exclusifs et, par conséquent, grossiers plaisirs des sens.

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Notre amour est ce que tu es toi-même, l'union accomplie de l'esprit et de la matière, dans une indissoluble et toujours saisissable harmonie, faisant profiter la chair des élévations et des purifications de l'esprit, vivifiant, réjouissant l'esprit des sensations et des perceptions de la matière.

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En un mot, il est l'épanouissement même de l'indivisible nature, et l'impuissance que j'éprouve, malgré ma recherche constante, à traduire la profondeur de ma joie, fait partie de l'ineffable et mystérieuse béatitude en laquelle cet amour me tient.

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Je ne puis pas dire : « Je t'aime, » je dois dire : « Je te vis. »

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- À TIBURCE -

Ce n'est pas de ma chambre que je t'écris ce soir. J'ai fait transporter ma table au milieu de ce petit salon où tant de nos baisers se sont envolés dans les tentures, tant de nos regards se sont fixés dans les glaces, précieux boudoir, tour à tour meublé de ta présence ou de ton souvenir, et dans tous les coins duquel ton visage me semble caché.

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La douceur de notre intimité devient de plus en plus pénétrante. Comme nous nous sommes attendris hier, dans ces quelques minutes de tête-à-tête ! Perdue en toi la veille, il m'a semblé que tu me rapportais une part de moi rassérénée et agrandie. Ne me garde pas tout entière, ne m'absorbe pas complètement, je t'en conjure. Ma personnalité m'est chère, pour jouir du bonheur donné et du bonheur ressenti.

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Tu m'as reproché, ces derniers jours, de ne plus souffrir de nos courtes séparations. Tu te trompes : elles me sont cruelles comme à toi. Nous vivons en une telle communion de pensées, de goûts, de désirs, que tout nous serait joie dans une réunion constante. L'infinie variété de notre passion nous réserve des félicités inépuisables, s'alimentant sans cesse de nos connaissances acquises, de la diversité d'impressions, de jugements, qu'excite dans nos deux esprits le contact des choses extérieures.

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Notre amour s'accroît et se multiplie de tout ce qui détourne des passions ordinaires ; notre bonheur nous attache plus étroitement aux belles amours de la nature, aux héroïques actions du passé, aux nobles prévisions de l'avenir. Ce n'est pas de l'égoïsme à deux, c'est de l'union en tout ce qui est noble, en tout ce qui fait vibrer l'intelligence, le cœur et l'esprit.

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Je t'aime de meilleur en meilleur.

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- À MÉLISSANDRE -

Je voudrais, adorable fée, te rendre la délicieuse impression que j'ai éprouvée, l'autre soir, en te retrouvant dans cette toilette de mousseline blanche.

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Tu m'avais quitté brûlante, je te cherchais encore sous mes lèvres enflammées de toutes les ardeurs de la passion ; je te revois douce, reposée, rafraîchissante. Il sortait de toi comme un souffle d'apaisement qui m'a rendu la possession de moi-même.

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Je venais pour te dire : « Ne nous quittons plus, je te veux à chaque heure de la nuit, du jour ; loin de toi, la fièvre me dévore ; je n'ai pas trop de chaque minute de mon existence pour t'adorer : pourquoi ces déchirements ? Je suis ton époux ; allons où les conventions ne t'arracheront pas sans cesse à mon amour. Je meurs si tu résistes à mon invincible désir de t'avoir à moi seul, toujours.

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« Je te vois, et le calme règne en mon esprit troublé. Combien ta nature est divine en toutes ses ressources, et quelle merveilleuse poésie tu sais répandre sur les moindres incidents de la vie ! Une robe, une attitude nouvelles, et tu exprimes à l'instant une série de pensées, tu provoques des émotions, tu fais vivre en faisant changer ! »

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N'est-ce pas là le but même de l'amour, de toujours surprendre sans vous enlever un instant à la domination de la personne aimée, qui sait rester une à travers ses métamorphoses ?

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Ce qui me ravit le plus dans cette soumission de mes sentiments à ta volonté, c'est l'infinie méditation où tu me laisses chaque jour.

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Je n'avais jamais aimé, puisque l'amour ne m'avait jamais fait penser ; j'ai découvert l'entrée d'un nouveau monde d'idées, la clef qui ouvre l'infini.

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- À TIBURCE -

Encore une émotion douce. Mon amour s'est laissé poétiquement bercer, non endormir. La tendresse contiendrait-elle des joies plus renouvelables que la passion ?

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Le doux val fermé me paraît infiniment doux. Je fais une halte, je me repose dans le bonheur paisible.

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- AU MÊME -

Des cimes plus hautes se dressent, on les escalade, on franchit des abîmes plus vertigineux, on se trouve tout à coup seuls, à deux, dans des espaces où l'œil n'a plus qu'une vision éclatante et rayonnante, où l'intelligence distendue devient vague et n'a que des perceptions de largeur, de lumière, de cercle immense, où elle ne peut rien traduire par la parole, ni même par la pensée. Attachés, enlacés, confondus, nous avons été emportés vers cet infini sublime où l'on n'a que le sentiment de l'absorption dans un autre être et d'une fusion avec l'univers. Je suis encore une fois impuissante à analyser mes sensations. Je les vois et ne puis les peindre, je les entends et ne puis les parler, je les éprouve et ne puis les rendre.

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- À MÉLISSANDRE -

Hier, j'avais trouvé dans l'extase l'impersonnalité, l'anéantissement ; ce soir, j'ai été livré à tous les souffles de la passion ; après une journée de joie pure, de plaisirs célestes, de félicité si haute qu'elle se perdait dans l'impalpable, j'ai eu tous les emportements d'un homme amoureux de la veille se donnant et possédant pour la première fois.

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Je chante les hymnes d'Antéros, frère d'Éros, dieu de l'amour partagé.

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- À TIBURCE -

Les limites extrêmes de l'amour, que bien des fois nous avions atteintes, nous les avons dépassées. Mais tout n'était pas sens dans notre ivresse, car les sens ont des domaines restreints, et l'on ne peut ressentir de pareilles voluptés qu'avec l'esprit. Nos sensations jaillissent bien réellement de notre cerveau et le frappent jusque dans les domaines de la pensée.

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C'est un amour sans pareil, sans égal, celui qui apporte les tressaillements de l'ardente nature et les visions du surnaturel.

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- À MÉLISSANDRE -

Ma belle Diane,

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Suis-je dominé, ébloui par le rêve, ou suis-je le jouet favori du dieu malin aux flèches d'or ? J'ai peine à remonter aux réalités.

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Je les saisis un jour, puis elles m'échappent comme un trésor trop riche pour la largeur de mes mains. Et cependant, ma mémoire est là qui me redit une à une les adorables étapes de cette fuite pour Cythère. Je m'interroge : « C'est bien moi, non un autre, j'étais là, telle chose m'advint. » Quel magicien et quel prodigue que l'amour ! Il suffit de s'abandonner à lui sans réserve pour être comblé de ses faveurs, enivré de son prestige.

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Il avait préparé cette fête, il nous a guidés le long des sentiers plantés de myrtes fleuris jusqu'à la retraite dont j'ignorais l'existence, et qui pourrait bien avoir disparu depuis notre mystérieuse visite.

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Et quel décor l'Amour avait imposé à la nature ! As-tu remarqué le feu des étoiles, la transparence des eaux, la finesse et la profondeur des ombres, tout, jusqu'au silence sidéral qui nous enveloppait, portait la marque du dieu, et révélait sa présence en ta faveur.

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Non, tu n'es plus Mélissandre ; c'est Diane elle-même qui a quitté ses royaumes d'azur et de feu pour venir dans mes bras.

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Je ne crois plus qu'à cette apparition. Je bénis, j'appelle ma déesse. Je la supplie de pardonner à la folle ardeur de son berger.

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- À TIBURCE -

Je suis Diane, sœur d'Apollon. J'ai gravi le Latmus pour dérober un baiser aux lèvres du berger ; mais le berger s'est réveillé, ou n'était point endormi. Endymion, qui surprend doucement, m'a surprise, et m'a rendu, pour mon seul baiser, des baisers nombreux.

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- À MÉLISSANDRE -

Vous me priez, madame, à la façon du XVIII e siècle, de faire votre portrait ; le voici. Vous réclamez de moi la vérité ; j'aurai, certes, autant de fierté à vous la dire que vous aurez d'orgueil à l'entendre. Vous savez, par avance, le plaisir que je prends et goûte plus vivement tous les jours à sonder, analyser, scruter votre nature puissante et variée.

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Je commence donc.

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Il ne peut y avoir pour moi de charme plus grand, après celui d'avoir peint ma maîtresse, que de l'évoquer et de la décrire.

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Je la présente :

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Elle est haute, sans être grande. Elle est blonde, sans que la nuance de ses cheveux soit trop ardente, quoiqu'elle tienne ses aïeux de la noblesse vénitienne. Elle est belle, et cependant elle sait être toujours jolie ; ses yeux d'azur, brillant à leur ordinaire, ont la faculté, comme l'Adriatique, de paraître tour à tour, selon les passions qui l'agitent, bleu profond, vert marin, couleur d'améthyste, et, si elle brûle de colère, ils deviennent subitement plus noirs et plus étincelants que les diamants de l'Oural.

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La merveille de son visage, c'est l'écrin joyeux de ses dents qui étale, sous un nez railleur et fin, les plus laiteuses perles du monde.

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Sa démarche est à la fois d'une reine et d'une prêtresse. Elle commande ou attire, par la simple façon dont elle fait un pas. Elle ne paraît jamais apprêtée, si riche que soit le costume qu'elle ait jeté sur son beau corps. Drapée en statue, elle rappelle tantôt Junon, tantôt Cypris. Le rêve, c'est de l'arracher à son piédestal et de l'attirer sous les saules.

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Que dire du moral, de l'être intellectuel, de son imagination, de sa verve, de son cœur, de son caractère ? Il faudrait dépeindre cela sous tous les aspects divers de la nature humaine, dont elle est une copie multiple.

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Le trait dominant de son esprit est de tout poursuivre, de tout savoir des choses qui touchent à l'origine, à la composition, à la distribution des forces dans la nature. Elle a l'intuition autant que la passion des connaissances et des idées générales.

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C'est par ce côté qu'elle échappe au féminin, qui retient presque toujours exclusivement le menu et le terre à terre. Elle est homme, comme Prométhée, à voler le ciel pour lui arracher une théorie ou une méthode.

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Ce qui surprend, c'est qu'au milieu de ses curiosités, de ses emportements de savante, elle conserve son beau langage de grande dame, qu'elle s'intéresse à tous les caprices, à toutes les fantaisies de l'art et de la mode. Elle sait mettre de la coquetterie jusque dans les audaces de sa pensée.

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Elle joue, comme Célimène, avec les cœurs, mais derrière ses coups d'éventail on sent toujours la bonté, la mansuétude. Si elle est coquette avec un adorateur, elle ne trompe pas celui qu'elle a choisi pour amant. Elle est trop passionnée pour n'être pas fidèle. Ceci vient de ce que l'amour n'est entré dans son cœur qu'après avoir traversé son esprit, et ses sens ne se sont éveillés que sous le rayonnement de son intelligence. Elle a aimé après avoir compris.

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Elle avait le choix : tomber dans le nirvana de la nature ou dans les bras d'un homme fait et préparé pour elle. Elle l'a trouvé, elle l'a voulu, elle l'a saisi, elle le tient pour le bien et pour le mal ; elle pourrait le pousser à la folie, elle préfère l'acheminer à la gloire.

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- À TIBURCE -

J'ai relu cent fois ce portrait. Je me plais, jugée ainsi. Me voilà grandie par ta pensée, comme j'ai été embellie par ton pinceau.

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Ce soir, après t'avoir quitté, je me suis plongée en mes souvenirs, abandonnée au courant de mon amour ; il m'a semblé que je me noyais dans ses profondeurs. Délicieusement engloutie, j'ai perdu un instant la connaissance de ma personnalité, sans perdre la conscience de mon bonheur. Revenue de cet évanouissement, j'ai cru que je t'aimais pour la première fois et j'ai ressenti des joies renouvelées et des joies nouvelles.

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Je me répète combien nous sommes fortunés. Si tout à coup nous étalions nos richesses sous les yeux des autres, quelle misère effroyable apparaîtrait aux yeux de ceux-là mêmes qui se croient les plus favorisés ! Ô mon bien précieux, mon incomparable amour, avec quelle jalousie je te cache !

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Tu me demandes de t'envoyer, en échange de mon portrait, l'un de mes chants orphiques. J'évoque Apollon, maître des chantres, conducteur des muses.

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« Je chante, parmi les zéphyrides, Carpo, fille de la douce Chloris, légère, aimable, voluptueuse, adorée de tous les mortels, qui chasse, durant les jours printaniers, l'ardeur brûlante de Mesembria.

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« Carpo, qui réveille les grâces alanguies, soulève, discrète, les draperies sur la poitrine des vierges songeuses, fait chanter aux hamadryades leur plus harmonieuse plainte, dans les branchages alourdis par les feuilles épaisses.

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« Fille de Zéphire, toi qui frissonnes sur les eaux et sèmes à leur surface des rides amollies, toi qui courbes les épis d'or et les balances, toi qui te joues sur les fleurs éclatantes et disperses leurs parfums, zéphyride, Carpo bienfaisante, messagère aérienne, emprunte à ton père ses coursiers rapides : Kanthus et Ballos ; cours vers mon bien-aimé, caresse ses lèvres, recueille ses baisers, puis, apporte-les moi, doux comme le sucre que l'abeille goûte au fruit mûr des grappes. »

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- À MÉLISSANDRE -

Je suis à peine éveillé qu'avec les rayons du jour, la lumière de ta lettre me frappe et m'illumine.

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Brillante aurore, dont les doigts de rose m'ouvrent les portes du ciel !

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- À TIBURCE -

Notre royaume est-il assez de ce monde ! Quel défi, par mon amour jeté, aux lamentations religieuses ! Que de joies dans cette vallée de larmes !

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Pourquoi notre bonheur ne serait-il pas éternel, puisqu'il s'alimente, se nourrit et s'accroît incessamment de nos diverses et communes passions ? Nous n'avons rien à en regretter, nous ne pouvons en rien retrancher. C'est sa force et sa grandeur d'être aussi désordonné dans la sensation que calme et résolu dans les choses de l'esprit. Quoiqu'en apparence, et par rapport aux heures changeantes, il semble aller du physique au moral, pour de là revenir à des entraînements amoureux, il est toujours un, identique à lui-même, et les désirs qu'il provoque n'ont d'autre impulsion que la communication intellectuelle de nos âmes.

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Pour le changer, l'amoindrir, l'étouffer il faudrait changer nos cerveaux, nos idées, nos aspirations mêmes. C'est l'amour complet ; par ce suprême caractère, il est toujours nouveau, toujours contraire à ce qu'il avait le devoir de remplacer et de faire oublier.

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- À MÉLISSANDRE -

Quel repos divin ! La paix semble être à tout jamais avec nous.

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Des chaînes plus nombreuses nous attachent, mais ce sont des chaînes faites avec les fleurs les plus rares. Combien notre entente est définitive ! Dans nos discours amoureux, plus rien d'éclatant, l'harmonie en sourdine, à peine quelques coquetteries d'esprit. Non, l'ennui ne naîtra jamais d'un sentiment que n'a point encore effleuré l'uniformité.

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J'ai cependant un reproche à te faire. Tu te préoccupes trop des voyageurs de Naples. Mes dernières lettres m'assurent que l'arrivée de ton père a fait cesser les folies de M. de Noves.

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- À TIBURCE -

Hélas ! non, la paix n'est pas à tout jamais avec nous. Tu étais bien mal informé par tes lettres. Mon père, découragé, indigné, vient de rentrer cette nuit. Il a laissé M. de Noves à ses excentricités, se sauvant pour ne pas être témoin de quelque scandale. Ce gendre dont il fallait respecter le nom, pour lequel on me prêchait l'indulgence, est devenu un criminel qui doit être châtié, ou par la justice des hommes, ou par celle des dieux.

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Mon père n'a senti l'outrage que bien tard ; il y a longtemps déjà que, moi, je ne le sens plus. Je m'étais, depuis quatre années, si complètement reprise, j'avais si résolûment détaché tout lien, qu'il n'y avait pas, entre M. de Noves et moi, un seul fil à rompre.

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Je ne suis ni plus ni moins libre parce que ceux qui m'avaient engagée se dégagent. Tout était brisé de ce qui avait dû être brisé.

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- À MÉLISSANDRE -

J'ai eu le cœur bien triste en te quittant sans avoir pu te dire un mot d'intime reconnaissance pour ta lettre si fière. Je la relis, essayant de surmonter l'ennui de cette longue séparation.

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J'imagine qu'il y a un an que je ne t'ai parlé, et cette heure passée auprès de toi et de ton père me semble appartenir à une vie antérieure et déjà bien reculée.

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Enfin je vais te revoir, lire dans tes yeux, peut-être arracher un baiser à tes adorables lèvres ; mais, par cette lettre, je veux te laisser une trace de mes regrets, qui te rappelle après mon départ qu'à la maison de Pétrarque on désire follement ta venue ce soir.

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De nous deux, c'est toujours toi qui montres la plus grande fermeté d'esprit et de caractère, qui prononces les plus nobles paroles et qui excelles à trouver les mots qui m'apaisent et me consolent.

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Aussi, je t'aime comme le secret de mon courage.

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- À LA MÊME -

Le sentiment qui me domine de plus en plus, à mesure que mon amour s'amasse et croît, c'est la fermeté d'esprit. Tu verses à plaisir la sérénité vaillante. Quel amour est le tien ! Fait de passion, de bravoure, on se sent grandir à son contact, et je te quitte toujours meilleur, plus résolu, plus confiant. Tu devines l'état de mon cœur et tu y verses le baume qui réveille et calme à la fois.

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Je suivrai ton dernier conseil, qui était un doux reproche. Puisque je te vois moins souvent, je travaillerai davantage. Je te dois de te mériter et de te gagner heure par heure. Tu n'es pas comme les autres femmes, dont on peut s'assurer la tendresse d'un seul coup ; tu offres tous les jours des trophées à enlever, tu veux être sans cesse ravie à nouveau. Je te l'ai dit très souvent : tu n'es jamais la même. C'est pour ce perpétuel inconnu que je te cherche. Tu peux prodiguer à ton élu des récompenses toujours inattendues. Je t'aime comme la femme toujours convoitée. Aussi tes caresses, tes aveux m'enorgueillissent comme une virginité que je t'arrache.

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Tes prodigalités sont sans danger, parce que tes richesses sont inépuisables.

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Je t'ai vue te promener seule hier dans les jardins parfumés. Tu devines quelles folles rêveries sont venues hanter mon cerveau. Vingt fois j'ai voulu courir à toi, te surprendre ; mais j'ai craint l'arrivée de ton père et j'ai agi sagement, car, un moment plus tard, il te rejoignait.

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Être seul avec toi seule ! Quand donc viendra le temps du bonheur ininterrompu ?

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Nous avons tous deux aujourd'hui le même dieu ; la même destinée nous a rapprochés. Apollon et l'avenir nous doivent la suprême joie de la possession entière. À quel prix ? Je ne sais. Il me semble que je connais le taux de cette faveur, je te l'ai plus d'une fois confié ; c'est l'insatiable désir de te gagner qui me donne, à certains jours, cette passion du travail, de la fortune, de la gloire. Je voudrais être assez grand pour t'honorer, assez fort pour te prendre.

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- À TIBURCE -

Mon père m'a déclaré, ce matin, que nous allions quitter Noves, que je ne pouvais habiter chez mon mari, après sa conduite à Naples. « Que se passe-t-il donc de nouveau ? » ai-je demandé.

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— Des choses telles que la ruine, la saisie prochaine du château, me fut-il répondu ; la vente des terres a déjà commencé.

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— Je regrette de n'avoir pas été prévenue plus tôt, ai-je dit froidement ; mais il est temps encore, j'imagine, de tout reprendre, de tout acheter.

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— Quoi ! tu songerais à garder ces lieux témoins de tes douleurs, de tes humiliations ?

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— Je veux posséder Noves, et je l'aurai. »

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- À MÉLISSANDRE -

Ma bien-aimée, ta lettre me cause une véritable angoisse. Oui, je t'en conjure, garde Noves, laissons à notre amour son cadre. Les nymphes de la fontaine, le dieu de la source, nous puniraient de les quitter.

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- À TIBURCE -

La seule chose intelligente que je doive à mon père, c'est de m'avoir fait faire un contrat féroce, de m'avoir mariée sous le régime dotal. Je puis donc disposer de ma fortune à mon gré.

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Donc, le château, la plupart des terres, sont aujourd'hui à moi. Il n'a fallu qu'une simple dépêche de mon père à M. de Noves.

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Voici la réponse : « Faites-moi tenir l'argent au plus vite, j'en ai besoin pour me distraire. Sachant Noves à Mélissandre, je ne me crois plus le droit d'y retourner. »

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Ami, ce mot me délivre ; je suis plus que jamais à toi.

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- À MÉLISSANDRE -

- Le retour de l'anniversaire qui te donna, il y a vingt-sept ans, à l'admiration des hommes, te paraît-il plus doux aujourd'hui ? Penses-tu que, dès ta naissance, il n'y avait pas sur ton berceau l'étoile qui devait me guider vers toi ? Cet anniversaire est le mien. La nature a formé pour moi, ce jour-là, l'être supérieur qu'elle me destinait, que j'ai cherché vingt ans à travers les traditionnels - mile è tre - . -

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Rien ne prépare mieux à la suprême jouissance de l'amour éternel que ces plaisirs aussi vite délaissés qu'ils ont été poursuivis. Je te le dis avec un mélange de confusion et d'ivresse, c'est pour avoir été si longtemps sceptique, léger, libertin, que je goûte profondément les joies de la conversion, de l'inflexible attachement, de la possession unique, sans lendemain.

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Je t'aime, je te bénis. Tu as dépassé tous mes rêves. Je te dois les sublimes vertiges de l'amour infini. Tu m'as revivifié. Je ne suis pas seulement ton pieux adorateur, je suis ta créature.

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Toi et moi ! Songe à ce que ces deux mots sont pour chacun de nous.

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- À TIBURCE -

Ma fenêtre est ouverte. Il est neuf heures du soir. Je rends grâce aux dieux de m'avoir donné ton amour. Je t'évoque, tu viens, et je suis avec toi, penchée sur les balustres, ma main dans la tienne, mon front à la hauteur de tes lèvres.

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Le ciel, d'un bleu sombre, se creuse au-dessus des jardins et se courbe à l'horizon pour envelopper nos collines blanches. La Sorgues murmure je ne sais quoi entre ses rives. Le rossignol chante, la brume blanche passe en effleurant l'eau. Tout cela me semble amoureux.

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Artémis éclaire la voûte du ciel et le sein gonflé de la terre. Je regarde la déesse blonde qui préside aux embrassements confus de la nature dans la nuit. Elle me baigne de sa clarté pâle et je la prie de nous être favorable. Artémis nous aime avec moins de feu que Phébus, mais tu sais combien elle nous protège. C'est elle qui dirige l'amour vers les sphères lumineuses et le fait entrer sous les signes du soleil.

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- AU MÊME -

Je hais ce mot de conversion que tu me répètes sans cesse. À quoi donc es-tu converti ? À l'abstinence ? Permets que j'en doute. À la fidélité ? Je discute.

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As-tu perdu, pour me le sacrifier, le goût des plaisirs variés, du divers, de la fantaisie ? Un don Juan est-il converti, parce qu'il trouve dans une femme ce qu'il cherchait dans toutes ? Non : il est simplement fixé.

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Tu n'es fidèle à ton amour que parce qu'il est infidèle à lui-même, que son attrait inépuisable est l'imprévu.

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- À MÉLISSANDRE -

Moqueuse ! Je ne puis attendre à ce soir pour te conter le plaisir que me fait ton billet. Quelle devineresse j'ai pour amoureuse ! Quelle magie tu sais apporter dans les plus fines nuances de la passion ! Tu me connais et m'expliques mieux que je ne le puis moi-même. Oui, c'est être infidèle à l'amour de la veille qu'être fidèle à ton amour présent. Je désire sans cesse à nouveau te revoir et j'emporte de nos rencontres une émotion toujours autre. Je vois dans tes yeux des rayons changeants, le sourire de tes lèvres est plein de surprises ; ton âme varie chaque jour, ton esprit, ton cœur ont des inconnus à me rendre fou. Tu résumes, tu épuises, tu termines en toi le féminin.

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C'est à travers toutes ces incarnations que je t'adore, que je brûle pour Mélissandre de tant de feux.

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- À TIBURCE -

Je suis allée par les chemins, lisant et relisant ta lettre ardente.

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Je me suis enivrée d'elle et des âcres parfums des pins chauffés par le soleil.

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Je marchais enveloppée de rayons ; je respirais la flamme brûlante d'Apollon, et ses feux me semblèrent mêlés pour la première fois à tes feux. L'époux céleste que je m'étais donné avant de te connaître prenait ta forme terrestre, et je te voyais divinisé en lui. À ce moment, une image étrange passa devant mes yeux : M. de Noves m'apparut blessé à mort, la poitrine ouverte, sanglante. Est-ce une vision envoyée par le Pythien ? Je me jetai à genoux, priant mon dieu. Il m'apaisa et je me relevai.

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Le ciel me parut plus bleu, et mes pensées toutes d'or. Je m'assis à l'ombre, près de la Sorgues, qui m'envoya sa fraîcheur délicieuse. Je regardai la transparence de l'eau qui se brisait en écume blanche au milieu des roches, les mousses vertes, tantôt échevelées dans les tourbillons, tantôt démêlées par le courant. La rivière, silencieuse dans la grande masse lourde de l'écluse, glissait presque immobile, puis redevenait bruyante aussitôt délivrée.

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Le chant des fauvettes, la voix de l'eau, berçaient mon rêve ; l'espérance m'était venue, et je songeais à la vie pleine de tous les bonheurs, à toutes les joies fières que nous aurions si j'étais libre.

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- À MÉLISSANDRE -

Ce que tu m'écris me rend fou ; je ne suis plus le maître de mes emportements vers toi. Je voudrais t'appartenir tout entier, t'avoir sans fin, sans trêve, sans repos, travailler, vivre à tes côtés.

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- À TIBURCE -

La nouvelle que reçoit mon père est extravagante. M. de Noves lui demande de venir l'assister dans une affaire grave. Il le supplie d'apporter à Naples, dimanche, le prix tout entier du château, des terres, de réaliser à Marseille, en deux jours, la somme de mon achat. Quel conseil donner à mon père qui hésite, lassé de toutes ces aventures ?

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Je t'ai quitté un moment, appelée par l'oncle de mon mari, son tuteur, qui arrive d'Avignon, et vient chercher mon père. Tous deux partent pour Naples. Il s'agit d'une assez vilaine affaire de jeu.

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- AU MÊME -

Quelle œuvre merveilleuse que ta Vénus Uranie ! Tu es un grand amoureux, mais tu restes un grand artiste. C'est un amour béni que celui qui assouplit le talent, affine l'esprit, en augmente les vigueurs, qui excite les nobles ambitions, ajoute des flammes au feu dont on brûle pour l'art, et double la passion du beau.

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Je mourrais plutôt que de t'amoindrir. Quelle fierté j'éprouve en t'admirant ! Je me dis que je t'ai connu célèbre et que je t'ai fait grand !

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Plus mon amour t'enchaîne, plus ton génie se dégage.

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Tu répands sur tes œuvres la moisson que tu récoltes en nous.

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- À MÉLISSANDRE -

Ta fierté de moi fait mon orgueil. Te dire à quel point, durant mon travail, ton souffle invisible, ton inspiration toujours présente, ont soutenu mes forces, animé mon courage, c'est payer le tribut de reconnaissance infinie que je dois à ton amour.

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Je ne t'ai jamais tant adorée que ces derniers jours, où j'ai voulu faire sous tes traits la Vénus céleste. Cette évocation intérieure de toi me ravissait. Sois certaine, ô ma belle déesse, qu'il ne s'est pas écoulé une seule minute où ton amant, le pinceau à la main devant ses ébauches, n'ait laissé voler son âme vers toi pour revenir fortifiée, épurée, ennoblie par la pénétration de ta pensée.

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Notre amour si jeune est puissant. Quelle valeur j'y ai puisée ! Sans toi, sans ce fluide que tu m'envoies à travers notre étroit royaume, la lassitude m'eût envahi. Toi seule as pu m'épargner l'incertitude, le découragement. Si j'ai triomphé de mes doutes d'artiste, c'est parce que je voulais conquérir ton admiration. Aussi, que de grâces j'ai à rendre à mon amante pour ses conseils, pour ses sacrifices à mon travail, qu'elle arrache et impose à son amour ! Si tu pouvais voir de tes yeux l'attendrissement qui me saisit à la réception de tes lettres, tu t'applaudirais des indulgences de ces derniers jours, et tu sentirais que ton esclave n'est jamais plus tien que lorsqu'il semble te préférer sa gloire.

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Ah ! que je t'adore, Mélissandre ! et comme je sens que j'aime la plus incomparable femme qui ait orné le monde jusqu'à nous !

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Ma dévotion à ta beauté idéale et réelle croît chaque jour.

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J'essaye en vain d'exprimer avec éloquence ce qui jaillit en moi de tendresse, de passion violente, d'adoration religieuse pour toi, ma bien-aimée. Je ne suis jamais parvenu à te dire, encore moins y parviendrai-je maintenant, à quel point mon amour dépasse ma conception. Je t'aime de toutes les forces de mon âme, de toutes les admirations de mon esprit, avec toutes les gratitudes de mon cœur et tous les désirs de mes sens.

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Pour mériter une louange de toi, un regard de tes yeux, un baiser de tes lèvres, je soulèverais le monde, je fixerais l'infini.

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Jamais femme ne fut idolâtrée comme toi. Je ne puis ajouter à mon amour que de l'amour, et encore de l'amour !

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- À TIBURCE -

Je reçois une dépêche de mon père et j'apprends la mort de M. de Noves, tué en duel. Apollon est-il dieu ? Serai-je ta femme ?

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- - - + + + + + + + + Païenne : ELTeC edition + Adam, Juliette (1836-1936) + + encoded by + Pia Geißel + + + Original data capture + Wikisource + *j*jac + Kaviraf + El Verdugo + Acélan + + + + 28266 + + COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + + Païenne + Juliette Lamber (Madame Adam) + + 2017-05-17 + + PAIENNE + Juliette Lamber (Madame Adam) + Paul Ollendirf, Éditeur, 28 Rue de Richelieu + Paris + 1883 + + + 1883 + + + +

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Païenne Juliette Lamber (Madame Adam)

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Paul Ollendorff, Paris, 1883

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À M. ALEXANDRE DUMAS FILS

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C'est à vous seul, mon cher ami, que je pouvais dédier cette Païenne.

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Elle vous déplaira parce qu'elle est une apothéose de l'amour, mais vous y trouverez un double courant mystique et sensuel qui sera pour vous, j'imagine, un curieux sujet d'observation.

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Littérairement, le livre est hardi. Dans le val fermé où Pétrarque immortalisa l'amour platonique, j'ose décrire un amour ardent, échangé, possédé.

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Si l'ombre de l'amant de Laure s'offense d'un tel sacrilège, les lieux mêmes qu'il a choisis m'invitent à le commettre.

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Vaucluse, dont les versants calcinés servent de coupe à la Sorgues aux rives plantureuses, dont la fontaine, antre consacré par les Phéniciens, abritait un dieu fécondateur, est fait pour servir de cadre à d'autres passions que la passion exclusivement idéale.

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Ce ne sont point des sonnets que je vous offre, c'est un cantique d'amour, à la fois divin et humain.

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Quoi que vous pensiez de Païenne, acceptez d'en être le parrain, et croyez à mon amitié déjà vieille.

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JULIETTE LAMBER

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+ MÉLISSANDRE DE NOVES À TIBURCE GARDANNE +

Maison de Pétrarque, île de Sorgues, à Vaucluse

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Château de Saint-Estève, octobre 2.

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Prenez garde, mon illustre ami, vous me faites la cour ! Seule ici jusqu'à demain, je vous défends toute visite. Cependant je me laisse attendrir sur un point qui touche ma vanité. Je consens, puisque, selon vous, je sais décrire mieux que vous ne savez peindre, à tracer une esquisse du gai manoir paternel. J'y mets une condition : vous m'enverrez, en retour, deux sonnets de Pétrarque illustrés.

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Payez votre compliment ce qu'il vaut, signé par vous.

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Voici mon paysage :

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« Entre les rives changeantes, sablonneuses, dévastées, de la Durance et les versants nus des Alpines, s'étend l'une des plaines les plus riches de notre Provence.

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« Oasis dans laquelle se cache le châtelet de Saint-Estève.

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« Au milieu des vastes prairies, un canal répand le limon jaune et fertile du fleuve.

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« L'eau chante plus clair, coule plus vite, devient plus légère lorsqu'elle pénètre dans nos vergers, tandis que les oiseaux gazouillent plus lourdement dans les arbres aux fruits nombreux.

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« Des platanes centenaires entourent le château et retiennent la fraîcheur qui monte des jardins arrosés. »

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+ TIBURCE GARDANNE À MADAME DE NOVES +

Maison de Pétrarque.

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Je ne suis point changeant comme la Durance, pourtant mon cœur est dévasté ! Pas un rameau ne me prête son ombre ; ce qui chante en moi ne trouve point de fruits qui le nourrissent. Dans ma course à travers une existence aride, je ne rencontrerai jamais une oasis...

+

Vous avez ordonné, madame, à votre serviteur, d'illustrer pour vous des sonnets de Pétrarque et de vous les envoyer. Ils sont là. Ai-je réussi à traduire les révoltes douloureuses, les langueurs molles, la désespérance attendrie de mon Maître en la souffrance d'aimer ?

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J'ai dessiné avec émotion les traits de Laure ; me pardonnerez-vous leur ressemblance ?

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Voici les deux strophes des sonnets que j'ai choisis :

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« Quelle nymphe à la fontaine, quelle déesse au bois déroule une tresse d'or si fin, et quelle mortelle possède les vertus assemblées dans son âme ? »

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Et puis :

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« Ne sait point comme amour guérit et tue, qui ne sait comme doucement Laure soupire, comme doucement elle parle et doucement elle rit. »

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+ MÉLISSANDRE À GARDANNE +

Je n'ai, seigneur peintre, ni le caractère, ni les sentiments de l'amante de Pétrarque, et je ne dois pas en rappeler le visage.

+

Si j'aimais ! Certes, je n'irais pas jusqu'à dire, comme monsieur de Noves, mon noble époux, étrange petit-neveu de Laure : « L'amour est un plaisir qu'il faut varier sans cesse », mais je voudrais que dès sa naissance il fût un bonheur, et je ne l'admettrais pas désolé comme celui de Pétrarque, lequel, « soir et matin, jour et nuit, fait répandre des larmes ». Si j'aimais, moi, j'aimerais à aimer ! Fût-il sans échange, l'amour est déjà une richesse que les privilégiés seuls possèdent. Aimer ! vivre de la grande vie païenne de la nature, c'est fleurir avec les fleurs, chanter avec les oiseaux, sourdre avec les sources, voir tout d'or dans le soleil, croire qu'on a son étoile !

+

Monsieur mon triste amoureux, je désire un troisième dessin de vous et vous en offre le sujet :

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« Sans eau la mer, sans clarté le ciel, se verront plutôt que moi sans ma plainte d'amour, que mal je cache. »

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Remplacez par votre visage le visage de Pétrarque (comme le mien remplace celui de Laure), faites exprimer à votre physionomie les sentiments nébuleux du « Maître en la souffrance d'aimer ». Je vous décrirai mélancoliquement à mon tour un coucher de soleil.

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+ GARDANNE À MADAME DE NOVES +

Malgré ce qu'il recèle d'ironie, j'accepte l'échange avec gratitude, comme tout ce qui me vient de vous, cruelle. Si je mets des larmes dans les yeux de l'amant de Laure, c'est que je n'y puis mettre une espérance. J'attends le coucher de soleil. M'autorisez-vous à le traduire en tableau, à le peindre, et à vous l'offrir, s'il est digne de la description ?

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+ MADAME DE NOVES À GARDANNE +

« Je regardais, sur la route de Cabane, la silhouette brisée des Alpines, me demandant si l'artiste, créateur vieilli, avait tremblé en faisant ce dessin, ou si le temps, de ses dents ébréchées, avait rongé les lignes pures.

+

« Sombre, avec ses bases puissantes, la montagne noire s'élevait dans le ciel à mesure que le soleil descendait.

+

« Mes yeux fixent l'astre à son déclin, et je le vois répandre sa lumière, soit en flèches, soit en globules. Les flèches dansent, retenues autour de la face brillante, mais les globules semblent tomber de ses lèvres.

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« Signes divins, ces globules forment des caractères enchevêtrés, qu'Apollon n'a point encore appris à lire aux hommes nouveaux, et que seule, peut-être, depuis les âges sacrés de la Grèce antique, je commence à déchiffrer.

+

« La nappe d'azur du ciel s'émiette, poudroie, les cyprès s'entourent d'une buée d'ombre et se gonflent. Le Luberon blanchit, les Alpines se teintent lentement de violet.

+

« Peu à peu, le soleil ramasse ses clartés et sa chaleur, puis, brusquement, il les rejette par delà l'horizon ; des feux s'allument au-dessous de l'astre et renvoient d'en bas leurs flammes au ciel.

+

« Le dôme de la grande allée de platanes est rutilant sous la pourpre, le faîte des peupliers se dore ; des nuages se forment ; ils boivent une dernière fois à la coupe de lumière, ils sont lie de vin.

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« Le soir tombe. Les oliviers s'argentent. Les nuages se dissipent en flocons d'un gris tourterelle, des crinières dorées apparaissent une dernière fois au sommet des Alpines.

+

« Bientôt la nuit froide pleure le jour brûlant disparu. »

+
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+ GARDANNE À MADAME DE NOVES +

Madame, un mot de votre précédente lettre a failli me rendre fou. Il me donne l'espoir insensé d'une aurore nouvelle dans « la nuit froide où je pleure le jour brûlant disparu. »

+

Si j'aimais ! dites-vous. Si vous aimiez, madame ! Vous pouvez donc aimer ? Quelqu'un peut donc avoir l'audace de vous répéter : « Je vous aime ! »

+

Oui, madame, je vous aime et vous aimerai de votre amour, maintenant que vous me l'avez révélé. Vous riez des amoureux tristes, vous ne rirez plus de moi. Vous êtes celle que j'ai follement cherchée à travers les autres femmes. Si j'ai osé vous parler de l'amour de Pétrarque pour Laure, c'est qu'au milieu de mes aventures je n'avais sauvegardé que ma passion de l'idéal, et que celle-là seule me paraissait digne de vous. Mais vous êtes assez noble pour tout purifier d'un regard. N'êtes-vous pas la beauté divine, la poésie ? Vous qui donnez une âme à toutes les formes, à toutes les choses, donnez la vie à mon adoration !

+

Ô païenne, ce n'est point l'amour mystique, subtilisé, ni le sentiment quintessencié, éthéré, ni la passion abstraite, affinée par cent générations littéraires, qu'il faut vous peindre et dont un adorateur doit vous faire hommage ; c'est l'amour divinement humain, puisé aux sources de la simple et grande nature. Mais je ne sais rien de celui-là, madame, parlez-m'en. Voyez ce qu'un seul mot a transformé ou plutôt renversé d'idées en moi. Dites qui vous êtes : femme ou nymphe ? On ne connaît rien de vous autour de vous.

+

Permettez que je vous aime. Laissez-moi vous dire un dernier chant de Pétrarque. Celui-là ne pleure pas :

+ + Non prego già, ne puote aver più loco, + Che misuratamente il mio cor arda ; + Ma che sua parte abbia costei del foco. + +
+
+ MADAME DE NOVES À GARDANNE +

Qui je suis ? Personne encore ne m'avait posé cette question. Me l'étais-je seulement posée à moi-même ? Non. Qui je suis ? Je suis païenne. Voilà ce qui me distingue des autres femmes. Pourquoi suis-je païenne ? Je veux bien, mon grand ami, le chercher avec vous.

+

Je remonte le cours d'une existence dont la préoccupation unique, longtemps inconsciente, a été de se garer des sentiments ayant cours, des idées toutes faites, des opinions classées par catégories, des jugements dont il faut épuiser la série logique, dès qu'on en accepte un seul.

+

Vous connaissez mon père. Il a été le compagnon de plaisir du vôtre. Jusqu'à mon mariage, à seize ans, j'ai vécu seule à Saint-Estève, avec ma gouvernante grecque, recevant les visites de mon père, du vôtre, d'une douzaine de leurs amis communs venant tour à tour pêcher ou chasser, s'amuser, selon leur expression marseillaise, et que je ne voyais guère, tenant, disaient-ils, à ne se point gêner pour une fillette.

+

Les paradoxes de mon père, sa violence contre toute idée religieuse, son athéisme agressif m'avaient, dès l'enfance, révoltée Je comprends aujourd'hui son intolérance. De telles opinions si farouches ne lui étaient pas venues sans cause et sans épreuves.

+

Il adorait ma mère, belle entre les femmes ; il avait la passion du bonheur. Ma mère détestait les joies de la vie, préférant la béatitude à l'amour. Malgré la tendresse d'un mari, ou plutôt d'un amant, elle se jeta pour ainsi dire dans la mort, égarée par une pieuse folie, attirée par le vertige de l'immortalité de l'âme.

+

J'avais trois ans à la mort de ma mère. Je ne revis pas mon père durant une année. Il voyageait, cherchant l'oubli qu'il trouva dans le plaisir.

+

En son absence, on essaya de me distraire avec des jouets sans cesse nouveaux qu'il m'envoyait. Lorsqu'il revint, je lui demandai la seule chose qui m'eût manqué, des livres. Il me les refusa, défendit longtemps qu'on m'en donnât. J'appris à lire, au hasard, toute seule.

+

« Il ne faut savoir que ce que l'on voit, sentir que ce que l'on ressent, répétait mon père ; au moins, avec cela, on n'a pas d'exaltation religieuse. Les livres entretiennent l'erreur dans les esprits ; comme l'eau prise à sa source est plus pure, l'idée prise sur le fait est plus claire. »

+

Les seules leçons que reçut mon enfance furent celles qui devaient me garantir de toute notion religieuse, mon père s'imaginant que les croyances ne viennent qu'à ceux à qui elles sont enseignées. Cela est vrai peut-être pour bien des gens. Il arriva pour moi qu'on me mit en présence de la nature, du seul maître qui pût avoir une influence définitive sur mon esprit, et dont on me laissa lire le livre grand ouvert.

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+ GARDANNE À MADAME DE NOVES +

Contez, contez, madame. Dites-moi quels chemins vous avez parcourus, pour que je vous y retrouve.

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La nature ! Je n'ai jamais vu en elle, jusqu'à vos lettres, jusqu'à vous, que ce qu'un peintre y voit d'ordinaire : rien que des images, des formes. A-t-elle une personnalité ? Se révèle-t-elle à qui la scrute ? Se donne-t-elle à qui la cherche ? Est-elle mystérieuse ou simple ? Peut-elle répondre si on l'interroge, guider si on la consulte ? Ses forces doivent-elles être quelquefois rebelles ou toujours associées à l'homme ? Sont-elles tantôt résistantes et tantôt favorables à son action ? Peut-on indifféremment les dompter ou se les rendre bienfaisantes ? Faut-il vivre dans la nature, sans cesse, ou parfois s'en abstraire pour grandir humainement ? Ce que vos dieux vous ont enseigné, mon amie, enseignez-le moi.

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+ MADAME DE NOVES À GARDANNE +

Vous réclamez une confession ; la voici :

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Je voulus connaître le secret des choses, seule, puisqu'on refusait de me transmettre les connaissances amassées par les hommes ; sans guide, sans direction, je cherchai. Tout enfant, de si loin que je me souvienne, je quittais ma chambre lorsque ma gouvernante reposait, je descendais au jardin et je regardais sous les étoiles, sous la lune, ce qui se passait durant la nuit.

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Je me couchais dans la prairie, pour que la rosée m'habillât de perles comme les herbes et les fleurs. J'appris à grimper dans les platanes, pour dormir perchée comme les oiseaux. J'essayais de surprendre le peintre qui, du soir au matin, colore de rouge les fraises, qui met un duvet sur les pêches, brunit les prunes, fait luire les pommes, noircit ou blanchit le raisin, dore les abricots.

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Je ne savais rien, mais je n'avais rien à désapprendre. L'intelligence, fruit mûri dans la culture de ceux qui nous ont précédés et dans l'atmosphère de ceux qui nous entourent, est souvent, par le sophisme ou par des jugements relatifs, en contradiction avec le vrai éternel.

+

Mon esprit se formait d'après nature. Les notions de mon savoir, quoique restreintes, prenaient dans ma pensée leur place définitive, à leur rang, selon mes aptitudes personnelles. Mes connaissances se groupèrent par l'attraction de mes facultés. J'échappais aux méthodes, aux classifications faites pour le grand nombre, et qui faussent, qui détournent de soi-même un esprit original.

+

Toute leçon me venait de la chose vivante elle-même, et non à travers des observations recueillies par d'autres.

+

Je me rappelle que, montant beaucoup à cheval, je galopais sans cesse dans la plaine, regardant chaque objet en détail, n'osant pas escalader la montagne, convaincue que j'étais trop jeune, trop ignorante, pour voir des ensembles, et me promettant, comme récompense suprême, de gravir les hauteurs, de m'élever !

+

Ma personne extérieure et mon être intime grandissaient dans des exercices communs. Nul ne me poussait à une croissance hâtive et je me développais sûrement. Ma jeunesse, je la vivais en moi, par moi, sans être tenue de la vivre dans la jeunesse de cent races, dans les erreurs, les caducités de cent sociétés mortes de vieillesse.

+

Mes idées étaient simples. Elles gravitaient sans effort dans les voies supérieures où l'on rencontre les dieux. Je ne voyais pas seulement avec les yeux, mais avec tout mon être. Il y a dans l'homme moderne des lumières éteintes, des sens atrophiés. Je pénétrai le secret des lois d'échanges avec la nature et mêlai mon individualité au grand tout.

+

Ce qui frappa le plus mon imagination fut le soleil. Il me parut l'expression la plus sensible du divin, celle qui prépare le mieux la germination de l'idée religieuse dans l'homme.

+

Je me grisai en respirant la flamme de l'astre immortel, j'en recherchais les embrassements ; je crus trouver un être semblable à moi, plus brûlant, que je coiffais de rayons, que je personnifiais, dont je partageais les habitudes, me levant, me couchant à ses heures, amoureuse de sa face étincelante, désespérée de ses disparitions comme de l'absence d'un être adoré. Le soleil fut ma première passion, mon premier culte.

+

Les grandes formes des montagnes, je les animalisais, je leur trouvais des figures mystérieuses. Quand je courais à leur pied, je m'imaginais les entraîner avec moi dans des courses vertigineuses, au galop de mon cheval. Les arbres m'accompagnaient en longue file ou par troupe, je me sentais emportée par le mouvement de toute la terre sous le regard de toutes les étoiles. Ah ! les belles chevauchées que celles faites avec la nature entière !

+

Je parvins à entendre croître l'herbe, se former la fleur, grossir le fruit. Je chantais le langage des oiseaux. Dans leur marche, les astres me visitaient, venaient à ma rencontre : j'étais nuage au vent, terre à la pluie, roche au soleil, poisson dans l'eau.

+

Je parlais à tout, même au silence, même aux pierres, et tout me parlait. Comme le berger avec son troupeau, le chasseur avec son chien, le laboureur avec ses chevaux, je comprenais l'esprit des bêtes. Je découvrais les affinités divines, humaines, naturelles, de toute chose, de toute force, de toute vie, et je goûtais le bonheur d'un accord parfait de l'être avec son milieu.

+

Les paysans étaient mes amis et me comprenaient, surtout les vieux, parce qu'ils savent, comme je savais, ce que disent les nuées, ce que demande la terre, ce que regardent les étoiles, ce que cherche la lune, ce que donne le soleil.

+
+
+ À MADAME DE NOVES +

Votre bon génie me dégage du fatras de mes connaissances inutiles. Je ne veux plus rien comprendre qu'à travers vos initiations, à travers vous. Tout ce que la nature vous a répondu, je l'ai demandé à l'art, qui souvent est resté muet, et voilà que l'art même s'éclaire à mes yeux par vos révélations. Mélissandre, jusqu'à vous je ne voyais, dans le vivant, que des natures mortes. Je vous bénis de répandre sur moi la lumière. Je vous aime ! Je serai ce qu'il vous plaira que je sois dans votre vie : frère, esclave, adorateur. Tout s'accorde en mon esprit pour vous admirer. Revenez à Vaucluse : le val fermé est vide sans vous.

+

Je regarde ce qui m'entoure, puisque regarder c'est lire dans le même livre que vous ; j'écoute, puisque écouter c'est entendre vos voix ; mais, seul, je sais à peine balbutier les mots, les sons de votre langue. Revenez !

+

Ce soir, je suis allé au château, ayant appris que M. de Noves était rentré de Marseille. Votre noble époux, comme vous dites, m'a traité en camarade, ce que je ne subis que par affection pour vous ; il m'a fait ces vilaines confidences de libertin qu'il ose faire devant vous, trouvant cela « grand seigneur », et auxquelles vous répondez avec un joli sourire : « Vous êtes le plus corrompu des hommes. »

+

Moi aussi, madame, j'ai été un corrompu, mais je ne vous connaissais pas, je n'avais pas eu la fortune de contempler votre beauté, de découvrir la grandeur incomparable de votre esprit, d'adorer la bonté de votre cœur. N'avais-je pas le droit de mépriser les faux semblants de l'amour qu'on m'offrait, de dédaigner comme inférieures les femmes qui ne sont pas Mélissandre ?

+

Permettez que je vous écrive ce que vous lirez dans mes yeux, ce que je ne cesse de vous dire en pensée... Je vous aime !

+

Il me reste quatre jours encore sans vous voir. Mon impatience devient de l'angoisse. Ai-je peur de vous retrouver dans ce grand calme superbe, dans cette sérénité olympienne que je prenais pour de la hauteur, pour de l'insensibilité, et qui ne sont que la dignité d'une âme incomprise ?

+

Je ne me consolerai de cette longue attente que si vous daignez m'envoyer encore l'un de ces paysages qui me font faire à vos côtés une inoubliable promenade.

+

Vous trouverez à la maison de Pétrarque, quand vous daignerez honorer mon atelier de votre visite, vos descriptions si achevées devenues esquisses.

+
+
+ MADAME DE NOVES À GARDANNE +

Voici ma dernière lettre, et je vais vous la faire bien longue, mon grand ami, car il me plaît de vous écrire, comme il me plaira de vous revoir.

+

Je commence par le tableau de ma promenade d'hier, puisque vous désirez l'avoir faite avec moi :

+

« Au milieu de la plaine, sur le grand fleuve qui roule ses eaux lourdes, est suspendu le pont de Cavaillon. Il ressemble, avec ses cordages, au pont d'un immense navire à voiles.

+

« Les flancs ravagés du Luberon étalent des entrailles d'or. Les hauteurs de ses collines prennent les aspects rugueux de la peau des mastodontes. L'un des sommets a la forme d'un monstre. Il semble nager sur les vagues de la terre, s'abaisser pour se relever dans le roulis des mouvements du globe, tandis que les nuages floconneux, posés sur le monstre, l'entourent d'écume soulevée.

+

« Plus près, la colline de Saint-Jacques, toute nue, s'enveloppe amoureusement de ciel d'un bleu pâle.

+

« Dans les îles formées par la Durance, et que recouvrent des galets roulés, de grands roseaux se vêtissent de soleil, de lumière et de gloire.

+

« Je quitte le fleuve et je reviens à Saint-Estève. Au seuil des maisons de paysan, la vigne se soulève sur des ceps allongés, grimpe, se déploie pour former un abri contre la chaleur. Tantôt la vigne est vierge : elle a le sang aux feuilles comme les jeunes filles l'ont aux joues, car le fruit seul règle le cours normal des sèves. Tantôt la vigne a les feuilles vertes et le raisin noir, où le sang s'est amassé dans le jus des grappes.

+

« Les insectes bourdonnent, les mouches luisent et traversent, en se jouant, les rayons de soleil. Je suis assise au bord d'un ruisseau, entourée de fleurs : des luzernes rougeâtres, des chardons violacés, des pissenlits dont la couleur d'or enrichit la vulgarité, de la menthe et des scabieuses lilas, des pâquerettes blanches et roses, une sorte de muguet qui s'accroche aux tiges fleuries et les orne de beaux colliers de perles noires.

+

« Octobre a déjà teinté de rouge la graine de l'aubépine, les clématites ont leur beau plumet de duvet, les mûriers sauvages offrent au passant des fruits parfumés. Sous les ronces se cachent de fines giroflées. Aux fusains pendillent, à travers les feuilles pourprées, des bijoux de corail en forme de trèfle.

+

« Perchée dans un arbre, une fille chante. Elle cueille les feuilles d'un mûrier pour la pâture des moutons. Grimpé dans un peuplier, cueillant aussi des feuilles, chante un garçon. Tour à tour ils unissent leurs voix, ou s'interrogent ou se répondent en des couplets monotones tirés d'une complainte.

+

« Deux pâtres sur la route, vêtus de blouses bleues, écoutent et répètent le refrain de la triste chanson, tandis que leurs chèvres blondes, blanches et noires, se suspendent aux ronces des talus.

+

« Les paysans sont répandus ici et là. L'homme au travail des champs a l'allure grave, les mouvements nobles. Le laboureur, tandis que son cheval s'agite sous les mouches, se tient droit dans le sillon. Il dirige et maintient son socle sur la terre qu'il creuse, qu'il retourne et qui se laisse mordre en silence. »

+

Déjà tout pose dans mon esprit. Je ne vois plus que la forme des choses, et leur âme m'échappe. Je ne regarde plus le dehors à travers moi seule.

+

Mon affection pour vous grandit chaque jour. J'espère que votre tendresse humaine ne me fera pas oublier mes dieux. Il me fallait un ami, il vous fallait une initiatrice. En pénétrant le sens de la nature, vous rencontrerez comme moi le surnaturel. Sous le soleil de Provence, tous les chemins mènent à l'infini.

+

Autant le divin est repoussé dans les villes par l'agitation et le scepticisme, autant il s'offre et vient au-devant de nous dans nos campagnes silencieuses. Les courants des dieux à l'homme et de l'homme aux dieux ne se rencontrent qu'en pleine lumière.

+

Vous me demandiez, à l'une de nos premières conversations, comment il se faisait que j'eusse choisi, pour les adorer, les dieux païens.

+

J'ai su par hasard, et par ma gouvernante, le grec moderne, et les seuls livres que mon père n'ait point songé à me faire enlever, n'imaginant pas que je pusse un jour y lire, c'est l'Iliade et l'Odyssée. Mon premier culte avait été le Soleil. Je découvris Phébus parmi les dieux homériques, et il m'initia au culte des autres dieux. Toute forme définie du divin devait me trouver prête à l'adorer, mais surtout celle vers qui mon être, développé en pleine nature, s'élançait plus librement.

+

J'invoque les dieux païens sans exaltation, je les adore sans sacrifier en moi ce que je crois avoir reçu d'eux. Ils m'assistent et m'apparaissent sans miracle. Plus je les conçois parfaits, plus ils se font parfaits pour moi.

+

Le divin, qui crée l'infini des formes, peut s'incarner à son gré dans la forme que les hommes lui prêtent. Toute religion est agréable aux dieux.

+

Ce qu'ils veulent, c'est la prière, encens de l'âme, fumée des sacrifices de l'être intérieur, ambroisie dont ils se nourrissent.

+
+
+ À MÉLISSANDRE +

Ô ma belle païenne, je prierai vos dieux. Mon âme ardente brûlera pour votre culte et pour leur culte tout son encens, elle s'enflammera de tous ses feux. J'obtiendrai d'Apollon qu'il me révèle l'incantation mystérieuse qui livre à l'amour des hommes l'amour des nymphes et des déesses. Mélissandre, je vous aime ! Mon adoration va vers vous tout entière. Pourquoi faut-il que je la traduise par des mots ? Si la pensée pure pouvait s'exprimer, être comprise, sans l'aide épaisse et lourde de l'écriture ou de la parole, si vous consentiez à percevoir ce que je sens, quel langage divin vous entendriez, ô divine !

+
+
+ À LA MÊME +

Au château de Noves.

+

J'ai reçu de vos yeux, hier, mon amie, l'un de ces regards qui lient autant qu'ils illuminent, et j'ai cru deviner que vous pouviez m'aimer.

+

Je vous ai quittée à la hâte, craignant de réclamer trop vite une espérance qui m'eût rendu fou de bonheur.

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J'irai vous revoir aujourd'hui pour vous dire que je peux être aussi intimement uni à vous que votre pensée l'est à votre esprit, sans troubler par un désir votre noble existence.

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+ À TIBURCE +

Ai-je écouté Apollon en personne ? Êtes-vous l'inspirateur des chants de mon âme ? Jamais je n'ai entendu en moi ce que j'entends. L'amour est-il si harmonieux ? Est-il la révélation complète du divin ? Les vers de Shakespeare, les paroles de Roméo, dits par vous, ont enfanté dans mon cerveau mille visions poétiques et l'ont fait merveilleusement délirer. Où suis-je ? En quel monde irréel m'avez-vous transportée ? Je vous aime depuis quelques heures, et déjà vous avez pris possession de ma pensée. Vous ne me quittez plus. Vous m'êtes présent si je me reporte en moi dans le passé le plus lointain, et vous m'apparaissez dans l'avenir le plus obscur. Tout me paraît plus grand, plus haut, plus profond dans la nature, plus divin dans le divin.

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+ À MÉLISSANDRE +

Je n'ai jamais rêvé plus délicieusement que cette nuit, tant j'avais amassé d'images riantes et empli mon être de bonheur, de tendresse et d'espérance. Je vous dois la plus violente et la plus noble émotion de ma vie, et j'imagine que mon amour sera fait d'autant de gratitude que d'enivrement.

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+ À TIBURCE +

Une tristesse inexplicable, douloureuse, m'envahit. Sans votre tendresse, la vie maintenant me paraîtrait cruelle à vivre. Si je pouvais appuyer ma tête sur votre épaule et longuement m'y reposer, les larmes que je répands seraient de douces larmes.

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+ À MÉLISSANDRE +

C'est bien la même âme qui anime nos deux corps et les pousse à l'indissoluble union. Je suis encore tout ébloui des clartés et des langueurs de vos yeux. Je voudrais être auprès de vous et m'assurer que votre cœur s'est calmé, rasséréné. Que lui faut-il ? La sécurité dans le bonheur, la paisible et délicate intimité de deux natures sœurs ? Mélissandre, ces joies, nous les possédons. Nous avons tous deux, sous la main, les plus beaux fruits de la vie à cueillir. Qu'exigent vos dieux en échange de tels dons ? Une large confiance en chacun de nous, le mépris du danger, l'ardeur de vivre. Vous m'avez dit ce soir que l'amour diminuait en vous la passion de la nature, et que la mort vous attire. N'allez pas comme votre mère, ma bien-aimée, préférer l'extase au réel, épargnez mon affection craintive encore.

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J'apporterai le bonheur, je le veux, dans une existence qui l'a trop attendu. J'ai cet orgueil de croire que je le puis.

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+ À LA MÊME +

Jamais mon âme n'a enlacé la vôtre comme ce soir. Ce n'est plus de l'attrait, comme au début de notre amour, c'est de la pénétration, l'embrassement infini et conscient de nos deux êtres. Pourquoi, Mélissandre, vous qui dédaignez les amours de Pétrarque et de Laure, n'être que platoniquement à moi ? L'amour dans l'absolu, c'est-à-dire par l'âme seule, a quelque chose du vide de l'irréel. Pour le bien concevoir, pour éprouver l'amour dans toute son ardeur, dans toute sa soif, dans tout son infini, pour en avoir la conscience et la possession vraie, il faut qu'il s'appuie à l'appui même que vos dieux, Mélissandre, ont donné à l'âme, à l'enveloppe physique. Ce n'est qu'unie au corps que l'âme peut goûter dans ses voluptés célestes tout ce que l'amour a de grand, de beau, d'immortel.

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+ À TIBURCE +

Sans doute, la nature exige que l'âme s'unisse au corps, mais voyez aussi, mon bien-aimé, combien la vie de l'âme en soi peut apporter à l'être humain, divinisé un instant, de bonheur céleste !

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N'ai-je pas trouvé aujourd'hui la vie propre de ma pensée, ce qu'on appelle le hors de soi, et ce qui n'est au contraire que le moi détaché de ses entraves humaines ? N'avez-vous pas vu mon être intime émergeant pour ainsi dire au-dessus de la nature, comme j'ai vu votre être intime dégagé de ses liens terrestres ? Ne nous sommes-nous point apparus dans nos éléments divins ?

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Comment exprimer ce que nous avons ressenti, ce qui nous a été révélé ? Nous avons éprouvé le tressaillement des antres sacrés, nous avons reçu l'initiation antique des mortels qui avaient pénétré dans les entrailles de la terre, vu les âmes vêtues seulement de l'ombre des corps ; nous avons traversé les cercles où l'on quitte la vie pour se réveiller dans la mort. Rappelons-nous cette heure suprême et fixons-la dans notre souvenir, pour en offrir, durant toute notre vie, la reconnaissance aux dieux.

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Nous marchions vers la source de Vaucluse. L'eau des cascades de la fontaine s'était retirée subitement depuis la veille, le grand lac verdâtre était vide ; l'antre blanchi, lavé, avec sa voûte énorme, prenait l'aspect d'un temple, s'ouvrait dans toute sa profondeur pour nous attirer... Ma main dans la vôtre, j'eus à tel point le vertige des profondeurs, que je me penchai sur l'abîme. Votre main quitta la mienne et je crus éprouver la sensation de la chute ; mais bientôt, enlacée par votre bras, serrée contre votre poitrine, votre souffle brûlant mon visage, enlevée par vous, je descendis.

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La pierre des roches émiettée, roulée, polie par l'eau, descendait avec nous vers le trou béant. Le sol marchait ; une terreur sacrée nous envahit. Votre bouche effleura la mienne, et je reçus de vos lèvres, tout à coup devenues froides, un premier baiser.

+

Nous prononçâmes la même parole : « Mourir ! »

+

J'eus alors la vision religieuse et païenne du grand être terrestre avec son œil unique. Dans la source, ronde, verte, luisante, au fond de la grotte immense, le regard de l'eau nous regardait. Je fermai les yeux pour ne plus subir la fascination, et je m'évanouis.

+

Ma pensée se détacha de mon corps, attira la vôtre, et toutes deux voltigèrent sur l'abîme. Pensée, âme, ombre, je n'avais plus rien de corporel, et cependant je me voyais et je vous voyais. Un allégement divin me ravissait. Apollon resplendissant m'appelait à lui au milieu des cercles de lumière.

+

Je m'éveillai dans vos bras, la tête penchée sur votre épaule, votre bouche appuyée sur mon front, répétant mon nom. Vous étiez pâle comme les voûtes de la grotte. À mi-chemin de l'abîme vous aviez heurté contre une roche moins arrondie que les autres, vous vous y étiez accroché, vous aviez pu gagner le petit sanctuaire où nous étions sauvés tous deux.

+

Le grand arceau de la grotte s'arrondissait sur nos têtes en un dessin admirable. Ses parois marmoréennes, incrustées par l'eau, étaient éblouissantes de richesse. Il semblait un palais féerique, sorti de terre pour fêter quelque noce divine.

+

Mon amour ne me parut plus le même, et je ne m'étonnai pas, après cette échappée de la vie, de vous entendre me répéter : « Nous sommes unis pour jamais, et tu me dois ton amour sans réserve. » Une puissance terrestre, faite d'épouvante comme toutes les initiations, nous avait unis.

+

Je vous jure d'être à vous quand mon âme, remise d'une si terrible émotion, sera un peu rassérénée. Elle aussi veut se donner.

+

Pétrarque et Laure n'étaient point descendus au fond du gouffre où nous sommes descendus. Ils buvaient l'amour de Vaucluse dans la poussière des cascades, ils l'ont miré dans les reflets irisés de l'eau courante ; ils n'ont vu le temple qu'à travers le rideau de verdure qui tremble sur la source remplie. L'antre sacré, qui attire la vie pour l'engloutir, ne les a point attirés ; mais non plus Cybèle, qui arrache à Saturne les couples amoureux initiés, ne les a point dotés de tous les désirs terrestres, ni préparés à la jouissance de toutes les joies.

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+ À MÉLISSANDRE +

Je suis trop enivré pour traduire les ineffables sensations que j'ai emportées de cette heure divine. J'ai goûté profondément, ce soir, la joie de pénétrer une noble nature et d'en être moi-même pénétré.

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Tout d'ailleurs, autour de nous, ajoutait à la majesté de l'incantation. Cette lumière ambrée que nous versait la lune, en nous donnant l'apparence des ombres, semblait ouvrir devant nous les perspectives mêmes des champs Élyséens. Je murmure tout bas l'hymne d'amour, et c'est sous le regard d'Éros, dieu de la vie, que je mets mon cœur à vos pieds.

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+ À TIBURCE +

Après vous avoir écouté de longues heures parler de ce qui me charme ou m'émeut ou me passionne, dans la nature et dans l'art, après avoir savouré toutes les joies de l'esprit que le vôtre jetait en moi avec profusion, j'ai pleuré comme une enfant ; pourquoi ? Parce que je n'avais pu, un seul instant, boire l'amour à vos lèvres.

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Ce matin, je suis redevenue forte, heureuse, et ma gratitude se répand sur toutes les choses qui ne sont point un obstacle à mon bonheur. Je viens à vous en pensée, prenez-moi et gardez-moi.

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+ À MÉLISSANDRE +

Si vous avez juré de m'enivrer, de m'éblouir, ô divine, jouissez de votre triomphe, je suis ravi, extasié. Je rêve encore les yeux ouverts, les lèvres tremblantes ; je me rappelle au fond du cœur les paroles définitives : « J'aime, je suis aimé ; » je sens bien que nous nous sommes mis deux pour forger un amour d'un impénétrable airain.

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Je me jette dans cet amour tête baissée, sans réserve ni mesure, et je remercie ma bien-aimée des tendresses infinies qu'elle excelle à verser dans mon cœur.

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Je tiens à prolonger et à nuancer cette délicieuse préface d'un livre que nous écrirons toute notre vie, sans l'achever jamais.

+

Mélissandre, à demain. Je vais dormir, c'est-à-dire rêver de vous, à vous, en vous, toujours. Quand vous lirez ces lignes, le réveil sera venu. Je vous prie de vous lever, de vous placer devant votre grand miroir et d'envoyer à l'image de votre beauté tous les baisers que je lui adresse.

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+ À TIBURCE +

Vous m'avez, dans notre dernière conversation, parlé chimie d'amour, quand vous n'auriez dû me parler que de l'art d'aimer. Vous m'avez tenu un langage que vous avez tenu cent fois à d'autres femmes. Vous m'avez déplu. Je hais les raisonnements déjà employés et, par conséquent, vulgaires.

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Il serait indigne de notre amour d'y laisser pénétrer un doute sur vous ou sur moi. Depuis longtemps je me suis reprise à M. de Noves. Ses infidélités m'ont faite libre. Je ne me crois pas adultère, mon amour ne me paraît point coupable. Il est consacré par sa hauteur morale. Prenez garde de le juger avec votre expérience des femmes ordinaires, dont les réserves, les résistances sont des précautions prises pour un détachement futur.

+

Vous ai-je marchandé le don fier et osé de moi-même ? Si les dieux que j'adore m'ont jetée dans vos bras, c'est pour que je vous élève jusqu'à eux, et non pour que vous m'abaissiez en confondant nos amours divines avec vos amours passées trop humaines.

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+ À MÉLISSANDRE +

Pardon, ma bien-aimée, le baiser de votre mari vous avait souillée à mes yeux. Les réflexions brutales de votre père m'ont exaspéré. Je n'ai senti que mes révoltes et n'ai point songé à votre souffrance. Avec des sacrilèges, moi-même j'ai été sacrilège ; pardon ! Je suis à vos genoux, implorant une grâce que je saurai mériter et obtenir.

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+ À LA MÊME +

Sois bénie, Mélissandre, pour les saines et salutaires émotions que tu me donnes. Je croyais avoir, dans ma coupable existence d'aventures, épuisé les surprises, non du sentiment de l'amour, mais de ses premières impressions...

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Il me semble retrouver la virginité de mes sensations printanières, avec la saveur que l'expérience de la vie y ajoute en plus.

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C'est une renaissance, et il n'en pouvait être autrement, puisque je puise dans ta pensée pour y alimenter la source de la mienne. Je t'ai toujours connue, toujours aimée, j'ai toujours été toi, à toi et en toi. Je n'ai garde de mettre à ce délicieux échange de tendresse une restriction, une timidité. Je me laisse attirer, absorber. Il me semble que, prédestinés l'un à l'autre, nous nous sommes simplement rejoints et retrouvés, au milieu des accidents, des banalités, des plaisirs mêmes de ma vie, et à travers les songes de la tienne.

+

Tu dois, comme moi, penser que nos cœurs se sont échangés parce qu'ils étaient formés pour être l'un à l'autre. Désormais, ils se possèdent sans même nous prévenir, sans que, peut-être, tu y consentes aussi entièrement.

+

Je te porte en moi et ne te rendrai jamais plus.

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+ À LA MÊME +

J'allais errant depuis trois jours, triste et seul comme une âme en grande peine, retournant aux lieux où ton amour me fut par toi révélé, cherchant le moment favorable de reparaître sous le feu de tes beaux yeux. Je suis venu, j'ai vu, j'ai vécu.

+

Quelle place, Mélissandre, tu as prise dans ce cœur ! Il est bien à toi, sans rival que l'art. Et encore la nature dans sa magnificence, tes dieux dans leur générosité, ont fait pour toi et pour moi ce prodige de te créer tellement belle, que je ne peux voir désormais l'idéal humain, la forme féminine, que sous tes traits, avec ton incomparable grâce et ton délicieux visage.

+

Rien dès lors ne me paraît plus cruel que de ne pouvoir t'adorer, te prier à la face du monde, te dresser des autels, m'enorgueillir devant tous de la piété que j'ai vouée à mon idole.

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J'attends, avec des rayons plein la tête, l'heure si lente à venir où je pourrai verser mon âme à tes pieds, te couvrir de caresses.

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Je fais les projets les plus fous, je trace les combinaisons les plus savantes et je trompe mes impatiences et mes ardeurs dans ces calculs impuissants.

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J'ai besoin de ta divine présence pour retrouver un peu de calme d'esprit. Loin de toi, je commence à ne plus rien valoir. Tu es devenue à ce point nécessaire à mon existence que je me sens diminué de moitié quand je ne te possède pas.

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+ À TIBURCE +

Ce n'était pas un rêve, c'était le réel goûté, bu jusqu'à l'ivresse. Une lumière radieuse m'illumine, m'enveloppe. Je marche dans l'éblouissement. Si tu veux reproduire nos deux visages dans notre extase d'hier, comme tu l'as tout à l'heure essayé, il faut tremper tes pinceaux dans l'or du soleil. Je te revois tout brillant, tout enflammé de nos feux. Je possède le bonheur sans limites, l'infini du bonheur. La vie ne peut ajouter à mes joies, ni la mort me les reprendre.

+
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+ À MÉLISSANDRE +

Je suis encore tout frémissant, mon cœur bat à rompre dans ma poitrine, et j'ai peine à contenir le mouvement de mon sang dans tout mon être. Je n'ai jamais plus cruellement ressenti l'impuissance de peindre mes sensations. Je voudrais les exprimer toutes à la fois, pour bien rendre l'orage d'amour qui s'est déchaîné au fond de mon âme, dans ces heures délicieuses.

+

Toi seule, en écoutant les voix intimes de ton cœur, peux suppléer à mon insuffisance et à cet indigne bégayement.

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J'ai, grâce à toi, gravi, touché les sommets de la passion, je refuse d'en descendre pour retomber dans la vie réelle.

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Tu as donc reçu un secret jusque-là inconnu, que ta seule volonté ait suffi pour m'ouvrir une vie nouvelle, tout un étincelant domaine de joie, d'ivresse, d'extase ! Je te suis désormais attaché comme l'esprit à la chair, et, si tu voulais te reprendre, tu mourrais comme meurt le corps que l'âme abandonne.

+

Je ressens comme un cruel besoin de t'absorber ou de m'abîmer en toi. Ce qui domine en ce moment les sensations terribles et confuses qui m'assiègent, c'est comme un violent appétit de mourir dans tes bras, si je ne désirais survivre pour t'aimer davantage.

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+
+ À TIBURCE +

J'ai voulu te verser tant de joie folle que tu n'aurais pas le temps de la boire. L'amusant jeu d'amour ! Sous un dôme de lierre, à l'ombre des pins, l'un de mes dieux y présidait. Tu essayais de saisir au vol mes baisers qui t'échappaient dans un éclat de rire, et ta lèvre demeurait ouverte, semblable à celle du Tantale de mes fables.

+

Et quelle victoire ! Sans rien saisir, tu t'es grisé !

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+ À ELLE +

Mon adorée, tu es bien telle que je te désire, aimante et joyeuse. Comme tes lèvres sont faites pour l'amour et le rire ! En lisant ton billet, je voyais à chaque mot les perles de ta bouche provocante. Je cueillais en imagination ces baisers que tu m'as volés. Je me faisais assez d'illusion pour croire qu'ils m'étaient rendus, et j'en avais le cœur ravi.

+

J'ai donc cette faveur suprême, en mon amour que je croyais à son plein de joie, de posséder une femme qui, à la beauté merveilleuse, à toutes les qualités de l'esprit, à toute la noblesse du cœur, à tant de trésors si rarement assemblés, est assez magicienne pour ajouter le rire, la gaieté, c'est-à-dire le don divin qui a fait en tout temps les héroïnes et les maîtresses incomparables.

+

Je suis gâté par la fortune et, si je n'avais la certitude de te voir, je craindrais d'être le jouet d'une hallucination.

+

Tu ne peux imaginer comme chaque jour, au réveil, je trouve mon amour grandi, exalté. Qui donc disait que la possession arrête le développement de la passion ? Piètre et froid amoureux ! J'y ai puisé de nouvelles ardeurs, j'en tremble d'émotion, et, si j'étais à tes pieds, mon front te brûlerait les mains.

+
+
+ À LA MÊME +

Un orage violent a tout à coup éclaté dans notre ciel pur. La secousse a été d'autant plus forte qu'elle agitait une atmosphère plus calme.

+

De quel droit celui qui vous trompe, Mélissandre, avec tant d'impertinente élégance, qui se bat pour des filles, qui les entretient et les affiche, qui se fait en riant l'apôtre des mauvaises mœurs, qui place l'infidélité (répète-t-il à chaque instant devant vous) à la tête des vertus conjugales, de quel droit M. de Noves vous défend-il un sentiment qu'il croit être seulement de l'amitié ? Je n'accepte pas pour vous cette tyrannie et je veux... Pardon, Mélissandre, ne t'irrite pas de mon emportement.

+

Tu me l'as dit avec ta grandeur d'âme, il ne faut nous laisser envahir ni par la tristesse, ni par la haine. Restons confiants dans la destinée, la fortune est pour nous. Je veux me répéter sans cesse tes fières et douces paroles : « Ne songeons, dans l'épreuve, qu'à nos joies, et, quelque tempête qui se déchaîne, rappelons-nous que notre bonheur est fixé. »

+
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+ À TIBURCE GARDANNE +

Après tout ce courage déployé, j'éprouve un attendrissement inexplicable. Les larmes coulent de mes yeux comme si elles y étaient amassées. Je pleure, et cependant j'ai l'esprit fortifié par sa victoire sur un esprit faible. Non seulement, ai-je dit à M. de Noves, je me permettrai d'aimer Tiburce Gardanne de tendre amitié, mais je l'aimerai d'amour quand il me plaira. Je vous ai laissé libre de disposer de vous, et ne vous ai jamais, quoi que ma dignité en ait souffert, adressé un seul reproche ; je veux être libre à mon tour de distraire l'existence isolée que vous m'avez faite, par les soins, fussent-ils amoureux, d'un artiste illustre et d'un galant homme. Si vous voyez l'honneur de votre nom en danger par moi, reprenez-le. Celui de mon père est d'aussi bonne noblesse, et les titres de ma mère m'appartiennent. Réfléchissez jusqu'à demain et décidez en « grand seigneur ». Je suis assez « grande dame » pour tout comprendre.

+

Il m'a priée sur l'heure de lui épargner un scandale et d'oublier son équipée.

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« Gardanne, a-t-il ajouté, est d'ailleurs un homme avec qui l'on peut se battre et qu'on peut tuer à l'occasion. » Je me suis contentée de répondre : « Vous auriez dû penser à cela plus tôt. »

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+ AU MÊME +

Soit que je porte vers les dieux mes actions de grâce, soit que ma pensée revienne à toi, je vous bénis tour à tour.

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Autrefois, dans les échappées de mon imagination, en rêvant de héros et d'amants, j'avais cru prévoir jusqu'où peut conduire l'amour ; mais les cercles de la félicité où tu m'entraînes, je ne les avais pas entrevus.

+

Il me semble, par instants, que nous arrêtons l'infini au passage plus sûrement que Josué n'arrêta le soleil.

+

Mon être tout entier, dans un mouvement soudain que je n'essaye pas de maîtriser, se précipite vers toi.

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+ À MÉLISSANDRE +

Je vais te voir, je vais boire la lumière dans tes regards, respirer le parfum de ton haleine, m'emplir le souvenir des traits de ton adorable visage, entendre les notes argentines de ta voix, causer ta causerie de longues heures.

+

Et qu'est-ce que ces doux plaisirs auprès de l'ivresse que je goûterai demain ? Mon adorée, je suis tout songeur. Je te tends les bras mille fois en un jour. Je ne me croyais pas si envahi par ta volonté amoureuse. J'ai toutes les ardeurs, et comment n'en serait-il pas ainsi, ô charmeuse ? N'est-ce pas la vie, l'éclat, l'attrait, qui sortent de toi comme des chaînes d'or, qui m'enveloppent, et dont je sens avec délices le poids ineffable sur tout mon être ? Aime ton amant captif qui demeure à tes pieds.

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+ À LA MÊME +

Divine compagne, quel délicieux voyage ! De quelle terre promise, et trop rapidement traversée, revenons-nous ? J'ai la certitude d'avoir pénétré dans un monde nouveau, inexploré.

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Nous avons retrouvé l'île de Délos, remontée tout exprès des fonds de la mer de l'histoire pour nous servir d'asile et de sanctuaire. Ah ! le doux mystère de tendresse idéale qu'on m'a révélé ! j'en ai le cœur parfumé. Je bénis la déesse qui s'est humanisée pour moi.

+

Tu es vraiment divine, Mélissandre. Je sens au fond de mon âme (car, depuis que je t'aime, j'en vois nettement le fond) tous les sentiments réunis dans le même amour. Je ne veux pas les séparer. Je tiens à t'aimer de toutes les manières, sous tous les modes, depuis l'affection de l'ami jusqu'à la tendresse de l'enfant, la piété fraternelle, la passion de l'amant, la gratitude du blessé guéri, jusqu'à l'adoration religieuse et enthousiaste de l'artiste pour l'harmonieuse beauté.

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+ À TIBURCE +

C'est avec une inexprimable émotion que je retrouve en mon souvenir les exquises jouissances rapportées de cette entrevue. Il ne se mêle à tant de félicité parfaite que la désespérance de ne pouvoir traduire l'hymne d'amour reconnaissant que chante mon cœur. Si je parvenais à lui arracher ce qu'il dit tout bas dans la langue mystérieuse de l'extase, et te l'écrire, je posséderais le bonheur absolu.

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Les mots me manquent ; toute parole me paraît de glace. J'éprouve le besoin d'effacer aussitôt ce que j'écris, tant je le trouve banal et mesquin. Écoute et prête l'oreille à la voix du dedans.

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Je renonce à t'aimer en langage humain.

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+ À MÉLISSANDRE +

J'avais fait bien des rêves, caressé bien des ambitions, désiré bien des plaisirs, jamais mon imagination n'était allée ni si haut ni si loin que la réalité présente. Ah ! comme je t'attendais ! Je n'avais rencontré jusqu'à toi que le mensonge, le sentiment artificiel ou les satisfactions grossières des sens, ou la fugitive volupté des rencontres sans lendemain. Je t'aime et je trouve réunis, par la main de tes dieux que je confesse en t'aimant, la beauté admirable, la grâce charmante, la poésie, la vaillance du cœur, la passion vraie, et mon bonheur se fait de tous ces dons, de toutes ces fortunes.

+

Je sens avec un tremblement religieux que le divin à travers toi me protège, je tombe à tes genoux et je couvre de larmes de joie tes belles mains.

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+ À LA MÊME +

Mon amante adorée, Je ne t'ai pas aperçue ce matin, et je suis triste. Heureusement, il me reste aux lèvres un rayon de miel, un peu d'ambroisie, qui me permettent d'attendre jusqu'à ce soir. J'aurai la joie de te revoir et d'exprimer silencieusement, avec l'éloquence des yeux, l'amour qui embrase chaque jour davantage tout mon être.

+

J'interroge souvent le passé, je cherche les indices du feu qui couvait sous la cendre d'amours indignes de m'avoir enflammé. Il devient manifeste, et je m'enorgueillis de cette conviction, que, dès la première heure où je t'ai aperçue, mon âme est allée à la tienne comme une exilée qui rentre dans sa patrie idéale. J'habite en toi aujourd'hui, je t'appartiens pleinement. Il n'y a pas jusqu'à la souffrance intérieure que me causent nos séparations, qui n'aiguillonne en moi la passion de te retrouver.

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Je ne me figure pas sans orgueil que dans la suite des annales humaines on n'ait jamais rencontré deux natures plus faites pour s'unir, se compléter l'une l'autre, s'ennoblir par le contact, s'agrandir et s'épurer par leur intime communion. Je t'aime comme on aime le résumé de toutes les grâces, de toutes les beautés morales et plastiques, et je me sens devenir, à cette possession, plus conscient de ma valeur d'artiste, plus fier de ma nature d'homme.

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+ À TIBURCE +

J'ai des accès de lyrisme auxquels je résiste mal, et je conserve, en m'y abandonnant, la crainte de redire, avec des expressions déjà dites, un amour qui se meut dans les hauteurs inaccessibles des êtres, infranchies, indécouvertes jusqu'à nous.

+

Cependant je veux te chanter mon amour, il faut que j'en note les rythmes, que j'en réentende les harmonies. Un mot apaise mon exaltation loin de toi, il se murmure à mon oreille, je le vois s'échapper de tes lèvres, je le balbutie et je le crie tour à tour :

+

« J'aime ! »

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J'admire en toi ton génie, et cette étrange beauté de l'homme, si inquiétante pour la femme. Tes yeux bleus profonds et sombres, je les aime, quoiqu'ils aient, à certains moments, les lueurs dantesques de ceux qui ont vu les cercles infernaux du mal et pourraient y rentrer. Ami, parfois j'ai la terreur de ton passé, et elle me donne un vague effroi de l'avenir.

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+ AU MÊME +

Nous avons fait, ce matin, mon père et moi, une très belle promenade à cheval. Malgré nous, la conversation prit une allure tendre. Je ne sais à quel propos mon père s'est laissé hanter par de vieux souvenirs : « Ta mère avait ton élégance, m'a-t-il dit brusquement, elle était fière et silencieuse comme toi. Tu lui ressembles chaque jour davantage. Tes yeux, l'expression de ta bouche, ta physionomie, ont changé depuis quelques semaines. Je te sens livrée au rêve intérieur, je devine en toi une exaltation contenue ; quelque joie mystérieuse te possède. Je ne puis exiger tes confidences ; tu n'as pas voulu que je fusse un camarade, et je n'ai pas su être père.

+

« J'ai mal choisi ton mari. Ses compagnons de plaisir, qui sont les miens, le blâment de te délaisser, toi si merveilleusement douée de tant de grâce, de tant de beauté. Nous nous demandons comment il se fait que de Noves ne soit pas amoureux de toi. »

+

Je me suis écriée en riant :

+

« Les dieux me préservent de son adoration !

+

— Moi, reprit mon père, si j'ai cherché à m'étourdir, si j'ai mené l'existence que je mène, c'était pour oublier la morte, celle qui, vivante, m'avait chassé de son cœur.

+

— M. de Noves est aussi excusable que vous, mon père, car je l'ai chassé de ma pensée.

+

— Tu ne t'es détachée de lui que parce qu'il t'a publiquement trompée, et pour qui ? Pour je ne sais quelle créature de bas étage, la maîtresse de cent peintres, un modèle lancé par Gardanne !

+

Et, comme je ne répondais pas :

+

« Mélissandre, ajouta-t-il, crois-tu donc pouvoir te passer toujours de l'affection ou de ses semblants ? Prends garde au premier sentiment que tu éprouveras ! Il deviendra vite passion.

+

Et si tu t'égarais alors, si, n'aimant pas ton mari, aimant peu ton père, parce qu'ils sont ce que tu appelles des corrompus, tu n'aimais encore qu'un viveur ?... »

+

Nous entrâmes dans une avenue où l'on ne pouvait marcher à deux. Je laissai mon père derrière moi. Il ne vit pas la rougeur me monter au front, ni les larmes tomber de mes yeux. Je ne veux pas vous dire ce que j'ai souffert de cette conversation. Il faut que je l'oublie.

+

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

+

Imaginez une avenue faite de cyprès et de saules. Les cyprès aux flancs arrondis, parsemés de pommes roussies et rugueuses, s'avancent dans l'allée et mordent sur l'horizon. Leurs masses épaisses, protectrices et lourdes, servent de barrière au mistral.

+

De l'autre côté de l'avenue, les saules, pénétrés par la lumière, détachés sur le bleu, courbés, flexibles, étendent leurs branches allongées ou traînantes ; leurs feuilles si fines, d'un vert pâle, tremblent au plus léger souffle de la brise.

+

Sur les saules, des oiseaux voltigent sans se poser, tandis que, dans les cyprès touffus, la troupe entière d'alentour habite, crie, chante, s'agite, au milieu des arbres paisibles.

+

Si j'étais pinson, ou rouge-gorge, ou chardonneret, ou fauvette, moi aussi je préférerais les cyprès aux saules. Il ne faut pas que la branche où l'on pose ses amours ploie trop aisément ; mieux vaut la sûreté que la souplesse.

+
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+ À MÉLISSANDRE +

Je vous ai en vain attendue dans l'allée des cyprès et des saules. Je sentais que vous ne viendriez pas, que vous ne pouviez venir, malgré vos promesses. Je vous avais vue trop souffrante hier, et cependant je m'obstinais à rester, à fouiller du regard l'étendue.

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À chaque silhouette lointaine j'espérais, à chaque déception je songeais avec amertume que vous étiez sur votre lit de douleur, et que vous songiez tristement à l'ami qui vous attendait sans espoir.

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Mélissandre, comme je vous aime ! et quel chemin cet amour a fait en quelques semaines dans mon cœur ! Il lance de tous côtés ses racines, et le passé, si je puis me souvenir que j'ai vécu sans vous aimer, est bien complètement étouffé par lui.

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+ À TIBURCE +

Je souffre. Est-ce le mal qui m'accable ? Est-ce une angoisse précédant l'épreuve ? Mon amour était-il une vision d'un jour ? Le songe que j'ai fait, je veux le refaire, ou mourir.

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+ À MÉLISSANDRE +

Guérissez, ma bien-aimée, sans quoi je maudis la nature assez cruelle pour nous séparer, quand elle devrait opérer tous les miracles pour nous réunir, car elle n'a jamais formé deux êtres plus sûrement destinés par elle-même l'un à l'autre.

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+ À TIBURCE +

Ne maudissez pas ! Invoquez le guérisseur, Apollon, dieu bienfaisant. Qu'il me délivre de la douleur. Je suis enfermée, je ne puis le voir. Vous qui le voyez, priez !

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+ À MÉLISSANDRE +

La longue séparation ! Je compte les heures. En dépit des tristes émotions qui m'assiègent, je vois toujours flotter devant mes yeux ton adorable image. Grâce à elle, je conserve un peu de force. Seule la certitude de pouvoir compenser les ennuis de notre éloignement par ma tendresse me soutient. Quel arriéré d'amour tu me devras ! Je sens grandir loin de toi ma passion. Mon cœur devient trop étroit pour la contenir, et je sens que, si elle ne se mêle pas à chaque instant à la tienne, sa violence me brisera. Conviens, Mélissandre, que le mystère de notre union a ses cruautés, puisqu'il m'est interdit d'aller m'asseoir à ton chevet, quand tu souffres.

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Ne t'irrite pas de ma plainte ; je sais quel est ton désir : j'y répondrai avec soumission, ma bien-aimée. Je te dirai même, si tu l'exiges, que la privation de ta vue augmente ma ferveur, car c'est de la piété que je t'ai vouée, comme aux divinités absentes.

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+ À TIBURCE +

Jamais je n'ai senti une pareille impossibilité de me reprendre à la santé. Quoi ! ce bonheur surhumain se briserait parce qu'avant de te connaître j'ai manqué de foi dans ta venue, et que, dédaigneuse de la vie, j'ai pris plaisir à la laisser s'amoindrir en moi ! Maintenant, ma volonté n'a plus la puissance de retremper mes forces. Pourquoi, en mes jours sombres, n'ai-je pas eu la révélation de mes jours lumineux ?

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Je voudrais ne t'apporter que le bonheur, la sérénité, et voilà que je t'accable de soucis et de plaintes. Tu m'accusais de ne pas détester ce qui nous sépare, de me soumettre au joug du sort avec trop de résignation. Triomphe, mon bien-aimé. Je me désespère. Je voudrais briser les liens qui m'enchaînent. Je souffre des obstacles qui te tiennent éloigné de moi, plus que de ma souffrance même.

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+ À MÉLISSANDRE +

Ma bien-aimée. Je suis orgueilleux d'avoir ramené un peu de calme et d'apaisement dans ton cerveau, et rien n'est mieux fait pour augmenter ma tendresse que ces preuves d'influence sur ton esprit. Je me dis tout bas que ton cœur seul est moralement malade, que je suis cause de sa souffrance, et que, si j'étais le maître, je te rendrais en peu de temps la plus vaillante et la plus fière des héroïnes.

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Je vais essayer tantôt de mon pouvoir magnétique ; en dépit des obstacles, je pénétrerai jusqu'à toi, et il suffira que je te regarde pour enlacer ton âme. Alors, écoute ce que je te dirai. C'est mon être tout entier que j'épancherai en ton être. Je suis sûr que tu comprendras aussi bien ce langage muet que les paroles brûlantes de ma passion. Je vis en toi.

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+ À TIBURCE +

Je doute encore si je n'ai pas rêvé, tant je me sens étrangère aux conditions habituelles de la vie.

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T'aimer silencieusement au milieu des jaloux, te sentir vivre, te voir penser à coté de moi, répondre à chacune de tes interrogations les plus intimes, provoquer la même sensation au même instant, causer sans mot dire avec la voix des esprits, et prolonger cet amoureux dialogue sans trouble, sans autre sentiment que celui qui anime les dieux de l'Olympe dans la sereine tranquillité de leur ciel : quel miracle ! Et tu le fais, rien que par ta présence et ta volonté.

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J'ai réellement possédé le bonheur des Immortels. J'ai vu l'amour se dépouiller, s'épurer, devenir religion, culte et prière. Pour la première fois, j'ai éprouvé les délices de l'adoration intérieure.

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+ À MÉLISSANDRE +

Il est donc vrai que l'idée de perdre l'amour de sa bien-aimée centuple la passion et le bonheur de la ressaisir et de la retrouver ? Je sentais mon cœur se fondre de reconnaissance, de tendresse et d'enivrement. Je mesurais l'étendue même de ma félicité à la profondeur des angoisses qui m'avaient précédemment agité. Je te serrais à t'étouffer pour me convaincre que tu étais revenue et que je t'avais reconquise.

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La figure brillante du soleil se glissait entre nous deux pour bénir notre réunion. Tu l'avais donc sur toi, ce beau et brillant Apollon, qu'il s'est échappé de ta tunique et mis à tes pieds, où il est resté chaud et lumineux pendant ton idéale visite ?

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C'était bien sa figure qui se gravait sous nos yeux en médaille d'or. La merveilleuse apparition prenait pour nous un caractère religieux. Jamais je n'oublierai cette présence réelle dans notre sanctuaire. Quels dévots ont mieux vu que nous le visage de leur Dieu ?

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+ À LA MÊME +

Si je n'étais que peintre, à ce moment de l'œuvre de mon amour, je voudrais terminer le tableau, n'y plus rien ajouter. Après ce que nous avons découvert en nous, après ta dernière lettre, rien de nouveau, rien de mieux, rien de plus, ne peut nous être révélé. J'ai comme un éblouissement perpétuel, et il me semble que j'ai voyagé avec toi dans les espaces célestes.

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Je t'adore ! il faudrait te le répéter cent fois de suite, avec l'accent que je mets dans ce seul mot, pour rendre toute l'intensité de passion, d'amour, d'ardeur, de sentiment profond, qu'il renferme pour toi.

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Je t'évoque dans ma pensée, et quand je t'ai là, avec tes yeux qui laissent échapper ton âme, avec tes lèvres où elle vient se jouer, avec ta tête idéale où je la vois se mouvoir et faire ces gestes ineffables et gracieux qui se traduisent en paroles et en sourires, alors je deviens immobile, comme pétrifié, et je sens mon âme doucement, lentement, s'échapper de moi, se précipiter vers la tienne et l'étreindre sous ses baisers.

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+ À TIBURCE +

Bonjour, ami tendre. Éveillez-vous et souriez à qui vous appelle aux joies matinales, à qui vient, par un court billet, vous remercier du gai bonheur que vous lui avez rendu, des joies que vous répandez sur chacun de ses jours.

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Je ne vous visite que par lettre, et cependant vous tressaillez de plaisir. Vous m'aimez donc autant que je vous aime ? J'avais cru la chose impossible.

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+ À MÉLISSANDRE +

Quel délicieux réveil ! Je déroule cette bandelette sacrée. J'y respire le parfum qu'y a laissé ta main. J'entends, à travers ma lecture, les douces paroles, écho de cette musique intérieure et divine qui porte du cœur au cœur l'harmonie des accords parfaits. Quelles extases et quelles déceptions tout ensemble !

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Quand viendras-tu, Laure, dans la maison de Pétrarque ? C'est, depuis quelques jours, un immense désir de te voir seule. Je fais et défais mille projets plus bizarres les uns que les autres. Je ne trouve rien de sensé, rien de réalisable pour t'attirer plus souvent. Mon amour est si haut, qu'il me semble au-dessus des conditions humaines. Alors ses droits ne sont-ils pas des droits divins ?

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+ À TIBURCE +

Je viendrai, t'apportant mon âme faible encore et cherchant sa force en toi, comme mon corps languissant cherche la santé dans les rayons du soleil. Tous deux ne me brûlez pas. Je suis à peine convalescente. Mon angoisse a été si grande ! J'ai cru perdre en un instant ma confiance dans l'amour, dans la lumière. Des ombres épaisses se sont répandues sur ma vie, et il m'a semblé que je franchissais les cercles de la mort. Il vaudrait mieux n'avoir jamais aimé que d'aimer avec crainte.

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Je t'en conjure, ne rentre en mon cœur que si tu es certain d'y rentrer triomphant à jamais. Mes regards jetés sur ton passé y ont rencontré la terreur de t'y voir ramené un jour. Interroge-toi ; et si quelque fugitif, quelque lointain désir d'y retourner t'effleure, arrête tes pas dans la voie d'un bonheur qui me conduirait à l'abîme, ne me redemande pas à moi-même, car je ne sais que me donner tout entière et à toujours.

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Ne m'as-tu pas écrit : « Si je n'étais que peintre, à ce moment du tableau de notre amour, il faudrait l'achever, le terminer ? » Peut-être le devons-nous. Vouloir ne plus s'aimer, en plein amour, est plus noble, plus fier, vaut mieux, que cesser un jour de s'aimer. Le sacrifice héroïque m'effrayerait moins que la lente souffrance d'un sentiment qui s'use.

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Lorsque nous nous serons tous deux redonnés l'un à l'autre, j'ai peur de te lire, de t'écrire, de trouver nos accents plus faibles, l'expression de notre passion amoindrie.

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+ À MÉLISSANDRE +

J'ai soulevé le voile d'Isis, j'ai ressenti les délicieuses terreurs de l'amour infini. Pour la seconde fois, j'ai entrevu le sanctuaire de la nature. Je suis vainqueur et vaincu tout à la fois.

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J'ai atteint aux limites de l'émotion. Il m'en reste un tressaillement surhumain. Je me sens grandi de vingt coudées, je suis l'égal des plus grands de notre race, l'amour maître et fécondateur des choses est en moi, et mon être tout entier s'est transporté en ton être. Mon cœur s'est fondu à la chaleur de cette communion, de cet échange divin. L'avenir peut-il me révéler rien d'autre ? Je ne sais, tant les surprises d'un amour qui croît également au milieu des inquiétudes et des joies sont imprévues.

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En ce moment, je répète l'hymne de l'initiation à une vie supérieure. Je t'aime sans mesure, sans limites, sans retour, sans fin. Je redis le Cantique des cantiques.

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Ô ma belle païenne, que tu es belle, comme tu domines la nature entière, et quelle lumière tu répands sur tout ce qui me touche, m'émeut, m'environne !

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Je voudrais vivre à tes pieds, mon esprit déborde d'admiration. J'ai épuisé la coupe du bonheur, remplis-la de nouveau ; je ne puis supporter la vie si tu ne me verses chaque jour le divin breuvage. Je t'envoie toute mon âme dans un baiser, avec l'inextinguible désir de te retrouver sans cesse sous mon regard.

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+ À TIBURCE +

Idéal, idéal ! tu t'es fait chair et verbe pour moi. Tout ce qui a travaillé, pensé, grandi dans le cerveau de l'homme ; tout ce qui s'est attendri, humanisé, divinisé dans le temps et l'histoire, se résume en mon bien-aimé, et il est à moi.

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Mes rêves les plus romanesques, les plus brillamment inspirés par tous les amants passionnés de tous les âges, mes ambitions les plus hardies se réalisent.

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Quelles parentés innombrables, quelle généalogie orgueilleuse, quelles hérédités sacrées des grandes amoureuses ajoutent leurs puissances à la puissance de mes joies ! Il me semble que tous ceux qui ont aimé depuis qu'on aime revivent en nous, dans notre passion. Et quelle fortune de venir les derniers !

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Les aventures que tu as courues jusqu'à moi, dont j'étais si jalouse hier encore, je les accepte, parce qu'elles t'ont façonné tel que te voici. Je veux que ce que tu as semé de toi dans ta vie, tu le récoltes en moi. Que tes joies passées se surajoutent aux joies présentes !

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+ À MÉLISSANDRE +

Je te revois accoudée, alanguie, avec tes beaux bras de marbre lumineux dans la nuit. Je respire ce parfum qui s'élève de toi comme l'encens d'une cassolette sacrée. Je vois luire tes yeux dans l'ombre, à quelques pieds au-dessus de la cascade qui chante pour nous seuls.

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Quand je me retrouve, il me semble que je jouis de l'amour d'une Sémiramis revenue pour moi sur cette terre, et je m'abandonne à tous les rêves de volupté qui ont agité les cervelles des hommes depuis la grande magicienne des légendes assyriennes.

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Je veux goûter ce plaisir, comme tu l'as goûté toi-même en évoquant les amours passées ; il est le plus ineffable que puisse trouver mon cœur : t'aimer comme un résumé brillant et passionné des grandes héroïnes qui ont laissé leur sillage diamanté dans l'histoire. Je puise, en cette idée dominante de mes sensations, je ne sais quelle tranquillité, quelle béatitude, pour ma passion ; je sens mieux ainsi que tu ne pouvais appartenir à nul autre qu'à moi, car nul ne t'eût si bien comprise, et comprendre est nécessaire pour bien posséder.

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Mais les délices intimes de cette soirée n'étaient pas terminées, j'avais hâte de rentrer chez moi, de me recueillir et d'y savourer en jaloux la lettre parfumée que tu m'avais remise.

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Saintes, joyeuses et vivifiantes paroles ! je les ai couvertes de baisers et de larmes pour la santé, la force morale que tu suscites en mon être.

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Je te dois le succès dont les journaux m'apportent chaque jour l'écho grandissant. Ce n'est pas mon art qu'on admire, c'est ton inspiration. N'ai-je pas mis dans la nature, mon adorée païenne, cette âme que toi seule m'as fait comprendre, m'as révélée ? Mes succès t'appartiennent, je te les dois, je te les veux imposer.

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Ne pense pas, ne dis jamais, cruelle, que notre amour n'est qu'un éclair brillant, une flamme trop brûlante pour ne pas s'éteindre. Cet amour est la trame même de nos existences. Rien ne détachera deux âmes soudées par les dieux, et si l'une se brise, ses éclats briseront l'autre.

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Je t'adore comme ma force dont tu es devenue la source. Disparaître en toi serait la dernière aspiration de ma nature, mais être séparé de toi, je te tuerais plutôt que d'y consentir.

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Mélissandre, je ne désire la gloire que pour honorer mon amour, et je ne puis avoir désormais un plaisir d'orgueil sans t'y associer. La célébrité, quelle qu'elle soit, ne m'éloignera pas de ma bien-aimée. Loin d'elle le monde se vide, et moi-même je ne suis plus rien qu'un atome desséché, impuissant au commerce des choses.

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C'est donc par besoin vital que je me presse sur tes lèvres, que je suis tien, que je m'incarne en toi, que je puise ma personnalité dans tes bras.

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Je vais bientôt te dévorer des yeux, te dire, sans te parler, tout ce qui remue de tendresse en mon âme. Quel adorable supplice !

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+ À TIBURCE +

Je pleure de joie en retrouvant dans ma pensée, et jusque dans les fibres de mon être, les émotions inexprimables de la soirée d'hier. Je n'ai jamais été plus envahie que durant ces trop rapides heures, à deux doigts de tes lèvres, brûlée du feu de tes regards.

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Sois béni pour tant de bonheur !

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Je me dis avant de te voir : « Aujourd'hui, je regretterai la félicité dernière. » Quand je te vois, le présent est tel que le passé disparaît, s'efface, comme si le lever du soleil succédait instantanément à son coucher.

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Parfois je crois marcher dans une sorte d'apothéose ; l'amour, porté à cette puissance, fait vivre de la vie supérieure des héros et des dieux.

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+ À MÉLISSANDRE +

Le néant lui-même n'entamera plus notre union ; nous pouvons mourir, nous emporterons l'orgueil de n'avoir connu de rivaux ni d'égaux. J'ai réellement senti palpiter ton souffle dans le mien.

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Désormais la forte parole biblique est réalisée par la chair et l'esprit : « Tu es l'âme de mon âme, la pensée de ma pensée, le sang de mon sang, les os de mes os. » Je t'ai recréée et tu m'as recréé.

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+ À TIBURCE +

Je savais bien hier que nous courions un danger ; à peine étais-tu sorti que mon père est entré. Je t'aime plus que la paix de mon existence : je l'ai prouvé. Je ne regrette pas ce baiser, puisque tu le désirais et que je ne peux plus goûter d'autres joies que les tiennes.

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Tu étais d'ailleurs irrésistible. Rien n'est comparable à ta verve, à ta grâce dans une intimité tendre. Je ne sais ce que je préfère de ces heures si douces, ou de nos heures de passion.

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C'est un plaisir charmant de notre amour que ce jeu de nos esprits. Leurs traits s'échangent, se confondent, jetés par la bouche de l'un de nous ou lancés en même temps. Où donc est notre façon personnelle de penser ? Te souviens-tu de nos premières discussions ? Tout ce qui ne se prête pas aux échanges, aux fusions avec toi, me paraît étranger à mon intelligence.

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+ À MÉLISSANDRE +

J'ai pénétré seul dans ce salon devenu l'un des sanctuaires de mon religieux amour.

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Tu ne devais rentrer, me dit-on, que dans une heure.

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J'ai pris ta place, j'ai appuyé lentement mon bras sur ta table, et j'ai attendu. Alors j'ai senti la fin de cette transformation intérieure commencée depuis notre premier baiser. Je me suis trouvé tout autre. Je pensais en toi. J'avais perdu le sentiment de mon sexe et je jouissais délicieusement de cette transformation de tout mon être. Quelle merveille que l'amour ainsi éprouvé !

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On n'est plus amant, on devient la personne aimée elle-même.

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N'est-ce pas le vrai mystère analogue à ce qui arrive dans les vieilles légendes de l'Inde où le prêtre, à force d'amour, se confond, par la puissance de la prière intérieure, avec la divinité qu'il sert ?

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Mélissandre, c'est sur ton propre autel que je viens t'adorer.

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+ À TIBURCE +

Je vis dans l'enivrante fumée de toi, dans ton atmosphère, comme dans un nuage d'assomption. La terre me paraît une petite boule qu'à chaque instant je repousse du pied, pour m'élancer dans l'infini.

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Nous avons dépassé hier les sommets de l'Olympe. À quelle altitude vertigineuse sommes-nous parvenus ? Nul n'a visité ces hauteurs avant nous. J'ai le vertige. Le bonheur absolu m'apparaît.

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+ À MÉLISSANDRE +

Mes pensées t'accompagnent sans cesse, mon esprit est identifié à ton esprit, il est assimilé par toi, perdu en toi.

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Je préfère le mot hymen, pour peindre notre union, à celui d'amour. Les dieux terrestres, que nous sommes allés invoquer pour la seconde fois dans leur antre, ont chanté notre hyménée.

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Rappelle-toi la mélodie de la source qui montait.

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Je revois le rideau de verdure, le ciel brillant à travers, les mille étincelles, les mille flammes, les rayons d'Apollon éclairant les nervures des feuilles, la fraîcheur de l'eau, la chaleur de l'air, et ces grands rochers vêtus de longue mousse veloutée, cheveux des naïades que l'eau tarie ne caresse plus en ce moment, mais qu'elle dénouera demain.

+

Après ton départ, je suis revenu. J'ai marché où tu avais marché, je me suis assis où tu t'étais assise, penché sur la pierre où tu appuyais ton adorable tête. Alors, j'ai fermé les yeux, j'ai réentendu ta voix harmonieuse, et les vibrations de ta parole claire ont résonné de nouveau dans un cœur qui t'idolâtre.

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J'ai dit à la fontaine combien mon amour était supérieur à celui de Pétrarque, puisqu'il se double de celui de Laure.

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+ À TIBURCE +

As-tu remarqué, au milieu des similitudes de nos caractères, une dissemblance ?

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Lorsque nous sommes seuls, c'est toi, tout d'abord, qui chantes l'hymne d'amour. Je t'écoute en silence, ne trouvant rien à répondre. Je suis émue, fiévreuse. Si l'heure de te quitter approche, me voilà prise d'un irrésistible besoin d'expansion, quand toi-même tu te tais et t'absorbes dans un recueillement attendri.

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Hier, pour la première fois, au moment de te dire adieu, je me sentais auprès de toi comme absente ; je n'ai pu, en revanche, croire à ta présence réelle, loin de toi, comme tu me dis croire à la mienne. J'ai appelé le miracle, et il n'est pas venu.

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Que de mystères à découvrir pour éprouver en face l'un de l'autre la joie du souvenir, pour ne s'attrister d'aucune séparation, pour tout mêler de ce qu'on retrouve et de ce qu'on avait emporté !...

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Je désire comprendre l'incompréhensible, réaliser l'irréalisable, fixer le temps. Je veux connaître l'inconnu, réduire l'infini en une part d'amour.

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Ces mots à peine écrits, j'en ai peur, comme si les dieux jaloux devaient m'en punir.

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+ À MÉLISSANDRE +

Les dieux sont avec nous ! Je ne consens plus à reprendre mes esprits ; je rêve et je m'abandonne à mon ivresse. Jamais je n'ai été à la fois porté si haut sur tes ailes divines et jeté au plus profond de la passion humaine.

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Après chaque moment de nos heures d'amour disparues, je m'écrie, pour persuader à ma pensée la vérité de mes sensations : « Je viens de vivre, j'ai vécu ! »

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Mélissandre, Éros te doit toutes les couronnes. Je les dépose à tes pieds, ô déesse. Ce n'est point blasphémer que de nous dire les égaux des immortels.

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Ne crains pas. Les dieux eux-mêmes, après nous avoir dotés de telles félicités, ne peuvent nous les reprendre.

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+ À TIBURCE +

J'essaye en vain de le cacher ! Mon amour, plus ardent que jamais, est malheureux, torturé. Quelle pensée méchante a traversé l'esprit de M. de Noves ? Pourquoi laisser venir ou amener à Vaucluse cette maîtresse qu'il prétend vous avoir enlevée je ne sais où, à Marseille ou à Paris ?

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Mon ami, je souffre. Ce passé vague, que je ne percevais qu'en vous, qui ne m'apparaissait que sous votre figure, je l'ai vu tout à coup se dresser, élégant, hardi, avec cette beauté malsaine et capiteuse dont un homme autrefois grisé doit ressentir les troubles.

+

Ces liaisons libres, audacieuses, qui se rappellent d'un mot ; ces femmes qui tutoient en public, pour qui les anciens amants et les nouveaux se classent sous une rubrique uniforme, je ne les avais point devinées aussi provocantes, je ne les avais pas vues séduisantes de toutes les grâces parisiennes. Il y a là un genre, un milieu, un monde inconnu qui m'inquiète, qui m'irrite, et contre lequel un insurmontable dégoût m'empêcherait de lutter.

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Une larme a glissé sur ma lettre. Elle me fait rougir de moi. J'essaye de me consoler, je ne le puis. Mon âme connaît l'angoisse mêlée au dédain.

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+ À MÉLISSANDRE +

Mon adorée, je t'aime ! J'en veux mortellement au passé d'être apparu dans notre fontaine et d'avoir troublé la limpidité de tes joies.

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Cruelle, pourquoi n'es-tu pas venue ? Je sentais en moi une telle puissance d'amour que les heures eussent été plus pleines de magnificence, de passion, qu'aucune autre. J'aime plus que jamais mon amour ! J'ai besoin de tout mon calme pour ne pas courir à toi et te crier : « Viens, ne nous quittons plus, suis-moi, échappons pour toujours aux obstacles que rencontre notre paisible hymen ! »

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Tu es jalouse de mon passé. Enfant ! N'as-tu pas songé que je pouvais, moi aussi, être jaloux du passé, que de folles images traversent parfois mon cerveau et le torturent ?

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J'essaye de t'aimer doucement, sagement. Eh bien, non, c'est impossible ! J'aurais voulu te voir seule aujourd'hui. Me résignerai-je aux caprices du sort et à tes exigences ?

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Je me dis, pour reprendre courage, que tout n'est pas perdu puisque je vais, au milieu des tiens, pouvoir t'adorer en silence, et cependant je suis désolé.

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+ À TIBURCE +

Pourquoi de telles paroles ont-elles échappé à ta discrétion ?

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Quel vent a passé à travers ton cœur et t'a rendu fou ? Combien de fois t'ai-je répété qu'il me plaisait d'être incomprise des miens, que mon orgueil était d'être comprise par toi seul, que je ne voulais point partager des biens qui t'appartiennent, que je n'avais pas trop de trésors amassés pour enrichir notre tendresse ?

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Mon père ne me connaît pas, ne peut me connaître ; en essayant de lui dire qui je suis, tu lui as, par chacun de tes mots, confirmé ce qu'il soupçonnait : ton amour ! Que n'ai-je eu la puissance de t'arrêter dans cet élan fatal ! Tu t'enivrais de tes discours comme une alouette s'enivre de rayons. Ton éloquence chaude, hautaine, vibrante, faisait de moi la plus glorieuse des amantes et la plus désespérée. J'ai l'esprit tout plein de flamboiements et le cœur percé de mille flèches. J'aimais hier dans l'Olympe, je suis aujourd'hui précipitée dans le Ténare.

+

Le bonheur et le chagrin s'enchevêtrent dans mon âme et la torturent également, parce qu'ils y sont rassemblés sur le même objet. Les noces d'amour étaient à peine fêtées, la lune de miel à peine goûtée, nous apportions chaque jour encore au mariage un tribut de joies nouvelles, et nous voilà chassés de nous-mêmes, du ciel conquis.

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Mon père exige que je le suive dans quelques jours à Marseille. M. de Noves accompagne, ce soir, M lle Clara, votre amie-modèle, c'est ainsi qu'il la nomme ! Elle part pour Monaco, emmenant son cavalier servant ; puisse-t-elle le garder !

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Cette fille, en pénétrant au val fermé, nous a porté malheur.

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Quand vous me disiez : « Les dieux ne peuvent nous reprendre notre félicité, » ils vous ont, sur l'heure, prouvé que le passé ne vous avait point rendu digne de telles joies, qu'il fallait à nouveau les mériter par des épreuves.

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Je quitterai Noves sans vous revoir seul... Mon cœur saigne ; sa blessure s'irriterait au contact brûlant de votre cœur. Je souffre par vous et je vous aime.

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+ À MÉLISSANDRE +

J'ai lu et relu cent fois cette touchante et cruelle lettre, et les mille remords qu'elle a fait sourdre en mon cœur ne se redisent point. J'ai épuisé toutes les formes de la douleur morale. Je me confesse impuissant à rien écrire qui me justifie. Tout ce que j'ai pu, c'est de ne pas crier au père de mon incomparable amie : « Vous êtes indigne d'elle, vous méritez que je vous l'enlève, que je vous l'arrache, que je vous la prenne ! Je ne suis grand que par elle, moi que vous admirez ; je ne veux ajouter à ma célébrité, conquérir la gloire, que pour en faire une auréole à son amour. »

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Pardon de cet accès de folie qui m'a rendu coupable envers toi, Mélissandre ; n'y vois, je t'en conjure, que l'explosion d'une idolâtrie trop violente pour être contenue. J'ai déjà essayé vingt fois de lire dans mon cœur. Je me fais pitié et j'ai hâte de me détourner d'un pareil spectacle. Je sens gronder en moi des violences criminelles. Je recule devant le fond de ma pensée. Je suis tombé dans un désordre d'idées, de rêves, de projets, d'où ma raison revient égarée, vaincue. Je n'ose rien m'avouer de ce qui couve en moi-même. Je connais désormais l'amour supplice, l'amour châtiment. J'ai peur de te revoir, et il ne s'écoule pas d'heure où je ne me dirige vers le château.

+

Je me demande si tu m'aimes encore, et si tu n'as pas horreur d'un homme qui, dans un moment de passion orgueilleuse, t'a compromise auprès de ton père.

+

Je sens que tu vas effroyablement souffrir par moi et pour moi. Si tu allais me haïr ! Pourquoi non ? Est-ce que je ne suis pas venu troubler ta vie, te condamner aux humiliants mensonges ? Dès que le bonheur de cet amour, la joie des rencontres, l'ivresse des sensations, te seront enlevés, tu regretteras l'amour tranquille de tes dieux, tes entretiens avec la nature d'où tu ne rapportais que la sérénité. Déjà, Mélissandre, tu me hais !

+

La preuve, c'est que tu désires ne plus me revoir seul. Tu vas partir, tu pars ! Mais nul ne m'empêchera d'aller me jeter à tes pieds dans cette retraite de l'Estaque où l'on veut t'enfermer, et d'où je t'enlèverai, je te le jure.

+

Pardon, Mélissandre. Oublie les lignes qui précèdent. Je ne me résous à te les envoyer qu'après avoir vainement tenté d'en écrire d'autres.

+

Viens à la maison de Pétrarque, je t'en supplie. Je ne reprendrai un peu de bon sens que sous ton clair regard. Je ne pourrai penser, parler sagement qu'après t'avoir revue seule un instant.

+

Jusque-là il ne faut rien croire de ce que j'ai pu dire ou penser. La crainte de te perdre, de te faire souffrir, l'amour enfin qui me dévore et m'embrase, et dont ta présence peut seule régler le cours, sont les causes de mon égarement.

+

Tu vois à quelle faiblesse je suis arrivé !

+

Je sens que, de nous deux, c'est toi qui gardes la supériorité de la raison et la fermeté d'âme.

+

Écris-moi, décide, j'obéis, je suis tien, dispose de moi. Je baise, humble et soumis, tes belles mains.

+
+
+ À TIBURCE +

Encore une nuit douloureuse, pleine des visions de ma torture, mais pleine aussi des images de notre amour.

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Ma souffrance vaut la peine d'être soufferte, puisque mon désespoir présent est en raison de mon bonheur passé. L'amour est-il donc un crime punissable qu'il faut expier ?

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Comme toi je m'examine et je regarde au fond de ma pensée. Elle m'épouvante plus que ne peut s'effrayer la tienne. Tu souffriras moins que moi de notre séparation. Le souvenir est pour toi une chose réelle. Ton pinceau merveilleux te retracera mes traits. Moi, sauf de la veille au lendemain, je déteste le souvenir, il ne me rappelle que la privation du présent. La vue des portraits augmente mon chagrin de l'absence. Toute abstraction, toute reproduction, toute diminution de l'être réel, adoré, me glace comme une demi-mort.

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Je t'ai dit un jour que je trouvais du charme à nos courtes séparations ; j'ai menti : je te rendais tes impressions à cet égard.

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Tu te forgeais une telle sérénité d'amour que, parfois, jalouse de ce que moi-même je t'inspirais, j'essayais de te troubler.

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Sache-le, je déteste l'absence. Elle ne m'apporte que l'impérieux désir du retour, la déchirante impuissance de rapprocher ce qui est éloigné, de fixer ce qui a disparu.

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Mais, assez ! Puisque je te revois encore tout un jour, je veux chasser de mon cœur les ombres de la nuit prochaine.

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+ À MÉLISSANDRE +

Je t'aime et t'aimerai sans cesse, toujours, à tout jamais !

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+ À TIBURCE +

C'est Vénus tout entière à sa proie attachée. Tu sais maintenant quelle est ma passion et combien je suis envahie. Loin de toi, dans l'odieuse absence, si j'essayais de me reprendre, songe à ce jour d'hier, à ces défis jetés par moi à moi-même. Je t'appartiens comme Juliette à Roméo, dans la vie et dans la mort !

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+ À MÉLISSANDRE +

Voilà le cri que j'attendais ! Nous sommes éternellement, indissolublement unis dans la vie et dans la mort.

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Si l'un de nous disparaissait, la nature en ses affinités, en ses combinaisons nouvelles, suffirait bien à nous rapprocher.

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Une étrange paix se répand sur mes esprits. Il me semble que tu peux partir, que ces deux mois de retraite qu'on t'impose passeront sans marquer sur mon cœur les douleurs du temps. J'admets à peine que ton éloignement va être une séparation réelle, tant je suis maître de toi, pénétré de ton essence.

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La torture provoque le sublime dans l'extase. Le martyre engendre la béatitude ; on périrait avec délice et l'on jouit sans fin. On s'enivre plus délicieusement, la coupe aux lèvres, avec le vertige de l'abîme. C'est bien à présent que l'amour m'apparaît plus fort que la mort.

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J'ai dans un des replis de ma pensée les mots merveilleux laissés par la bien-aimée pour conjurer loin d'elle ses propres défaillances. À vrai dire, et malgré l'énormité orgueilleuse que je vais commettre, je ne crains plus que tu te reprennes. Je t'ai livré mon âme et tu m'as donné la tienne. Nous nous garderons, puisque nous avons échangé mutuellement nos deux êtres.

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Jamais je ne suis venu à toi d'un cœur plus ferme, plus aimant, plus certain de trouver auprès d'une amante idolâtrée le bonheur attendu.

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+ À TIBURCE +

Adieu, mon bien-aimé ; ne souffre pas de mon absence comme je souffrirai de la tienne. Je t'aime d'un amour agrandi par le sacrifice.

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+ À MÉLISSANDRE +

Je l'ai reçu et serré au plus profond de mon cœur, l'ineffable aveu d'un amour agrandi. Cet amour est entré en moi comme un nouveau principe de vie, je le sens se répandre dans mes veines et devenir la source même de ma puissance. Grâce à lui, c'est le renouveau. Il me purifiera loin de toi, et je veux que tu me retrouves dépouillé de toutes les souillures du passé. Je vais entrer en une sorte de retraite sacrée, me recréer par toi et pour toi. Tu peux t'éloigner, tu ne seras pas absente. Je te porte avec moi dans toutes mes volontés, dans toutes mes sensations. Mes œuvres s'inspireront de ton souvenir, et quels que soient l'étude, le travail, qui m'occuperont, ton image flottera au-dessus des pensers de ton ami, comme un guide et comme une récompense promise.

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Après avoir fait le portrait de Laure, je ferai celui de Pétrarque. Je revivrai avec le triste amant et relirai pour la centième fois les sonnets : leur plainte adoucira la mienne.

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Combien mon sort m'apparaît enviable ! Ne suis-je pas aimé autant que j'aime ? Je saurai surmonter les angoisses de l'éloignement par l'évocation des joies que tu m'as fait connaître.

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Je visiterai chaque jour l'antre de la fontaine, j'y descendrai ; si la source est tarie, dans cette atmosphère amoureuse, rêvant de toi, je saurai tout supporter, tout attendre, tout retrouver... Ô mon adorée, je t'aime ! je suis donc sûr de ressentir au fond de mon âme noyée toutes les ivresses de l'amour réel.

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Mélissandre aux longs cheveux, aux dents lumineuses, aux yeux changeants, aux mains admirables, le plus fier des amants t'adore.

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+ À TIBURCE +

Ces trois jours de sursis dans ma condamnation au cruel exil me rendent folle de joie et m'ouvrent un nouvel infini de bonheur.

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Te voir encore, toi, lui ! Je murmure ton nom, comme je le murmure parfois à ton oreille, et la vibration de mes lèvres, en le renvoyant à mon cœur, mêle une délicieuse résonance à mes palpitations. Je veux être enlacée par tes bras, être reprise.

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+ À MÉLISSANDRE +

Quel divin pouvoir est le tien, ô ma belle maîtresse ! Qu'il est fortifiant ! Loin de m'amollir, il m'excite. Je trouve dans tes étreintes un surcroît d'énergie. Oui, je travaille, avec l'ardeur que je mets à t'aimer, à conquérir cette gloire que tu veux pour moi, et dont tu me parles même au milieu des délices de nos rendez-vous. Aussi, comme je sens du respect au fond de cet amour !

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Quand je t'ai rencontrée, je ne touchais pas au dégoût, mais j'étais bien près du scepticisme. Sous l'éclair de tes yeux, j'ai repris la foi, la confiance en moi-même et dans les autres, je me suis, à travers toi, remis à estimer les hommes. Ton amour a réengendré en moi un amour autrefois naissant, aujourd'hui immense, incommensurable, l'amour de l'art. Si je gagne le sommet idéal, si je fixe le beau sur mes toiles, c'est à ta suave et puissante coopération que je le devrai.

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Ce jour-là, je te mettrai au front le laurier cueilli, et tu le permettras. Dis que je t'ai toujours aimée depuis que j'existe, puisque la vie jusqu'à toi me paraît invécue.

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+ À TIBURCE +

Amour comme noblesse oblige. Ta lettre s'adresse, pour me tirer de mon égoïsme, à ce qu'il y a de plus élevé en moi. Tu fais un appel suprême à ma passion du beau, je l'entends. Je veux reprendre mes forces, non comme Antée en touchant la terre, mais en touchant l'idéal.

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Je te dirai adieu sans faiblesse, puisque te donner la paix, c'est te donner la grandeur.

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Travaille ! Si ton labeur est rude, ta puissance est égale aux obstacles, elle est supérieure aux difficultés. Je remplirai mieux mon destin si je te fortifie, au lieu de me dévorer.

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L'absence est peut-être, en effet, un détachement purificateur.

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Ma passion amoureuse, je la transformerai en une passion plus ardente pour ton génie. Je ne songerai qu'à toi, loin de toi ; plutôt que de calculer la distance qui nous sépare, je mesurerai ce qui te rapproche de la gloire.

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Mes prières ne seront plus des vœux d'amour, mais des supplications à Phébus Apollon, dieu de lumière, de couleur, dieu inspirateur d'images, qui couronne de lauriers ceux dont il illumine l'esprit.

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+ À MÉLISSANDRE +

Ta grande âme a retrouvé ses plus purs accents, ô ma belle païenne ; c'est dire que la mienne en est fortifiée.

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Les raisons toujours violentes du cœur sont forcées de se taire et de se résigner, devant cette ferme et haute éloquence de la bien-aimée éprise d'héroïsme.

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C'est la joie supérieure de ma vie de sentir unis dans ma pensée le culte de l'art et le culte de Mélissandre. Nulle rivalité entre ces deux expansions de mon esprit. Tu es la seule femme sur terre assez magnifiquement dotée par la nature pour présider à de si augustes fiançailles entre l'art et la beauté. Grâces te soient rendues, ô Minerve, pour tant de sagesse divine et d'amour humain !

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C'est sous la protection de telles pensées que je veux t'appeler, tout ensemble, ma sœur, ma compagne, ma maîtresse.

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Je t'adore à tous ces titres. Je peux te quitter, jamais te perdre.

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Au revoir, mon adorée.

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+ À TIBURCE +

De l'Estaque, près Marseille.

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Mes dieux m'attendaient. Je dois les aimer davantage pour qu'ils te remplacent, comme toi-même les as remplacés. Le grand Pan est tenu de me consoler de la perte de tes enivrantes paroles avec la douce voix du silence. Apollon me fera-t-il oublier ta flamme ? Qu'il lance alors ses plus brillantes flèches à l'extrémité du golfe de Lion et qu'il m'enveloppe de tous ses ensoleillements.

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Les étoiles et la lune ont ici d'incomparables beautés. Diane s'offre à mes yeux plus dorée, plus nue, glisse dans un ciel plus profond. Parmi les étoiles, j'ai choisi la plus proche de moi, la première, la plus tôt venue, celle du soir : j'en fais ma messagère auprès de toi. Tu la regarderas en même temps que je la regarde, et elle te portera une étincelle de mes baisers brûlants.

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Tout à l'heure, l'étoile en montant traçait un sillon lumineux à la surface de la mer sans rides.

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+ AU MÊME +

Il y a cinq longs jours que je ne t'ai vu. Sont-ils ma plus cruelle épreuve, ou mon chagrin va-t-il croître à mesure que les semaines s'écouleront ? Je l'ignore, tant je suis aujourd'hui éperdue et flottante. Je ne me retrouve et ne me ressaisis que par l'intelligence ; mon cœur est demeuré auprès de toi, et avec lui ma bonté. Je t'ai écrit des lettres méchantes, que j'ai déchirées.

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Veux-tu savoir en quel état est Mélissandre ? Tour à tour fiévreuse, attendrie, révoltée, abattue, aimante, insensible.

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Je fais subir de véritables tortures à ma personne morale, je malmène avec rudesse ma personne physique, la lançant, au galop de mon cheval, de longues heures, dans la poussière qui m'aveugle, sous un soleil féroce. Au milieu d'une course effrénée, tout à coup je m'arrête, et, prise d'admiration pour les magnifiques paysages qui m'entourent, je fonds en larmes.

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Tu as été trop vaillant à l'heure de mon départ ; si je te savais de la faiblesse, je serais plus fortifiée que par ton beau courage.

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N'éprouves-tu pas, autant que moi, la douleur mortelle de la séparation ? Un amour comme le nôtre, ami, peut-il se lasser de la possession constante ?

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Nous n'avons pas besoin des excitants vulgaires du doute, de la jalousie, de l'absence. Je demeure loin de toi sans en mourir, mais à la condition que je t'entende gémir sur ton mal d'amour.

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+ AU MÊME +

Oui, je hais l'absence ! J'avais raison de craindre qu'elle ne soit fatale à l'équilibre de mes esprits. Déjà la folie me gagne. Pour me réchauffer en ce froid exil, je te cherche dans le soleil comme si je devais t'y voir, comme si tu en avais la face. Ses rayons me rappellent ta barbe d'or et les reflets de ta crinière fauve. Je t'évoque et tu m'apparais tout ruisselant de feux. Je souffre. La tunique de Nessus me brûle au point qu'il me semble entendre crépiter ma chair.

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+ AU MÊME +

Je deviens la nymphe Écho. Ton nom, redit tout bas, parfois crié tout haut dans mes longues promenades, berce mon chagrin, chante dans le vide de mon âme. Je t'aime, et puis je t'aime !

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Encore un jour passé, je le bénis. Mais comme je déteste le jour de demain !

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+ AU MÊME +

Imagine que la manne ait manqué plusieurs fois aux Hébreux dans le désert ; ils se fussent écriés : « Seigneur, que votre volonté soit faite ! » Moi, qui ne suis pas résignée, j'aurais crié à Jéhovah : « De la manne, Seigneur, ou je retourne au veau d'or ! »

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Cette parabole vous avertit que, n'ayant pas reçu de vous la manne promise, une lettre, je retourne à mes amours premières, à mon dieu tout d'or !

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Je vous bannis de ma pensée, comme aussi, depuis huit jours, sans doute, vous m'avez bannie de la vôtre. Je reviens à Phébus, je me redonne à l'amant divin, toujours fidèle. Il est votre rival, je le respire, il me possède, je l'adore. Il m'embrase et je m'enivre de sa flamme.

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Apollon me console, mais ne me guérit pas. Il se venge de mon inconstance. Quelque chose en moi est consumé. Un feu nouveau brûle mal sous la cendre.

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Pourquoi ces dix jours sans nouvelles ? Tenez, j'en pleure.

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Que vous ai-je fait pour me punir ainsi ? Votre silence devient une injure en se prolongeant.

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Si je ne sais rien de vous, que sais-je de moi ? Semblable à ce personnage d'Hoffmann qui avait perdu son ombre, je ne me vois plus en me regardant.

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+ À MÉLISSANDRE +

Tu recevras cette lettre par un courrier que je t'envoie. Nous sommes victimes d'un complot méprisable. M. de Noves avait acheté mon domestique. Le drôle brûlait mes lettres et gardait les tiennes, qu'il était chargé, par ton mari, de remettre à ton père lors de son prochain séjour à Saint-Estève. J'ai soupçonné, interrogé, menacé, tout appris et tout repris.

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J'ignore ce que tu répondras à ce que je t'écris. Tes lettres, quoique je sache la cause de leur injustice, m'ont troublé. Après de longues hésitations, je suis résolu à te dire, sans en rien dissimuler, les inquiétudes, les angoisses qui m'agitent. J'ai lu et relu tes billets : ils m'épouvantent. Je saisis clairement, dans leur succession, un parti pris de m'enlever ton cœur, de détourner tes sentiments. Tu crois te grandir à tes propres yeux en revenant à la passion divine, en te détachant d'un amour que tu n'aurais peut-être pas aussi aisément étouffé auprès de moi.

+

Il y a bien çà et là des retours, des protestations sourdes qui témoignent au moins de l'amour passé, mais cela semble comme un soupir qu'on se hâte de cacher sous un flot de reproches.

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Qui peut déchiffrer le cœur d'une femme et à distance ? Ah ! si tu étais là, sous mon regard, j'aurais vite déchiré les voiles et vu le fond. Mais je me perds dans tes lettres. J'augmente moi-même à plaisir les ténèbres qui m'environnent. Je cherche et je trouve les plus nombreuses contradictions. Je te veux immuable, attachée, toujours aimante ; je crée mille raisons de te retrouver telle que je t'ai quittée.

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Puis, le doute revient. Je ne peux pas ne pas tenir compte de certaines duretés que tu m'écris, et je retombe dans les plus intolérables, dans les plus poignants soupçons. Je n'ose m'arrêter et me fixer à rien. Je flotte au hasard, au gré de l'impression du moment. Tantôt j'évoque mes souvenirs, et je me dis avec l'accent de la foi que toutes ces choses sacrées ne peuvent pas être envolées de ton cœur. Je me sens bien le même, je m'assure que je ne puis m'adresser le moindre reproche, que ma pensée est bien restée tout à toi, et qu'à moins d'être criminelle tu ne peux avoir repris ton âme à la mienne.

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Aux impressions atroces de tes lettres, j'oppose l'évocation presque plastique de nos amoureuses promenades, de nos doux entretiens ; je te revois si belle, si clémente, si inspirée, si enivrante et si enivrée ! Non ! ce n'était pas un songe, une fantaisie passagère, et ce poème est de ceux qui ne peuvent finir qu'avec la vie. Que serait mon existence, d'ailleurs, privée de cette lumière et de cette incantation ? Je n'y tiendrais guère et serais bien près de la livrer sans défense au premier souffle, au premier vertige qui viendrait de l'antre où nous avons appris l'amour.

+

Tu te dois à moi, Mélissandre, tu ne peux m'aimer moins, ni me délaisser. Jusqu'à toi, j'usais à peine des dons, des faveurs de tes dieux. Je travaillais sans orgueil, sans enthousiasme, sans ambition. Depuis que je t'ai rencontrée, j'ai senti en moi tous les nobles stimulants. Tu as donné un corps, un appui, un sanctuaire, à mes aspirations, et je t'ai aimée sans partage, sans conditions, comme une idole.

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Tu peux mépriser et dédaigner ton adorateur, tu ne le décourageras pas. Je te dois mes plus fortes et mes plus délicates émotions. J'ai reçu de toi la révélation de ma force intérieure, de ma puissance latente, et je défie le temps de mordre sur l'admiration et sur la reconnaissance que je t'ai vouées. Rien au monde ne pourra me détacher de ma tendresse, de mon bonheur. Je t'aime et t'aimerai en dépit de toi-même, et ce ne seront pas les réserves calculées de ton style qui pourront jamais éteindre les ardeurs de mon amour.

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Je suis triste, je suis inquiet, je suis anxieux, je veux apprendre ce que tu penses après mes explications. Je te conjure de tout me dire, de me dépeindre l'état de ton cœur. S'il est vrai que tu me préfères tes dieux, qu'ils me remplacent, comme tu le dis dans ta première lettre, ose le répéter ; mais ne doute jamais de moi. Je t'appartiens depuis le premier jour et me sens de force à tout entendre, car je suis résolu à ne jamais t'arracher de mon âme.

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Tu ne peux me refuser cette satisfaction. Je l'attends, je la réclame. Si terrible, si définitive que puisse être la vérité, ne la farde point. Je n'ai jamais menti, tu peux me parler sans détours, et je te sais trop fière pour rien dissimuler.

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Allons, frappe. Mélissandre : je suis à tes pieds, décidé à ne me relever que pour te presser dans mes bras.

+
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+ À TIBURCE +

J'ai souffert de notre séparation comme d'une rupture, malgré tous mes semblants de courage. Mon amour avait été pétri par moi comme un beau vase d'argile, et, puisque je ne pouvais l'emporter ici, je préférais le briser. J'ai essayé, en arrivant à l'Estaque, de me redonner tout entière à mes dieux ; je ne puis dire à quoi je suis parvenue, sinon à souffrir, à n'être ni à eux, ni à vous, encore moins à moi. Ne cherchez aucune suite dans ce que je vous ai écrit, dans ce que je vous écrirai.

+

Après vous avoir envoyé mon dernier billet, j'ai cru tout fini entre vous et moi. J'ai enveloppé laborieusement mon cœur de bandelettes pour fermer sa blessure. Ainsi comprimée, j'ai cru moins souffrir. Vous m'arrachez mes bandelettes, et me voilà de nouveau le cœur ouvert. Il me semble que vous me faites mal en m'aimant encore.

+

Votre silence m'eût mieux servi dans la victoire que je voulais remporter sur votre amour et sur moi. Depuis avant-hier, je redevenais lentement et sûrement libre. Je me reprenais à vous préférer ce grand orgueil que vous aviez, dans nos premières heures d'amour, si triomphalement vaincu. Je revivais seule en mon oubliée nature. Je retrouvais la douceur du rêve isolé. J'avais la pensée simple, émanation intime de l'être qui monte et s'élève jusqu'au mystère divin. La sérénité païenne rentrait en moi. Je n'étais plus attirée, conquise, possédée, hors de moi-même, j'étais à moi. Mes dieux me réapparaissaient vivants, loin de vous, eux qui me semblaient irréels à vos côtés.

+

Votre lettre me trouble. Je m'interroge éperdue. Je vous revois par la pensée. Je sens revenir en mon âme une puissance de vous qui lutte contre la mienne. Dois-je vous appartenir, que je le veuille ou non ? Cette idée me torture. J'attendais que ma fierté l'emportât, et me voilà faible, pleurant ma joie perdue.

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+ À MÉLISSANDRE +

Ce que tout cela signifie, mon adorée, c'est que l'amour se réveille en ton cœur ; il n'y était qu'endolori, non blessé, non étouffé. Entre la vaste mer et le ciel profond que tu croyais rempli de toi et de tes dieux, tu vois le grand espace vide que notre amour seul peut remplir ; les rives immenses de ton golfe léonin te paraissent désertes quand tu t'y promènes seule. Mélissandre, tu m'appelles ! Je viendrai pour t'enlever à cette séparation qui égare nos âmes et les laisse flotter incertaines, se cherchant et ne se trouvant plus.

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+ À TIBURCE +

Mes dieux jaloux, eux-mêmes, ne peuvent consentir à ce que je te repousse, puisqu'ils ne me délivrent pas de mes tourments loin de toi. Viens régner sur le cœur où tu as régné. Triomphe où j'ai essayé de te vaincre. Je suis à toi et je t'aime.

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Mon père va passer huit jours à Saint-Estève. M. de Noves suit en Italie une chanteuse célèbre, ayant abandonné votre Clara.

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+ À MÉLISSANDRE +

Mon idolâtrée,

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Enfin, le voilà, ce doux billet. J'avais le ferme espoir qu'il ne pouvait manquer. Ta première lettre me désespérait. Tu résistais à ton secret entraînement avec cette férocité singulière que tu as parfois, que tu prends pour de l'héroïsme, et qui eût fait de toi, sans mon amour, une prêtresse d'un culte sacrifiant, comme les chrétiens, la personnalité humaine à l'amour divin.

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Je gémissais de tes révoltes contre moi. Tu voulais résolument m'échapper. L'orgueil, le mysticisme, étaient en ton âme plus forts que la passion. D'où venait cette aversion de toi-même et de ton ouvrage ? Je ne me l'explique pas encore. Je ne pouvais me croire coupable d'une séparation imposée par les tiens, méritée par moi, je le confesse, mais qui était elle-même assez douloureuse pour me faire expier ma faute. Pourquoi y ajouter, cruelle, ta cruauté ?

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Ainsi, il y a eu un moment où, par un stoïcisme de fierté, tu m'avais réellement condamné à tout perdre, à ne jamais revoir ces beaux yeux s'illuminant pour moi seul des flammes d'un amour incomparable ? C'en était fini de nos promenades, de nos rêveries, de nos projets, de cette noble union, de ce commerce idéal et ardent à la fois qui m'enrichissait et me fortifiait ? Un tel mirage allait se dissiper !

+

Il me fallait rentrer à Paris chassé du val fermé, seul pour toujours. Relevé, grandi, volant à plein vol, j'eusse été rejeté dans l'abîme, après avoir entrevu les altitudes divines !

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Rien de ce plan criminel ne pouvait réussir, et tu le sentais bien quand tu m'écrivais, me confiant un dépôt précieux : « Mon cœur est demeuré auprès de toi, et avec lui ma bonté. »

+

Mais pourquoi s'attarder plus longtemps à ces tristes souvenirs et te troubler de mes justes plaintes ? Ton cœur t'est revenu par moi, et, en te le rendant, je t'ai ressaisie, retrouvée. La vraie Mélissandre s'offre à ma pensée telle que je l'ai toujours vue : belle, aimante, généreuse. Grâces te soient rendues pour ce court et délicieux message ! Les ténèbres et les langueurs malsaines sont dissipées.

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Bientôt je volerai dans son temple adorer ma déesse, les mains pleines d'offrandes, d'amour, et l'âme entière gardée à son culte.

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Je t'aime en corps et en âme, en chair et en esprit, comme la plus merveilleuse incarnation de l'auguste nature, ô païenne !

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+ À TIBURCE +

Je désire follement ton arrivée, et pourtant je suis forcée de la retarder encore. Mon père a-t-il deviné, au rayonnement de mon visage, que le bonheur allait me visiter pendant son court voyage à Saint-Estève ? Il ne part que lundi, et je t'attends le soir. Je vis dans une impatience de toutes les heures. Un instant passé est pour moi un instant conquis. Il me rapproche de toi. Mon cœur se gonfle, et j'ai peur qu'il éclate sous une émotion trop violente lorsque je te reverrai. Je me suis tant rudoyée et je m'encourage si bien à l'expansion, que ces deux états, l'un succédant à l'autre, m'enlèvent toute possession de moi-même.

+

Tu lis cette écriture fiévreuse, je te vois l'embrassant des yeux. Je suis jalouse de ce papier... Je pose ma tête sur ton épaule, je te donne mes lèvres. Ah ! quel baiser ! Tu aspires mon âme comme autrefois, je la sens monter en souffle dans ma poitrine, s'élancer pour se mêler à ton souffle et me donner l'angoisse délicieuse du vertige d'amour.

+

Tu m'aimes sans m'avoir moins aimée. C'est moi qui suis coupable de mes troubles. Mon orgueil et ce silence que je ne pouvais m'expliquer sont seuls cause de ma peine, et si de loin je les maudis encore, de tout près, bientôt, je vais bénir mon amour adoré.

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+ À MÉLISSANDRE +

Tu le vois, ce retour victorieux à la vie, à l'amour, à la nature, c'est une délivrance, une résurrection. Que ton orgueil se rassure : tu ne peux, nous ne pouvons, en nous aimant, nous abaisser. Tu sais bien qu'en dépit de nos moments de passion, c'est dans les régions supérieures de la pensée que nous nous sommes rencontrés et épousés. Tu sais mieux encore que le temps ne peut entamer cet indissoluble mariage, et que c'est le cerveau qu'il lui faudrait broyer, non les sens qu'il devrait éteindre, pour triompher de nos embrassements mutuels. Les séparations, les obstacles, ne peuvent briser de tels liens.

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Je te l'ai dit, je te le répète, en te rencontrant après tant d'années de poursuite, de déception, d'attente, de dégoût, j'ai spontanément aperçu en toi la moitié de moi-même, dont la communion devait mettre dans ma vie, dans ma pensée, dans tous mes efforts, la plus grande puissance de la nature, l'unité et l'harmonie.

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Tu peux juger par ces mots à quelle profondeur de mon être j'ai planté les racines de mon amour, et si elles sont exposées à jamais être arrachées par un caprice de femme. Je vis en toi et je t'aime en moi, c'est-à-dire que je réalise l'idéal souhaité par les plus grands amoureux humains. Tu es mon chef-d'œuvre conçu, et je t'aime comme une victoire de mon génie amoureux.

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Je le dis sans modestie : ton orgueil, si haut qu'il soit, n'a rien à redouter des élans de ton cœur vers un amour qui admire en toi la grandeur morale et la noblesse d'esprit.

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Enfin je vais te revoir, sentir sur moi le feu de ton regard, boire la lumière sur tes traits. J'en ai, par moments, des éblouissements. Avec quelles délices j'éprouverai la commotion de mon premier baiser ! Je me dominerai, mais je confesse que j'ai peur de défaillir au premier choc.

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Songe que la simple réception de tes lettres me fait monter le rouge au visage. De ma vie je n'avais éprouvé d'aussi subites et d'aussi indicibles émotions. Ah ! ce que c'est que d'aimer réellement ! Tout est sujet d'attendrissement et de crainte. Cette alternative brise et enivre. On se meut dans une atmosphère pénétrante et fine qui vous élève, et, sans vous ravir à la réalité, vous permet de planer au-dessus des banalités et des vulgarités de la vie journalière.

+

Rien ne pourrait exprimer le mélange des sentiments qui m'emplissent : la reconnaissance, l'admiration, la passion de ta beauté, le besoin de t'idolâtrer, forment mon amour, et c'est cette gerbe d'impressions, de sentiments, de sensations, que je dépose à tes pieds, attendant que je te dévore de baisers.

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Puisque tu m'ordonnes d'attendre encore, je pars ce matin pour Paris, j'y fais en vingt-quatre heures tout le tapage qu'on y peut faire, et je viens à toi silencieusement.

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+ À LA MÊME +

De Paris.

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Cette lettre me précédera de quelques heures seulement, et je ne puis résister à la joie de te l'écrire.

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Je sens gronder en moi une tempête d'idées, de passions et de voluptés. Je t'adore comme un fou. Je vais enfin retrouver Andromède, la délivrer de ses chimères, de ses hésitations, de ses angoisses. Je sens mon cœur se gonfler à rompre ma poitrine. Je me fais, à chaque instant du jour, le tableau de cette première minute du retour, et mes yeux se ferment, mes jambes chancellent, le sang afflue dans mon cerveau. Je n'ai jamais tant tenu à la vie, et je crains à tout moment qu'elle m'échappe avant cette heure suprême. Ah ! comme je t'aime, et comme je suis fier de t'aimer ! Crois-moi, Mélissandre, voilà le véritable orgueil : se donner tout entier, sans retour, à un être digne de soi, se convaincre qu'en dehors de cette sublime union tout n'est que vanité, déception et mensonge.

+

Encore un jour, un interminable jour, et je serai près d'elle ! Je revois d'un coup d'œil tous les gages de tendresse et d'adoration que j'ai donnés et reçus. J'évoque, je fais apparaître dans leur enivrante réalité les mille détails de ces mois de bonheur et d'extase si rapidement écoulés. Si tu savais à quelle puissance de souvenir je suis parvenu ! Non, je ne dois pas insister : de froides paroles, de simples phrases, ne peuvent peindre la violence de ma passion. Ce que je veux, c'est te saisir, t'étouffer dans mes bras.

+

J'ose te l'écrire, rien ne saurait calmer, apaiser mon amour, que toi-même.

+
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+ À TIBURCE +

À Paris.

+

Tu m'as emportée, triomphateur ! Je t'aime et je t'admire. Quelle poésie tu as su mettre dans ce renouveau, et comme tu as merveilleusement exprimé tes doutes et ta passion ! Ma confiance est revenue tout entière.

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Je me plonge en ma pensée avec ivresse, parce que c'est toi seul, exclusivement, que j'y rencontre, soit que je songe au passé ou au présent. Mes quelques jours de désolation, il me semble que je n'ai pu les vivre. Quel chant ton amour chante en moi !

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Par toi je revis ! Orphée m'a ramenée des enfers. Dispose de ta maîtresse comme il te plaira désormais. Je m'abandonne à toi.

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C'est à peine si je puis tracer ces lignes, tant mon émotion agite ma main et trouble mes sens.

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+ À MÉLISSANDRE +

De Paris.

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Ma belle païenne,

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Quel rêve et quelle réalité ! comment peut-on exister après l'évanouissement de telles délices, et pourquoi ne préfère-t-on pas s'anéantir plutôt que de retomber de ces hauteurs sur le sol plat et fangeux de la vie ?

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Ma raison ni mon cœur ne peuvent rien répondre à de pareilles questions, et je crois que, sans la mémoire, qui réveille et reproduit toutes ces sensations, je n'aurais plus conscience de mon être.

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Je suis parti, je suis revenu à Paris inconsciemment, me sentant plus que jamais seul dans ce grand désert d'hommes. Je poursuis mes souvenirs au milieu de la foule. Je me trouve un homme nouveau, supérieur à moi-même et aux autres, puisque j'ai vu dans sa magnificence le chef-d'œuvre de l'amour, et que j'ai possédé la volupté infinie.

+

Ce que j'ai ressenti, éprouvé près de toi, durant ces rapides heures de conversation ou de silence passées ensemble, nulle langue humaine n'est ni assez pure, ni assez déliée, ni assez élégante pour l'exprimer et le peindre. Un tel poème ne sera jamais écrit ; il est là, dans mon cerveau ; mon regard seul, le tien, peuvent se le révéler l'un à l'autre. Quelle force ennemie serait assez forte pour rompre cet accord prédestiné et irrévocable ? Penser, juger, rire, s'attrister, espérer, rêver ou agir à deux, simultanément et pareillement, sans effort, sans communication préalable, quelle autre union que la nôtre s'est donné un semblable concert ? Qu'ajouter, sinon que toutes ces facultés fraternelles font œuvre commune pour présider à l'embrassement, à la fusion de nos deux êtres en un seul ?

+

Quelles ardeurs, quelles révoltes provoque un tel retour vers les journées enivrantes si vite écoulées !

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À ce sentiment de regret succède promptement la consolation non moins vive d'avoir emporté avec moi l'inépuisable trésor de bonheur que je vais tous les jours compter et recompter en avare, en jaloux, amoureux de ses richesses.

+

Je passerai seulement une semaine à Paris et j'irai t'attendre dans le val fermé, qui, je l'espère, se rouvrira bientôt pour toi.

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Mon âme est pleine de ton image, mes yeux remplis de tes rayons, mes lèvres encore imprégnées de tes baisers.

+

Je t'adore sans cesse, toujours !

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+ À LA MÊME +

À l'Estaque.

+

Ma douce mignonne, mon adorée, puisque je t'aime chaque jour plus que la veille, je recule donc sans cesse les bornes de l'infini de mon amour. Tu craignais et tu désirais à la fois me voir revivre un instant ma vie passée, pour être bien certaine qu'elle ne pourrait plus ni me satisfaire, ni me garder.

+

Je prends plaisir à souffrir de l'agitation passionnée, que j'abhorre aujourd'hui et qui me semble gronder autour de moi. Je tiens à ce que tu saches combien tu es toujours présente et même visible au milieu de mes cent affaires. Je t'envoie, comme à la déesse propice, ma pensée et mon cœur, je t'unis à tout, c'est de toi que je tiens le courage de la journée pour suffire à des occupations sans nombre. Je suis assailli de visites, d'invitations, et c'est à cela que mes amis jugent à quel point ma réputation s'est accrue.

+

Je n'oublie jamais que la plus forte et la plus récompensée des preuves que je puisse t'offrir de mon amour sans bornes, c'est d'être digne de toi, de grandir mon nom, de dominer mes rivaux.

+

Un amour comme le tien réclame d'autres aliments que les sensations et les voluptés. Il faut que ton amant l'entretienne de sa valeur et qu'il y trouve le principe de sa force et l'aiguillon de sa gloire.

+

Ainsi compris, il fait corps avec mon esprit, devient l'agent de ma volonté, la source de mes actes, et je le sens si répandu dans mes veines, que je puis dire : « J'aime, donc j'agis ! »

+

Je t'adore comme la cause de mes pensées, de mes enthousiasmes, de mes inspirations.

+
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+ À TIBURCE +

Mon bien-aimé, je ne puis demeurer dans cette maison où je t'appelle en vain, et me voici t'écrivant au dehors, avec l'idée que mon amour vole plus librement vers toi dans le libre espace. Je suis assise auprès du balcon de briques dont les découpures se détachent si gaiement sur la mer azurée. Autour de moi les pins verts se dressent sur les rochers blancs ; les joncs d'or luisent à l'ombre, la vague murmure, soulève les galets et se jette, paresseuse, dans son lit d'algues. Les bricks, les chaloupes, les bateaux à l'ancre se balancent dans le petit port dentelé de l'Estaque. La mer s'étend infinie en belles nappes blanches que damasse le soleil. À gauche de Notre-Dame-de-la-Garde, les montagnes de Saint-Loup se dessinent en pleine lumière dans leurs élégants contours. Les grands vaisseaux entrent et sortent des ports, oiseaux avec les ailes des voiliers, mastodontes avec les coques des vapeurs. À droite, au fond du grand golfe, les collines de Mont-Redon s'abaissent par degrés, comme pour baigner leurs pieds dans l'eau. Les îles Pomègue et Ratonneau vacillent sous mes yeux éblouis et se jouent sur les flots autour du château d'If. Je me retourne, lassée par tant de lumière, et je vois le nid de nos amours enfoui sous les arbres, avec ses balcons où pendent les glycines, mêlées aux fleurs de la passion.

+

Je songe à toi et je t'aime.

+
+
+ À MÉLISSANDRE +

Notre correspondance se croise sans ordre. Je reçois aujourd'hui seulement ta première lettre, qu'une fausse adresse a failli me faire perdre. Pour qu'elle me soit parvenue, il faut qu'elle ait été conduite par le Dieu des amoureux.

+

Je frémis aux frémissements de ton cœur. Je lis et relis cette page d'amour pur, grandiose. Tu es là devant moi, dans la perfection adorable de tes formes, échappées au pinceau de Titien. Je vois la lumière dans tes yeux brûlants, je touche du doigt les lourds et longs cheveux qui encadrent comme une couronne parfumée la tête de mon altière dogaresse. J'entends ta bouche prononcer les enivrantes paroles, et je reste absorbé dans la contemplation de ta beauté.

+

Je voudrais te répondre par une prière d'adoration et d'extase. J'écoute en moi mon rêve et je te prie d'écouter à ton tour tes voix intérieures.

+

Grâce à toi, Mélissandre, je connais les plus mystérieuses, les plus divines voluptés de la communion des âmes. Mon secret m'emplit d'une joie tumultueuse qui fait éclater ma poitrine. Je ris aux choses extérieures et j'adresse à l'inconnu qui m'environne les flots de reconnaissance qui s'échappent de mon être.

+

Lorsque mes vieux amis me demandent ce qui me retient à Vaucluse et que je réponds : « C'est Laure ! » ils sourient doucement de ce qu'ils croient une folie. N'ont-ils pas raison, n'est-ce pas une folie que la mienne ?

+

Combien je suis favorisé de la Fortune ! Quelles offrandes faut-il que j'apporte à ses autels pour m'assurer de la perpétuité de sa protection ?

+

Penses-y, invoque tes dieux, recommande notre amour à ton divin protecteur, Apollon à l'arc d'argent, et laisse-moi m'endormir sur ton sein, miracle de la nature que Phidias eût divinisé.

+

J'embrasse tes genoux, ma seule déesse, et je répands à tes pieds mes actions de grâces.

+
+
+ À TIBURCE +

Puis-je croire aujourd'hui qu'un seul jour j'ai cru renoncer à un tel bonheur ? Ai-je dit que cet amour, monté si haut, n'avait plus qu'à descendre ? Ai-je pensé que je préférais l'éteindre brutalement, plutôt que de le voir lentement se glacer ?

+

J'ai cru tout cela ; je l'ai pensé, je l'ai dit. Mais alors je ne devinais pas, il m'était impossible de prévoir que ce que j'avais possédé en plein épanouissement d'une passion nouvelle serait cent fois dépassé. Ah ! ce que j'éprouve maintenant, je me défie de le réduire. J'escalade sans vertige des sommets accessibles à notre amour seul. Je monte en plein éther.

+

Je ne rencontre que nous où je suis, et je t'adore avec je ne sais quelle religieuse conception indienne de vie transformée, réincarnée dans l'amour. Le passé vague se déroule au-dessous de moi, ses routes fuient et disparaissent à mesure que je m'élève au-dessus d'elles. Je vole, je glisse, dans les sphères idéales, célestes, sans secousse que le mouvement d'une ascension.

+
+
+ À MÉLISSANDRE +

Depuis trois jours j'étais malheureux ; la fortune avait beau me sourire, la célébrité me chercher, je me sentais inquiet, je ne pouvais arrêter plus de quelques minutes mon esprit sur ces jouissances de vanité pour lesquelles, autrefois, j'aurais donné vingt ans de ma vie.

+

J'avais, au dedans de moi, dans le fond de l'être, une angoisse obstinée, inexplicable, persistante, qui empoisonnait mes jours en me livrant à toutes les angoisses du condamné ; j'allais à ces fêtes qu'on m'offre, la tête pleine de songes bizarres et méchants. Je me plongeais avec colère, pour mieux m'échapper à moi-même, dans l'agitation de Paris, et tout à coup j'oubliais mon tourment intérieur, ma mélancolie, j'étais avide de me retrouver seul, dans le coin le plus retiré de ma chambre, pour contempler l'image troublante que j'ai de toi, les cheveux dénoués et les épaules nues.

+

Je découvrais en te regardant l'étendue de mon mal d'amour, le feu qui me dévore. Quelle révélation j'ai recueillie de ce tête-à-tête avec ton portrait ! Je sais comment naissent les prières, les miracles, les cultes, ce désir suprême de la pénétration constante de l'être adoré.

+

Mon agitation intime venait de ce que, depuis trois jours, je n'avais pas reçu les signes extérieurs, preuves de l'amour de mon idolâtrée.

+

Il y a bien paru au cri d'admiration, de joie, de gratitude, qui m'est échappé en rentrant ce soir, à la vue de ce magnifique bouquet de fleurs que tu m'as envoyé. J'ai senti mon cœur se détendre et s'épanouir d'allégresse. Quelle haleine de vie s'est échappée de ces roses vers mon cerveau ! Je t'ai vue distinctement flotter au-dessus de tes fleurs, chaque feuille de rose rappelant ta lèvre embaumée et me disant que ton amour s'exhalait dans leur arome.

+

Je les ai respirées d'un long trait, à perdre haleine, comme je t'ai respirée, te souviens-tu, Mélissandre ? à la pointe de l'Estaque, devant la grande mer, par cette journée lumineuse où je m'assis à tes pieds sur les roches brûlantes ? Les délicates, les éloquentes messagères que tes roses ! Je les ai mises une à une en leur vase, pour que chacune pût me faire son récit et me tout révéler. Ah ! mignonne, que tu as d'esprit, et comme tu sais inspirer aux fleurs un doux et poétique langage ! Ma bien-aimée, je suis radieux, guéri, triomphant.

+

Quelles terribles épargnes je sens s'amasser dans mon être ! Par moments, j'ai besoin de crier ton nom. Je t'appelle en vain et je ne tarde pas à maudire le sort qui me condamne à la séparation. Je t'aime à en mourir, et j'ai besoin de retrouver ton image pour retrouver ma joie.

+

Ces fleurs, ta lettre exquise, m'apportent le cordial. Elles me réconfortent pour quelques heures, et puis la fièvre me reprendra.

+

C'est ta parole, tes yeux, ta grâce, toi, qu'il me faut. Je veux te revoir et mourir.

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+ À TIBURCE +

De Vaucluse.

+

On me remet une incomparable lettre de mon bien-aimé.

+

Quelle page, quels accents, quel commentaire de nos derniers entretiens ! J'ai l'âpre joie de te voir souffrir de mon absence, et l'exquise douleur de souffrir avec toi. Comme tu sais, mieux que moi, peindre ta peine amoureuse ! Tu veux donc me faire expirer d'orgueil et de plaisir ? Je suis enivrée, mais vaincue par toi dans l'expression de notre amour : je ne t'écrirai plus qu'en tremblant, je me déclare indigne de répondre à de tels cantiques.

+

Tu peux tout traduire, tout rendre, tout exprimer ; tu ne m'as jamais rien envoyé de vibrant comme cette lettre, et j'admire en mon amant la puissance d'idéaliser et de définir ce qu'il y a de plus insondable, de plus mystérieux, de plus insaisissable dans notre passion.

+

Ah ! si tu pouvais lire en mon âme, si tu pouvais assister à l'éblouissement intérieur que tu y allumes !

+

Je ne te ferai jamais l'injure de te comparer à un autre amoureux, dans le présent ou dans le passé. Léandre, Roméo, m'apparaissent moins épris d'Héro et de Juliette que tu ne l'es de Mélissandre. J'ai l'ivresse de ton adoration. Je suis la plus captivée, la plus enchantée des femmes, et je ne crains pas d'être sacrilège en t'aimant à l'égal d'un dieu.

+

Reviens, je suis de retour au val fermé.

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+ À MÉLISSANDRE +

Je reçois à l'instant ta dernière lettre, et je pars. Je vais te retrouver à Vaucluse.

+

Quelles interminables confidences j'aurai à te faire sur ce voyage que tu craignais tant ! Je me suis senti plus éloigné de Paris, moins repris encore que je ne l'aurais cru ; je ne pense qu'à toi, je ne rêve que de toi, je n'aime que toi !

+

Je voudrais pouvoir te peindre les merveilleux aspects sous lesquels je t'ai aperçue dans mes longues insomnies. Ce serait la véritable galerie de Diane, où l'on verrait la déesse de mon cœur dans ses plus triomphantes attitudes, depuis l'orgueilleuse et insensible chasseresse jusqu'à la tendre amante d'Endymion endormi.

+

Tu sors si naturellement de l'ancienne Grèce, ô païenne, que je ne peux songer à toi sans évoquer le mythe de cette religion que tu m'as apprise, hors de laquelle je ne sais plus rien adorer. Je retrouve, dans la réalité que me fait ton amour, les plus beaux poèmes de l'Attique.

+

Je tremble d'émotion à la pensée d'être bientôt dans tes bras.

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+ À LA MÊME +

Ma sublime amante,

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Enfin, je t'ai revue ! Je suis ivre d'orgueil et de volupté. Je tressaille encore des derniers frémissements de nos baisers.

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Quels cris de passion nous avons jetés tous deux en nous retrouvant ! Tu es bien mienne et je suis à la fois ton maître et ton esclave ; j'ai perdu auprès de toi la notion des choses qui se mesurent, j'ai pu mourir d'extase sur tes lèvres. Le voile du temple est soulevé, Isis m'appartient ! Ses mystères me sont révélés. Un feu sacré brûle mes artères.

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+ À TIBURCE +

Nous avons vécu ces deux journées, altérés de joie, avides de nous griser de notre ivresse, et nous n'avons adoré que nous-mêmes.

+

Ce matin, par ma fenêtre laissée ouverte, le soleil me réveille, m'appelle à la bénédiction de nos dieux. J'admire la lumière extérieure, je m'émeus de sa beauté. Une reconnaissance infinie monte de mon cœur à mes lèvres pour le rayonnant Phébus qui donne la chaleur à l'amour, la clarté aux cieux, le vêtement de gloire aux montagnes, la transparence à l'eau, la profondeur à l'espace.

+

Dans notre passion pour la créature, ne soyons pas ingrats envers celui qui nous inspire le plus divin des sentiments humains : l'admiration !

+

La main dans la main, quand tout à l'heure nous marcherons à l'ombre des yeuses et que les rayons brillants du dieu de lumière, glissant à travers le feuillage, nous poursuivront, veux-tu que nous nous arrêtions un moment ? Agenouillés tous deux à l'entrée de la charmille qui forme l'arceau d'un temple, enveloppés des feux d'Apollon, élevons vers lui notre prière et adorons-le !

+
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+ AU MÊME +

Nous l'avons adoré ! Les lueurs étincelantes de ses reflets ont passé dans nos yeux, sa lumière a versé la lumière dans nos cœurs. Mêlés à la personnalité du dieu, émus de lui et de nous, notre éblouissement s'est transformé en une impression religieuse d'une douceur incomparable.

+

Des extases voilées nous sont venues à l'ombre des arbres protecteurs, et nous avons joui pour la première fois de notre amour contenu et apaisé.

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L'éternel renouveau fleurit en nos cœurs. Jamais nous ne connaîtrons l'uniformité ; notre passion s'alimente à la source féconde de notre esprit ; elle prend part à la variété des choses qui nous entourent ; elle vit de notre vie et ne peut cesser qu'avec elle.

+

Je retrouve le bouquet d'héliotropes que tu m'as donné hier et qui est resté le soir à mon corsage. L'héliotrope cueilli se fane en un instant. Ô miracle ! les tiges coupées de la veille sont encore fraîches. J'en glisse une dans cette lettre. Je confie à la fleur aimée d'Apollon un message amoureux, secret toujours révélé, toujours gardé : « Je t'aime ! »

+
+
+ À MÉLISSANDRE +

Ma maîtresse,

+

Voilà bien le seul nom que je puisse te donner, car je suis possédé tout entier. Mon cerveau, mon âme, tout cet être intérieur qui était, jusqu'à mon amour pour toi, demeuré libre, dont on pouvait seulement ravir les sens, le voilà définitivement livré. Règne sur ton amant sans partage, sans réserve, sans retour.

+

Tes douces lettres me promènent à travers un paysage divinisé par la présence du dieu ardent. J'entre avec toi dans je ne sais quel monde mystique où le grand silence, la solitude harmonieuse, vibrent au choc de la lumière.

+

Il me semble que, jusqu'à notre dernière promenade, je ne connaissais pas ta voix. J'écoutais hier son rythme doux et sonore, qui me paraissait la voix même du paysage, du lieu, chantant l'hymne sacré au dieu de lumière.

+

Te rappelles-tu ce baiser si chaste sous les feux d'Apollon ?

+

Je ne sais ce que je préfère en mon amour, de mes désirs violents ou de cette possession idéale où je crois vraiment étreindre ton âme.

+

Je suis rentré plus heureux que je ne l'ai encore été : ivre de bonheur surhumain, j'ai longuement goûté ma félicité complète. Puis, tout à coup, il m'a paru que je n'étais ni assez bon, ni assez grand, ni assez pur pour toi, et je me suis juré de mériter ton amour, que, peut-être, j'ai seulement conquis.

+

Jusqu'alors, je n'aimais que ta beauté terrestre, Mélissandre ; je t'ai vu hier une beauté céleste.

+

Je la fixerai sur mes toiles, car elle est plus grande encore, plus admirable que l'autre : elle est divine. Je te possède avec un visage nouveau ; je respire un autre air, j'ai gravi des hauteurs sur lesquelles il n'y a que le ciel et toi.

+
+
+ À TIBURCE +

Mon ami, il faut que vous sachiez à l'instant la nouvelle. Mon père m'écrit qu'il part de Marseille pour Naples, où M. de Noves fait toutes les sottises du monde. Le noble seigneur joue, mène grand train, se ruine, en compagnie de sa chanteuse. Mon père désire que je l'accompagne, pour ramener mon mari, dit-il. Le ramener ! Voilà un mot dont les deux sens ne me tentent guère ! Je réponds que, si j'allais à Naples, ce serait pour trouver les éléments d'une séparation. Mon père n'insistera pas.

+
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+ À MÉLISSANDRE +

Songer que tu portes un nom qui sera mêlé à quelque ridicule scandale de ville d'hiver, me trouble et m'irrite. Les amis de ton père, les tiens, sont autorisés à te protéger des ennuis que les folies de M. de Noves peuvent apporter dans ta vie ; moi seul au monde, je suis réduit à l'impuissance. Il faut que je me taise, que je me dérobe, et, si nous n'étions dans ce doux pays solitaire, je devrais, par bon ton, défendre ton mari, s'il était blâmé devant moi. Je hais cet homme auquel je n'ai jamais pu sans désespoir tendre la main, et à qui j'ai cent fois été tenté de dire : « J'aime votre femme, et je veux vous tuer ! »

+

Mélissandre, laisse-moi te confier un instant mon désir secret, mon vœu constant : je donnerai ma vie entière pour qu'un seul jour tu sois ma femme.

+
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+ À TIBURCE +

Je rentre, je suis seule. Quelle lumière plus rayonnante encore a tout à l'heure frappé mes yeux ravis ! Que sont les merveilles du monde extérieur, la beauté des jours, la clarté des nuits, la fraîcheur des paysages, la couleur des eaux, à côté de l'éblouissement dans lequel tu m'as jetée ?

+

Pour te peindre au vrai ce que j'éprouve, il faudrait arracher mon cœur de son enveloppe et l'étaler ici dans sa vivante chaleur. Quelle désolation de ne pouvoir parler de notre amour qu'avec les mots habituels aux amants ! J'ai comme une insurmontable aversion de t'aimer avec des paroles qui ont servi à tant d'autres avant nous. Ah ! combien sont supérieurs ces entretiens muets que se donnent nos âmes sur nos lèvres unies !

+

C'est sous cette impression à ne nous dire rien qui vaille mon adoration intérieure, que je sens le prix de ma mémoire, que je me plonge avec violence dans mes souvenirs. Eux seuls peuvent satisfaire les élans de tendresse passionnée de tout mon être.

+
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+ À MÉLISSANDRE +

Les tressaillements de ton cœur vibrent encore dans le mien. Moi aussi, j'ai besoin de me souvenir pour t'adorer comme tu es digne d'être adorée. En te quittant, je retrouve, et j'admire à nouveau les perfections multiples de la déesse qui règne sur mes esprits. Je me rappelle avec ravissement l'éblouissante beauté de ses formes, enveloppe animée, éloquente, de la beauté intérieure.

+

Je me sens l'égal d'un dieu, à l'orgueilleuse pensée que tous ces trésors sont à moi.

+

Je n'ai jamais mieux éprouvé qu'aujourd'hui la bienfaisante influence de tes conseils.

+

Cette ébauche de Pétrarque, plusieurs fois recommencée, deviendra un chef-d'œuvre, inspiré, voulu pour ainsi dire par toi. Je te devrai d'avoir compris Pétrarque à travers ton jugement, comme j'avais compris Laure à travers ta beauté. Ma gloire t'appartient, car ce que j'avais conçu avant de venir à Vaucluse n'est pas comparable à ce que j'ai réalisé depuis que tu m'as doté de ton amour. Je sens toutes mes visions d'art, toutes mes puissances doublées par les tiennes.

+

Tu es bien, dans le sens élevé et sublime, je le répète, la maîtresse de ma vie, le guide de mes efforts, la récompense de mes travaux, et je ne veux des couronnes que pour les mettre à tes pieds.

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+ À TIBURCE +

Comme je te remercie de me faire assister au spectacle extraordinaire de tes observations sur toi-même ! J'ai parfois dans mes recherches, à tes côtés, des vues soudaines, des divinations heureuses ; mais combien tu excelles avec ton abondance, ta générosité d'esprit, à m'initier d'un mot à toutes les ressources de ton génie !

+

Crois-moi, n'envie rien à cet être idéal dont tu me parlais hier, et qui ne te vaudrait pas. Cet homme qui s'en irait, à travers le monde, accompagné de son amante, butinant le miel de toutes les intelligences d'élite, serait un curieux, un maître mosaïste, mais il ne serait pas, comme toi, un artiste, un créateur. Ce qu'il y a d'exceptionnel en toi, c'est ta personnalité, ton indépendance vis-à-vis de ton art lui-même. L'image naît dans ton esprit avec une spontanéité qui tient du miracle. N'ajoute rien à tes supériorités : tu les fausserais ; reste l'homme que te voici : tu es grand, tu es le favori des dieux ; ne cherche pas dans les autres les quantités des qualités que tu possèdes en si grand nombre. Je te le dis, il faudrait additionner bien des valeurs pour faire la somme de la tienne.

+
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+ À MÉLISSANDRE +

Amie, j'ai pour ainsi dire à chaque heure le sentiment croissant de la prise définitive que tu as faite de mes pensers. Le résultat le plus singulier de cette invasion irrésistible, c'est de me rendre insatiable de travail. Il me semble que ma vie si confuse, si désordonnée, si vide jusqu'à toi, malgré ses entraînements, ses tourbillons, ne date que de toi ; je n'en ai conscience qu'à travers ta possession, et je ne me suis connu moi-même tout entier qu'à partir de l'heure où je me suis donné sans retour. Je t'aime avec toute ma raison, follement. Je me trouve impuissant à calmer sans toi le besoin de diversion morale qui me tourmente. Je ne me sens apaisé et heureux qu'à tes côtés, dans les instants fugitifs que je peux arracher aux convenances qui t'enchaînent. Sans doute, ma joie précède nos réunions de quelques heures ; mais j'emporte, après t'avoir rencontrée, cet enivrement mêlé d'amertume qui me rend fou d'orgueil, d'allégresse, de poésie et de chagrin. Je ne te possède que pour te perdre sans cesse, et ce que tu as souffert autrefois de ma longue absence, je le souffre de nos courtes séparations aujourd'hui.

+

Ah ! je n'aurais jamais pensé pouvoir être absorbé dans ton amour au point de ne regarder tout le reste de la vie que comme un insupportable néant.

+

Tu le vois, je fais plus que t'aimer. Je te tiens désormais pour le principe même de mon existence, et j'attends avec la fièvre le moment où je peux me retrouver en toi.

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+ À TIBURCE +

Tu as prononcé hier, sous les rayons de notre Phébus, un mot vraiment divin : « Je goûte le bonheur absolu ! » Non, je n'avais pas rêvé d'entendre une parole d'amour plus triomphante.

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J'ai dormi comme une illuminée qui a conversé avec son dieu ; une paix profonde s'est emparée de moi ; l'agitation de mes nuits a disparu. Ce matin, une sérénité olympienne, la joie des Immortels, m'envahit tout entière. Je suis heureuse en nous.

+
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+ À MÉLISSANDRE +

La plénitude de ce bonheur absolu est telle, ma bien-aimée, que je ne sens ni ne désire rien au delà, même par ton amour. C'est avoir couronné sa vie que d'y avoir mis cette félicité vainement poursuivie et convoitée par tant d'autres.

+

J'ignore le temps que me compteront encore les dieux, je ne sais quand je mourrai, mais, quoi qu'il advienne de cette heure dernière, il suffira à mon âme d'évoquer ce glorieux amour pour finir sans le regret d'une plus longue existence.

+

Notre passion est si élevée qu'elle semble à hauteur divine ! Elle nous grandit sans nous épuiser, nous dévore sans nous amoindrir. Elle est telle que l'ont voulue, sans toujours l'atteindre, les amants dont le nom illumine le poème de l'humanité, également éloignée des froides ou mélancoliques rêveries du platonisme et de la préoccupation dominante des exclusifs et, par conséquent, grossiers plaisirs des sens.

+

Notre amour est ce que tu es toi-même, l'union accomplie de l'esprit et de la matière, dans une indissoluble et toujours saisissable harmonie, faisant profiter la chair des élévations et des purifications de l'esprit, vivifiant, réjouissant l'esprit des sensations et des perceptions de la matière.

+

En un mot, il est l'épanouissement même de l'indivisible nature, et l'impuissance que j'éprouve, malgré ma recherche constante, à traduire la profondeur de ma joie, fait partie de l'ineffable et mystérieuse béatitude en laquelle cet amour me tient.

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Je ne puis pas dire : « Je t'aime, » je dois dire : « Je te vis. »

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+ À TIBURCE +

Ce n'est pas de ma chambre que je t'écris ce soir. J'ai fait transporter ma table au milieu de ce petit salon où tant de nos baisers se sont envolés dans les tentures, tant de nos regards se sont fixés dans les glaces, précieux boudoir, tour à tour meublé de ta présence ou de ton souvenir, et dans tous les coins duquel ton visage me semble caché.

+

La douceur de notre intimité devient de plus en plus pénétrante. Comme nous nous sommes attendris hier, dans ces quelques minutes de tête-à-tête ! Perdue en toi la veille, il m'a semblé que tu me rapportais une part de moi rassérénée et agrandie. Ne me garde pas tout entière, ne m'absorbe pas complètement, je t'en conjure. Ma personnalité m'est chère, pour jouir du bonheur donné et du bonheur ressenti.

+

Tu m'as reproché, ces derniers jours, de ne plus souffrir de nos courtes séparations. Tu te trompes : elles me sont cruelles comme à toi. Nous vivons en une telle communion de pensées, de goûts, de désirs, que tout nous serait joie dans une réunion constante. L'infinie variété de notre passion nous réserve des félicités inépuisables, s'alimentant sans cesse de nos connaissances acquises, de la diversité d'impressions, de jugements, qu'excite dans nos deux esprits le contact des choses extérieures.

+

Notre amour s'accroît et se multiplie de tout ce qui détourne des passions ordinaires ; notre bonheur nous attache plus étroitement aux belles amours de la nature, aux héroïques actions du passé, aux nobles prévisions de l'avenir. Ce n'est pas de l'égoïsme à deux, c'est de l'union en tout ce qui est noble, en tout ce qui fait vibrer l'intelligence, le cœur et l'esprit.

+

Je t'aime de meilleur en meilleur.

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+ À MÉLISSANDRE +

Je voudrais, adorable fée, te rendre la délicieuse impression que j'ai éprouvée, l'autre soir, en te retrouvant dans cette toilette de mousseline blanche.

+

Tu m'avais quitté brûlante, je te cherchais encore sous mes lèvres enflammées de toutes les ardeurs de la passion ; je te revois douce, reposée, rafraîchissante. Il sortait de toi comme un souffle d'apaisement qui m'a rendu la possession de moi-même.

+

Je venais pour te dire : « Ne nous quittons plus, je te veux à chaque heure de la nuit, du jour ; loin de toi, la fièvre me dévore ; je n'ai pas trop de chaque minute de mon existence pour t'adorer : pourquoi ces déchirements ? Je suis ton époux ; allons où les conventions ne t'arracheront pas sans cesse à mon amour. Je meurs si tu résistes à mon invincible désir de t'avoir à moi seul, toujours.

+

« Je te vois, et le calme règne en mon esprit troublé. Combien ta nature est divine en toutes ses ressources, et quelle merveilleuse poésie tu sais répandre sur les moindres incidents de la vie ! Une robe, une attitude nouvelles, et tu exprimes à l'instant une série de pensées, tu provoques des émotions, tu fais vivre en faisant changer ! »

+

N'est-ce pas là le but même de l'amour, de toujours surprendre sans vous enlever un instant à la domination de la personne aimée, qui sait rester une à travers ses métamorphoses ?

+

Ce qui me ravit le plus dans cette soumission de mes sentiments à ta volonté, c'est l'infinie méditation où tu me laisses chaque jour.

+

Je n'avais jamais aimé, puisque l'amour ne m'avait jamais fait penser ; j'ai découvert l'entrée d'un nouveau monde d'idées, la clef qui ouvre l'infini.

+
+
+ À TIBURCE +

Encore une émotion douce. Mon amour s'est laissé poétiquement bercer, non endormir. La tendresse contiendrait-elle des joies plus renouvelables que la passion ?

+

Le doux val fermé me paraît infiniment doux. Je fais une halte, je me repose dans le bonheur paisible.

+
+
+ AU MÊME +

Des cimes plus hautes se dressent, on les escalade, on franchit des abîmes plus vertigineux, on se trouve tout à coup seuls, à deux, dans des espaces où l'œil n'a plus qu'une vision éclatante et rayonnante, où l'intelligence distendue devient vague et n'a que des perceptions de largeur, de lumière, de cercle immense, où elle ne peut rien traduire par la parole, ni même par la pensée. Attachés, enlacés, confondus, nous avons été emportés vers cet infini sublime où l'on n'a que le sentiment de l'absorption dans un autre être et d'une fusion avec l'univers. Je suis encore une fois impuissante à analyser mes sensations. Je les vois et ne puis les peindre, je les entends et ne puis les parler, je les éprouve et ne puis les rendre.

+
+
+ À MÉLISSANDRE +

Hier, j'avais trouvé dans l'extase l'impersonnalité, l'anéantissement ; ce soir, j'ai été livré à tous les souffles de la passion ; après une journée de joie pure, de plaisirs célestes, de félicité si haute qu'elle se perdait dans l'impalpable, j'ai eu tous les emportements d'un homme amoureux de la veille se donnant et possédant pour la première fois.

+

Je chante les hymnes d'Antéros, frère d'Éros, dieu de l'amour partagé.

+
+
+ À TIBURCE +

Les limites extrêmes de l'amour, que bien des fois nous avions atteintes, nous les avons dépassées. Mais tout n'était pas sens dans notre ivresse, car les sens ont des domaines restreints, et l'on ne peut ressentir de pareilles voluptés qu'avec l'esprit. Nos sensations jaillissent bien réellement de notre cerveau et le frappent jusque dans les domaines de la pensée.

+

C'est un amour sans pareil, sans égal, celui qui apporte les tressaillements de l'ardente nature et les visions du surnaturel.

+
+
+ À MÉLISSANDRE +

Ma belle Diane,

+

Suis-je dominé, ébloui par le rêve, ou suis-je le jouet favori du dieu malin aux flèches d'or ? J'ai peine à remonter aux réalités.

+

Je les saisis un jour, puis elles m'échappent comme un trésor trop riche pour la largeur de mes mains. Et cependant, ma mémoire est là qui me redit une à une les adorables étapes de cette fuite pour Cythère. Je m'interroge : « C'est bien moi, non un autre, j'étais là, telle chose m'advint. » Quel magicien et quel prodigue que l'amour ! Il suffit de s'abandonner à lui sans réserve pour être comblé de ses faveurs, enivré de son prestige.

+

Il avait préparé cette fête, il nous a guidés le long des sentiers plantés de myrtes fleuris jusqu'à la retraite dont j'ignorais l'existence, et qui pourrait bien avoir disparu depuis notre mystérieuse visite.

+

Et quel décor l'Amour avait imposé à la nature ! As-tu remarqué le feu des étoiles, la transparence des eaux, la finesse et la profondeur des ombres, tout, jusqu'au silence sidéral qui nous enveloppait, portait la marque du dieu, et révélait sa présence en ta faveur.

+

Non, tu n'es plus Mélissandre ; c'est Diane elle-même qui a quitté ses royaumes d'azur et de feu pour venir dans mes bras.

+

Je ne crois plus qu'à cette apparition. Je bénis, j'appelle ma déesse. Je la supplie de pardonner à la folle ardeur de son berger.

+
+
+ À TIBURCE +

Je suis Diane, sœur d'Apollon. J'ai gravi le Latmus pour dérober un baiser aux lèvres du berger ; mais le berger s'est réveillé, ou n'était point endormi. Endymion, qui surprend doucement, m'a surprise, et m'a rendu, pour mon seul baiser, des baisers nombreux.

+
+
+ À MÉLISSANDRE +

Vous me priez, madame, à la façon du XVIII e siècle, de faire votre portrait ; le voici. Vous réclamez de moi la vérité ; j'aurai, certes, autant de fierté à vous la dire que vous aurez d'orgueil à l'entendre. Vous savez, par avance, le plaisir que je prends et goûte plus vivement tous les jours à sonder, analyser, scruter votre nature puissante et variée.

+

Je commence donc.

+

Il ne peut y avoir pour moi de charme plus grand, après celui d'avoir peint ma maîtresse, que de l'évoquer et de la décrire.

+

Je la présente :

+

Elle est haute, sans être grande. Elle est blonde, sans que la nuance de ses cheveux soit trop ardente, quoiqu'elle tienne ses aïeux de la noblesse vénitienne. Elle est belle, et cependant elle sait être toujours jolie ; ses yeux d'azur, brillant à leur ordinaire, ont la faculté, comme l'Adriatique, de paraître tour à tour, selon les passions qui l'agitent, bleu profond, vert marin, couleur d'améthyste, et, si elle brûle de colère, ils deviennent subitement plus noirs et plus étincelants que les diamants de l'Oural.

+

La merveille de son visage, c'est l'écrin joyeux de ses dents qui étale, sous un nez railleur et fin, les plus laiteuses perles du monde.

+

Sa démarche est à la fois d'une reine et d'une prêtresse. Elle commande ou attire, par la simple façon dont elle fait un pas. Elle ne paraît jamais apprêtée, si riche que soit le costume qu'elle ait jeté sur son beau corps. Drapée en statue, elle rappelle tantôt Junon, tantôt Cypris. Le rêve, c'est de l'arracher à son piédestal et de l'attirer sous les saules.

+

Que dire du moral, de l'être intellectuel, de son imagination, de sa verve, de son cœur, de son caractère ? Il faudrait dépeindre cela sous tous les aspects divers de la nature humaine, dont elle est une copie multiple.

+

Le trait dominant de son esprit est de tout poursuivre, de tout savoir des choses qui touchent à l'origine, à la composition, à la distribution des forces dans la nature. Elle a l'intuition autant que la passion des connaissances et des idées générales.

+

C'est par ce côté qu'elle échappe au féminin, qui retient presque toujours exclusivement le menu et le terre à terre. Elle est homme, comme Prométhée, à voler le ciel pour lui arracher une théorie ou une méthode.

+

Ce qui surprend, c'est qu'au milieu de ses curiosités, de ses emportements de savante, elle conserve son beau langage de grande dame, qu'elle s'intéresse à tous les caprices, à toutes les fantaisies de l'art et de la mode. Elle sait mettre de la coquetterie jusque dans les audaces de sa pensée.

+

Elle joue, comme Célimène, avec les cœurs, mais derrière ses coups d'éventail on sent toujours la bonté, la mansuétude. Si elle est coquette avec un adorateur, elle ne trompe pas celui qu'elle a choisi pour amant. Elle est trop passionnée pour n'être pas fidèle. Ceci vient de ce que l'amour n'est entré dans son cœur qu'après avoir traversé son esprit, et ses sens ne se sont éveillés que sous le rayonnement de son intelligence. Elle a aimé après avoir compris.

+

Elle avait le choix : tomber dans le nirvana de la nature ou dans les bras d'un homme fait et préparé pour elle. Elle l'a trouvé, elle l'a voulu, elle l'a saisi, elle le tient pour le bien et pour le mal ; elle pourrait le pousser à la folie, elle préfère l'acheminer à la gloire.

+
+
+ À TIBURCE +

J'ai relu cent fois ce portrait. Je me plais, jugée ainsi. Me voilà grandie par ta pensée, comme j'ai été embellie par ton pinceau.

+

Ce soir, après t'avoir quitté, je me suis plongée en mes souvenirs, abandonnée au courant de mon amour ; il m'a semblé que je me noyais dans ses profondeurs. Délicieusement engloutie, j'ai perdu un instant la connaissance de ma personnalité, sans perdre la conscience de mon bonheur. Revenue de cet évanouissement, j'ai cru que je t'aimais pour la première fois et j'ai ressenti des joies renouvelées et des joies nouvelles.

+

Je me répète combien nous sommes fortunés. Si tout à coup nous étalions nos richesses sous les yeux des autres, quelle misère effroyable apparaîtrait aux yeux de ceux-là mêmes qui se croient les plus favorisés ! Ô mon bien précieux, mon incomparable amour, avec quelle jalousie je te cache !

+

Tu me demandes de t'envoyer, en échange de mon portrait, l'un de mes chants orphiques. J'évoque Apollon, maître des chantres, conducteur des muses.

+

« Je chante, parmi les zéphyrides, Carpo, fille de la douce Chloris, légère, aimable, voluptueuse, adorée de tous les mortels, qui chasse, durant les jours printaniers, l'ardeur brûlante de Mesembria.

+

« Carpo, qui réveille les grâces alanguies, soulève, discrète, les draperies sur la poitrine des vierges songeuses, fait chanter aux hamadryades leur plus harmonieuse plainte, dans les branchages alourdis par les feuilles épaisses.

+

« Fille de Zéphire, toi qui frissonnes sur les eaux et sèmes à leur surface des rides amollies, toi qui courbes les épis d'or et les balances, toi qui te joues sur les fleurs éclatantes et disperses leurs parfums, zéphyride, Carpo bienfaisante, messagère aérienne, emprunte à ton père ses coursiers rapides : Kanthus et Ballos ; cours vers mon bien-aimé, caresse ses lèvres, recueille ses baisers, puis, apporte-les moi, doux comme le sucre que l'abeille goûte au fruit mûr des grappes. »

+
+
+ À MÉLISSANDRE +

Je suis à peine éveillé qu'avec les rayons du jour, la lumière de ta lettre me frappe et m'illumine.

+

Brillante aurore, dont les doigts de rose m'ouvrent les portes du ciel !

+
+
+ À TIBURCE +

Notre royaume est-il assez de ce monde ! Quel défi, par mon amour jeté, aux lamentations religieuses ! Que de joies dans cette vallée de larmes !

+

Pourquoi notre bonheur ne serait-il pas éternel, puisqu'il s'alimente, se nourrit et s'accroît incessamment de nos diverses et communes passions ? Nous n'avons rien à en regretter, nous ne pouvons en rien retrancher. C'est sa force et sa grandeur d'être aussi désordonné dans la sensation que calme et résolu dans les choses de l'esprit. Quoiqu'en apparence, et par rapport aux heures changeantes, il semble aller du physique au moral, pour de là revenir à des entraînements amoureux, il est toujours un, identique à lui-même, et les désirs qu'il provoque n'ont d'autre impulsion que la communication intellectuelle de nos âmes.

+

Pour le changer, l'amoindrir, l'étouffer il faudrait changer nos cerveaux, nos idées, nos aspirations mêmes. C'est l'amour complet ; par ce suprême caractère, il est toujours nouveau, toujours contraire à ce qu'il avait le devoir de remplacer et de faire oublier.

+
+
+ À MÉLISSANDRE +

Quel repos divin ! La paix semble être à tout jamais avec nous.

+

Des chaînes plus nombreuses nous attachent, mais ce sont des chaînes faites avec les fleurs les plus rares. Combien notre entente est définitive ! Dans nos discours amoureux, plus rien d'éclatant, l'harmonie en sourdine, à peine quelques coquetteries d'esprit. Non, l'ennui ne naîtra jamais d'un sentiment que n'a point encore effleuré l'uniformité.

+

J'ai cependant un reproche à te faire. Tu te préoccupes trop des voyageurs de Naples. Mes dernières lettres m'assurent que l'arrivée de ton père a fait cesser les folies de M. de Noves.

+
+
+ À TIBURCE +

Hélas ! non, la paix n'est pas à tout jamais avec nous. Tu étais bien mal informé par tes lettres. Mon père, découragé, indigné, vient de rentrer cette nuit. Il a laissé M. de Noves à ses excentricités, se sauvant pour ne pas être témoin de quelque scandale. Ce gendre dont il fallait respecter le nom, pour lequel on me prêchait l'indulgence, est devenu un criminel qui doit être châtié, ou par la justice des hommes, ou par celle des dieux.

+

Mon père n'a senti l'outrage que bien tard ; il y a longtemps déjà que, moi, je ne le sens plus. Je m'étais, depuis quatre années, si complètement reprise, j'avais si résolûment détaché tout lien, qu'il n'y avait pas, entre M. de Noves et moi, un seul fil à rompre.

+

Je ne suis ni plus ni moins libre parce que ceux qui m'avaient engagée se dégagent. Tout était brisé de ce qui avait dû être brisé.

+
+
+ À MÉLISSANDRE +

J'ai eu le cœur bien triste en te quittant sans avoir pu te dire un mot d'intime reconnaissance pour ta lettre si fière. Je la relis, essayant de surmonter l'ennui de cette longue séparation.

+

J'imagine qu'il y a un an que je ne t'ai parlé, et cette heure passée auprès de toi et de ton père me semble appartenir à une vie antérieure et déjà bien reculée.

+

Enfin je vais te revoir, lire dans tes yeux, peut-être arracher un baiser à tes adorables lèvres ; mais, par cette lettre, je veux te laisser une trace de mes regrets, qui te rappelle après mon départ qu'à la maison de Pétrarque on désire follement ta venue ce soir.

+

De nous deux, c'est toujours toi qui montres la plus grande fermeté d'esprit et de caractère, qui prononces les plus nobles paroles et qui excelles à trouver les mots qui m'apaisent et me consolent.

+

Aussi, je t'aime comme le secret de mon courage.

+
+
+ À LA MÊME +

Le sentiment qui me domine de plus en plus, à mesure que mon amour s'amasse et croît, c'est la fermeté d'esprit. Tu verses à plaisir la sérénité vaillante. Quel amour est le tien ! Fait de passion, de bravoure, on se sent grandir à son contact, et je te quitte toujours meilleur, plus résolu, plus confiant. Tu devines l'état de mon cœur et tu y verses le baume qui réveille et calme à la fois.

+

Je suivrai ton dernier conseil, qui était un doux reproche. Puisque je te vois moins souvent, je travaillerai davantage. Je te dois de te mériter et de te gagner heure par heure. Tu n'es pas comme les autres femmes, dont on peut s'assurer la tendresse d'un seul coup ; tu offres tous les jours des trophées à enlever, tu veux être sans cesse ravie à nouveau. Je te l'ai dit très souvent : tu n'es jamais la même. C'est pour ce perpétuel inconnu que je te cherche. Tu peux prodiguer à ton élu des récompenses toujours inattendues. Je t'aime comme la femme toujours convoitée. Aussi tes caresses, tes aveux m'enorgueillissent comme une virginité que je t'arrache.

+

Tes prodigalités sont sans danger, parce que tes richesses sont inépuisables.

+

Je t'ai vue te promener seule hier dans les jardins parfumés. Tu devines quelles folles rêveries sont venues hanter mon cerveau. Vingt fois j'ai voulu courir à toi, te surprendre ; mais j'ai craint l'arrivée de ton père et j'ai agi sagement, car, un moment plus tard, il te rejoignait.

+

Être seul avec toi seule ! Quand donc viendra le temps du bonheur ininterrompu ?

+

Nous avons tous deux aujourd'hui le même dieu ; la même destinée nous a rapprochés. Apollon et l'avenir nous doivent la suprême joie de la possession entière. À quel prix ? Je ne sais. Il me semble que je connais le taux de cette faveur, je te l'ai plus d'une fois confié ; c'est l'insatiable désir de te gagner qui me donne, à certains jours, cette passion du travail, de la fortune, de la gloire. Je voudrais être assez grand pour t'honorer, assez fort pour te prendre.

+
+
+ À TIBURCE +

Mon père m'a déclaré, ce matin, que nous allions quitter Noves, que je ne pouvais habiter chez mon mari, après sa conduite à Naples. « Que se passe-t-il donc de nouveau ? » ai-je demandé.

+

— Des choses telles que la ruine, la saisie prochaine du château, me fut-il répondu ; la vente des terres a déjà commencé.

+

— Je regrette de n'avoir pas été prévenue plus tôt, ai-je dit froidement ; mais il est temps encore, j'imagine, de tout reprendre, de tout acheter.

+

— Quoi ! tu songerais à garder ces lieux témoins de tes douleurs, de tes humiliations ?

+

— Je veux posséder Noves, et je l'aurai. »

+
+
+ À MÉLISSANDRE +

Ma bien-aimée, ta lettre me cause une véritable angoisse. Oui, je t'en conjure, garde Noves, laissons à notre amour son cadre. Les nymphes de la fontaine, le dieu de la source, nous puniraient de les quitter.

+
+
+ À TIBURCE +

La seule chose intelligente que je doive à mon père, c'est de m'avoir fait faire un contrat féroce, de m'avoir mariée sous le régime dotal. Je puis donc disposer de ma fortune à mon gré.

+

Donc, le château, la plupart des terres, sont aujourd'hui à moi. Il n'a fallu qu'une simple dépêche de mon père à M. de Noves.

+

Voici la réponse : « Faites-moi tenir l'argent au plus vite, j'en ai besoin pour me distraire. Sachant Noves à Mélissandre, je ne me crois plus le droit d'y retourner. »

+

Ami, ce mot me délivre ; je suis plus que jamais à toi.

+
+
+ À MÉLISSANDRE +

+ Le retour de l'anniversaire qui te donna, il y a vingt-sept ans, à l'admiration des hommes, te paraît-il plus doux aujourd'hui ? Penses-tu que, dès ta naissance, il n'y avait pas sur ton berceau l'étoile qui devait me guider vers toi ? Cet anniversaire est le mien. La nature a formé pour moi, ce jour-là, l'être supérieur qu'elle me destinait, que j'ai cherché vingt ans à travers les traditionnels + mile è tre + . +

+

Rien ne prépare mieux à la suprême jouissance de l'amour éternel que ces plaisirs aussi vite délaissés qu'ils ont été poursuivis. Je te le dis avec un mélange de confusion et d'ivresse, c'est pour avoir été si longtemps sceptique, léger, libertin, que je goûte profondément les joies de la conversion, de l'inflexible attachement, de la possession unique, sans lendemain.

+

Je t'aime, je te bénis. Tu as dépassé tous mes rêves. Je te dois les sublimes vertiges de l'amour infini. Tu m'as revivifié. Je ne suis pas seulement ton pieux adorateur, je suis ta créature.

+

Toi et moi ! Songe à ce que ces deux mots sont pour chacun de nous.

+
+
+ À TIBURCE +

Ma fenêtre est ouverte. Il est neuf heures du soir. Je rends grâce aux dieux de m'avoir donné ton amour. Je t'évoque, tu viens, et je suis avec toi, penchée sur les balustres, ma main dans la tienne, mon front à la hauteur de tes lèvres.

+

Le ciel, d'un bleu sombre, se creuse au-dessus des jardins et se courbe à l'horizon pour envelopper nos collines blanches. La Sorgues murmure je ne sais quoi entre ses rives. Le rossignol chante, la brume blanche passe en effleurant l'eau. Tout cela me semble amoureux.

+

Artémis éclaire la voûte du ciel et le sein gonflé de la terre. Je regarde la déesse blonde qui préside aux embrassements confus de la nature dans la nuit. Elle me baigne de sa clarté pâle et je la prie de nous être favorable. Artémis nous aime avec moins de feu que Phébus, mais tu sais combien elle nous protège. C'est elle qui dirige l'amour vers les sphères lumineuses et le fait entrer sous les signes du soleil.

+
+
+ AU MÊME +

Je hais ce mot de conversion que tu me répètes sans cesse. À quoi donc es-tu converti ? À l'abstinence ? Permets que j'en doute. À la fidélité ? Je discute.

+

As-tu perdu, pour me le sacrifier, le goût des plaisirs variés, du divers, de la fantaisie ? Un don Juan est-il converti, parce qu'il trouve dans une femme ce qu'il cherchait dans toutes ? Non : il est simplement fixé.

+

Tu n'es fidèle à ton amour que parce qu'il est infidèle à lui-même, que son attrait inépuisable est l'imprévu.

+
+
+ À MÉLISSANDRE +

Moqueuse ! Je ne puis attendre à ce soir pour te conter le plaisir que me fait ton billet. Quelle devineresse j'ai pour amoureuse ! Quelle magie tu sais apporter dans les plus fines nuances de la passion ! Tu me connais et m'expliques mieux que je ne le puis moi-même. Oui, c'est être infidèle à l'amour de la veille qu'être fidèle à ton amour présent. Je désire sans cesse à nouveau te revoir et j'emporte de nos rencontres une émotion toujours autre. Je vois dans tes yeux des rayons changeants, le sourire de tes lèvres est plein de surprises ; ton âme varie chaque jour, ton esprit, ton cœur ont des inconnus à me rendre fou. Tu résumes, tu épuises, tu termines en toi le féminin.

+

C'est à travers toutes ces incarnations que je t'adore, que je brûle pour Mélissandre de tant de feux.

+
+
+ À TIBURCE +

Je suis allée par les chemins, lisant et relisant ta lettre ardente.

+

Je me suis enivrée d'elle et des âcres parfums des pins chauffés par le soleil.

+

Je marchais enveloppée de rayons ; je respirais la flamme brûlante d'Apollon, et ses feux me semblèrent mêlés pour la première fois à tes feux. L'époux céleste que je m'étais donné avant de te connaître prenait ta forme terrestre, et je te voyais divinisé en lui. À ce moment, une image étrange passa devant mes yeux : M. de Noves m'apparut blessé à mort, la poitrine ouverte, sanglante. Est-ce une vision envoyée par le Pythien ? Je me jetai à genoux, priant mon dieu. Il m'apaisa et je me relevai.

+

Le ciel me parut plus bleu, et mes pensées toutes d'or. Je m'assis à l'ombre, près de la Sorgues, qui m'envoya sa fraîcheur délicieuse. Je regardai la transparence de l'eau qui se brisait en écume blanche au milieu des roches, les mousses vertes, tantôt échevelées dans les tourbillons, tantôt démêlées par le courant. La rivière, silencieuse dans la grande masse lourde de l'écluse, glissait presque immobile, puis redevenait bruyante aussitôt délivrée.

+

Le chant des fauvettes, la voix de l'eau, berçaient mon rêve ; l'espérance m'était venue, et je songeais à la vie pleine de tous les bonheurs, à toutes les joies fières que nous aurions si j'étais libre.

+
+
+ À MÉLISSANDRE +

Ce que tu m'écris me rend fou ; je ne suis plus le maître de mes emportements vers toi. Je voudrais t'appartenir tout entier, t'avoir sans fin, sans trêve, sans repos, travailler, vivre à tes côtés.

+
+
+ À TIBURCE +

La nouvelle que reçoit mon père est extravagante. M. de Noves lui demande de venir l'assister dans une affaire grave. Il le supplie d'apporter à Naples, dimanche, le prix tout entier du château, des terres, de réaliser à Marseille, en deux jours, la somme de mon achat. Quel conseil donner à mon père qui hésite, lassé de toutes ces aventures ?

+

Je t'ai quitté un moment, appelée par l'oncle de mon mari, son tuteur, qui arrive d'Avignon, et vient chercher mon père. Tous deux partent pour Naples. Il s'agit d'une assez vilaine affaire de jeu.

+
+
+ AU MÊME +

Quelle œuvre merveilleuse que ta Vénus Uranie ! Tu es un grand amoureux, mais tu restes un grand artiste. C'est un amour béni que celui qui assouplit le talent, affine l'esprit, en augmente les vigueurs, qui excite les nobles ambitions, ajoute des flammes au feu dont on brûle pour l'art, et double la passion du beau.

+

Je mourrais plutôt que de t'amoindrir. Quelle fierté j'éprouve en t'admirant ! Je me dis que je t'ai connu célèbre et que je t'ai fait grand !

+

Plus mon amour t'enchaîne, plus ton génie se dégage.

+

Tu répands sur tes œuvres la moisson que tu récoltes en nous.

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+
+ À MÉLISSANDRE +

Ta fierté de moi fait mon orgueil. Te dire à quel point, durant mon travail, ton souffle invisible, ton inspiration toujours présente, ont soutenu mes forces, animé mon courage, c'est payer le tribut de reconnaissance infinie que je dois à ton amour.

+

Je ne t'ai jamais tant adorée que ces derniers jours, où j'ai voulu faire sous tes traits la Vénus céleste. Cette évocation intérieure de toi me ravissait. Sois certaine, ô ma belle déesse, qu'il ne s'est pas écoulé une seule minute où ton amant, le pinceau à la main devant ses ébauches, n'ait laissé voler son âme vers toi pour revenir fortifiée, épurée, ennoblie par la pénétration de ta pensée.

+

Notre amour si jeune est puissant. Quelle valeur j'y ai puisée ! Sans toi, sans ce fluide que tu m'envoies à travers notre étroit royaume, la lassitude m'eût envahi. Toi seule as pu m'épargner l'incertitude, le découragement. Si j'ai triomphé de mes doutes d'artiste, c'est parce que je voulais conquérir ton admiration. Aussi, que de grâces j'ai à rendre à mon amante pour ses conseils, pour ses sacrifices à mon travail, qu'elle arrache et impose à son amour ! Si tu pouvais voir de tes yeux l'attendrissement qui me saisit à la réception de tes lettres, tu t'applaudirais des indulgences de ces derniers jours, et tu sentirais que ton esclave n'est jamais plus tien que lorsqu'il semble te préférer sa gloire.

+

Ah ! que je t'adore, Mélissandre ! et comme je sens que j'aime la plus incomparable femme qui ait orné le monde jusqu'à nous !

+

Ma dévotion à ta beauté idéale et réelle croît chaque jour.

+

J'essaye en vain d'exprimer avec éloquence ce qui jaillit en moi de tendresse, de passion violente, d'adoration religieuse pour toi, ma bien-aimée. Je ne suis jamais parvenu à te dire, encore moins y parviendrai-je maintenant, à quel point mon amour dépasse ma conception. Je t'aime de toutes les forces de mon âme, de toutes les admirations de mon esprit, avec toutes les gratitudes de mon cœur et tous les désirs de mes sens.

+

Pour mériter une louange de toi, un regard de tes yeux, un baiser de tes lèvres, je soulèverais le monde, je fixerais l'infini.

+

Jamais femme ne fut idolâtrée comme toi. Je ne puis ajouter à mon amour que de l'amour, et encore de l'amour !

+
+
+ À TIBURCE +

Je reçois une dépêche de mon père et j'apprends la mort de M. de Noves, tué en duel. Apollon est-il dieu ? Serai-je ta femme ?

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Marie-Claire BEQ 977 Marie-Claire - - + Marie-Claire Eugène Fasquelle Paris 1910 - - +

@@ -52,13 +49,13 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion to ELTeC level-1 (Christof Schöch) -

+
PREMIÈRE PARTIE

Un jour, il vint beaucoup de monde chez nous. Les hommes entraient comme dans une église, et les femmes faisaient le signe de la croix en sortant.

Je me glissai dans la chambre de mes parents, et je fus bien étonnée de voir que ma mère avait une grande bougie allumée près de son lit. Mon père se penchait sur le pied du lit, pour regarder ma mère, qui dormait les mains croisées sur sa poitrine.

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-- Oh ! c'est trop, mon Dieu, c'est trop !

Je traversai la cour toute seule, et la fermière, qui m'attendait, m'emmena aussitôt.

-
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DEUXIÈME PARTIE

Je me trouvai bientôt installée au milieu de paniers vides dans une voiture couverte d'une bâche, et quand le cheval s'arrêta de lui-même dans la cour de la ferme, il y avait déjà longtemps qu'il faisait nuit.

Le fermier sortit de la maison avec une lanterne qu'il balançait au bout de son bras et qui n'éclairait que ses sabots ; il s'approcha de nous et m'aida à descendre de la voiture, puis il haussa sa lanterne jusqu'à ma figure et il dit en se reculant :

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-- Adieu, mon petit compagnon. Je me souviendrai toujours de toi.

Quand j'eus marché un peu, je me retournai pour les voir encore ; et, malgré la nuit qui augmentait, je vis qu'Eugène et Martine marchaient en se tenant par la main.

-
+
TROISIÈME PARTIE

Les nouveaux fermiers arrivèrent le lendemain. Les laboureurs et la servante étaient venus dès le matin, et, lorsque le soir, les maîtres entrèrent dans la maison, je savais qu'on les appelait M. et Mme Alphonse.

M. Tirande resta deux jours à Villevieille et partit après m'avoir rappelé que j'étais au service de sa bru, et que je n'aurais plus à m'occuper des travaux de la ferme.

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Bibliothèque électronique du Québec, , @@ -31,24 +30,14 @@ , . - - - - , - - , - - . - - + 1858 , , - + . - - +

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Note de la première édition

On a beaucoup écrit sur l'Amérique; bon nombre d'auteurs d'un talent incontestable ont entrepris la tâche difficile de faire connaître ces savanes immenses, peuplées de tribus féroces et inaccessibles à la civilisation, mais peu d'entre eux ont réussi faute d'une connaissance approfondie des pays qu'ils voulaient décrire et des peuples dont ils prétendaient faire connaître les mœurs.

M. Gustave Aimard a été plus heureux que ses devanciers; séparé pendant de longues années du monde civilisé, il a vécu de la vie du nomade au milieu des prairies, côte à côte avec les Indiens, fils adoptif d'une de leurs puissantes nations, partageant leurs dangers et leurs combats, les accompagnant partout, le rifle d'une main et le machète de l'autre.

@@ -102,7 +91,7 @@
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@@ -627,7 +616,7 @@

Des semaines, des mois, des années s'écoulèrent sans que rien vînt lever un coin du voile mystérieux qui enveloppait ces sinistres événements, et malgré les plus actives recherches, on ne put rien apprendre sur le sort de Rafaël, de sa mère et de nô Eusébio.

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@@ -4443,7 +4432,7 @@
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1  Nous donnons ici la traduction de ce discours qui peut intéresser le lecteur comme spécimen du langage des Comanches.

« Meegvoitch kitchée manitoo, kaigait-kee zargetoone an nishinnorbay nogomé, shafuyyar payshik artwwaay winnin tercushenan, cawween kitchée morgussey, an nishinnorbay nogome, cawwickar indenendum. Kaygait kitchée muskowway geosay haguarmissey waybenan matchée oathty nee zargetoone saggonash artawway winnin kaygait hapadgey kitchee morgussey an nishinnorbay; kaig wotch annaboikassey nennerwind mornooch towvach nee zargey debwoye kee appayomar, cuppar bebone nepewar appiminiqui omar » @@ -4458,4 +4447,4 @@

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Bibliothèque électronique du Québec, , @@ -31,24 +30,14 @@ , . - - - - , - - , - - . - - + 1874 , , - + . - - +

@@ -64,14 +53,14 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 cf Initial TEI version. -

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Première partie -- Le Fort Duquesne
I -- Le comte de Jumonville @@ -3521,7 +3510,7 @@

Cette première et hasardeuse tentative n'avait point eu un résultat triomphant.

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@@ -6891,7 +6880,7 @@
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1  Koua-Handé, littéralement : J'entends venir. @@ -6908,4 +6897,4 @@

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Le Captain Cap Le Captain Cap - - + Le Captain Cap Felix Juven Paris 1902 - - +

@@ -49,13 +46,13 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion to ELTeC level-1 (Christof Schöch) -

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Avant-propos

Il importe tout d'abord de dissiper une des plus grossières erreurs de ce temps et des plus néfastes.

@@ -76,12 +73,12 @@

-
+
Première partie

Le Captain Cap devant le suffrage universel

-
+
Ville de Paris

Aux Électeurs du IXe arrondissement, 2e circonscription (1) @@ -183,7 +180,7 @@ Vu : Le candidat : Albert C... dit Captain Cap.

-
+
Profession de foi du Captain Cap

Citoyens,

Homme neuf, j'arrive avec des idées neuves.

@@ -250,7 +247,7 @@

Albert C..., dit CAPTAIN CAP.

-
+
Le programme du Captain Cap

1º Établissement d'un fort sur la butte Montmartre ;

2º Établissement d'un observatoire sur la même butte ;

@@ -263,7 +260,7 @@

9º Établissement sur la butte d'une Plazza de toros et d'une piste nautique ;

10º Suppression de l'École des Beaux-Arts, etc., etc.

-
+
Proclamation d'un groupe d'électeurs

Élections législatives du 20 août 1893

IXe arrondissement, 2e circonscription.

@@ -349,7 +346,7 @@

CAPTAIN CAP.

Maurice O'Reilly, Paul Frény, Alphonse Allais, Raoul Ponchon, Georges Auriol, Léon Gandillot, Howard Symonds, Georges Courteline, Émile Goudeau, Armand Berthez, Raphael Shoomard, Jean Prairial, Narcisse Lebeau, Paul Clerget, Henri Joseph, le prince Joe Masson, Barral, Brunais, Duplay, Gatget, Lacault, A. Bert, Jules Jouy, Gérault du « Cantal », Édouard Million, J. Paulet, Darcey, Alfred-Amand Montel, Jehan Sarrazin, Félix Huguenet, Paul Robert, Berthier.

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+
Une réunion électorale du Captain Cap

La séance est ouverte à neuf heures et demie.

Elle est présidée par le citoyen Maurice O'Reilly, dont l'éloge n'est plus à faire, et dont les électeurs du IXe ont pu maintes fois apprécier la valeur.

@@ -458,7 +455,7 @@

Signé : Georges AURIOL.

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+
La presse et le Captain Cap

La candidature du Captain Cap, candidat anti-européen et anti-bureaucrate prend une excellente tournure dans le IXe arrondissement, 2e circonscription.

Un comité d'adhésion et de propagande est déjà constitué. Nous y relevons les noms sympathiques de MM. Alphonse Allais, Courteline, Gandillot, Ponchon, Émile Goudeau, Narcisse Lebeau, Paul Clerget, le prince Joë Masson, Jules Jouy, Gérault (du Cantal), Jehan Sarrazin, Félix Huguenet, Paul Robert, Berthier.

@@ -625,14 +622,14 @@ , 10 décembre 1892.)

-
+
Déclaration

Après tant d'indiscutables témoignages, au cas où le moindre de ces messieurs et dames de mes lecteurs s'aviserait encore de mettre en doute l'existence réelle du Captain Cap, je suis disposé -- quand et où l'on voudra -- à en faire une affaire personnelle.

A. A.

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Deuxième partie

Le Captain Cap @@ -643,7 +640,7 @@

Ses idées, ses breuvages

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Avant-propos imposé par la plus élémentaire bonne foi

J'ai cru bon, chaque fois qu'au cours des récits suivants se présentait sous ma plume le nom d'un de ces breuvages transatlantiques dont le Captain Cap se montrait si friand, d'en donner la formule exacte permettant à chacun d'en opérer la préparation.

Ces formules m'ont été confiées par l'homme de Paris qui possède le plus d'autorité dans cette matière, je veux parler de M. Louis Fouquet, propriétaire et directeur du célèbre bar qui fait le coin de l'avenue des Champs-Élysées et de l'avenue de l'Alma.

@@ -656,7 +653,7 @@

A. A.

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+
Chapitre I Les aventures du Captain Cap dans la région du Haut-Niger. Apparente solidarité du boa et de la girafe au cours d'une laryngite chez ce quadrupède à qui la nature se plut à monter le cou. @@ -747,7 +744,7 @@ *, et soignés, s. v. p.

-
+
Chapitre II -- Où l'on apprend comment le Captain Cap acquitte ses dettes d'amour.

Celui -- et je ne dis @@ -777,7 +774,7 @@

-- Alors, nous sommes quittes.

Et Cap regagna son petit hôtel de la rue Julot, en proie à la plus grande quiétude morale.

-
+
Chapitre III -- Où se découvre l'existence du Meat-land : autrement dit terre de viande, riche carrière de charcuterie, située près d'Arthurville (Province de Québec).

À ce récit, un sourire d'incrédulité fleurit sur mes lèvres et de petites lueurs de rigolade avivèrent l'éclat de mon regard.

@@ -847,7 +844,7 @@

Une Société est en voie de formation pour l'exploitation de cette substance unique.

Nous reviendrons sur cette affaire, une affaire de tout premier ordre sur laquelle nous appelons d'ores et déjà l'attention de la petite épargne.

-
+
Chapitre IV -- Où apparaît, par l'exemple du Captain Cap, la vanité de la science hypnotique et le néant des influences auto-suggestives.

-- Moi, dit le docteur V..., le cas le plus curieux d'autosuggestion que j'aie jamais vu, c'est voilà cinq ou six ans. Extrêmement curieux, même !

-- Contez-nous cela, docteur.

@@ -890,7 +887,7 @@

-- Qu'est-ce que vous voulez ? L'autosuggestion ne réussit pas à tous les tempéraments.

-
+
Chapitre V -- Où s'instance par les soins du Captain Cap une contradictoire expérience d'autosuggestion des moins péremptoires.

À ce moment le Captain Cap crut devoir prendre un air mystérieux. Et comme, en nos yeux, s'allumait la luisance de l'anxiété :

-- Ne m'en blâmez pas, dit le Captain, je ne dirai rien de plus. Mon ORDRE me le défend !

@@ -929,7 +926,7 @@

Et, sortant de la maison, le Captain nous dit sur un ton du plus vif intérêt scientifique :

-- Est-ce curieux, hein, le cas de dépravation de cette petite, qui adore la pomme de terre crue et ne peut sentir la goyave ?

-
+
Chapitre VI -- Où le Captain Cap indique un moyen bien simple d'assurer l'équilibre européen.

-- Dites-moi, mon cher Allais, vous est-il jamais venu à l'esprit l'idée de faire couver des œufs de hareng saur par une autruche empaillée ?

-- Jamais, mon cher Cap, au grand jamais, je vous le jure !

@@ -983,7 +980,7 @@

-- Le Péloponnèse ?

-- Allié au Jutland, bien entendu.

-
+
Chapitre VII -- Où le Captain Cap donne une magistrale leçon de savoir-faire à un barman ignare, européen et ahuri.

Bien que l'heure ne fût pas, à vrai dire, encore très avancée, une soif énorme étreignait les gorges du Captain Cap et de moi (triste conséquence, sans doute, des débauches de la veille) @@ -1124,7 +1121,7 @@

-- Non, ça, ça n'est pas des pailles ! C'est de la paille, et de la paille périmée, sortant de dessous -- saura-t-on jamais ? -- quelles innommables vaches ! Je n'ai point accoutumé à boire avec des résidus de purin. En allons-nous, mon ami, en allons-nous !

Cap jeta sur le marbre de la table une suffisante pièce de cent sous, et nous partîmes vers le prochain mastroquet, où nous nous délectâmes à la joie d'une chopine de vin blanc, un peu de gomme et un demi-siphon !

-
+
Chapitre VIII -- Où Cap fait d'heureuses recherches sur l'authentique prénom d'un orang-outang à tort qualifié Auguste.

En arrivant à Nice, le Captain Cap et moi, deux affiches murales se disputèrent la gloire d'attirer notre attention.

@@ -1186,7 +1183,7 @@

Mais, hélas ! la petite fête foraine du Pont-Vieux était terminée.

Le faux Auguste, sa baraque, son barnum, tout déménagé à San-Remo, sur la terre d'Italie ; et l'on n'ignore point que la loi italienne est formelle à cet égard : interdiction absolue de rechercher l'état civil de tout singe haut de 70 centimètres et plus.

-
+
Chapitre IX -- Résumé trop succinct, hélas ! d'une conférence du Captain Cap sur un projet de nouvelle division pour la France.

Vous n'êtes pas sans avoir remarqué, mesdames et messieurs, qu'on a donné le nom de @@ -1254,7 +1251,7 @@ )

-
+
Chapitre X -- Exposé de la méthode employée par le Captain Cap pour établir le record du millimètre et le record du « gnon ». Cap, champion du monde!

-- Qu'apprends-je à l'instant, mon cher Cap ; c'est vous qui détenez le record du millimètre ?

@@ -1367,7 +1364,7 @@

-- Ce qui, entre nous, mon cher Cap, est un résultat splendide.

-- Que je tâcherai de perfectionner encore.

-
+
Chapitre XI -- Nouveau projet du Captain Cap pour communications inter-astrales.

Le flamboiement inaccoutumé de Mars -- uniquement dû, d'ailleurs, à la générale adoption du bec Auer @@ -1396,7 +1393,7 @@

Au bout d'un laps double de ce temps, plus le temps moral pour l'organisation de la réponse, si nous n'entendons aucune clameur astrale, c'est que les Martiens sont sourds, tels des pots, ou qu'ils se fichent de nous comme de leur premier bock (de bière de Mars).

Et alors ce serait à vous décourager de l'astronomie.

-
+
Chapitre XII -- Récit incroyable mais vrai de dressages d'animaux, obtenus sans effort par de patients bipèdes.

Dimanche dernier, aux courses d'Auteuil, je fis la rencontre du Captain Cap et je ressentis de cette circonstance, une joie d'autant plus vive que je croyais, pour le moment, notre sympathique navigateur en rade de Bilbao.

@@ -1498,7 +1495,7 @@ .

-
+
Chapitre XIII -- Description oiseuse et par conséquent détaillée des manipulations minutieuses et efficaces au moyen desquelles on remet à neuf les vieux confetti.

D'un seul coup, Cap lampa le large verre d' @@ -1595,7 +1592,7 @@

-- À la vôtre, mon cher Cap !

-- Dieu vous garde, mon vieil Allais.

-
+
Chapitre XIV -- Le Captain Cap et la défense nationale. -- Nouveau mode de transport de dépêches. -- La critique du général Dragomirov.

Le premier être humain que j'aperçus, en sortant de la gare, fut mon vieil ami le Captain Cap, qui remontait d'un pas songeur la rue d'Amsterdam.

@@ -1672,7 +1669,7 @@

-- Et Dragomirov, qu'est-ce qu'il a dit ?

-- Dragomirov était furieux ! Il prétend que de faire porter des dépêches aux poissons, ça leur abîme le caviar.

-
+
Chapitre XV -- La question des ours blancs devant le Captain Cap.

Il faudrait le crayon de Callot, doublé de la plume de Pierre Maël, pour donner une faible idée de l'émotion qui nous étreignit tous deux, le Captain Cap et moi, en nous retrouvant, après ces trois longs mois de séparation.

Nos mains s'abattirent l'une dans l'autre, mutuel étau, et demeurèrent enserrées longtemps. Nous avions peine à contenir nos larmes.

@@ -1755,7 +1752,7 @@ * avec énormément de glace dedans, pour nous assurer une vieillesse vigoureuse.

-
+
Chapitre XVI -- L'anti-filtre du Captain Cap ou un nouveau moyen de traiter les microbes comme ils le méritent.

-- Y aurait-il indiscrétion, mon cher Cap, à vous demander en quoi consiste le paquet que vous tenez sous le bras ?

-- Nullement, cher ami, nullement.

@@ -1827,7 +1824,7 @@

Si vraiment, les microbes adorent les boissons américaines, ce fut une bonne journée pour eux, individuellement, mais déplorable pour leur race.

-
+
Chapitre XVII -- Où le Captain Cap réussit sans appareil à ascensionner avec la régularité d'un oiseau.

Ce pauvre Captain Cap commençait à me raser étrangement, avec ses aérostats, ses machines volantes, planantes et autres, qui m'indiffèrent également.

J'allais prendre congé sur un quelconque motif, quand un gentleman d'aspect robuste, et qui avait semblé prendre un vif intérêt aux grandes idées de Cap, se leva, s'approcha, nous tendant le plus correctement du globe sa carte, une très chic carte de chez Stern, sur laquelle on pouvait lire ces mots :

@@ -1890,7 +1887,7 @@

Visiblement contrarié, Cap haussa les épaules murmurant :

-- Ce bonhomme-là ne me fait pas l'effet d'un personnage bien sérieux.

-
+
Chapitre XVIII -- Description d'une ingénieuse machine de l'invention de Cap pour faire du deux cent trente-quatre à l'heure.

Comme j'avais rencontré mon excellent ami le Captain Cap devant la @@ -1943,7 +1940,7 @@

Mon acquiescement parut enchanter Cap, mais le capitaine se rappela bientôt qu'un léger accident était survenu, le matin même, à un brin d'osier de sa nonuplette.

Finalement, nous entrâmes dans un petit café blanc et or, où un garçon entre deux âges, nous servit deux excellents bocks de bière Tourtel.

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+
Chapitre XIX -- Ce qu'on peut appeler sans crainte la maison vraiment moderne.

-- Eh bien, mon vieux Cap, que pensez-vous de cela ?

-- De quoi ?

@@ -1989,7 +1986,7 @@

-- Volontiers ! fit Cap.

-
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Chapitre XX -- Une création du Captain Cap : le Grandiose Billard Club !

Comme la pluie n'avait pas l'air décidée à ne plus choir, je fis au Captain Cap la proposition de jouer au billard, histoire, ajoutai-je, de tuer le temps.

-- Hélas ! répliqua Cap, ce n'est pas nous qui tuons le temps, mais bien le temps qui nous tue !

@@ -2038,7 +2035,7 @@

Cap m'affirma qu'en peu de temps ce sport devenait passionnant.

Et je n'eus plus de peine à comprendre le mépris qu'il éprouvait pour nos pauvres petits ridicules billards européens.

-
+
Chapitre XXI -- Où le Captain Cap nous donne d'intéressants tuyaux sur le ferrage des chevaux dans les pampas d'Australie.

-- Et vous, Cap, qu'est-ce que vous pensez de tout ça ?

-- Tout ça... quoi ?

@@ -2130,7 +2127,7 @@ * que j'aie goûtés de ma vie.

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+
Chapitre XXI -- Dans lequel le Captain Cap se paye -- et dans les grandes largeurs, encore ! -- la tête de l'estimable M. Alphonse Allais.

Je ne pardonnerai pas de longtemps à ce froid fumiste de Cap l'atroce -- oui atroce ! -- plaisanterie qu'il vient d'exercer à mon détriment.

Quand il s'en mêle, Cap ne vole pas son nom de Captain et les bateaux qu'il monte sont de vrais bateaux.

@@ -2205,7 +2202,7 @@

Ça n'était pas plus malin que ça !

Mais du jour où l'on adoptera administrativement la télégraphie sans fil, il faudra que mon « practical joker » Cap trouve autre chose.

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Chapitre XXIII -- Dans lequel M. Mougeot afflige par l'étendue de son cynisme mercantile l'âme délicate du Captain Cap.

Une vieille coutume administrative veut que, chaque année, M. le directeur général des postes françaises applique tous ses soins et tout son goût à la confection d'un splendide calendrier de luxe duquel il n'est tiré qu'un nombre restreint d'exemplaires et qu'il se dérange en personne, ce haut fonctionnaire, pour en faire hommage à M. le chef de l'État, à MM. les ministres, à MM. les présidents des Chambres et, enfin, à quelques-unes des personnalités les plus notoires dont s'honore à bon droit notre pays.

@@ -2250,7 +2247,7 @@ *.

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Chapitre XXIV -- Où l'on voit, tel saint Michel terrassant le démon, notre ami Cap avoir raison des plus basses températures.

Le phénomène généralement désigné sous le nom de « froid » provient, neuf fois sur dix, de la température.

Supprimez la cause, vous supprimez l'effet ; d'un abaissement plus ou moins considérable élevez la température, vous serez tout étonné de voir disparaître le froid.

@@ -2289,7 +2286,7 @@ et qu'il cherche, en vain, à faire adopter par les compagnies de chemin de fer et autres. Mais la routine, la damnée routine !

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Chapitre XXV -- Où il est question, c'est le cas de le dire, d'un tas de cochonneries.

Excellent réveillon passé avec quelques hétaïres de grande beauté, cinq ou six députés prévaricateurs, le tout sous la chatoyante présidence du Captain Cap.

Avec ce diable d'homme, on ne manque pas une occasion de s'instruire en s'amusant. Laissons-lui donc la parole :

@@ -2322,7 +2319,7 @@

... Revenons à notre boudin, à nos trente kilomètres de boudin, et concluons que, dans cette nuit de Noël, où nous nous trouvons réunis, cent cinquante kilos de la... marchandise en question seront absorbés sur le territoire de la République française.

Déplorable constatation, car, enfin, ce n'est pas une raison, parce que le Christ est né dans une étable, pour que, cette nuit-là, nous nous gorgions de bouse de vache.

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Chapitre XXVI -- Où l'on verra les nuages à grêle n'en mener pas large devant le système du Captain Cap. -- La théorie du Captain sur la formation de la houille.

La grêle, -- Émile Gautier vous le dira comme moi, -- la grêle est une sorte de conglomérat formé d'eau gelée.

Précipité d'une notable hauteur, abusant lâchement de la loi de la chute des corps, chaque grêlon constitue à lui seul une sorte de petit Attila, des seuls vitriers béni, mettant à sac les promesses de moissons et de vendanges et même -- car le bougre devant rien ne recule -- les moissons et vendanges en personne.

@@ -2361,7 +2358,7 @@

Pourquoi donc, dès lors, ne pas admettre que toute la houille que nous découvrons maintenant dans nos sous-sols, provienne de cette formidable et souterraine ligneuse réserve ?

Pourquoi pas, en effet ?

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Chapitre XXVII -- Difficulté de la poésie française pour certains étrangers.

-- Cap, vous qui touchez à toutes les sciences, à tous les arts, avec une égale supériorité, comment se fait-il que je ne connaisse point de vos poèmes ?

-- Des vers, mon cher ami, j'en ai fait quand j'étais jeune, j'en ai fait à remplir des magasins à coton, et des halles à blé ! Quand je me décidai à les brûler, je me trouvais alors à Melbourne, l'atmosphère en fut obscurcie pendant plus de huit jours.

@@ -2422,7 +2419,7 @@

-- Cette fois-ci, mon vieux, ça y est ! Tous mes compliments !

Et de plaisir, alors, la peau de Tom Hatt devint aussi rouge que ses cheveux.

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Chapitre XXVIII -- Odieuse violation d'un règlement formel.

Dans le courrier du Captain Cap, ce matin, se trouvait cette lettre qu'il me confie et dont la publication pourra sauver des milliers d'êtres humains, sans compter les animaux (car rien ne prohibe qu'il s'en trouve en telle occurrence) d'un des plus affreux trépas qu'il soit donné aux habitants de notre planète d'éprouver :

@@ -2464,7 +2461,7 @@

Cette intéressante communication est signée d'un fonctionnaire au ministère des travaux publics qui prie Cap de ne pas imprimer son nom, rapport à la petite allocation du jour de l'An, laquelle, redoute-t-il, ne gagnerait rien à cette publicité.

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Chapitre XXIX -- Où Parmentier se voit contester sa gloire.

Brusquement, Cap se tourne vers un jeune homme à l'air idiot qui près de lui dégustait un @@ -2529,7 +2526,7 @@

La pomme de terre, d'ailleurs, même en robe de chambre, est assez grande fille pour se défendre toute seule contre vos grotesques imputations.

Et n'est-ce point, parlant de la pomme frite, radieusement puissante en sa frêle apparence, que Victor Hugo émit jadis : « Dans tubercule, il y a Hercule ! »

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Chapitre XXX -- Le renard bleu à la portée des plus petites bourses.

-- Encore un petit whisky-cocktail, Cap.

-- Volontiers, mais sur le pouce, car je suis pressé.

@@ -2597,7 +2594,7 @@

L'innocente plaisanterie de M. Victor n'empêchera pas la « Société des Pelleteries de Paris » de gravir d'une main sûre les marches du succès.

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Chapitre XXXI -- Les camelots devant le Captain Cap, et M. Salomon Reinarch.

S'il faut en croire le Captain Cap -- et pourquoi douter de sa parole ? Il va se tenir, le 31 juin prochain, un congrès pas banal.

Un congrès international de camelots !

@@ -2676,7 +2673,7 @@

« Ajoutons que l'idée de tirer de sa belle-maman un profit aussi inattendu comblait de joie notre ami Cham Loth.

« C'est sans doute à la bonne humeur de leur ancêtre que les camelots d'aujourd'hui doivent encore leur incontestable gaieté. »

-
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Chapitre XXXII -- Le sanatorium de l'avenir.

De tous côtés, on ne parle que de « sanatoriums ».

---

@@ -2715,7 +2712,7 @@

Sans compter que les pauvres embrasés, comme dit Michel Corday, pourront s'amuser à pêcher à la ligne et se nourrir, en grande partie, du produit de leur pêche, riche en phosphore, alimentation recommandée, dans le cas qui nous occupe, par les meilleurs praticiens.

Tout cela est très simple, comme vous voyez ; mais fallait-il pas moins y songer.

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Chapitre XXXIII -- Un aspect nouveau de la métallothérapie.

À l'époque -- et ça ne nous rajeunit pas -- où j'habitais le quartier Latin, les étudiants en médecine que j'avais habitude de vivre avec @@ -2753,7 +2750,7 @@

---

Sans rien conclure hâtivement, ne nous est-il pas permis, dès aujourd'hui, de présumer que l'argent est un métal qui n'a pas besoin, ainsi qu'on l'avait cru jusqu'à présent, d'être ingéré pour avoir une action des plus sédatives à l'égard des accidents nerveux ?

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+
Chapitre XXXIV -- *Franchissons les rivières sur des ponts formés par des dos de crocodiles. @@ -2795,7 +2792,7 @@

Certes, l'idée de l'honorable correspondant est des plus séduisantes, mais comme dit Cap, vous verrez une fois de plus à l'œuvre l'inertie des bureaux.

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Chapitre XXXV -- La sécurité dans les théâtres.

La sécurité du public dans les théâtres est un de ces problèmes qui ne doivent jamais laisser indifférent le penseur, alors même qu'aucune catastrophe récente ne vient mettre cette morose question sur le tapis de l'actualité.

Une foule innombrable d'étrangers s'entasse chaque soir dans nos lieux de plaisir : la politesse française commande de rôtir nos invités en nombre aussi réduit que possible.

@@ -2822,7 +2819,7 @@

En cas d'incendie, un simple déclic met en marche tout ce mécanisme.

Ainsi, plus de bousculade, ou si bousculade, plus de catastrophe, puisque tout le monde sorti dans la rue, automatiquement.

-
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Chapitre XXXVI -- Où la Russie cherche à voler un peu de gloire au Captain Cap.

Je vous laisse à penser combien mes yeux tressaillirent d'allégresse quand, fouillant le sommaire de la très intéressante @@ -2883,7 +2880,7 @@

Mais la Russie était là, qui veillait !

Vive la Russie ! monsieur !

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Chapitre XXXVII -- Où le Captain Cap fait luire aux yeux des auteurs et des éditeurs une séduisante aurore.

Bien que fort exagérée par certains pleurnichards, toujours stupéfaits que leurs petites saletés ne tirent pas à cent mille exemplaires et un exemplaire, comme dit le docteur Mardrus, la mévente du livre est un phénomène pénible mais incontestable.

Le Captain Cap que je ne manque jamais de consulter en telles circonstances, me fit à ce sujet une réponse qui dévoile chez cet économiste distingué autant de science approfondie que de solide bon sens :

@@ -2911,7 +2908,7 @@

De telle sorte -- et vous voyez l'avantage, pour les libraires à la fois et les auteurs -- que le même volume, ne pouvant servir qu'à un nombre très restreint de lecteurs, devra être renouvelé dès que ses pages seront devenues blanches comme la blanche hermine, c'est-à-dire à bref délai.

Cet ingénieux stratagème remédiera-t-il à la triste situation des littérateurs, c'est, encore une fois, ce qu'avenir prochain se chargera de nous apprendre.

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+
Chapitre XXXVIII -- Où le Captain Cap ne badine pas quand on cherche à se payer sa fiole.

Ayant glissé son décime dans la fente d'un appareil automatique, le Captain Cap conçut une effroyable colère en constatant que rien ne bougeait à l'appareil et que la tablette de chocolat annoncée ne se présentait pas.

-- Tas de voleurs ! écuma-t-il.

@@ -2940,7 +2937,7 @@

Quand un jaguar s'amuse, rien ne saurait l'arrêter.

-- Eh bien, monsieur, concluait gaiement le Captain Cap, je suis souvent revenu dans cet hôtel et n'eus plus jamais à déplorer l'absence du moindre bouton de manchettes... Qu'est-ce que vous voulez, moi, je n'aime pas qu'on se f... de ma fiole !

-
+
Chapitre XXXIX -- L'économie alliée au bien-être.

-- Trouvez-vous, nous prévenait simplement un très aimable ingénieur de la Compagnie, trouvez-vous, à dix heures vingt-cinq, à la gare des Batignolles, et vous assisterez à quelque chose de fort curieux.

Vous pensez si nous eûmes garde, le Captain et moi, de manquer pareille occasion !

@@ -2987,7 +2984,7 @@ *.

-
+
Chapitre XL -- Dans lequel on voit évoluer M. Brunetière et des kangourous.

Les nombreuses personnes qui, profitant des derniers beaux jours se promenaient hier au Bois, ressentirent soudain une peu mince stupeur.

Toute une famille venait de leur apparaître : le père, la mère, deux grandes jeunes filles et un petit garçon, tous éperdument pédalant sur d'élégants tandems peints en vert-nil.

@@ -3036,7 +3033,7 @@ lui en avait bouché un coin.

-
+
Chapitre XLI -- Fragment d'une conférence du Captain Cap sur la question des phares.

L'effroyable catastrophe du @@ -3087,7 +3084,7 @@ .

-
+
Chapitre XLII -- Où il est question, pour faire plaisir à la population parisienne, de l'abaissement du prix du gaz.

-- Faut-il, s'écria Cap, que les Parisiens soient bêtes pour payer leur gaz six sous le mètre cube, quand ils peuvent s'en procurer excellent, à Londres, pour moins d'un penny.

-- Pardon, Cap, et le transport ?

@@ -3119,7 +3116,7 @@

Oui, mais voilà : en France, on est fort pour crier, mais dès qu'il s'agit d'attacher le grelot, il n'y a plus personne !

Pauvre France !

-
+
Chapitre XLII -- Où il est question du porc, cet utile auxiliaire du charcutier, comme disait Buffon.

Et, à cette occasion, laissez-moi vous rappeler une anecdote qu'aimait à conter un vieux mien oncle au temps jadis où, bébé frais et rose, j'encadrais mon front par d'épaisses boucles brunes.

Deux individus s'avisèrent une fois d'acheter un cochon en commun.

@@ -3187,7 +3184,7 @@

« Pour calmer les alarmes des cœurs tendres et donner satisfaction à la Société Protectrice des Animaux, les cochons seront anesthésiés avant de subir les opérations. »

-- Attendons-nous à une forte hausse sur le chloroforme, conclut le Captain.

-
+
Chapitre XLIV -- Où Cap prouve jusqu'à l'évidence qu'il aime à se rendre compte.

-- Oui, mon cher, je suis comme ça, j'aime à me rendre compte par moi-même.

-- Vous êtes un sage, Captain.

@@ -3235,7 +3232,7 @@

-- Rien, Cap, rien au monde ne saurait nous prohiber cette démarche.

-
+
Chapitre XLV -- Supériorité de la pratique sur la théorie.

-- En tout métier, proclama le Captain Cap, en toute profession, en tout art, il faut de la pratique.

Ceux qui viendraient à vous tenir un langage contraire, tenez-les pour sombres niais, tout au moins dangereuses fripouilles.

@@ -3264,7 +3261,7 @@

Voilà, je pense, une des mesures les plus humaines qu'une nation vraiment civilisée aurait prises depuis longtemps.

Et l'on aurait ainsi des médecins militaires qui seraient autre chose que de vulgaires amateurs.

-
+
Chapitre XLVI -- Où l'on voit le Captain Cap, alors jeune homme, abuser de sa science chimique pour jeter le trouble dans un intérieur bourgeois.

Partagez-vous mon opinion ? M'est avis qu'on ne doit faire aux bons serviteurs nulle injure, même légère.

Contre un peu d'or, ces gens nous consacrent leur temps et leur travail : nous sommes quittes, sans avoir à jeter dans la balance l'appoint des méprisants vocables et des gestes hautains.

@@ -3305,7 +3302,7 @@

La vaisselle et la cristallerie crurent devoir se brusquement fragmenter, et aussi, la table, ainsi que la figure et les membres de ces messieurs et dames.

Pendant ce temps il y avait dans la cuisine deux personnes qui n'avaient jamais tant ri.

-
+
Chapitre XLVII -- Inconvénient d'une mauvaise prononciation.

William Bott, que le Captain Cap baptisa fort spirituellement Henry Bott chaque fois qu'il abuse des @@ -3383,7 +3380,7 @@

-- Horrible ! horrible ! Qu'est-ce que cette fillette va penser de moi ?

Et Bott tint à revenir tout de suite au tir, porter ses excuses à la petite Charlotte et lui offrir une jolie bague, pour laquelle la petite citoyenne du dix-huitième arrondissement lui sauta au cou et l'embrassa de grand cœur.

-
+
Breuvages

*Alabazam cocktail. @@ -3529,7 +3526,7 @@

-
+

1  Dont notre ami Escudier est actuellement le vaillant édile.

1  Comme c'est loin tout ça ! Et que d'établissements disparus depuis cette époque, ou transformés, ou absorbés par de puissants voisins, tel ce pittoresque @@ -3708,4 +3705,4 @@

- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA00501_Balzac.xml b/level1/FRA00501_Balzac.xml index 8e29ac3..2a71de8 100644 --- a/level1/FRA00501_Balzac.xml +++ b/level1/FRA00501_Balzac.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,16 +16,13 @@ 42271 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Éfélé, 2014 , @@ -31,16 +30,13 @@ , . - - + Paris: Furne, J.-J. Dubochet et Cie, J. Hetzel et Paulin, 1842-1848, vol. 1, 1842 . - - + 1842 - - +

@@ -56,14 +52,14 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 Initial TEI version. -

+

DÉDIÉ A MADAME ÉMILE DE GIRARDIN,

Comme un témoignage d’affectueuse admiration, @@ -1104,10 +1100,10 @@

Nous n’ignorons pas que le culte de sainte Philomène n’a commencé qu’après la Révolution de 1830 en Italie. Cet anachronisme, à propos du nom de mademoiselle de Wateville, nous a paru sans importance ; mais il a été si remarqué par des personnes qui voudraient une entière exactitude dans cette histoire de mœurs, que l’auteur changera ce détail aussitôt que faire se pourra.
-
+

Paris, mai 1842.

- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA00502_Balzac.xml b/level1/FRA00502_Balzac.xml index f76e64c..30b7a4c 100644 --- a/level1/FRA00502_Balzac.xml +++ b/level1/FRA00502_Balzac.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,16 +16,13 @@ 111047 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Éfélé, 2014 , @@ -31,16 +30,13 @@ , . - - + Paris: Furne, J.-J. Dubochet et Cie, J. Hetzel et Paulin, 1842 -1848. - - + 1847 - - +

@@ -56,7 +52,7 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 Initial TEI version. @@ -3472,9 +3468,9 @@

-
+

Paris, juillet 1846-mai 1847.

- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA00503_Balzac.xml b/level1/FRA00503_Balzac.xml index 039fb17..4f93bce 100644 --- a/level1/FRA00503_Balzac.xml +++ b/level1/FRA00503_Balzac.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,16 +16,13 @@ 93200 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Éfélé, 2014 , @@ -31,17 +30,14 @@ , . - - + Paris: Furne, J.-J. Dubochet et Cie, J. Hetzel et Paulin, 1842 -1848. - - + 1841 (version primitive en feuilleton, 1839) - - +

@@ -57,14 +53,14 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 Initial TEI version. -

+

A HÉLÈNE.

La moindre barque n’est pas lancée à la mer, sans que les marins ne la mettent sous la protection de quelque vivant emblème ou d’un nom révéré ; soyez donc, madame, à l’imitation de cette coutume, la patronne de cet ouvrage lancé dans notre océan littéraire, et puisse-t-il être préservé de la bourrasque par ce nom impérial que l’Église a fait saint, et que votre dévouement a doublement sanctifié pour moi @@ -1152,9 +1148,9 @@

-
+

Paris, janvier 1837 - mars 1845.

- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA00601_Boisgobey.xml b/level1/FRA00601_Boisgobey.xml index 15e0787..27b41f3 100644 --- a/level1/FRA00601_Boisgobey.xml +++ b/level1/FRA00601_Boisgobey.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,42 +16,29 @@ 93657 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Ebookslibres, 2006 , , - - . - - - - , - - , - + . - - + Plon, 1881 , , - + . - - +

@@ -65,7 +54,7 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 cf Revised teiHeader. cf Initial TEI version. @@ -3474,9 +3463,9 @@

-
+

FIN

- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA00602_Boisgobey.xml b/level1/FRA00602_Boisgobey.xml index 3862f6c..5de1aa2 100644 --- a/level1/FRA00602_Boisgobey.xml +++ b/level1/FRA00602_Boisgobey.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,41 +16,28 @@ 104131 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Scan, 2014 , , - - . - - - - , - - , - + . - - + 1886 , , - + . - - +

@@ -64,7 +53,7 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 cf Revised teiHeader. cf Initial TEI version. @@ -2547,7 +2536,7 @@

-
+
- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA00701_Carraud.xml b/level1/FRA00701_Carraud.xml index c9a105f..b07794c 100644 --- a/level1/FRA00701_Carraud.xml +++ b/level1/FRA00701_Carraud.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -22,14 +24,11 @@ 50316 - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + LA PETITE JEANNE OU LE DEVOIR. LIVRE DE LECTURE COURANTE SPÉCIALEMENT DESTINÉ AUX ÉCOLES PRIMAIRES DE FILLES. NOUVELLE ÉDITION @@ -41,18 +40,15 @@ 79 </publisher> <date>1884</date> - </bibl> - <bibl type="digitalSource"> + </bibl><bibl type="digitalSource"> <title>La petite Jeanne; ou, Le devoir Zulma Carraud 2006-06-29 - - + 1852 - - +

@@ -68,7 +64,7 @@ - + Checked by releaseChecker script File created Upgrade to ELTeC-1 @@ -7229,4 +7225,4 @@

- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA00801_Dash.xml b/level1/FRA00801_Dash.xml index 1f096e5..fb0fb9a 100644 --- a/level1/FRA00801_Dash.xml +++ b/level1/FRA00801_Dash.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -21,31 +23,25 @@ 15058 - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Herve Daniel Stern 2008-10-10 - - + Hervé Daniel Stern MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEURS Paris 1866 - - + 1843 - - +

@@ -61,7 +57,7 @@ - + Checked by releaseChecker script File created upgrade to ELTeC-1 @@ -1683,4 +1679,4 @@

- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA00901_Daudet.xml b/level1/FRA00901_Daudet.xml index ed66dfc..134cfb9 100644 --- a/level1/FRA00901_Daudet.xml +++ b/level1/FRA00901_Daudet.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,31 +16,25 @@ 87744 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + 2004 , , . - - + source - - + 1867 (1866-1867) - - +

@@ -54,14 +50,14 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 Initial TEI version. -

+

@@ -880,7 +876,7 @@

« Vois ta sœur ! disait-elle à son mari, la joie de retrouver Daniel lui coupe l'appétit. Hier elle a pris deux fois du pain, aujourd'hui une fois seulement. » Ah ! chère Mme Eyssette, comme j'aurais voulu vous emporter ce soir-là, comme j'aurais voulu vous arracher à cette impitoyable vache à lait et à son épouse ; mais, hélas ! je m'en allais au hasard moi même, ayant juste de quoi payer ma route, et je pensais bien que la chambre de Jacques n'était pas assez grande pour nous tenir tous les trois. Encore si j'avais pu vous parler, vous embrasser à mon aise ; mais non ! On ne nous laissa pas seuls une minute... Rappelez-vous : tout de suite après dîner, l'oncle se remit à sa grammaire espagnole, la tante essuyait son argenterie, et tous deux ils nous épiaient du coin de l'œil... L'heure du départ arriva, sans que nous eussions rien pu nous dire. Aussi le petit Chose avait le cœur bien gros, quand il sortit de chez l'oncle Baptiste ; et en s'en allant, tout seul, dans l'ombre de la grande avenue qui mène au chemin de fer, il se jura deux ou trois fois très solennellement de se conduire désormais comme un homme et de ne plus songer qu'à reconstruire le foyer.

-
+

@@ -1942,4 +1938,4 @@
- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA00903_Daudet.xml b/level1/FRA00903_Daudet.xml index d2f1d3a..e3f6523 100644 --- a/level1/FRA00903_Daudet.xml +++ b/level1/FRA00903_Daudet.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,30 +16,24 @@ 85692 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + 2005 , , . - - + source - - + 1881 - - +

@@ -53,17 +49,17 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 Initial TEI version. -

+

À ma chère femme

-
+

« ... Pour la seconde fois, les Latins ont conquis la Gaule... »

@@ -1701,10 +1697,10 @@
-
+

[1] Oh ! ce Numa, tout de même !

[2] Je vais donner de l'avoine au cheval.

- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA01001_DelarueMardrus.xml b/level1/FRA01001_DelarueMardrus.xml index 536822a..4ee37f5 100644 --- a/level1/FRA01001_DelarueMardrus.xml +++ b/level1/FRA01001_DelarueMardrus.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -20,30 +22,24 @@ 59906 - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Comme tour le monde: Wikisource edition Lucie Delarue-Mardrus 2016-01-01 - - + Comme tout le monde Lucie Delarue-Mardrus J.Tallandir Paris - - + 1910 - - +

@@ -59,14 +55,14 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion to level 1 encoding. File created -

+

Comme tout le monde Lucie Delarue-Mardrus J. Tallandier, Paris

@@ -7910,4 +7906,4 @@
- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA01101_Dombre.xml b/level1/FRA01101_Dombre.xml index 73f8cb5..158b4e2 100644 --- a/level1/FRA01101_Dombre.xml +++ b/level1/FRA01101_Dombre.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,16 +16,13 @@ 50336 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Bibliothèque électronique du Québec, , @@ -31,24 +30,14 @@ , . - - - - , - - , - - . - - + 1890 , , - + . - - +

@@ -64,14 +53,14 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 cf Initial TEI version. -

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@@ -935,7 +924,7 @@

-
+

@@ -2201,4 +2190,4 @@
- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA01102_Dombre.xml b/level1/FRA01102_Dombre.xml index 70963f7..6fdd154 100644 --- a/level1/FRA01102_Dombre.xml +++ b/level1/FRA01102_Dombre.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,16 +16,13 @@ 24998 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Bibliothèque électronique du Québec, , @@ -31,14 +30,11 @@ , . - - - + 1889 . - - +

@@ -54,7 +50,7 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 cf Initial TEI version. @@ -972,4 +968,4 @@

-
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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Ebooks libres et gratuits, , , - - . - - - - , - - , - + . - - + Dentu, 1868 , , - + . - - +

@@ -65,14 +54,14 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 cf Initial TEI version. -

+

@@ -3152,7 +3141,7 @@

-- Il m'a fait manger ma soupe froide, mais il sera pendu, parce qu'on couche à son auberge quand on n'a point de desseins criminels. Qu'il réponde à cela ! Je l'en défie !

-
+

@@ -5874,7 +5863,7 @@
-
+

FIN

@@ -5888,4 +5877,4 @@
- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA01202_Feval.xml b/level1/FRA01202_Feval.xml index 63dfef2..4bd9152 100644 --- a/level1/FRA01202_Feval.xml +++ b/level1/FRA01202_Feval.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -15,23 +17,17 @@ 103086 - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + ELG - - - + Le Pays, du 26 juin au 3 octobre 1857 - - +

@@ -47,14 +43,14 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 cf Initial TEI version. -

+

@@ -2178,7 +2174,7 @@

-- Il sera défendu jusqu'à la dernière goutte de notre sang !

-
+

@@ -4234,7 +4230,7 @@
-
+
- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA01203_Feval.xml b/level1/FRA01203_Feval.xml index f01ad0b..a6c741d 100644 --- a/level1/FRA01203_Feval.xml +++ b/level1/FRA01203_Feval.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,42 +16,29 @@ 80151 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + ELG, , , - - . - - - - , - - , - + . - - + Le Courrier français, 1843 , , - + . Paris : Chlendowski, 1845. - - +

@@ -65,7 +54,7 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 cf Initial TEI version. @@ -3502,4 +3491,4 @@

- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA01301_Flaubert.xml b/level1/FRA01301_Flaubert.xml index fb50ad6..4b2d642 100644 --- a/level1/FRA01301_Flaubert.xml +++ b/level1/FRA01301_Flaubert.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,30 +16,17 @@ 149810 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + source - - + 1869 - - +

@@ -53,17 +42,17 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 Initial TEI version. -

+
-
+

@@ -1074,7 +1063,7 @@

Et elle le serra dans ses bras avec emportement.

-
+

@@ -3353,7 +3342,7 @@

« C’est excès de bonheur », dit Frédéric. « Il y avait trop longtemps que je te désirais ! »

-
+

@@ -5029,4 +5018,4 @@
- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA01302_Flaubert.xml b/level1/FRA01302_Flaubert.xml index 897c05d..49ad45a 100644 --- a/level1/FRA01302_Flaubert.xml +++ b/level1/FRA01302_Flaubert.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,30 +16,24 @@ 120122 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + 2012 , , . - - + source - - + 1857 - - +

@@ -53,25 +49,25 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 cf Initial TEI version. -

+

À Marie-Antoine-Jules Senard MEMBRE DU BARREAU DE PARIS EX-PRESIDENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE ET ANCIEN MINISTRE DE L’INTÉRIEUR

Cher et illustre ami, Permettez-moi d’inscrire votre nom en tête de ce livre et au-dessus même de sa dédicace ; car c’est à vous, surtout, que j’en dois la publication. En passant par votre magnifique plaidoirie, mon œuvre a acquis pour moi-même comme une autorité imprévue. Acceptez donc ici l’hommage de ma gratitude, qui, si grande qu’elle puisse être, ne sera jamais à la hauteur de votre éloquence et de votre dévouement.

GUSTAVE FLAUBERT

Paris, 12 avril 1857

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+

À Louis Bouilhet

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@@ -417,7 +413,7 @@

Quand on partit de Tostes, au mois de mars, madame Bovary était enceinte.

-
+

@@ -1834,7 +1830,7 @@

Le clerc affirma qu’il n’y manquerait pas, ayant d’ailleurs besoin de se rendre à Yonville pour une affaire de son étude. Et l’on se sépara devant le passage Saint-Herbland, au moment où onze heures et demie sonnaient à la cathédrale.

-
+

@@ -3217,4 +3213,4 @@
- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA01303_Flaubert.xml b/level1/FRA01303_Flaubert.xml index c05bf10..96d2b5a 100644 --- a/level1/FRA01303_Flaubert.xml +++ b/level1/FRA01303_Flaubert.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,16 +16,13 @@ 105395 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Wikisource , @@ -31,14 +30,11 @@ , via Feedbooks. - - + source - - + 1862 - - +

@@ -55,14 +51,14 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 cf Initial TEI version. -

+
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+

1  Voir le livre intitulé : la Petite duchesse. @@ -3020,4 +3009,4 @@

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Les dieux ont soif France, Anatole [Thibault, François-Anatole] (1844-1924) 2011-07-2 - - + LES DIEUX ONT SOIF ANATOLE FRANCE CALMANN-LÉVY Paris 1939 - - + 1912 - - +

@@ -61,7 +57,7 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion to level 1 encoding. File created @@ -1873,4 +1869,4 @@

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + La Sœur du Soleil Judith Gautier 2001-05-24 - - + La Sœur du Soleil (L'Usurpateur) Judith Gautier @@ -58,12 +56,10 @@ Paris 1887 - - + 1887 - - +

@@ -79,7 +75,7 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion to level 1 encoding. File created @@ -3993,4 +3989,4 @@

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Fleurs d’Orient Judith Gautier 2001-06-29 - - + FLEURS D'ORIENT Judith Gautier Armand Collin et Cie. Éditeurs 5, Rue de Mézèries Paris 1893 - - + 1893 - - +

@@ -74,7 +70,7 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion to level 1 encoding. File created @@ -1842,4 +1838,4 @@

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Les Princesses d’Amour : courtisanes japonaises Judith Gautier 2011-07-11 - - + Les Princesses d'Amour (Courtisanes Japonaises) Judith Gautier @@ -55,12 +53,10 @@ Paris 1900 - - + 1900 - - +

@@ -76,14 +72,14 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion to level 1 encoding. File created -

+

Les Princesses d’Amour : courtisanes japonaises Judith Gautier Société d’éditions littéraires et artistiques,

@@ -1104,4 +1100,4 @@
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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Militona Théophile Gautier 2007-03-30 - - + Militona: troisième édition Théophile Gautier Hachette Paris 1860 - - + 1847 - - +

@@ -59,7 +55,7 @@ - + Checked by releaseChecker script File created Upgrade to ELTeC-1 @@ -4826,4 +4822,4 @@

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Le Roman de la momie Théophile Gautier 2005-03-17 - - + Le Roman de la momie Théophile Gautier Fasquelle 1899 - - + 1857 - - +

@@ -58,7 +54,7 @@ - + Checked by releaseChecker script File created upgrade to ELTeC-1 @@ -6727,4 +6723,4 @@

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + 2006 , 17757 , . - - + 1864 , , - - - + + 1844 , , - - - + +

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+
INTRODUCTION

C'est sous le Consulat, à un dîner chez la marquise de Condorcet, où se trouvaient plusieurs des personnes des plus remarquables de ce temps, que je vis pour la première fois la belle madame Mansley, cette spirituelle Ellénore qu'un homme justement célèbre a choisie pour l'héroïne d'un roman qui, sauf quelques voiles très-diaphanes, montre avec confiance la vérité des caractères plutôt que celle des faits. Le portrait qu'a tracé Adolphe d'Ellénore, écrit sous l'influence d'un sentiment intéressé, est bien celui qu'il a vu, mais non pas celui qui la ferait reconnaître par ses parents et par ses amis. L'amour n'est pas sujet à voir juste; celui d'Adolphe, qui éprouvait également le besoin de se vanter et de se décrier, devait louer et blâmer à faux la cause de toutes ses inconséquences de coeur; mais qui oserait médire des illusions qui ont produit un si charmant ouvrage!

J'étais ravie de me rencontrer avec cette femme dont j'entendais parler chaque jour d'une si différente manière. Pour les uns, c'était une personne d'un grand caractère, dont l'âme noble, l'esprit indépendant et le ton austère étaient l'objet d'une admiration respectueuse. Pour les autres, c'était une femme bizarre, passionnée, orgueilleuse, inconséquente, prude et légère, conciliant une extrême sévérité de principes avec la situation la plus équivoque. Son caractère et ses qualités variaient en raison du plus ou moins d'occasions qu'on avait eues de la connaître et de se l'expliquer.

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Au milieu de ces spirituels convives on remarquait une figure angélique, c'était celle de la fille de madame de Condorcet, de cette ravissante Eliza[1] qui, à peine dans l'âge de l'adolescence, avait déjà la taille et les traits réguliers d'une statue grecque.

- +

Je ne saurais peindre l'étonnement, la curiosité, le plaisir que j'éprouvais à voir, à écouter tant de gens dont les réputations offraient de si piquants contrastes. D'abord terrifiée par le nom de Chénier, je gardai un silence observateur. Sans doute mon regard craintif trahissait ma pensée, car Chénier quitta un moment son air dédaigneux, et m'adressa la parole de la manière la plus gracieuse. Il me fit l'éloge de mon mari, auquel, ajouta-t-il, il avait été assez heureux pour rendre un léger service.

Ce léger service n'était rien moins que celui de l'avoir fait sortir de la Conciergerie, la veille du jour où il devait être conduit au tribunal révolutionnaire.

@@ -123,7 +119,7 @@
-
+
I

Le père d'Ellénore, officier distingué d'un régiment irlandais, commandé autrefois par le duc de…, que nous nommerons le duc de Montévreux, s'étant vu contraint de se réfugier en France par suite des troubles de son pays, vint s'établir à Boulogne avec sa femme et ses enfants. Une modique fortune, encore diminuée par les sacrifices que le capitaine Mansley avait faits à son parti lui donnait à peine les moyens de soutenir honorablement sa famille. Un vieux nègre, dévoué aux intérêts de son maître, l'avait suivi dans l'exil, et son zèle infatigable secondait si bien son habileté, qu'il faisait à lui seul le service des quatre domestiques que son maître avait été forcé de renvoyer en Irlande.

@@ -200,7 +196,7 @@

D'abord elle fut frappée de la familiarité hautaine avec laquelle la duchesse lui parlait devant M. de Croixville, l'appelant à chaque minute pour lui demander son métier à broder, ses soies, son cordonnet, et laissant dix fois tomber son mouchoir pour le faire ramasser par Ellénore; puis, quand vint le coiffeur, la duchesse le renvoya en disant:

—Je ne sortirai point aujourd'hui, j'ai mal à la tête, une longue coiffure me fatiguerait; Ellénore arrangera mes cheveux, et me mettra ma baigneuse[2].

- +

Enchantée d'être choisie pour soigner sa protectrice, et pour épargner quelque secousse à sa tête malade, Ellénore se met à la coiffer de son mieux, en touchant à peine de ses jolis doigts les cheveux qu'elle boucle.

—C'est bien, dit la duchesse. Maintenant, allez trouver mademoiselle Adeline; je ne m'habillerai que dans une heure. Ellénore, pensant qu'on la chargeait d'un ordre pour mademoiselle Adeline, sortit sans faire attention au ton qui avait accompagné les derniers mots de la duchesse.

@@ -2010,7 +2006,7 @@

En ce moment, la porte du salon s'ouvrit, et l'on vit entrer le célèbre Adolphe de Rheinfeld.

-
+
I

En cédant aux nombreuses sollicitations des lecteurs, curieux de savoir la fin de l'histoire d'Ellénore, de cette vie commencée sous l'influence de tant d'événements romanesques, de tant de sentiments passionnés, je ne me dissimule pas l'impossibilité d'en soutenir l'intérêt. Comment le récit des sensations d'un coeur déjà flétri par de longues souffrances, des rêves d'une imagination tant de fois déçue aurait-il l'attrait de la peinture exacte des tourments d'un coeur naïf, ignorant du mal, dupe par la loyauté, victime par innocence?

@@ -2238,7 +2234,7 @@ Mais on les aimait mieux quand on les voyait moins.

Que dirait aujourd'hui cet aimable critique, à la vue des mêmes nudités[1] que ne recouvrent plus un châle drapé à l'antique, ni même des gants longs?

- +

Dans cette tragédie d' @@ -3609,7 +3605,7 @@ [2] est bien le plus mauvais repas qu'on puisse servir à des abonnés.

- +

»On ne s'explique pas ici comment le gouvernement anglais, qui se dit en paix avec nous, autorise la publication de telles calomnies contre le nôtre. C'est, prétendent-ils, par respect pour leur liberté de la presse qu'ils nous laissent insulter de la sorte; comme si l' @@ -3699,7 +3695,7 @@ [3], et pour tort, celui de représenter plusieurs fripons de laquais singeant leurs maîtres d'une manière tellement vraie que de grands personnages ont cru s'y reconnaître. C'est bien humble, direz-vous; mais c'est ainsi. Je devrais avoir ma part de cette disgrâce, car je suis coupable de quelques mauvais couplets de ce pauvre opéra, qui ne me semblait pas avoir jamais rien à démêler avec la politique et la police. Je dois, sans doute, cet excès d'indulgence de la part du sultan, à mon fils qui se bat dans son armée, et à mon frère qui se ferait tuer pour lui être agréable. Je ne partage ni le dévouement de l'un ni l'aveuglement de l'autre; mais je respecte toutes les illusions, celles de la gloire comme celles de la vanité.

- +

»A propos de vanité, la Harpe continue ses homélies académiques. Il cache son vieux bonnet rouge sous un capuchon monacal, dans l'espoir de faire oublier ses discours par ses sermons, ses chansons par ses cantiques, et ses rendez-vous grivois avec la célèbre gouvernante par la pénitence de lire mutuellement leurs ouvrages. Voici un quatrain improvisé en rêve, à la dernière séance du lycée républicain, par un des endormis du professeur:

On disait autrefois proverbialement, @@ -3738,7 +3734,7 @@

On récite dans tous les lycées des vers sur cette grande restauration. Les dévots se réjouissent, les philosophes font la grimace; l'un d'eux prétendait l'autre jour que le curé et le vicaire de sa paroisse disaient de lui:

Puisqu'il ne croit qu'en Dieu, c'est sans doute un athée[4].

- +

Les éternels frondeurs disent que le @@ -4247,21 +4243,23 @@

- [Note 1: Elle a épousé depuis M. O'Connor.] - [Note 2: Sorte de bonnet négligé, qui était à la mode en ce temps.] - + [Note 1: Elle a épousé depuis M. O'Connor.] + [Note 2: Sorte de bonnet négligé, qui était à la mode en ce temps.] +
+
+ [Note 1: On lit dans un journal de cette époque-là: «Deux femmes, ces jours-ci, se sont fait huer aux Champs-Élysées par l'effet de leurs robes transparentes. Huer!… ce qui eût été affreux pour nos grand'mères.»( Décade philosophique , année 5, trimestre 1.)] - [Note 2: Journal qui paraissait à Londres.] - [Note 2: Journal qui paraissait à Londres.] + [Note 3: Il a été donné depuis avec grand succès sous le titre de Picaros et Diegos .] - [Note 4: Raboteau. Les Partis, pièce de vers lue au lycée de Paris.] + [Note 4: Raboteau. Les Partis, pièce de vers lue au lycée de Paris.]
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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Project Gutenberg, 2014 , , - + . - - + 6th ed., 1869 , , - + . - - + 1866 , , - + . - - +

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+

A mon ami,

LE DOCTEUR GUSTAVE MALLET.

@@ -4543,9 +4539,9 @@
-
+

FIN

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Ebooksgratuits.com, , , - + . - - - - , - - , - - . - - + 1869 , , - + . - - +

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+
Chapitre 1

Le 20 février 18.., un dimanche, qui se trouvait être le dimanche gras, sur les onze heures du soir, une ronde d’agents du service de la sûreté sortait du poste de police de l’ancienne barrière d’Italie.

@@ -4156,7 +4145,7 @@

-- Oh !… je ne m’abuse pas, dit-il. Je sais qu’en ce moment le duc est hors de mes atteintes … Mais je le tiendrai le jour où j’aurai pénétré son secret … Je méprise le danger, mais, je sais que pour réussir je dois me cacher … je me cacherai donc. Oui, je me tiendrai dans l’ombre jusqu’au jour où j’aurai soulevé le voile de cette ténébreuse affaire … alors j’apparaîtrai. Et si véritablement Mai est le duc de Sairmeuse … j’aurai ma revanche.

-
+
Chapitre 1

Le premier dimanche du mois d’août 1815, à dix heures précises, – comme tous les dimanches, – le sacristain de la paroisse de Sairmeuse sonna les « trois coups », qui annoncent aux fidèles que le prêtre monte à l’autel pour la grand’messe.

@@ -11540,4 +11529,4 @@
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Hachette Livre 2018

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- - + COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + BNF, Gallica - - + NANCY P. PIERRON, IMPRIMEUR-ÉDITEUR 1912 - - +

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Marguerite ou deux amours Delphine Gay de Girardin 2013-04-11 - - + Œuvres complètes de Madame Émile de Girardin née Delphine Gay : Tome troisième : nouvelles et contes @@ -43,12 +41,10 @@ <publisher>Plon</publisher> <pubPlace>Paris</pubPlace> <date>1860</date> - </bibl> - <bibl type="firstEdition"> + </bibl><bibl type="firstEdition"> <!-- best guess --> <date>1852</date> - </bibl> - </sourceDesc> + </bibl></sourceDesc> </fileDesc> <encodingDesc n="eltec-1"> <p/> @@ -64,7 +60,7 @@ <timeSlot xmlns="http://distantreading.net/eltec/ns" key="T1"/> </textDesc> </profileDesc> - <revisionDesc> + <revisionDesc><change when="2019-11-04">Checked by releaseChecker script</change> <change when="2019-10-03">File created</change> <change when="2019-10-21">upgrade to ELTeC-1</change> </revisionDesc> @@ -8048,4 +8044,4 @@ </div> </body> </text> -</TEI> +</TEI> \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA02201_Gouraud.xml b/level1/FRA02201_Gouraud.xml index fd15e0c..e512604 100644 --- a/level1/FRA02201_Gouraud.xml +++ b/level1/FRA02201_Gouraud.xml @@ -1,6 +1,8 @@ <?xml version="1.0" encoding="UTF-8"?> -<?xml-model href="eltec-1.rng" type="application/xml" schematypens="http://relaxng.org/ns/structure/1.0"?> -<?xml-model href="eltec-1.rng" type="application/xml" schematypens="http://purl.oclc.org/dsdl/schematron"?> + <?xml-model href="../../Schemas/eltec-1.rng" type="application/xml" + schematypens="http://relaxng.org/ns/structure/1.0"?> + <?xml-model href="../../Schemas/eltec-1.rng" type="application/xml" + schematypens="http://purl.oclc.org/dsdl/schematron"?> <TEI xmlns="http://www.tei-c.org/ns/1.0" xmlns:xi="http://www.w3.org/2001/XInclude" xml:id="FRA02201" xml:lang="fr"> <teiHeader> <fileDesc> @@ -14,16 +16,13 @@ </titleStmt> <extent> <measure unit="words">45701</measure> - 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@@ -57,13 +55,13 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion to TEI for ELTeC level-1 (Christof Schöch) -

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I

Pendant que Jaffé se glissait derrière lui, Richard Brice rassembla les rênes de ses trotteurs. Le train qu’il venait de quitter s’ébranla et s’en alla à toute vitesse en lançant à coups rapides de petites bouffées de vapeur, dans la direction opposée à celle que prenait le phaéton. Les volutes élégantes s’accrochaient aux basses branches des peupliers ; on eût dit que, dans la tiède pesanteur de cette journée, il leur était impossible de s’élever plus haut ; et elles y restaient longtemps, comme embarrassées de disparaître sans attirer l’attention.

Les trotteurs avaient pris une belle allure sur la route sinueuse, une vraie route de France, élastique et ferme, avec juste assez de pentes pour donner de la variété au paysage ; un paysage tout vert, extrêmement vert, tel qu’on n’en peut voir qu’après de longues pluies d’été. Il se déroulait aimablement, tantôt à gauche, tantôt à droite, mais toujours borné d’un côté par un pan de colline, où, pour ouvrir la route, la mine avait fait une blessure toute fraîche dans le grès couleur de rouille.

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L’enfant avait eu peur, mais c’était un vaillant petit garçon, et il savait le prouver. Il n’avait pas crié, et maintenant il se tenait fort grave, la main gauche fermement attachée à la barre du siège. Il ne répondit rien à son père ; un instant après, il le tira doucement par la manche.

– Papa, dit-il, embrasse-moi. Et il tendit vers lui son petit visage honnête.

-
+
II

La Rouveraye était distante d’une dizaine de kilomètres au plus ; la route délicieuse s’enfonçait à travers le bois jusqu’à la grille du parc. Au moment où le phaéton traversait le pont, un rayon de soleil illumina les fenêtres du château ; une surtout, en pleine lumière dorée, miroitait comme une glace. Richard reconnut la fenêtre du petit salon de sa femme, où il avait passé les dernières heures pénibles de l’agonie, alors que les deux mères qui entouraient la mourante ne lui permettaient plus de s’approcher, mais seulement de la regarder, debout dans la large baie. Était-ce parce que Madeleine avait trop appartenu à ces deux mères, que son mari n’avait jamais pu l’aimer autant qu’il l’eût voulu ?

Comme il se posait cette question, il arriva devant le château, qui semblait flamboyer en son honneur.

@@ -342,7 +340,7 @@

Les chevaux partirent comme le vent vers leur écurie ; Brice suivit des yeux le léger équipage qui s’enfonçait dans la nuit croissante, sentant un morceau de son cœur s’en aller avec lui. Le train arrivait.

– Et dire qu’il y a tant de gens qui ne se soucient pas de leurs enfants ! pensa-t-il en montant dans un compartiment où par bonheur il resta seul.

-
+
III

Richard arriva à Paris, assez tard dans la soirée ; sans prendre le temps de dîner, sans même passer chez lui, il se fit conduire chez M. Montaubray.

La veille, il avait promis à sa fiancée de lui rendre compte, le soir même, des démarches accomplies ce jour-là. C’était Odile qui avait insisté pour qu’il les fit sans plus tarder, et elle l’avait instamment prié de venir, ne fut-ce qu’un instant, pour lui dire comment il avait été accueilli.

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Seule dans sa chambre, Mlle Montaubray resta longtemps pensive avant de se mettre au lit.

– Deux belles-mères, c’est pourtant vrai, se dit-elle, car la grand-mère d’Yveline est presque une mère pour lui... et les enfants pourraient bien apprendre à me haïr... Mais si c’était facile, il n’y aurait pas de mérite ! Et je veux qu’il soit heureux ! Je l’ai pris avec toutes les blessures de son âme, toutes les tristesses de son cœur ; c’est à moi de les guérir... et s’il faut pour cela que mon amour fasse des miracles... il en fera.

-
+
IV

Les Pignons flamboyaient par toutes leurs ouvertures, le soir d’octobre où Richard Brice y amena sa jeune épouse.

Mme Brice mère avait tenu à faire grandement les choses. Tant par ostentation que par calcul habile, elle avait convoqué toute sa parenté et la plupart de ses amis au dîner qu’elle donnait ce jour-là aux nouveaux mariés qui revenaient de leur voyage de noces. Elle s’était dit qu’il serait plus commode pour la jeune femme, aussi bien que pour elle-même, de faire sa connaissance et celle des enfants au milieu d’une réunion nombreuse, qui remettrait à plus tard la possibilité des épanchements.

@@ -466,7 +464,7 @@

Depuis celles qui se piquaient de beauté jusqu’aux simples bas bleus qui se targuaient de littérature, chacune dit et répéta que la nouvelle Mme Richard Brice n’était ni la belle personne ni la femme remarquable qu’on avait annoncée. Les hommes, plus clairvoyants, savaient le contraire ; mais ils n’assistaient point aux conciliabules féminins, et leur avis ne put faire pencher la balance ; si les opinions se heurtèrent, ce qui arriva peut-être, comme ce fut à l’abri du mur de la vie privée, ces heurts furent sans résultat.

Mme Brice mère fut fort approuvée d’avoir fait une si belle réception à sa bru ; Mme de la Rouveraye encore davantage, pour avoir su imposer silence à ses sentiments les plus légitimes. Toutes deux avaient eu le grand esprit de comprendre qu’un député ne saurait rester veuf. Comment offrirait-il des dîners, donnerait-il des soirées ? N’y avait-il pas mille occasions dans sa vie sociale et politique où l’absence d’une femme se ferait cruellement sentir ? Au sortir de l’excellent dîner offert par Mme Brice mère, tout le département portait aux nues la famille entière, dans toutes ses ramifications. Jaffé seul n’était point satisfait ; mais comme il n’en faisait part à personne, il n’eut point occasion de se quereller.

-
+
V

Ce premier séjour de Brice et de sa femme fut de courte durée. Ils avaient résolu d’aller souvent aux Pignons et de n’y pas rester plus de quarante-huit heures à la fois, au moins jusqu’au retour du printemps ; de la sorte, nombre de difficultés se trouvaient tournées, et Edme ne perdait point l’habitude de les voir.

Le petit garçon reprit assez promptement ses habitudes de tendresse et de confiance avec son père ; aussitôt qu’il le voyait seul, il courait à lui, posant mille questions, le tiraillant et le câlinant comme il l’avait fait depuis sa naissance. Mais aussitôt qu’Odile paraissait, il retombait dans le silence. Après avoir été grondé une fois ou deux assez vertement par son père, il n’avait plus tenté de s’enfuir à la vue de sa belle-mère ; il restait près d’eux, mais contraint et morose, si bien qu’Odile elle-même avait intercédé pour qu’il obtint sa liberté.

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Aux heures où Mlle Montaubray s’était interdit de songer à Richard Brice, alors l’époux d’une autre, elle avait connu la tristesse et la résignation ; mais alors, c’étaient des compagnes aimées, bienvenues, qui devaient l’aider à vivre ses années solitaires. À présent qu’elle tenait son rêve dans ses mains reconnaissantes, il était plus dur de retomber dans les grisailles de l’incertitude.

Elle était vaillante cependant, et surtout très sage. Elle se dit que la vie est longue et qu’on ne désespère pas à vingt-cinq ans. Son mari l’aimait ; avec la grâce de Dieu, il l’aimerait toujours, car elle était sûre de ne pas démériter de sa tendresse. Elle se raidit contre ses petites déceptions, se cuirassa de souriante politesse contre l’aimable froideur de Mme de la Rouveraye et attendit : l’amitié de tous ceux qui connaissaient sa valeur et les succès mondains dont elle n’avait garde de se laisser enivrer, l’aidèrent à se faire une existence extérieure pleine d’un charme sans banalité.

-
+
VI

Trois années s’étaient écoulées. Vaincue par la raison du plus fort, c’est-à-dire par la déraison de son petit-fils, Mme Brice s’était décidée à lui donner une institutrice.

C’était une personne très sage, qui avait fait plusieurs éducations déjà, et qui, en prenant de l’âge, avait choisi la mission difficile, mais flatteuse, de préparer les petits garçons pour le lycée. Elle avait jusque-là fort bien réussi, et on la déclarait très supérieure à tout gouverneur pour mener à bien les études des jeunes héritiers de grande famille. Cette réputation méritée devait attirer sur elle l’attention de Mme Brice mère, qui, décidément, trouvait Edme un peu récalcitrant.

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M. et Mme Richard montèrent dans le landau qui s’était approché, et partirent. Quand ils furent hors de vue, Brice se laissa couler à genoux, et baisant la main d’Odile, il lui dit :

– Je vous demande humblement pardon, ma femme !

-
+
VII

Edme entra au lycée comme interne, sans autres tiraillements. Mme Brice mère avait compris, une fois le calme rétabli, que son aveugle tendresse pour son petit-fils l’avait entraînée trop loin, et elle n’avait plus soulevé d’objections, pour le moment. Richard s’était fait amener l’enfant par Jaffé, et l’avait gardé chez lui deux ou trois jours : Odile s’était absentée à la même époque, de sorte qu’Edme ne l’avait point rencontrée. Lorsqu’il l’avait revue, elle lui avait adressé un simple bonjour auquel il avait répondu de même : elle le traitait avec une réserve qui excluait toute idée de pardon, mais où le censeur le plus sévère n’eût pu découvrir la moindre parcelle de rancune ou seulement de mauvaise grâce.

Mme Brice mère s’installa dans un bel appartement, plus près du lycée Henri IV que de la demeure de son fils, et les journées de sortie se partagèrent ainsi : le matin, Edme, conduit par Jaffé, viendrait déjeuner chez son père ; dans l’après-midi, il irait chez sa grand-mère, qui se chargeait de le faire reconduire le soir.

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Quelques journées s’écoulèrent, intolérablement lentes et lourdes. La grand-mère avait installé le jeune garçon dans une chambre voisine de la sienne, dont la porte de communication restait toujours ouverte, et elle ne permettait à personne d’y entrer, excepté à Jaffé, qui avait pris le métier de garde-malade avec la même tranquillité qu’il eût pris les guides de ses chevaux.

La maladie ne se déclarait pas nettement, et le docteur, inquiet, avait déjà parlé d’appeler en consultation un médecin célèbre, afin de dégager sa responsabilité ; la fièvre violente et la prostration d’Edme, qui n’ouvrait plus les yeux et qui ne parlait que pour demander à boire, lui faisaient redouter quelque terrible complication cérébrale. Mme Brice, dès le second soir, avait remis ses clefs à Odile, en la priant de donner les ordres nécessaires : elle sentait ses forces décroître et voulait lutter quand même ; la jeune femme, heureuse de se voir utile, prit sur-le-champ le commandement du personnel, qui lui obéit d’ailleurs avec une régularité parfaite.

-
+
VIII

Le soir du quatrième jour, le médecin était parti plus soucieux encore ; si la maladie ne se prononçait pas, on pouvait tout craindre. Odile, qui venait de recevoir de sa bouche cette déclaration, en le reconduisant, rentra au salon, avec un douloureux sentiment d’impuissance, irritant parce qu’il provenait non de la force des choses, mais de la volonté de Mme Brice. Si elle avait pu entrer dans cette chambre d’enfant fermée pour elle !... Elle eût accepté facilement toutes les peines, toutes les difficultés.

La soirée était lugubre. Des nuages très bas couraient dans le ciel gris, chassés par un vent rapide ; des frissons secouaient l’eau des feuilles sur la terre déjà saturée de pluie : Odile, qui avait refusé les lampes, ouvrit la porte-fenêtre et s’avança sur le perron.

@@ -812,7 +810,7 @@

La grand-mère se retourna brusquement vers Odile et lui tendit les deux mains ; comme elle s’inclinait, Mme Brice l’attira sur son cœur et lui donna un baiser, un vrai baiser de mère.

– Que Dieu vous aide, lui dit-elle. Et maintenant, il faut que je dorme, car je sens que ma tête s’en irait.

-
+
IX

Le médecin avait ordonné le repos complet pour la grand-mère, qu’il espérait d’ailleurs voir sur pied dans quelques jours. Lui aussi avait averti du danger Mme Richard, comme c’était son devoir, et, de même que tout le personnel de la maison, il avait été émerveillé du calme et de l’ordre que répandait autour d’elle cette âme ferme et généreuse.

Elle gouvernait comme un capitaine à son bord, sans bruit et sans secousses, avec une autorité bienveillante qui ne permettait aucune défaillance. Elle avait décidé qu’elle et Jaffé passeraient alternativement une nuit près du malade, afin de se ménager des forces pour la lutte, qui pourrait être longue, et, tout en se réservant d’y recourir si cela devenait nécessaire, elle avait décidé de se passer des soins des Sœurs de charité ; la crainte de la contagion, que celles-ci eussent méprisée, était assez forte dans l’esprit d’Odile pour qu’elle reculât devant l’idée d’y exposer d’autres vies que la sienne.

@@ -842,7 +840,7 @@

Odile se retourna. Elle n’avait pas vu sa belle-mère, qui s’était avancée très lentement et qui l’avait aperçue de loin, par la porte ouverte sur une longue enfilade de chambres communiquant entre elles.

– Je vous ai appelée, vous ne m’avez pas entendue ; ma voix est si faible... Je ne l’aurais pas permis... mon fils ne l’aurait pas permis... Mais vous êtes une brave et une bonne créature... Embrassez-moi !

-
+
X

Le docteur, après avoir examiné le sommeil profond, semblable à la mort, dans lequel Edme était tombé après sa crise de fièvre, porta un arrêt peu rassurant. Les forces étaient totalement épuisées : la nuit qui allait suivre pouvait être la dernière ; si l’enfant sortait de cette torpeur, il serait probablement sauvé, mais la présence d’un confrère savant était réclamée par le vieux praticien pour mettre à couvert sa responsabilité.

– Pourquoi ne m’avez-vous pas dit cela plus tôt ? s’écria Odile. J’aurais prévenu mon mari ! Maintenant, quoi que je fasse, il ne peut plus revenir à temps...

@@ -880,7 +878,7 @@

– Ô mon Dieu ! je vous remercie ! murmura Odile en joignant les mains vers le ciel radieux.

Au même instant, la voiture qui ramenait les médecins entrait dans la cour.

-
+
XI

L’examen du petit malade donna des résultats aussi satisfaisants que possible ; une dépêche de Richard, arrivée quelques heures après avec ce seul mot : « Edme ? » reçut en réponse un autre mot unique : « Sauvé ! » Et Mme Richard, enfin délivrée de son horrible anxiété, crut que tout son être allait se fondre et mourir dans une inexprimable et heureuse langueur.

Ce n’était pas fini, cependant ; la période dangereuse était terminée, la période insupportable commençait. Edme, en revenant à la vie, revenait aussi à ses caprices, à ses rébellions, excitées encore par l’irritabilité des malades. Par une circonstance que Mme Richard se trouvait contrainte de dire heureuse, la surdité, au dire du médecin, devait se prolonger pendant une dizaine de jours encore, les yeux ne devaient guère s’ouvrir plus tôt, et Odile pouvait tranquillement continuer pendant ce temps ses fonctions de garde-malade, sans courir le risque d’être reconnue.

@@ -910,7 +908,7 @@

– Mon cher petit, dit-elle, je vous ai toujours aimé, et maintenant, je suis bien heureuse !

Mme Brice, en entrant une heure après, les trouva causant, la main dans la main.

-
+
XII

C’était une joie enfantine, absurde, dans la vieille demeure des Pignons, que le jeune maître eût si promptement recouvré toutes ses facultés ; c’était de quoi en chanter @@ -969,7 +967,7 @@

– Comme ça, grommela Edme, je n’aurai jamais de sœur, et papa jamais de fille ?

– On fera pour le mieux, mon cher enfant, dit Odile en lui donnant un baiser.

-
+
XIII

Les portes de la Madeleine s’ouvrirent toutes grandes, et le roulement des orgues éclata au dehors, comme une tempête d’harmonie, pour la fin de messe de la première communion. C’était un beau jeudi de mai, si radieux, si brûlant qu’il défiait toutes les ardeurs de juin ; les marronniers fleuris de la place avaient l’air de grands bouquets préparés pour la circonstance ; une foule de dames bien mises s’étageaient sur les marches, abritées par les ombrelles multicolores ; en bas, sur le trottoir, une masse de gens de toutes les classes regardaient avec sympathie à l’intérieur de l’église, et ceux qui remontaient la rue Royale en venant de la place de la Concorde, par cette journée délicieuse, voyaient, au fond du temple sombre, l’autel étincelant de lumières, entouré jusqu’aux frises, couvert jusqu’au tapis, de blanches fleurs de mai, en l’honneur du mois de Marie.

Des voix fraîches d’enfants chantèrent un cantique accompagné discrètement par l’orgue ; puis, sur le tapis rouge, étendu comme pour des mariés, les communiants et les communiantes s’avancèrent en longues files ; soudain, comme si un grand vol de cygnes s’était abattu sur les marches de l’église, l’air se trouva rempli de voiles blancs et de délicates mousselines.

@@ -1023,7 +1021,7 @@

– Sortez.

Edme obéit et s’en fut de lui-même se mettre aux arrêts dans sa chambre.

-
+
XIV

Éliminant volontairement Mme Brice, qui l’eût blâmé de tout point, tout en censurant le jeune homme, Richard tint conseil avec sa femme.

La circonstance n’eût pas eu cette gravité exceptionnelle si elle se fût présentée pour la première fois, et si Edme eût été dans de bonnes conditions d’étude. Malheureusement, toutes ses classes s’étaient ressenties du manque de direction primitif, et son éducation était pleine de trous. Quand il se trouvait en humeur de travail, il prenait facilement la tête de la classe, à la grande indignation de ses camarades, et même des professeurs, qui voyaient avec humeur ce vainqueur intermittent couper l’herbe sous le pied à des élèves consciencieux qui travaillaient bien toute l’année. Mais d’ordinaire, il était à une place très médiocre.

@@ -1070,7 +1068,7 @@

– Quand je vois des gens de maison – car ce ne sont pas des domestiques, comme madame le sait ; moi, je suis un domestique, mais eux, ce sont des gens de maison ; – quand je vois des gens de maison aussi distingués, et que leurs équipages sont d’une tenue qui me fait hausser les épaules, sauf le respect que je dois à madame en sa présence, je me dis qu’il vaut peut-être mieux n’être qu’un domestique et avoir des harnais convenablement astiqués.

C’est avec cette pensée que Jaffé sut maintenir, pendant toutes les vacances, un équilibre louable entre son orgueil et son humilité, ce qui produisit en lui un état d’esprit des plus agréables.

-
+
XV

Edme, d’abord bourru, car il regrettait sa chère liberté des Pignons, s’accoutuma bientôt à la vie qu’on menait à la Rouveraye. Cette demeure, très mondaine, était journellement l’objet de visites diverses : les jeunes amies d’Yveline venaient la voir, quelques-unes de son âge, d’autres déjà promues au rang supérieur de la jeune fille. Pareil à la plupart des jeunes gens, Edme se trouvait un peu mal à l’aise au milieu de tant de demoiselles ; mais comme il était fort beau, grand, mince, élégant, aimable quand il le voulait, comme en outre ses défauts ne se manifestaient que dans la société intime de ses proches, ainsi qu’il convient à tout être bien élevé, il devint bientôt l’âme des petites réunions.

De la sorte, il prit goût à la société des dames, ce qu’Odile n’avait pu obtenir dans son salon, qu’Edme fuyait régulièrement à Paris, et, par une conséquence toute naturelle, il se rapprocha de sa sœur.

@@ -1192,7 +1190,7 @@

Richard Brice entrait hagard, appelé par le bruit.

– Je vous ai désobéi, lui dit simplement sa femme en lui remettant l’arme. Vous voyez bien qu’il ne l’avait pas fait exprès. Allez, Richard, votre fils est un noble garçon, mais son cœur est malade, et c’est cela qu’il faudra guérir.

-
+
XVI

Certaines situations très tendues ne peuvent se dénouer que par un accident tragique : certains malentendus trouvent par l’appréhension d’une catastrophe une solution aisée et facile. Sans la tentative de suicide du malheureux Edme, les rapports entre son père et lui fussent peut-être restés pénibles éternellement et douloureux ; la bonne foi du jeune homme ne pouvant plus être mise en doute, Richard sentit dans son cœur une grande floraison de tendresse pour son premier-né.

Ce qui s’était passé relativement à l’examen n’était pas en soi bien grave ; rien n’était plus aisé pour Edme que de se présenter à nouveau pour l’année suivante, puisqu’il se trouverait encore dans la limite d’âge. Un nouveau professeur fut choisi, afin d’écarter de l’esprit du candidat autant de souvenirs désagréables que c’était possible, et Edme s’épanouit sous un régime différent, sûr d’être désormais compris et désormais deviné, lorsque sa maladresse lui donnerait l’apparence de torts qu’il n’avait pas.

@@ -1254,7 +1252,7 @@

– Qu’il est donc laid ! Et qu’il est drôle ! pensa la jeune fille en t’apercevant. Il a l’air d’un bébé en cire, qui aurait des moustaches !

Et sentant le fou rire la prendre, elle s’enfuit dans le jardin, où Varcourt n’osa pas la suivre.

-
+
XVII

L’imagination des jeunes filles parcourt beaucoup de chemin en peu de temps. Yveline se fit un tableau délicieux de la vie dans la maisonnette où vivaient les Présances. Cette existence resserrée, pour ne pas dire étroite, lui sembla la plus belle de toutes ; elle n’était pas sans avoir entendu parler de Nausicaa, fille de roi, lavant son linge à la rivière ; on pouvait donc accomplir les travaux les plus humbles sans rien perdre de son grand air et de sa dignité, et Yveline était bien sûre que Mme de Présances, quoi qu’elle fit, serait toujours une femme distinguée, malgré ses petites robes usées et la modestie souffrante de son maintien.

À quoi tiennent les choses ! Si Mme de la Rouveraye n’avait point critiqué sa cousine pauvre, Mlle Brice n’eût peut-être jamais remarqué le cousin Georges !

@@ -1315,7 +1313,7 @@

– Au revoir ! dit Berthe, et le modeste cabriolet s’en alla cahin-caha sur la route, suivi par les yeux d’Yveline. Si Georges l’avait su ! Le soleil faisait une gloire d’or au vernis de l’humble carriole, qui, pour l’héritière de la Rouveraye, était plus belle et plus flamboyante que le char d’Apollon !

Mais Georges ne savait pas, et tout le temps de la route, en mâchonnant sa moustache, il lui semblait mordre les morceaux de son orgueil humilié.

-
+
XVIII

Le dîner et la soirée furent interminables ; quelques-uns des hôtes étaient partis, d’autres étaient restés, ce qui trouble le plus souvent l’harmonie d’une réunion. Tout le monde s’ennuya ce soir-là à la Rouveraye, excepté Yveline, qui vivait dans un éblouissement ; le soleil lui était resté dans les yeux. On partit de bonne heure, et lorsque la jeune fille vint embrasser sa grand-mère, comme de coutume, en lui souhaitant le bonsoir, Mme de la Rouveraye fit un mouvement pour la retenir : elle avait presque envie de lui parler sur-le-champ du mariage projeté. Mais un peu de fatigue l’arrêta ; elle renvoya au lendemain l’explication, et congédia simplement sa petite-fille.

Jamais Yveline n’avait éprouvé à ce point le besoin d’être seule ; depuis le moment où l’humble cabriolet avait disparu au bout de l’avenue, elle sentait des impatiences la parcourir comme des frissons ; elle aurait voulu secouer la contrainte de toutes ces présences intolérables ; le dîner n’en finissait pas ; le bavardage des hôtes, qu’elle supportait fort bien d’ordinaire, y ajoutant la gaieté de son rire, tous ces propos mondains lui semblaient d’un vide et d’un oiseux dont elle était dégoûtée. Lorsqu’elle eut renvoyé sa femme de chambre et qu’elle se vit seule dans le joli nid de sa jeunesse, elle regarda autour d’elle avec ravissement.

@@ -1414,7 +1412,7 @@

– On vous cherche partout, mademoiselle, dit-elle. Madame vous fait demander.

Ils descendirent bras dessus bras dessous, joyeux et graves à la fois, et, pendant toute la soirée, ils échangèrent à la dérobée des regards d’entente qui leur donnaient un air de conspirateurs, bien fait pour réjouir leurs jeunes esprits, prompts à s’amuser de tout.

-
+
XIX

Edme cependant avait pris très au sérieux la confiance d’Yveline et son rôle de protecteur. Dès le matin, sous prétexte de tirer quelques coups de fusil, il partit dans les plaines, dorées par un joli soleil de septembre, et, comme on peut le croire, il se dirigea du côté de la Maisonnette, pour en voir au moins l’extérieur.

Pendant qu’il arpentait les routes, en compagnie d’un vieux chien, ami de sa jeunesse, Mme de la Rouveraye avait emmené Yveline dans son petit salon.

@@ -1500,7 +1498,7 @@

Il entraîna Mme Brice d’un côté, pendant que Mme Richard, très émue, prenait doucement la taille d’Yveline pour l’emmener de l’autre.

– Viens dans ma chambre, dit la seconde mère, nous y serons mieux pour causer.

-
+
XX

Dans cet asile aimable et sérieux, où tout parlait d’une vie bien employée, Yveline sentit tout à coup son cœur se desserrer. Sur la cheminée, sur les murs, partout, des photographies de son frère et d’elle-même, à tous les âges ; un beau portrait de son père, qui l’attira dès son entrée ; des livres, des ouvrages de femme ; un grand registre, fermé, sur le bureau, affirmait l’ordre de la ménagère... C’était une de ces chambres reposantes, où l’on sent qu’on aimerait à vivre et à mourir ; la mort, dans ce grand lit, au milieu de tous ces témoins d’une vie d’honneur et de travail, ne pouvait être que paisible et vénérable.

Emue, Yveline, après avoir tout embrassé d’un coup d’œil, tourna son regard vers Odile, et lut dans ses yeux une tendresse grave et profonde.

@@ -1538,7 +1536,7 @@

Edme fut reçu à peu près de la même façon, et les enfants furent congédies pour laisser aux deux dames la facilité de s’expliquer ensemble.

Que se dirent-elles en cette mémorable entrevue ? Le secret en fut bien gardé, car ni l’une ni l’autre n’en parlèrent jamais. Il est probable que Mme Brice évoqua le souvenir de la première femme de Richard, épousée sans amour, par raison de famille, de convenances, de tout enfin, sauf le libre choix des époux, qui seul est la base des unions heureuse. Dans son triomphe, peut-être fut-elle quelque peu sarcastique, car Mme de la Rouveraye, au sortir de cet entretien, avait le teint enflammé, comme une personne qui s’est fort animée ; quoi qu’il en soit, les deux grand-mères se séparèrent de la façon la plus aimable, si ce n’est la plus cordiale.

-
+
XXI

La tâche d’Odile était extrêmement ardue. De ses ennuis relatifs à l’éducation d’Edme, Richard avait gardé une susceptibilité nerveuse à l’endroit de ses enfants. Depuis l’incident terrible qui avait failli amener la mort de son fils, il ne se laissait plus emporter à des paroles dures ou à des réprimandes amères, mais sa femme savait combien ce sujet lui tenait au cœur, et quelles pensées pénibles la moindre erreur d’Edme ou d’Yveline remuait en lui, autant dans le passé que dans le présent et l’avenir. Richard voyait toujours en lui-même le père privé de son autorité naturelle sur ses enfants : sans cesse il se reprochait les concessions qu’il avait dû faire jadis et qu’à présent, oubliant les difficultés passées, il considérait comme le résultat d’une coupable faiblesse, et, se reprochant tout ce qui en était découlé, il voyait en lui le seul auteur d’une situation dont en réalité il n’était que la victime.

C’est donc avec une sorte de terreur qu’Odile essaya le lendemain de raconter à son mari ce qui s’était passé, et de lui expliquer la métamorphose du cœur d’Yveline. Un autre danger se présentait encore : il avait trop tendrement aimé sa fille, la préférant à son fils lorsqu’elle était petite, pour ne pas avoir à souffrir en apprenant qu’un nouveau venu avait gagné d’emblée ce cœur, qui n’avait jamais été à lui.

@@ -1594,7 +1592,7 @@

Cette situation douloureuse offrit au moins un grand avantage : la séparation, tant redoutée de Mme de la Rouveraye, fut presque une délivrance ; de fait, la séparation était consommée depuis la fuite d’Yveline aux Pignons.

Quand on a tendrement aimé un être, l’eût-on d’ailleurs mal aimé, et que cet être vous échappe, non seulement on n’éprouve plus aucun bien de sa présence, mais cette présence jadis si chère vous devient bientôt une gêne ; c’est cette gêne que ressentait la grand-mère. Quant à Yveline, elle ne pouvait pardonner ni le tort de Mme de laRouveraye, ni le sien propre ; il faut une certaine grandeur d’âme pour n’être pas mal à l’aise près de quelqu’un qu’on a offensé ; cette grandeur, Yveline devait l’obtenir plus tard, elle ne l’avait pas encore.

-
+
XXII

En novembre, toute la famille devait rentrer à Paris ; Mme de la Rouveraye prétexta un rhume pour s’abstenir de ce voyage, préférant remettre sa petite-fille aux mains des parents dans la tranquillité des Pignons. La veille du jour où Yveline devait quitter la maison, elle demanda à faire quelques visites chez des compagnes d’enfance, habitant les environs. Mme de la Rouveraye y consentit volontiers, et lui donna pour compagnie son ancienne nourrice, qui devait l’accompagner à Paris en qualité de femme de chambre. Cette femme, beaucoup plus dévouée à la grand-mère qu’à la jeune fille, serait le lien qui, dans la pensée de l’aïeule, rattacherait Yveline à son ancienne demeure.

Une demi-douzaine de visites furent faites de la façon la plus banale, sans amener autre chose que la dépense d’une après-midi d’automne. Mais, au moment de reprendre le chemin de la Rouveraye, Yveline dit au cocher :

@@ -1656,7 +1654,7 @@

– Grand-maman, dit-elle en se jetant à son cou, ne croyez pas que rien me fasse oublier votre amitié ! Je ne suis pas une ingrate, grand-maman ; j’ai un drôle de caractère et je ne suis pas toujours commode... Il faut me le pardonner, n’est-ce pas, grand-maman, je vous en prie ?

Quand elles eurent pleuré ensemble, la paix fut faite ; Mme de la Rouveraye suivit des yeux la voiture jusqu’au bout de l’avenue, puis rentra dans son salon, tout étonnée de sentir, au bout du compte, si peu douloureusement un départ qu’elle avait jadis redouté à l’égal du martyre.

-
+
XXIII

Les semaines s’écoulèrent sans qu’Yveline entendit parler des habitants de la Maisonnette autrement que par une courte lettre de Berthe au jour de l’an, où elle ne nommait pas son frère, mais où elle annonçait son prochain mariage avec un petit propriétaire des environs. Yveline, après son grand coup de tête, avait espéré mieux. Dans son inquiétude, elle alla un soir trouver Odile dans son petit salon. Richard était absent ; Edme, après quelques jours de congé, était retourné à Saumur : elles étaient bien sûres de n’être pas dérangées.

– Maman, dit Yveline en s’asseyant sur un tabouret aux pieds de sa seconde mère, avez-vous dit quelque chose de nouveau à mon père, au sujet de ce que vous savez ?

@@ -1721,4 +1719,4 @@
- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA02302_Greville.xml b/level1/FRA02302_Greville.xml index 0db9ef4..2b58cd4 100644 --- a/level1/FRA02302_Greville.xml +++ b/level1/FRA02302_Greville.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -20,30 +22,24 @@ 10562 - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + L’amie Henry Gréville - - + L’amie Henry Gréville E. Plon, Nourrit et Cie Paris 1879 - - + 1878 - - +

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Ariadne Henry Gréville - - + Aridane Henry Gréville E. Plon et Cie Paris 1882 - - + 1878 - - +

@@ -59,7 +55,7 @@ - + Checked by releaseChecker script File created @@ -7100,4 +7096,4 @@

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Bibliothèque électronique du Québec, , @@ -31,24 +30,14 @@ , . - - - - , - - , - - . - - + 1904 , , - + . - - +

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- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA02402_LeRouge.xml b/level1/FRA02402_LeRouge.xml index 79946d6..206a748 100644 --- a/level1/FRA02402_LeRouge.xml +++ b/level1/FRA02402_LeRouge.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -16,24 +18,19 @@ 76669 - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Bibliothèque électronique du Québec, . - - + 1900 - - +

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-
+

FIN DU TOME TROISIÈME

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + 2008 , , . - - + source - - + 1883 - - +

@@ -53,7 +49,7 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 Initial TEI version. @@ -2355,4 +2351,4 @@

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + 2003 , , . - - + source - - + 1897 - - +

@@ -53,14 +49,14 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 Initial TEI version. -

+

DÉDICACE

À MADAME V. D'ABBADIE,

qui commença de m'initier au pays basque, en l'automne 1891.

@@ -70,7 +66,7 @@
-
+

PREMIÈRE PARTIE

I @@ -708,7 +704,7 @@

Et lui, à ce même instant du soir, continuait de descendre, par les vallées plus obscures, vers le bas pays où les trains passent -- emportant les hommes au loin, changeant et bouleversant toutes choses. Pour une heure environ, il continuerait d'être sur la terre basque ; puis, ce serait fini. Le long de sa route, il croisait quelques chars à bœufs, d'allure indolente, qui rappelaient les tranquillités des vieux temps ; ou bien de vagues silhouettes humaines lui disant au passage le traditionnel bonsoir, l'antique gaou-one que demain il n'entendrait plus. Et là-bas sur sa gauche, au fond d'une sorte de gouffre noir, se profilait encore l'Espagne, l'Espagne qui, de très long temps sans doute, n'inquiéterait plus ses nuits...

-
+

@@ -1115,9 +1111,9 @@
-
+

FIN

- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA02601_Malot.xml b/level1/FRA02601_Malot.xml index 1157214..a45414e 100644 --- a/level1/FRA02601_Malot.xml +++ b/level1/FRA02601_Malot.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -15,20 +17,16 @@ 70236 - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Bibliothèque électronique du Québec, . - - + La présente édition de Romain Kalbris reprend l'édition dite @@ -36,12 +34,10 @@ , de la Librairie Ch. Delagrave, Paris, publiée en 1884. 1884 . - - + 1869 . - - +

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+
Hector Malot vu par Jules Vallès

C'est un romancier qui, sans attacher de cocarde rouge à son chapeau, a fait œuvre de révolutionnaire. Voici qu'on commence la publication de son œuvre sous la forme populaire, en livraisons à deux sous.

Je conseille aux camarades de donner leurs deux sous.

@@ -112,7 +108,7 @@ , 17 novembre 1884.

-
+

À Madame Anna Malot,

@@ -2484,4 +2480,4 @@
- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA02602_Malot.xml b/level1/FRA02602_Malot.xml index 87fdd35..78b903c 100644 --- a/level1/FRA02602_Malot.xml +++ b/level1/FRA02602_Malot.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,16 +16,13 @@ 123735 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Bibliothèque électronique du Québec, , @@ -31,24 +30,14 @@ , . - - - - , - - , - - . - - + 1878 , , - + . - - +

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+

@@ -2218,7 +2207,7 @@

Une existence nouvelle s'ouvrait devant moi. J'évoquai le souvenir de Vitalis, et je me dis en moi-même : « En avant ! »

-
+

@@ -4575,4 +4564,4 @@
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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Bibliothèque électronique du Québec, , @@ -31,24 +30,14 @@ , . - - - - , - - , - - . - - + 1888 , , - + . - - +

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+

@@ -1763,7 +1752,7 @@

Pour lui, il avait fait ce qu'il pouvait.

-
+

@@ -2576,7 +2565,7 @@

-- Recevez mes félicitations pour votre déposition, mon cher ; c'est un acte de courage qui vous honore. Si ce pauvre garçon avait pu être sauvé, il l'était par vous : vous avez beau dire, vous êtes l'homme de la conscience.

-
+

@@ -3198,10 +3187,10 @@
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+

FIN

-
+

1  H. Beaunis : Le Somnambulisme provoqué. @@ -3209,4 +3198,4 @@

- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA02701_Maupassant.xml b/level1/FRA02701_Maupassant.xml index 0cb7321..0d0e229 100644 --- a/level1/FRA02701_Maupassant.xml +++ b/level1/FRA02701_Maupassant.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,30 +16,24 @@ 111187 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + 2004 , , . - - + source - - + 1885 - - +

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-
+

@@ -2209,7 +2205,7 @@

Elle le lui renvoya d’un geste plus discret, hésitant, ébauché seulement.

-
+

@@ -4554,4 +4550,4 @@
- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA02702_Maupassant.xml b/level1/FRA02702_Maupassant.xml index 80651ed..86d95cc 100644 --- a/level1/FRA02702_Maupassant.xml +++ b/level1/FRA02702_Maupassant.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,16 +16,13 @@ 77338 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Feedbooks , @@ -31,14 +30,11 @@ , via Ebooksgratuits. - - + source - - + 1883 - - +

@@ -54,14 +50,14 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 cf Initial TEI version. -

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + 2007 , , . - - + source - - + 1888 - - +

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À

PAUL HERVIEU

EN TÉMOIGNAGE DE MON AFFECTION PROFONDE

@@ -69,7 +65,7 @@
-
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@@ -992,7 +988,7 @@

-- Il n'avait même pas de bagages !... Un méchant sac de nuit !... Ah ! je m'en doutais bien, allez !

-
+

@@ -1734,9 +1730,9 @@
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Kérisper. Juillet 1887, janvier 1888.

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Bibliothèque électronique du Québec, , @@ -31,24 +30,14 @@ , . - - - - , - - , - - . - - + 1883 , , - + . - - +

@@ -64,14 +53,14 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 cf Initial TEI version. -

+
Lettre-préface

Cher Monsieur,

Vos épreuves lues avec soin, voici très sincèrement ce que je pense de votre livre.

@@ -3695,7 +3684,7 @@
-
+

 Renée Mauperin @@ -3707,4 +3696,4 @@

- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA02901_Noailles.xml b/level1/FRA02901_Noailles.xml index 92537d8..2575d0a 100644 --- a/level1/FRA02901_Noailles.xml +++ b/level1/FRA02901_Noailles.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -23,31 +25,25 @@ 54730 - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + La Nouvelle Espérance Anna de Noailles 2015-04-18 - - + LA NOUVELLE ESPÉRANCE Comptesse Mathieu de Noailles Calmann-Lévy, 3 rue Auber Paris 1903 - - + 1903 - - +

@@ -63,14 +59,14 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion to level 1 encoding. File created -

+

La Nouvelle Espérance Anna de Noailles Paris, 1903

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+

FIN

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + PG, 2009 , 18073 , - + . - - + Ollendorff, 1903 , , - + . - - + 1892 -1894, , - + . - - +

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + La baronne trépassée CLiGS rd0010 @@ -39,8 +38,7 @@ Paris 1852 - - +

@@ -56,14 +54,14 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 (Lou Burnard) Initial TEI version (Stephanie Popp). -

+
Prologue
I @@ -592,7 +590,7 @@
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Première partie
I @@ -2307,7 +2305,7 @@

Et il s’enfuit éperdu et comme s’il eût voulu justifier le soupçon qu’il venait d’émettre à l’endroit de sa raison.

-
+
Deuxième partie
XXIV @@ -3443,7 +3441,7 @@

– Allons à Paris. Là seulement tu pourras t’étourdir.

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+
Troisième partie
XXXVIII @@ -3879,4 +3877,4 @@
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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Ebooksgratuits.com, , , - - . - - - - , - - , - + . - - + Le Petit Journal -- 31 octobre 1865 au 10 juin 1866, 223 épisodes. 1866 , , - + . - - +

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+

@@ -3634,7 +3623,7 @@

Et l'on vit alors s'éloigner d'Antoinette la ressuscitée, qui ne voyait et n'entendait que son cher Agénor, et se réfugier dans le coin le plus obscur de la chambre, pâles et sombres comme les anges déchus précipités du ciel ! dans l'abîme : La belle Marton. Rocambole le forçat. Ces deux maudits à qui Dieu fermait le temple de l'amour avec une porte d'airain.

-
+

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Une heure après, M. de Morlux avait quitté Varsovie. Yvan l'accompagnait toujours.

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+

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-
+
Notes

1 Le premier-Paris, dit encore « filet de bœuf », est le principal article de fond d'un journal.

2 Ce revirement de Marton et son dévouement sont inspirés du personnage de la Louve dans Les Mystères de Paris.

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Mademoiselle de Malepeire Fanny Reybaud 2014-02-20 - - + Mademoiselle de Malepeire Mme Charles Reybaud Hachette Paris 1856 - - + 1855 - - +

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- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA03601_Proust.xml b/level1/FRA03601_Proust.xml index c2411cc..039b05c 100644 --- a/level1/FRA03601_Proust.xml +++ b/level1/FRA03601_Proust.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,16 +16,13 @@ 181506 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Bibliothèque électronique du Québec, Collection À tous les vents, digital , @@ -31,18 +30,15 @@ , . - - + Paris: Gallimard: 1946-1947 , 15 volumes. - - + Paris: Grasset, 1913 , revised edition Paris: Gallimard, 1919. - - +

@@ -58,21 +54,21 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 cf Initial TEI version. -

+

À MONSIEUR GASTON CALMETTE

Comme un témoignage de profonde et affectueuse reconnaissance.

Marcel Proust.

-
+
Combray

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Souvent il se trouvait qu'il s'était tant attardé avec la jeune ouvrière avant d'aller chez les Verdurin, qu'une fois la petite phrase jouée par le pianiste, Swann s'apercevait qu'il était bientôt l'heure qu'Odette rentrât. Il la reconduisait jusqu'à la porte de son petit hôtel, rue La Pérouse, derrière l'Arc de Triomphe. Et c'était peut-être à cause de cela, pour ne pas lui demander toutes les faveurs, qu'il sacrifiait le plaisir moins nécessaire pour lui de la voir plus tôt, d'arriver chez les Verdurin avec elle, à l'exercice de ce droit qu'elle lui reconnaissait de partir ensemble et auquel il attachait plus de prix, parce que, grâce à cela, il avait l'impression que personne ne la voyait, ne se mettait entre eux, ne l'empêchait d'être encore avec lui, après qu'il l'avait quittée.

-
+
Un amour de Swann

Ainsi revenait-elle dans la voiture de Swann ; un soir, comme elle venait d'en descendre et qu'il lui disait à demain, elle cueillit précipitamment dans le petit jardin qui précédait la maison un dernier chrysanthème et le lui donna avant qu'il fût reparti. Il le tint serré contre sa bouche pendant le retour, et quand au bout de quelques jours la fleur fut fanée, il l'enferma précieusement dans son secrétaire.

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Mais tandis que, une heure après son réveil, il donnait des indications au coiffeur pour que sa brosse ne se dérangeât pas en wagon, il repensa à son rêve ; il revit, comme il les avait sentis tout près de lui, le teint pâle d'Odette, les joues trop maigres, les traits tirés, les yeux battus, tout ce que -- au cours des tendresses successives qui avaient fait de son durable amour pour Odette un long oubli de l'image première qu'il avait reçue d'elle -- il avait cessé de remarquer depuis les premiers temps de leur liaison, dans lesquels sans doute, pendant qu'il dormait, sa mémoire en avait été chercher la sensation exacte. Et avec cette muflerie intermittente qui reparaissait chez lui dès qu'il n'était plus malheureux et qui baissait du même coup le niveau de sa moralité, il s'écria en lui-même : « Dire que j'ai gâché des années de ma vie, que j'ai voulu mourir, que j'ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n'était pas mon genre ! »

-
+
Noms de pays : le nom

Parmi les chambres dont j'évoquais le plus souvent l'image dans mes nuits d'insomnie, aucune ne ressemblait moins aux chambres de Combray, saupoudrées d'une atmosphère grenue, pollinisée, comestible et dévote, que celle du Grand-Hôtel de la Plage, à Balbec, dont les murs passés au ripolin contenaient, comme les parois polies d'une piscine où l'eau bleuit, un air pur, azuré et salin. Le tapissier bavarois qui avait été chargé de l'aménagement de cet hôtel avait varié la décoration des pièces et sur trois côtés fait courir le long des murs, dans celle que je me trouvai habiter, des bibliothèques basses, à vitrines en glace, dans lesquelles, selon la place qu'elles occupaient, et par un effet qu'il n'avait pas prévu, telle ou telle partie du tableau changeant de la mer se reflétait, déroulant une frise de claires marines, qu'interrompaient seuls les pleins de l'acajou. Si bien que toute la pièce avait l'air d'un de ces dortoirs modèles qu'on présente dans les expositions « modern style » du mobilier, où ils sont ornés d'œuvres d'art qu'on a supposées capables de réjouir les yeux de celui qui couchera là, et auxquelles on a donné des sujets en rapport avec le genre de site où l'habitation doit se trouver.

Mais rien ne ressemblait moins non plus à ce Balbec réel que celui dont j'avais souvent rêvé, les jours de tempête, quand le vent était si fort que Françoise en me menant aux Champs-Élysées me recommandait de ne pas marcher trop près des murs pour ne pas recevoir de tuiles sur la tête, et parlait en gémissant des grands sinistres et naufrages annoncés par les journaux. Je n'avais pas de plus grand désir que de voir une tempête sur la mer, moins comme un beau spectacle que comme un moment dévoilé de la vie réelle de la nature ; ou plutôt il n'y avait pour moi de beaux spectacles que ceux que je savais qui n'étaient pas artificiellement combinés pour mon plaisir, mais étaient nécessaires, inchangeables -- les beautés des paysages ou du grand art. Je n'étais curieux, je n'étais avide de connaître que ce que je croyais plus vrai que moi-même, ce qui avait pour moi le prix de me montrer un peu de la pensée d'un grand génie, ou de la force ou de la grâce de la nature telle qu'elle se manifeste livrée à elle-même, sans l'intervention des hommes. De même que le beau son de sa voix, isolément reproduit par le phonographe, ne nous consolerait pas d'avoir perdu notre mère, de même une tempête mécaniquement imitée m'aurait laissé aussi indifférent que les fontaines lumineuses de l'Exposition. Je voulais aussi, pour que la tempête fût absolument vraie, que le rivage lui-même fût un rivage naturel, non une digue récemment créée par une municipalité. D'ailleurs la nature, par tous les sentiments qu'elle éveillait en moi, me semblait ce qu'il y avait de plus opposé aux productions mécaniques des hommes. Moins elle portait leur empreinte et plus elle offrait d'espace à l'expansion de mon cœur. Or j'avais retenu le nom de Balbec que nous avait cité Legrandin, comme d'une plage toute proche de « ces côtes funèbres, fameuses par tant de naufrages qu'enveloppent six mois de l'année le linceul des brumes et l'écume des vagues ».

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Bibliothèque électronique du Québec, , @@ -31,25 +30,22 @@ , . - - + Paris, Actes Sud, 2005 , , - + . - - + 1872 , , - + . - - +

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-
+

\*  Inutile de dire qu'on chercherait vainement ces noms dans les souvenirs des habitants. Nanon a dû les changer en écrivant ses Mémoires.

\ @@ -2217,4 +2213,4 @@

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Bibliothèque électronique du Québec, . - - + Paris, Calmann Lévy, 1882 . - - + 1866 . - - +

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+

À mon ami Gustave Flaubert. @@ -1645,11 +1641,11 @@

-
+

Palaiseau, 15 mai 1866.

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Bibliothèque électronique du Québec, . - - - + 1840 - - +

@@ -49,7 +45,7 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 cf Initial TEI version. @@ -1947,10 +1943,10 @@

-
+

FIN

-
+

1  Appellations diverses que les sociétés de compagnons de divers métiers se donnent les unes aux autres.

2  Les compagnons gavots ajoutent à un surnom significatif celui qu'ils tirent de leur pays, ou simplement le nom de leur village.

3  On sait que gave signifie torrent du côté des Pyrénées.

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- First ElTeC edition - 2019-10-01 -

-
- - - Herve - Daniel Stern - - 2008-10-10 - - - Hervé - Daniel Stern - MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEURS - Paris - 1866 - - - - 1843 - - -
- -

- - - - - - - - - - - - - - Conversion to level 1 - File created - - - - - -

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ENVOI

-

À M. E. DE G...

-

À vous qui avez combattu seul.

-

Souffert en silence,

-

Triomphé sans joie.

-

À vous, qui êtes mon ami.

-
- - -
- I -

Au mois de septembre 1832, une voiture de poste entrait à l'hôtel Meurice; une femme jeune et remarquablement belle était seule dans cette voiture. On l'attendait. En la conduisant à l'appartement retenu pour elle, le maître de l'hôtel lui remit une lettre; elle la saisit vivement, en brisa le cachet et lut ce qui suit: «Enfin te voilà donc à Paris; te figures-tu mon chagrin de n'y pas être pour te recevoir? Après une si longue absence, il me tarde tant de te presser sur mon coeur. Oh! je t'en supplie, Thérèse, viens au plus vite retrouver ta vieille amie. Je suis à Vermont, avec mon mari, qui joint ses instances aux miennes. Tu n'as fait qu'entrevoir Hervé le jour de notre mariage; c'est à peine si tu te le rappelles; mais lui, il te connaît, il t'aime pour tout ce que je lui ai dit de toi, pour les adorables lettres que je lui ai lues avec orgueil. Songe qu'il y aura bientôt huit ans que nous sommes séparées; songe à tout ce que nous aurons à nous dire, et hâte-toi de venir reprendre notre intimité, nos interminables causeries du couvent. Sois bonne comme tu l'étais alors. Souviens-toi que tu ne refusais jamais rien à ta petite Georgine. Que ferais-tu d'ailleurs à Paris dans cette saison? Il n'y a personne. Ta famille est dispersée; ta soeur est aux eaux de Toeplitz. Crois-moi, viens l'attendre à Vermont. Viens prendre ta part de ma douce vie, te réjouir de me voir heureuse auprès d'un mari que j'estime, que je vénère, que j'adore. Ne pense pas que j'exagère, Hervé est adorable. Il a fait de moi, de cette enfant gâtée que tu as connue si ignorante, si inconsidérée, si futile, une femme sérieuse, attachée à ses devoirs, une mère attentive. Il m'a sauvée de tous les écueils; il m'a corrigée de tous mes travers; il m'a rendue presque digne de lui, et cela sans une parole amère, sans un reproche, sans avoir jamais exercé sur mon esprit la moindre contrainte. Quel noble coeur qu'Hervé! Comme tu vas l'aimer tout de suite! Il y a tant de rapports entre vous deux. Mais, égoïste que je suis, je ne te parle que de moi et je ne sais pas si tu peux m'entendre sans tristesse. Tes parents m'ont bien assuré, à la vérité, que tu vivais contente à New-York; que tu dirigeais en partie les affaires de ton mari; qu'elles prospéraient; que vous aviez un établissement superbe; que tu ne regrettais point trop Paris. Ton beau-frère a même ajouté que ta tête s'était calmée et que, grâce au ciel, tu étais guérie des idées romanesques. Mais toi, tu ne m'as presque rien dit de ton intérieur; je n'ai pas su deviner non plus l'état de ton âme au ton de tes lettres qui n'était ni triste, ni gai, ni exalté, ni tout à fait calme pourtant. J'attends donc tes confidences, et je ne puis que te répéter: Viens, viens dans mes bras qui te sont ouverts; viens dans ma maison qui est la tienne.» Une larme mouilla les yeux de Thérèse, restée seule dans sa chambre. --Âme charmante! murmura-t-elle, coeur plein d'enchantements! Je l'avais bien prévu, le monde ne devait se montrer à toi que sous ses couleurs les plus séduisantes; ta lèvre ne devait goûter que le miel au bord de la coupe. Rien qu'en approchant des lieux où tu vis, je sens ta bénigne influence. Il me semble que ces huit années passées, si pesantes, si mornes, se détachent de moi. Je crois respirer de nouveau l'air libre de mon enfance. J'oublie déjà mes jours sans soleil, mes devoirs inexorables et la chaîne si courte qui m'attache à un sol aride. Mon coeur frémit d'une joyeuse impatience, j'ai comme hâte de vivre. Je crois entendre encore la voix de mes illusions perdues et le battement d'ailes de mes jeunes espérances. Ô Georgine, Georgine, quelle magie il y a encore pour moi rien que dans ton nom! Je t'ai toujours aimée, non comme mon amie, mais comme ma fille, comme mon enfant de prédilection. Si je t'avais vue toujours près de moi, si j'avais pu à toute heure contempler ton front serein et ton doux sourire, mon sort ne m'eût point semblé trop rude; je l'aurais accepté sans déchirement, peut-être même sans effort.

-

Thérèse sonna et fit demander immédiatement des chevaux de poste. Puis elle écrivit, à sa soeur pour lui apprendre qu'ayant obtenu de son mari la permission de passer trois mois en France, elle allait en donner un à Georgine et rejoindrait sa famille dans le courant d'octobre.

-

Le lendemain elle arrivait à Vermont. C'était une ravissante demeure, un château bâti à l'italienne sur le versant d'une colline, au bas de laquelle roulait une petite rivière. La vue s'étendait au loin sur une plaine fertile. Les abords étaient riants, les jardins plantés avec un goût exquis, le paysage avait une délicieuse fraîcheur. À mesure qu'on approchait, on se sentait plus attiré. Le murmure de la rivière, le chant de milliers d'oiseaux sous les ombrages, les tons éclatants, les riches nuances des fleurs jetées à profusion sur les tapis de verdure, les parfums qui s'en exhalaient et qui embaumaient l'atmosphère, tout révélait un séjour privilégié; il était impossible de s'en figurer les habitants autrement que comme des êtres satisfaits et paisiblement heureux. Thérèse reçut avec attendrissement cette impression d'une nature si charmante qu'elle agissait même sur les esprits les moins préparés à en être émus, et quand elle aperçut Georgine venant radieuse à sa rencontre, appuyée sur le bras d'Hervé, elle crut voir la réalisation d'un de ces romans anglais qui se plaisent aux scènes de famille, une image vivante de cette félicité paradisienne accordée dès ici-bas dans le mariage à quelques femmes que leur ange gardien n'a pas quittées.

-

Les deux amies se précipitèrent dans les bras l'une de l'autre et se tinrent longtemps embrassées.

-

--Fais-toi donc voir! s'écria enfin Thérèse. En vérité, je ne te reconnais plus. Tu n'étais que jolie quand je t'ai quittée; je te retrouve tout à fait belle.

-

--Vous l'entendez, dit Georgine en se retournant vers Hervé, nous verrons maintenant ce qu'elle va dire des enfants. Où sont-ils donc restés? Tenez, Hervé, conduisez Thérèse; moi, je cours chercher ces chers trésors.

-

Hervé offrit son bras à Thérèse. Il la remercia avec cordialité de l'empressement qu'elle avait mis à rejoindre Georgine et de la joie que sa présence allait répandre à Vermont. Puis, tournant assez court aux phrases d'usage:

-

--Comment la trouvez-vous? dit-il. Avez-vous parlé vrai? vous semble-t-elle embellie?

-

Thérèse lui répéta ce qu'elle venait de dire, ajoutant que le visage de Georgine, son attitude, sa démarche avaient pris un caractère noble et grave, infiniment préférable à son joli minois du couvent.

-

--Eh bien! reprit Hervé, ce changement extérieur qui vous frappe est l'expression d'un changement intime bien plus marqué, bien plus complet encore. Quand vous avez connu Georgine, quand je l'ai épousée, c'était une aimable et gracieuse enfant, rien de plus; aujourd'hui, vous ne tarderez pas à vous en apercevoir, c'est une femme distinguée. Son intelligence s'est ouverte à tous les beaux sentiments. Elle me rend bien fier...

-

--Et heureux? dit Thérèse en lui prenant la main.

-

--Quelle question! reprit Hervé en souriant; on voit bien que vous arrivez d'Amérique. Vous avez véritablement des idées de l'autre monde; vous croyez au bonheur. Dans notre vieux monde à nous, il n'y a que les niais et les envieux qui y croient.

-

En ce moment, ils entraient au château; Georgine les attendait, tenant ses enfants par la main. L'un, garçon de six à sept ans, ressemblait trait pour trait à son père; l'autre était une petite fille à la chevelure dorée, aux grands yeux bleus, au teint transparent, un chérubin du Corrége. Dès qu'ils aperçurent Hervé, ils se jetèrent sur lui, sautèrent sur ses genoux, se cramponnèrent à son cou; il n'y eut plus moyen de les en arracher.

-

--Voilà une présentation bien solennelle, dit Georgine; mais que veux-tu? ce sont de petits sauvages élevés dans les bois; ils adorent leur père et ne m'écoutent plus dès qu'il est là.

-

Le reste du jour se passa en entretiens affectueux et familiers. Les jours suivants, Thérèse fut initiée à tous les détails de la vie de château telle qu'on l'entendait à Vermont. Il régnait dans cet intérieur une liberté si sagement ordonnée, tant de paix; les maîtres étaient si indulgents, les serviteurs si attentifs, les enfants si joyeux, tous les visages si ouverts, Thérèse voyait surtout chez Hervé et chez Georgine un soin si constant, et qui paraissait si naturel, de se complaire, qu'elle ne pouvait se figurer la plus légère ombre à ce tableau. Le temps de son séjour était déjà presque écoulé; elle avait déjà passé trois semaines dans une intimité continuelle avec les deux époux, sans qu'un seul mot, un seul regard, un seul incident eût pu faire concevoir à sa pénétrante amitié le moindre doute sur leur bonheur à l'un et à l'autre. Seulement, de temps en temps, elle se rappelait la singulière réticence d'Hervé lorsqu'elle lui avait demandé si Georgine le rendait heureux. Involontairement elle cherchait une signification à ce qui, sans doute, n'avait été qu'une plaisanterie banale. Elle commentait de vingt façons diverses les paroles qu'il avait dites. Souvent aussi le beau front d'Hervé, déjà dépouillé au-dessus des tempes, le timbre de sa voix pénétrant et attristé, un léger pli d'ironie qu'elle surprenait à sa lèvre, même dans le sourire, la faisaient rêver et lui jetaient à l'esprit mille perplexités, mille conjectures vagues et romanesques. Mais aucune de ces conjectures ne portait atteinte à la haute opinion qu'elle avait conçue de lui. Elle admirait de plus en plus ce coeur fier et simple, cet esprit délicat qui savait ennoblir toutes les vulgarités de la vie, cet homme qui ressemblait si peu aux autres hommes, et qui, possédant tous les avantages qui excitent l'envie, exerçait en même temps toutes les vertus qui la désarment.

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Chaque jour elle lui faisait une place plus large dans son coeur, et bientôt elle n'aurait pas su discerner qui de lui ou de Georgine occupait le plus sa pensée et la retenait par de plus doux liens. Un refroidissement insensible avait même succédé à l'impétuosité des premières caresses entre les deux amies. Thérèse ayant doucement évité de répondre aux questions un peu indiscrètes de Georgine, celle-ci s'était sentie froissée, et, sans rien témoigner, elle avait, de son côté, mis fin aux épanchements, aux confidences. Occupée de ses enfants, de sa maison, d'un nombreux voisinage rendu plus animé par l'approche des élections et la candidature d'Hervé, elle ne trouvait plus de temps pour les tête-à-tête, et Thérèse semblait plutôt être devenue l'amie de son mari que la sienne. Cependant je ne sais quelle gêne subsistait entre Hervé et cette dernière. Ils étaient tous deux réservés, circonspects, et leurs entretiens, quoique familiers, n'avaient rien de véritablement intime.

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Thérèse, d'abord charmée, épanouie au sein de l'atmosphère bienveillante de Vermont, retombait peu à peu dans une sorte d'absorption et de mélancolie. Souvent elle s'échappait du château, faisait seule de longues courses; elle errait alors à l'aventure, et ne rentrait parfois qu'à l'heure des repas. Un matin, par un de ces beaux soleils d'automne qui percent lentement la brume et jettent des teintes si vives aux arbres à demi dépouillés, elle s'était éloignée plus que de coutume. D'étranges préoccupations, des rêves bizarres, avaient agité son sommeil. Elle était dans cette disposition vague et languissante à laquelle ne peuvent toujours se soustraire les natures les plus fortes. À chaque instant ses yeux s'emplissaient de larmes; tout ce que la poésie a créé d'images tendres et dangereuses lui revenait confusément à la mémoire; se parlant à elle-même, elle disait à haute voix et comme pour se soulager de ses propres pensées, des chants d'amour, des vers tendres ou passionnés. Elle se croyait seule et suivait sans contrainte le cours de sa rêverie, lorsqu'un bruit de pas sur les feuilles sèches la fit tressaillir.

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--Thérèse! dit une voix bien connue; Thérèse, répéta Hervé, car c'était lui, ne voulez-vous donc point m'entendre; je vous y prends enfin en flagrant délit de roman. La voilà donc retrouvée, cette femme sentimentale, cette poétesse de qui l'on m'avait tant parlé! Aujourd'hui, elle fait des affaires de banque et raille tout ce qui n'est pas palpable comme de l'or, positif comme de l'arithmétique; mais un beau matin elle fuit au bocage et répète aux échos d'alentour des vers amoureux.

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Disant cela, il s'approcha gaiement, prit le bras de Thérèse, le passa doucement dans le sien, serra sa main brûlante et se mit à marcher avec elle. Elle était interdite et demeurait muette.

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--Pardonnez ma sotte plaisanterie, reprit Hervé en la regardant avec surprise; je vois que je viens de heurter un sentiment intime, une disposition de l'âme que j'aurais dû respecter. C'est un nouveau malentendu ajouté à tous ceux qui sont déjà entre nous. Je vous assure, Thérèse, que je souffre de cela. Depuis près d'un mois, nous nous voyons sans cesse; vous êtes l'amie intime de ma femme; j'estime votre caractère, j'admire votre esprit. J'aimerais, ajouta-t-il avec quelque hésitation, oui, j'aimerais être aussi votre ami. Je voudrais que vous me connussiez bien, que vous pussiez aimer en moi, non pas l'homme que je parais, mais l'homme que je suis; et cependant, je le sens, nous vivons à mille lieues l'un de l'autre. Je suis un étranger pour vous, Thérèse, moi qui devrais être votre frère. Je ne sais si je puis même accepter les sentiments affectueux que vous semblez avoir pour moi... J'aurais besoin de vous parler une fois à coeur ouvert.

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Thérèse releva la tête, son visage s'éclaira de joie; Hervé allait au-devant de son plus ardent désir; il prévenait une demande qui, bien souvent déjà, avait erré sur ses lèvres, et qu'une excessive appréhension de lui déplaire avait seule refoulée. Tout ce que Georgine lui avait dit de son mari lui semblait incomplet, insuffisant; une voix secrète lui criait qu'il y avait là un mystère à pénétrer, un de ces mystères d'amour, peut-être, dont les femmes sont toujours avides... --Hervé, dit-elle, mon ami, puisque vous devinez si bien ce que je pense, ce que je souhaite depuis le premier instant où je vous ai vu, puisque vous me jugez digne de votre confiance, à quoi bon vous dire que vous trouverez en moi un esprit recueilli, pénétré de la religion du silence, un coeur qui peut tout comprendre, car il a connu, lui aussi, le vertige de certaines heures funestes et l'effrayante fascination qu'exerce le mal sur la perversité de nos penchants. J'ai connu la curiosité et l'orgueil... C'est vous dire que j'ai côtoyé bien des abîmes.

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--Vous devinez donc que je vais avoir un triste récit à vous faire, dit Hervé, puisque vous me promettez votre indulgence?...

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--Mon indulgence, dit Thérèse; ce mot aurait-il un sens entre nous? Qui donc aurait le droit d'en gracier un autre? À mes yeux, il n'y a pas de fautes, il n'y a que des malheurs.

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Hervé lui serra la main.

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--Écoutez-moi, reprit-il; ces heures ne se retrouveront peut-être plus. Vous exercez en ce moment sur moi une influence presque surnaturelle; vous avez le rameau miraculeux qui découvre les sources cachées; mon coeur se dilate en votre présence; mais bientôt un silence de plomb va retomber sur lui. Écoutez-moi, puis oubliez ce que je vais vous dire, car personne, non, personne au monde, n'a jamais su, ne saura jamais ce que vous allez entendre.

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--Comment? dit Thérèse, votre femme elle-même, Georgine, ignorerait-elle une seule particularité de votre vie; lui cacheriez-vous quelque chose? --Prendre sa femme pour confidente, reprit Hervé, c'est une erreur funeste. Cela ne peut et ne doit point être. L'éducation d'une jeune fille, ses préjugés, ses instincts mêmes, lui rendent ce rôle impossible. Comment attendre d'un être qui ne connaît rien de la vie, l'appréciation équitable de ce tourbillon de paroles, de pensées, d'actes contraires et inconséquents qui tourmente et entraîne la jeunesse de l'homme? L'épouse tendre et naïve sera indignée, affligée outre mesure, au récit de tant et de si vulgaires égarements; elle méprisera peut-être celui qu'elle doit avant tout respecter. Non, l'homme doit savoir porter seul le fardeau de son passé quel qu'il soit; il n'y a de dignité possible dans le mariage qu'à ce prix.

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Un long silence se fit; ils continuaient de marcher; le ciel se couvrait de nuages, un vent froid s'était levé et sifflait dans les branches mortes; des nuées de corneilles traversaient les allées du bois en faisant entendre leur rauque croassement; je ne sais quoi de lugubre dans la nature avait succédé à la promesse d'une matinée splendide; quelque chose de morne et de sinistre semblait planer au-dessus d'Hervé et de Thérèse et les pénétrait de tristesse.

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Hervé rompit enfin le silence et parla ainsi: «À vingt-deux ans, je devins amoureux d'une femme qui en avait plus de trente; son visage avait perdu l'éclat de la première jeunesse, mais tout ce que la grâce la plus exquise, un soin constant de plaire, un insatiable désir de captiver peuvent donner de séduction et de charme était en elle et me ravissait. Encore aujourd'hui, Thérèse, en dépit de tant d'années qui ont pesé sur mon front et ralenti le sang dans mes veines, je ne prononce pas son nom sans un pénible effort.»

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--Je comprends, dit Thérèse...

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«Quand vous aurez entendu ce que j'ai à vous dire d'elle, reprit Hervé, je crains que vous ne me compreniez plus. Mais n'importe... Continuons. Le mari d'Éliane, excellent homme, enrichi par des spéculations industrielles qui lui prenaient tout son temps, laissait à sa femme une liberté entière. Elle ne paraissait pas en avoir abusé, car sa réputation était bonne, et l'on ne tenait sur elle que très-peu de ces propos inconsidérés auxquels n'échappent pas les femmes les plus vertueuses. Éliane voyait beaucoup de monde; elle était fort recherchée à cause de son esprit et de son élégance. Il ne me vint pas en pensée qu'elle pourrait deviner seulement que je l'aimais. Je n'avais aucune expérience ni des autres ni de moi-même; je n'étais ni fat, ni présomptueux, ni pénétrant. J'étais simple et vrai dans l'exaltation la plus romanesque. Je mettais tout mon bonheur à contempler Éliane, à l'écouter, à m'enivrer de son regard, de son accent expressif, à suivre ses mouvements, ses moindres gestes, à épier les occasions d'être près d'elle; tout cela sans rien prétendre, sans rien espérer, je crois même sans un désir. J'étais si jeune, il y avait en moi une telle surabondance de vie, que mon amour était à lui-même son but et sa récompense. Éliane avait trop de pénétration pour ne pas s'apercevoir, dès l'abord, de l'empire qu'elle exerçait sur moi. Je crois qu'elle s'en applaudit et qu'elle résolut de le rendre absolu. Cela ne lui fut pas difficile. Elle parvint sans aucune coquetterie apparente, par des manières cordiales, des discours pleins de prudence, des conseils affectueux, parfois même des réprimandes enjouées, en un mot, par toute une attitude prise de soeur aînée, à me mettre en entière confiance et à éloigner en même temps de son entourage les soupçons qui auraient pu contrarier son dessein: bientôt, chose sans exemple dans le monde où elle vivait, il fut tout simple pour son mari et pour ses amis, de me voir chez elle à peu près à toute heure, tantôt à lui faire des lectures, tantôt à l'accompagner au piano, car elle chantait divinement, tantôt à lui servir de secrétaire pour sa nombreuse correspondance.

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Depuis, en réfléchissant au pied sur lequel je me trouvais au bout de si peu de temps dans sa maison, en songeant combien cela eût été impossible à une autre femme, je suis resté confondu devant tant d'habileté et de savoir-faire; mais alors je ne réfléchissais pas, je me laissais aller au flot qui me portait. L'amour me pénétrait tout entier; Éliane s'était emparée de toutes mes facultés. Son esprit actif, son imagination vive, donnaient un continuel aliment à ma pensée; elle embrasait mes sens par des familiarités dont elle ne semblait pas soupçonner le danger, et quand, à ses heures d'abandon, elle me laissait entrevoir le fond de son âme, j'y découvrais de si nobles douleurs, de si belles révoltes contre la mesquinerie et l'inutilité de son existence, des élans si purs vers le beau et le vrai, que je me récriais contre l'injustice du sort, contre l'aveuglement d'une société ingrate qui ne tombait pas à genoux en adoration devant cet ange exilé du ciel. Six mois se passèrent ainsi dans les rapports les plus étranges qui aient peut-être jamais existé entre un homme de mon âge et une femme encore jeune. Je ne lui avais pas dit une seule fois que j'étais amoureux d'elle; elle ne paraissait pas s'en douter; il était établi que nous avions grand plaisir à être ensemble, que nous nous aimions beaucoup, et nous ne cherchions pas à définir les termes. J'étais devenu si insatiable que, non content de la voir tous les jours, je lui écrivais la nuit d'énormes lettres auxquelles elle répondait assez souvent par quelques lignes affectueuses, mais où ne se trouvait jamais, ainsi que je le compris plus tard, une phrase de sens douteux, jamais une parole qui eût pu la compromettre.

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»Un jour que je me présentais chez elle à l'heure accoutumée, on me dit à l'antichambre qu'elle était rentrée souffrante du bal, qu'une fièvre violente s'était déclarée, et qu'elle ne pouvait me recevoir. Une semaine entière s'écoula sans qu'on me laissât parvenir jusqu'à elle. Les nouvelles devenaient de plus en plus alarmantes; le médecin paraissait soucieux et refusait de s'expliquer. Je crus que je deviendrais fou. Une continuelle obsession des pensées les plus absurdes, des résolutions les plus extravagantes, obscurcissait mon cerveau; une douleur inouïe déchirait mon coeur; Éliane souffrait et je n'étais pas près d'elle; Éliane était en danger, et je ne pouvais prier à son chevet; Éliane allait peut-être cesser de vivre et ce n'était pas moi qui recevrais la dernière étreinte de sa main adorée; ce n'était pas moi qui recueillerais son dernier soupir. Je n'étais donc rien pour cette femme si chère; rien dans sa vie, rien à l'heure de sa mort. Le hasard d'un jour nous avait rapprochés; je ne tenais à elle par aucun lien; je n'étais ni son frère, ni son mari, ni son amant. Son amant! ce mot, qui ne fit d'abord que traverser mon esprit sous la forme d'une plainte vague, y revint bientôt comme un regret, puis s'y fixa comme une espérance.

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»Je n'étais pas l'amant d'Éliane, mais je pouvais le devenir. Dès ce moment, ô puissance de la passion, ô certitude de la jeunesse! je ne doutai plus de son salut, je n'eus plus d'appréhension pour elle, il n'y eut plus de place dans mon coeur pour le découragement. L'avenir m'apparut comme un ami qui me tendait la main et qui me criait: Aie confiance. La dernière fois que j'avais vu Éliane, j'étais un enfant sans volonté, recevant passivement toutes les impressions du dehors sans réagir sur aucune; lorsque je la revis, j'avais conscience de moi; l'amertume d'une première douleur avait sevré mon âme; d'enfant j'étais devenu homme, je voulais posséder Éliane ou mourir. Enfin, je reçus un matin un billet d'elle qui ne contenait que ces mots: «Je suis sauvée, venez.»

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»Vous dire mon ivresse, mon délire quand je revis son écriture, ne serait possible dans aucune langue. Je poussais des cris, de véritables rugissements de joie. Je tenais ce billet à deux mains comme si je craignais qu'on ne me l'enlevât; je dévorais des yeux ces caractères qui rayonnaient à m'éblouir; puis je les posai sur mon coeur pour contenir des battements si violents qu'ils me causaient une souffrance aiguë; je les portai à mes lèvres brûlantes; je tombai à genoux et je rendis grâce... Si ce fut à elle, si ce fut à Dieu, je l'ignore. Tout ce que je sais, c'est qu'en ce moment j'adorai, je bénis un être puissant et bon qui me rendait heureux. Oh! pour ce seul instant, s'il pouvait renaître, pour ce seul élan, pour cette seule étincelle qu'une immense espérance fit jaillir d'un immense amour, je voudrais revivre ces années si terribles; je reprendrais la chaîne de mes misères; je subirais toutes les tortures de ce passé si douloureux; je renoncerais à la tranquillité, à la paix que j'ai reconquise; je renoncerais à l'estime des hommes, et, je vous le dis bien bas, je renoncerais à ma propre estime que j'ai reconquise aussi!»

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Thérèse leva les yeux sur Hervé avec l'expression d'une indicible surprise.

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--Ô Thérèse! Thérèse! ce langage vous étonne, il vous effraye presque. Vous avez cru aussi, qui ne le croirait? que j'étais un homme mort aux passions de la jeunesse, calmé par l'expérience et la réflexion. Vous avez pensé que cet empire salutaire que j'exerce sur les autres par la persuasion et l'exemple, je le devais à une sagesse voisine de la froideur, à une intelligente insensibilité. Convenez-en, vous avez pensé qu'Hervé était aujourd'hui un homme voué au culte de l'utile, absorbé par les affaires et par les honnêtes calculs d'une ambition modérée? Cela est vrai comme tout est vrai en ce monde: à moitié. Mon âme est aujourd'hui comme les terrains de formation successive; tant de couches y sont superposées qu'il m'est difficile à moi-même d'en retrouver le fond. Mais ce que je sais, ce que je sens surtout à certains jours de souffrances plus intenses, c'est qu'elle a conservé une ardente soif d'amour, un dédain complet de cet ordre, de cette régularité qui encadrent aujourd'hui ma vie; le sentiment d'un isolement profond au sein des affections les plus tendres, et l'amer, le coupable regret des orages de ma jeunesse.

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Hervé se tut, Thérèse n'osa rompre le silence. Rien n'est plus auguste que l'aveu des misères d'une grande âme; rien d'affligeant pour l'esprit comme de pénétrer le néant des plus fortes volontés, de toucher la couronne d'épines qui ceint le front de ceux qui ont triomphé d'eux-mêmes, et d'entendre la plainte étouffée qui gronde au fond de toute satisfaction humaine. Après avoir fait quelques pas sans rien dire, Hervé reprit ainsi:

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«--Quand j'entrai chez Éliane, elle était seule, couchée sur une chaise longue; ses longs cheveux noirs, que j'avais toujours vus bouclés avec le plus grand soin, tombaient en désordre sur ses épaules; son regard, si brillant d'ordinaire, était abattu; sa voix presque éteinte; elle paraissait avoir beaucoup souffert. Éliane, m'écriai-je en me précipitant à ses genoux et en couvrant sa main de larmes, Éliane, tu vis, tu m'es rendue! Et je relevai la tête, et mon regard s'attacha sur le sien avec âpreté, comme pour ressaisir en une minute tout le bonheur, toute la joie que j'avais perdus loin d'elle. C'était la première fois qu'il m'arrivait de la tutoyer; elle n'en parut pourtant point surprise. Elle se souleva à demi, et posant la main sur ma tête, ainsi qu'elle avait accoutumé de le faire lorsqu'elle était un peu émue:

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»--Pauvre Hervé, dit-elle, vous m'aimez beaucoup.

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»--Beaucoup? m'écriai-je, quel mot! Veux-tu savoir combien je t'aime, Éliane, laisse-moi, laisse-moi te presser, t'étreindre contre ma poitrine, tu y sentiras un coeur qui ne bat que pour toi! Et, par un mouvement soudain, avant qu'elle pût se défendre, je passai mon bras autour de sa taille et je l'attirai vers moi. Elle n'eut que le temps de cacher son visage sur mon épaule, je couvris son cou d'ardents baisers. Parvenant enfin à se dégager:

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--Hervé, me dit-elle, et il n'y avait dans son accent ni trouble, ni colère, vous savez bien que je ne m'appartiens pas, que des sentiments aussi exaltés ne sauraient entrer dans ma vie. J'ai un mari que j'estime, des enfants dont les caresses sont la récompense de mes sacrifices. Dieu bénit en eux, j'en suis certaine, le renoncement de ma jeunesse; mon coeur saigne parfois, mais mon front est sans tache, et l'orgueil d'une conscience pure est ma force dans l'affliction. Dites, Hervé, voudriez-vous me la ravir?

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«--M'aimes-tu, m'écriai-je sans lui répondre; m'aimes-tu?

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«--Hervé, ne le savez-vous pas? ne voyez-vous pas que vous êtes mon meilleur, mon plus cher ami?

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«--Un de vos amis, repris-je avec ironie, le meilleur même de vos amis; je suis reconnaissant de la place que vous m'avez faite, mais cette place, je ne m'en sens pas digne. Si vous ne devez avoir pour moi qu'une amitié banale, il est impossible que je vous revoie. Je sais bien que vous quitter, c'est mourir, mais vivre auprès de vous d'une misérable aumône d'affection distribuée à parts égales entre vos nombreux amis, c'est à quoi je ne me résoudrai jamais. Non, non, Éliane, mon amour est trop absolu, trop profond, trop fou peut-être, pour accepter, en échange de ce qu'il vous donnerait, un sentiment bâtard, subordonné à mille calculs. Il me faut votre amour, Éliane, il me le faut tout entier, ou bien vous me voyez en ce moment pour la dernière fois.

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«D'où m'était venue tout à coup cette énergie, cette audace? je ne saurais l'expliquer. Le développement de la force morale ne s'accomplit pas chez l'homme dans une progression régulière et continue. Il y a tel événement, telle pensée qui peut faire en une minute l'oeuvre de plusieurs années; une de ces minutes avait sonné pour moi. Éliane le comprit, car dès ce jour, je pourrais dire dès cette heure, elle changea de manière; elle quitta le ton de supériorité condescendante qu'elle avait eu jusque-là, elle se montra craintive, suppliante; elle m'avoua qu'elle m'aimait d'amour, de l'amour le plus tendre et le plus exclusif; mais elle me conjura de ne pas abuser de cet aveu, de ne pas la rendre parjure à son mari, hypocrite avec le monde, tremblante devant Dieu.

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«Son langage fit sur moi l'impression qu'elle voulait. Je n'étais point dévot, mais comme tous les hommes, même les plus corrompus, j'aimais la piété des femmes, et j'étais facilement séduit par le côté poétique de la religion. Tout en combattant l'exagération de ses idées, j'admirais la résistance d'Éliane, et j'étais si fier de sa vertu, que je ne savais plus, par moment, si je serais joyeux ou triste de la voir succomber.

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Nos tête-à-tête, qu'elle avait rendus moins fréquents, étaient devenus plus orageux. C'étaient, de mon côté, de vives supplications; des appels à ma générosité, du sien. Quelquefois les rôles changeaient; j'arrivais chez elle calme, apaisé; c'était elle alors qui semblait oublier sa résolution et qui me prodiguait des marques de tendresse inexplicables de la part d'une femme qui voulait et croyait rester fidèle.

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«Pour vous faire concevoir jusqu'où allaient la bizarrerie, l'inconséquence de nos rapports, les singuliers incidents que sa retenue et son laisser-aller, sa dévotion et son caprice amenaient dans notre liaison, je vous citerai un fait entre mille. Elle m'avait plusieurs fois exprimé la curiosité la plus vive de voir mon appartement; c'était un enfantillage, disait-elle, mais elle tenait à savoir dans quel ordre mes livres étaient rangés, si mon bureau était bien placé; où je mettais mes armes; enfin, elle disait à ce propos cent folies charmantes que j'osais à peine écouter, tant elles présentaient à mon esprit d'enivrantes images. C'était le temps des bals de l'Opéra. Son mari était absent. Elle me proposa un jour, sans aucun préambule et comme si elle m'eût dit la chose du monde la plus simple, de venir la prendre à minuit; elle ajouta qu'elle serait masquée, que nous serions censés aller au bal, et qu'au lieu de cela je la conduirais chez moi où elle resterait jusqu'au jour. Pour un homme éperdument épris, comme je l'étais, d'une femme honorée, il y avait de quoi perdre l'esprit; je me contins, dans la crainte que, si elle voyait mes transports, elle ne comprît mieux l'imprudence de sa démarche, et je la quittai aussitôt, pensant n'avoir jamais assez de temps pour dignement préparer un lieu que sa présence allait consacrer.

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«Je n'ai jamais été prodigue, je n'ai jamais fait à aucune époque de ma vie, par vanité, où par goût du luxe, aucune dépense excessive; mais ce jour-là, pour qu'Éliane se trouvât bien chez moi pendant une heure, je dépensai en quelques minutes mon revenu de toute une année. Je passai le reste du jour à courir dans les magasins les plus célèbres, j'aurais voulu inventer des recherches nouvelles, de nouveaux raffinements de confort et d'élégance, pour lui arracher un mouvement de surprise. Mon premier soin, comme je lui connaissais la passion des fleurs, fut de faire acheter les plus magnifiques plantes, les arbustes les plus rares, et de transformer le cabinet où je travaillais en véritable bosquet. Au milieu de ce bosquet je fis placer un meuble sculpté en forme de chaise longue, recouvert d'une étoffe de l'Inde, que l'on venait d'achever pour être envoyé en Russie. Après avoir vainement cherché un tapis qui me parût assez moelleux pour son pied de fée, je fis arranger à la hâte une fourrure d'hermine, que j'étendis devant la chaise longue, en songeant avec ravissement à l'effet que feraient sur ce tapis de neige ses deux petits souliers de satin, noirs et lustrés comme l'aile d'un corbeau. Sous un grand mimosa, dont les branches flexibles la recouvraient à moitié, je fis dresser une table où il n'y avait que la place juste de deux couverts. J'ordonnai un souper fort simple en apparence, mais composé de primeurs extravagantes. Une corbeille en vermeil admirablement ciselée, contenait des fruits savoureux, dignes d'être servis à une souveraine; je remplis moi-même deux flacons de cristal d'un vin exquis, qu'un de mes oncles, vieux marin, avait rapporté des îles.

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«Je m'étais aperçu qu'Éliane aimait la bonne chère et qu'il lui arrivait de boire capricieusement plus que les femmes ne le font d'habitude. Je n'ose pas dire que j'avais comme une vague idée, un espoir confus que peut-être ce vin capiteux, bu sans défiance, porterait le désordre à son cerveau, rendrait sa raison chancelante; vous allez trouver que c'était là une pensée ignoble, bien peu digne de l'amour idolâtre qu'Éliane m'avait inspiré. Mais, Thérèse, voyez-vous, les hommes sont ainsi faits; les plus délicats ne sont pas exempts de grossièretés inqualifiables. L'image de la femme aimée n'est jamais assez isolée sur l'autel que nous lui dressons pour que d'étranges confusions ne se fassent pas dans notre esprit. Lorsque nous nous inclinons devant elle, semblables au flot qui vient saluer la rive, nous déposons à ses pieds, comme malgré nous, le limon de nos habitudes corrompues, l'écume de nos souvenirs.

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«Éliane vint chez moi le 28 février, à une heure du matin; je n'ai jamais oublié cette date.»

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- II -

«Lorsqu'à la lueur des candélabres dont les branches sortaient du milieu d'arbustes en fleurs, elle entrevit ces apprêts de notre tête-à-tête, ce luxe fantasque prodigué à elle seule, dans un pauvre petit réduit où elle n'avait compté trouver que l'ameublement modeste d'un étudiant, elle fut surprise, sa vanité fut à tel point flattée, qu'elle ne trouva de paroles ni pour me remercier ni pour me gronder. Par un mouvement prompt, elle dénoua son masque et laissa glisser à terre son domino. En voyant son charmant visage illuminé de joie, ses épaules et ses bras nus se dégager des plis noirs du satin, j'eus un moment de vertige. Elle était si blanche, sa robe étroite et collante dessinait une taille si svelte, ses grands yeux m'éblouissaient de tant de flammes, que je crus voir une apparition, la reine des ondines ou la fée Titania. Elle s'aperçut sans doute que mon imagination s'exaltait, et que j'étais sur une pente où bientôt il ne lui serait pas facile de m'arrêter, car elle employa sa ruse habituelle pour me contenir. Elle se hâta de me parler avec vivacité, avec enjouement, et même avec une pointe d'ironie; elle poussa la cruauté jusqu'à critiquer mon tapis d'hermine, et jusqu'à prétendre qu'une plante de gardénia, qui se trouvait auprès de la chaise longue où elle s'était couchée, lui causait un mal de tête affreux. Enfin elle me tourmenta, me harcela, m'irrita, me dérouta si bien, que je ne pensais plus à lui proposer de souper, lorsque tout à coup elle s'élança de son repos, et courant s'asseoir à table elle se prit à manger avec un appétit merveilleux. Je restais là mécontent, confus de mon personnage, me sentant gauche et le devenant de plus en plus. Elle en arriva à vouloir me faire trouver notre situation plaisante, alors je ne me contins pas. Dans la disposition romanesque où je me trouvais, la raillerie m'était odieuse; nous nous disputâmes assez vivement: je me souviens de tous ces détails comme si c'était hier; enfin elle me tendit la main; nous fîmes une espèce de paix; nous achevâmes gaiement notre petit souper. Deux heures s'étaient passées dans ces conversations à demi hostiles; elle se plaignit d'une extrême fatigue, et se recouchant sur la chaise longue, elle ne tarda pas à fermer les yeux et à s'endormir.

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«Je la contemplai d'abord avec une émotion religieuse; ce sommeil si calme d'une femme que j'adorais, et qui se trouvait chez moi, loin de toute surveillance, livrée à ma merci, était la chose la plus poétique que je pusse imaginer. Toutefois mes sens étaient trop excités, ma pensée était trop troublée, pour que de violents désirs ne s'emparassent pas de moi. Je ne pus m'empêcher de déposer sur son front un long baiser. Elle ouvrit les yeux à moitié et me parla d'une voix mourante. Ce qu'elle me dit, la résistance qu'elle m'opposa, ce que j'arrachai à sa lassitude ou ce que j'obtins de son amour, je ne saurais plus, je n'ai jamais su le discerner. C'était assez pour que je pusse m'enorgueillir de ma victoire; ce n'était pas assez pour qu'elle eût à rougir de sa chute.

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«Vous pouvez imaginer combien de pareilles scènes exaspéraient ma passion et me faisaient son esclave. Ce qui vous surprendra peut-être, c'est que notre liaison fût restée secrète et que le monde, dont Éliane redoutait excessivement l'opinion, ne se jetât pas à la traverse de nos amours. Mais outre qu'elle avait des précautions inouïes, une prudence toujours éveillée, elle était si maîtresse d'elle-même, elle parlait de moi avec un si parfait aplomb, qu'il était presque impossible de rien soupçonner. D'ailleurs la piété d'Éliane, sa régularité dans l'exercice de ses devoirs religieux, son assiduité auprès des pauvres de la paroisse, lui conciliaient à tel point l'affection des ecclésiastiques et des vieilles femmes, qu'elle avait autour d'elle comme une milice sacrée toujours prête à la défendre en toute occasion.

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«Quelque temps après cette nuit étrange, un matin que j'étais chez Éliane, on annonça le comte de Marcel. C'était un homme de quarante ans environ, brave, spirituel, de la meilleure compagnie, loyal et même chevaleresque, disait-on, dans ses rapports avec les hommes, mais débauché, cynique, et sans moralité aucune quand il s'agissait des femmes qu'il affectait de mépriser. Sa présence inopinée chez Éliane, où je ne l'avais jamais rencontré, me surprit et me déplut. Ce qui me déplut bien davantage ce fut de lui voir prendre avec elle un ton léger, persifleur, et s'établir dans son salon avec une familiarité négligente qui me sembla dépasser les bornes de la liberté permise. Je donnai de fréquentes marques d'impatience pendant sa longue visite, et, lorsqu'il quitta la place, j'éclatai en indignation, presque en reproche. Je ne concevais pas comment une femme honnête pouvait recevoir un homme pareil, je n'aurais pas supposé qu'une personne qui se respectait entendît de tels propos, souffrit une manière d'être si inconvenante. Enfin je donnai un libre cours à ma colère que fomentait déjà le premier levain d'une violente jalousie. Le comte était beau, je n'avais pu m'empêcher de lui trouver du mordant, du trait dans l'esprit, une certaine élégance, un grand air jusque dans le cynisme, quelque chose enfin de supérieur, de voulu dans son laisser-aller apparent, qui me causait une irritation sourde; et je me vengeais, en le rabaissant le plus possible, de tous ces avantages dont je ne possédais aucun. Un des plus singuliers effets de la jalousie, c'est qu'elle cause tout à la fois d'imbéciles aveuglements et des divinations en quelque sorte surnaturelles. Pour la première fois depuis que j'aimais Éliane, j'observai dans ses réponses un certain embarras qui ne me parut pas d'accord avec sa franchise ordinaire. Une ombre glissa dans mon coeur; ce ne fut pas le doute, je me serais cru le dernier des hommes si j'avais hésité à la croire en ce moment; ce fut comme une lointaine et vague possibilité entrevue de ne pas la croire entièrement toujours.

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«Elle m'expliqua que, à la vérité, elle avait peu attiré M. de Marcel jusqu'ici, parce que ses principes trop connus lui inspiraient la même répulsion qu'à moi, mais elle ajouta que d'anciennes relations de famille, d'importants services rendus à ses parents, lui faisaient un devoir de l'accueillir en ami, et autorisaient jusqu'à un certain point les libertés qu'il prenait chez elle. Elle parla longtemps sur ce ton.

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Je ne répondis rien, je n'aurais pas osé avouer de la jalousie; des conseils dans ma bouche eussent été déplacés. J'en avais déjà trop dit; je me tus. Je devins pensif, et, rentré chez moi, je m'abandonnai à une grande tristesse. Un sentiment inconnu jusqu'alors envahit mon coeur.

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C'était une douleur fiévreuse, sans nom et sans objet, un chagrin dont la puérilité me faisait rougir, et dont pourtant je ne savais pas me défendre; j'étais jaloux, éperdûment jaloux; et cela à propos d'une misère, à propos de rien; jaloux de la plus vertueuse femme qu'il y eût au monde; c'était de quoi me prendre moi-même en grande pitié. «Dès ce jour commença pour moi une période de souffrance toujours croissante; je ne crois pas qu'il soit au monde de tourments plus odieux que celui d'un coeur fier aux prises avec la jalousie, cette passion basse que les poëtes ont tenté d'ennoblir, mais dont le principe est, presque toujours, dans un intérêt égoïste et brutal ou dans un amour-propre désordonné. Il est bien rare que l'amour pur, si emporté qu'on le suppose, se montre jaloux et défiant. C'est ce qu'il y a de maladif, de mauvais en nous, qui sert d'aliment aux flammes de la jalousie. J'en fis alors la triste épreuve, car, à ses premières lueurs, je découvris en moi des petitesses, des lâchetés dont je n'avais pas jusque-là soupçonné l'existence.

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«Ma passion pour Éliane, en paraissant s'accroître, changea de nature. Je n'allais plus chez elle avec simplicité et ouverture de coeur, pour jouir de sa douce présence et des épanchements de notre amour. J'y allais avec la pensée de rencontrer Marcel, avec une sorte de désir âpre de les surprendre, de rompre leur tête-à-tête. J'étais désappointé quand il ne s'y trouvait pas. Son nom me revenait sans cesse à la bouche, Éliane le prononçait-elle, au contraire, mon coeur se serrait douloureusement et mes yeux s'emplissaient de larmes. Je m'aperçus bientôt qu'Éliane évitait de me faire rencontrer avec le comte, et je crus même surprendre, quand je les voyais dans le monde, où il ne la quittait guère, des sourires d'intelligence échangés entre eux. J'en devins comme fou, et je m'oubliai un jour jusqu'à vouloir exiger d'Éliane qu'elle cesserait de le voir; je lui fis d'absurdes menaces: puis voyant que je n'obtenais rien ainsi, je me montrai faible comme un enfant; je pleurai sur son sein, je la conjurai de prendre en pitié ma souffrance. Elle me répondit qu'elle ne pouvait faire un pareil éclat, que les choses s'arrangeraient d'elles-mêmes par le prochain départ de Marcel. Elle raisonnait à perte de vue, quand moi je divaguais de la façon la plus déplorable. Aussi dans ces sortes de scènes, qui se renouvelèrent plusieurs fois, je finissais toujours par lui demander pardon; je la quittais mécontent de moi, admirant sa sagesse et maudissant ma folie. Quant au comte, il ne semblait pas s'apercevoir de ces orages. Il ne me témoignait ni éloignement ni sympathie; il était avec moi strictement poli, rien de plus, rien de moins, et ne tenait guère compte de ma présence. Moi je le haïssais; j'aurais voulu le tuer; j'épiais sans cesse un sujet de querelle. Je fus trop exaucé: j'étais réservé au plus triste des châtiments, à celui que l'homme, égaré par sa passion, rencontre dans l'accomplissement même de ses aveugles désirs. «Il y avait près de deux mois que duraient mes angoisses; je ne voyais pas d'issue à ce labyrinthe de soupçons, de reproches, d'explications, de révolte où j'étais entré. Mon cerveau fatigué n'avait plus la faculté d'envisager sainement quoi que ce soit, mon coeur se gonflait d'amertume; j'étais dans un état lamentable. Vous concevez ce que je dus éprouver, lorsqu'un jour, en entrant chez Éliane, je la vis accourir au-devant de moi, ce qu'elle ne faisait jamais, et se jeter à mon cou en fondant en larmes.

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«Depuis mes ridicules querelles, elle s'était montrée plus froide, plus réservée. Je m'attendais si peu à une démonstration pareille, que je demeurai pétrifié, en croyant à peine mes yeux.

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«--Éliane! m'écriais-je.

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«Et dans ce nom, prononcé ainsi en la serrant contre mon coeur, je retrouvai ma joie, mon espoir, mon aveugle amour.

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«--Hervé, me dit-elle, m'aimes-tu encore? me pardonnes-tu tes tristesses? les chagrins que je t'ai causés, veux-tu les oublier? Hervé! si tu savais, ah! j'en suis cruellement punie!

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«Ses sanglots lui coupèrent la parole. Troublé, ému, orgueilleux tout à coup, je la conduisis, je la portai presque jusqu'à son fauteuil, et je m'agenouillai devant elle.

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«Alors seulement je vis l'altération effrayante de ses traits; une pâleur mortelle couvrait ses joues, son oeil était ardent et sec.

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«--Que j'étais insensée, reprit-elle, de croire à un bon sentiment chez cet homme pervers! Hervé, si tu savais comme il m'a traitée!... Quel affront sanglant!...

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«--Que dites-vous? m'écriai-je. Quand, où, comment? Qu'a-t-il fait? Où se cache-t-il? Ô mon Dieu! depuis si longtemps je me contiens! La voilà donc arrivée enfin, mon heure!... Mais encore une fois, Éliane, qu'a-t-il fait?

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«Un affront public, un outrage dont il se vante sans doute en ce moment dans tout Paris. Hier soir, à l'ambassade de Sardaigne, sa soeur, la marquise de R***, qu'il affecte d'aimer pour faire croire qu'il est capable d'aimer quelque chose, était venue s'asseoir auprès de moi; sans nous connaître autrement que de vue nous échangeâmes cependant quelques paroles. Mais tout à coup M. de Marcel, qui était à l'autre bout du salon, fendit la foule, vint droit à sa soeur, et jetant sur moi un regard impudent: «Vous n'êtes pas bien là, Marguerite, dit-il en haussant la voix, ce n'est pas là une place convenable pour vous.» Puis il lui prit le bras et l'emmena dans une autre pièce. Son intention était évidente. Soit qu'il voulût faire comprendre que sa soeur était une trop grande dame pour se commettre avec une bourgeoise, soit que dans son rôle d'homme à bonnes fortunes, il entrât de donner à croire à tous ceux qui nous entouraient qu'il était mon amant et qu'il ne voulait pas voir sa soeur auprès de sa maîtresse, toujours est-il que le coup a porté, et qu'aujourd'hui, si vous ne détournez les propos en donnant le change, je suis la fable de la ville.

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«--Je cours lui en demander raison, m'écriai-je.

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«--Vous n'y pensez pas, reprit-elle; le comte vous recevra en fumant sa pipe; il vous dira qu'il ne sait à qui vous en avez, vous plaisantera sur l'intérêt que vous prenez à moi, et cette démarche ne servira qu'à me compromettre davantage. Non, non, j'ai pensé à tout, j'ai réfléchi toute la nuit. Il n'y a qu'un moyen, il faut lui rendre au centuple son insolence; il faut l'insulter publiquement, et cela dans la personne de sa soeur. C'est son seul endroit vulnérable; il a l'orgueil de son nom à un point inouï. Allez ce soir au bal de lord C***, vous les y trouverez, elle et lui, sans aucun doute; saisissez un moment où il sera près d'elle, trouvez moyen de lancer quelques mots railleurs sur la marquise; il répondra, cela est certain; une querelle s'engagera naturellement, et je serai doublement vengée.

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«Cette combinaison, si habile qu'elle fût, ou peut-être à cause de son habileté, révolta tout ce qu'il y avait en moi d'honnêteté et de délicatesse.--Prenez garde, Éliane, lui dis-je, votre trop juste ressentiment vous emporte. Vous me demandez une chose impossible. Insulter une femme, qui, après tout, n'est aucunement coupable envers vous, ce serait une lâcheté.

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«--Ce ne sera point une lâcheté, interrompit Éliane, puisqu'il y aura là un homme pour la défendre. D'ailleurs je la hais, ajouta-t-elle avec un accent qui m'épouvanta.

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«--Au nom du ciel, Éliane, songez...

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«--Je songe, reprit-elle, que vous êtes bien circonspect.

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«Ce mot si blessant fit son effet. Je fus d'une pitoyable faiblesse.

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Faisant taire ma conscience, et mon honneur, je n'écoutai plus que sa colère; je promis tout ce qu'elle voulut, comptant un peu sur le hasard; mais le hasard qui sert les volontés fortes ne vient jamais en aide aux caractères faibles. La marquise de R..., qui avait eu pendant longtemps une réputation irréprochable, était cette année-là en butte à la malignité du monde. Son mari voyageait depuis près d'une année; on voyait assidûment chez elle un jeune homme fort à la mode; on remarquait qu'elle devenait triste, soucieuse; les plus téméraires dans leur méchanceté faisaient observer que sa taille svelte perdait de sa grâce, qu'elle prenait un embonpoint singulier; le mot de grossesse avait même été prononcé. Ce fut de ces honteux propos que je me souvins lorsque, étant arrivé au bal, la vue de Marcel ranima ma colère et chassa mes derniers scrupules. Je me hâtai d'engager la marquise pour une prochaine valse, et, le moment venu, je vis avec une joie vraiment féroce que son frère l'avait rejointe et qu'il ne pourrait pas ne pas entendre les impertinences que j'allais lui dire. Quand l'orchestre donna le signal je m'approchai de la marquise, et, feignant de la regarder avec inquiétude: «Voici, madame, la valse que vous avez daigné me promettre, dis-je, mais, en vérité, je me fais scrupule d'user de mon droit; vous paraissez fatiguée, souffrante même; peut-être le repos vous serait-il plus conseillable que la danse.

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«Soit que la malheureuse femme fût réellement coupable, soit qu'elle eût connaissance des bruits qui couraient, elle rougit. Marcel, qui était derrière sa chaise, attacha sur moi un oeil interrogatif, c'était ce que je voulais.

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«--Je ne suis point lasse, monsieur, me dit-elle timidement et je danserai volontiers.

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«--J'en serais heureux, madame, continuai-je avec une détestable effronterie, mais vous respirez avec peine... Il est des circonstances, ajoutai-je en me penchant à son oreille, où la plus légère fatigue peut devenir dangereuse.

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«--De grâce, monsieur, dit la marquise d'un air suppliant et entièrement décontenancée par les sourires que ces insinuations avaient appelés sur les lèvres de ceux qui nous entouraient...

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«En ce moment Marcel se leva, et me séparant de la marquise par un mouvement brusque:

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«Vous avez raison, monsieur, me dit-il; je suis également d'avis que ma soeur ne danse pas, et, si vous le trouvez bon, nous irons pendant la valse faire un tour de jardin ensemble.

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«Je le suivis.»

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- IV -

«En descendant les degrés du perron, Marcel me dit d'un accent bref:

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«--Le ton que vous venez de prendre avec ma soeur ne me convient pas, monsieur; j'ignore ce que vous lui avez dit et je n'ai pas souci de l'apprendre; mais votre air railleur m'a déplu et je vous prie de vouloir bien m'expliquer...

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«--Je ne donne point d'explication des airs que je puis avoir, interrompis-je, ayant hâte d'en venir à un cartel, prenez-les comme bon vous semblera.

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«--Il suffit, dit Marcel; veuilles avoir l'obligeance de rester ici une minute, un de mes amis va venir de ma part pour s'entendre avec vous.

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«Je fis une légère inclination de tête. Un quart d'heure après, le témoin du comte et un de mes cousins, qui fit l'office de mon second, étaient convenus que le lendemain à huit heures on se battrait à l'épée, c'était l'arme à la mode cette année-là, au bois de Boulogne. Rentré chez moi, je fis, avec une solennité empressée, mes dispositions en cas de mort. J'écrivis à Éliane une lettre remplie de conseils évangéliques.

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Je pardonnai aux ennemis que je n'avais pas, je laissai des souvenirs aux amis que je n'avais guère davantage; enfin je passai la nuit dans un accès d'héroïsme fiévreux, dans un monologue déclamatoire, dont je n'ai pu m'empêcher de sourire quelquefois depuis en y songeant.

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«Heureusement un sommeil de quelques heures, l'air vif du matin, la présence de Marcel et des témoins me ramenèrent à un sentiment plus simple et plus calme des choses. Je puis vous le dire, aujourd'hui que certes nulle vanité rétrospective ne se mêle à ce récit, je me battis avec le sang-froid et l'adresse d'un homme consommé dans l'habitude des armes, et j'entendis Marcel, au moment où, blessé assez grièvement, il s'appuyait sur son témoin, dire ces paroles qui me semblèrent un brevet d'honneur dans la bouche d'un homme aussi réputé pour sa bravoure: «--En vérité, on ne s'est jamais battu plus galamment; cela s'appelle manier l'épée en gentilhomme.

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«Le chirurgien déclara que la blessure de Marcel ne présentait aucun danger immédiat. J'en fus heureux. Ce duel avait tout à coup apaisé ma colère; je ne me souvenais plus d'avoir été jaloux; je ne songeais qu'à la satisfaction de m'être bien montré dans une semblable rencontre. Le plaisir d'avoir vengé Éliane ne venait même qu'en seconde ligne. Vous ne pouvez vous figurer combien on est fier, dans la jeunesse, d'acquérir la certitude qu'on est véritablement brave et qu'on sait faire bonne contenance en présence du danger. Un premier duel est une crise dans la vie d'un homme: c'est comme une initiation, comme, dans un autre ordre d'idées, un sacrement reçu: c'est une confirmation de l'honneur. «Ne pouvant me présenter chez Éliane aussi matin, je lui fis savoir l'issue de mon affaire avec M. de Marcel, et dans l'après-midi, j'allai suivant l'usage m'informer de l'état du blessé. On me dit qu'il se sentait aussi bien que possible, que le chirurgien assurait toujours que la blessure n'avait aucun caractère alarmant. Le comte avait donné l'ordre de me faire entrer si j'en témoignais le désir. J'avoue que je fus flatté de cet ordre, et je me fis immédiatement annoncer à M. de Marcel. Il me parut bien; il était à peine un peu pâli et se mouvait dans son lit sans aucune gêne apparente. Il me reçut avec une extrême politesse. Après avoir répondu brièvement à mes questions sur l'état où il se trouvait:

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«--À mon tour, monsieur, me permettez-vous, me dit-il, de vous interroger? Je n'en ai pas le droit, et vous avez répondu à l'avance, de la pointe de votre épée, à tout ce que je pourrais vouloir d'éclaircissements sur le sujet qui a amené notre rencontre; toutefois, monsieur, j'ai près du double de votre âge, je pourrais être votre père; me direz-vous, à ce titre, comment il se peut qu'un homme d'honneur, un gentilhomme, qui a du monde et du savoir-vivre, s'attaque à une femme ainsi que vous l'avez fait hier.

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«Je demeurai un peu confus. Le comte m'avait toujours imposé malgré moi.

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En ce moment son accent était si calme, si noble, il avait si complétement raison de me parler ainsi, que pour toute réponse je balbutiai.

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«--J'ai déjà eu l'honneur de vous dire, continua-t-il, que je n'ai point entendu vos propos; je n'ai pas questionné ma soeur; je ne veux pas apprendre de vous ce que vous lui avez dit; mais enfin, monsieur, qui le saurait mieux que vous? ce n'est pas de ce ton goguenard et impertinent qu'il convient d'aborder une femme comme elle, n'est-il pas vrai?

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«--Pourquoi donc, alors, dis-je en reprenant contenance, pourquoi, vous, monsieur le comte, aviez-vous insulté la veille, au bal, une femme également digne de tous vos respects?

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«--Ah! j'en étais certain, s'écria Marcel en faisant un mouvement brusque qui lui arracha un signe de douleur, c'est cette détestable créature qui est derrière tout cela! C'est Éliane qui vous pousse...

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Mais savez-vous bien, monsieur, de qui vous parlez, quand vous l'appelez une femme respectable?

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«Je le priai avec calme, quoique la colère m'eût fait tout à coup monter le rouge au front, de ne pas s'exprimer ainsi devant moi sur le compte d'une personne qui m'était chère. Il sourit avec ironie.

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«--Écoutez, monsieur, me dit-il en reprenant son sang-froid, je n'ai aucun intérêt à calomnier madame... auprès de vous. Quoi que vous en puissiez penser, je ne dispute ses faveurs à personne. Je ne suis point jaloux de mes nombreux rivaux; mais tenez, je vais vous parler en gentilhomme, vous avez aujourd'hui gagné mon coeur par votre parfaite tenue, par votre bonne grâce à manier l'épée. Un homme qui se bat bien, qui est correct en matière d'honneur, comme nous disons, nous autres vieux du métier, a droit à toutes mes sympathies. La façon dont vous vous êtes comporté ce matin, m'a non-seulement fait vous pardonner la cause de notre querelle, mais encore (ne me trouvez pas trop singulier), elle m'a vivement intéressé à vous. Je vous le répète, je serais votre père: eh bien, laissez-moi vous donner un conseil. Vous êtes jeune, vous avez de l'avenir, ne vous empêtrez pas dans les lacs de cette femme, vous ne savez pas jusqu'à quel point cela peut vous devenir funeste.

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«Je voulus l'interrompre.

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«--Mon Dieu, je vous choque, je blesse en ce moment un sentiment exalté peut-être; vous n'êtes pas le premier qu'Éliane a séduit; c'est une véritable sirène... Maïs croyez-moi, si vous vous y abandonnez, vous ne recueillerez de cet amour qu'ennuis et dégoûts de toute sorte; peut-être même finirez-vous par faire de mauvaises actions pour lui plaire, car elle exerce un pouvoir inouï sur tout ce qui l'entoure, personne ne l'approche impunément... Moi qui vous parle, et qui ne me suis pas pris comme un enfant dans ses pièges, vous voyez pourtant que me voici puni de ne m'être pas toujours tenu à distance.

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«Le comte avait, en me parlant, un accent si vrai, si loyal, son regard était si paternel, sa parole si simple et en même temps si pleine d'autorité, qu'il m'imposa silence; il continua ainsi:

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«--Mais il ne faut pas que son triomphe soit complet; il ne faut pas que, pour une aussi vile créature, deux hommes d'honneur se méconnaissent, se prennent de haine l'un pour l'autre; il y a assez longtemps qu'elle fait des dupes. J'ai acquis le droit de la démasquer; je le ferai.

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«Je croyais, en entendant le comte parler de la sorte, que le délire m'avait pris. Je sentais le sol se dérober sous moi; j'étais comme frappé de la foudre. Marcel sonna, fit ouvrir son secrétaire, demanda un grand portefeuille à serrure qui s'y trouvait, et me le montrant:

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«--Ce portefeuille, me dit-il, contient à peu près tout le secret de la vie d'Éliane; il renferme une longue correspondance et d'autres papiers écrits de sa main, dans lesquels toute la fausseté, tout l'odieux de son caractère sont dévoilés. Elle qui a, toute sa vie, été prudente, circonspecte de telle façon que le monde, encore à l'heure qu'il est, ne soupçonne rien de ses déportements, elle a commis une faute immense: elle s'est confiée une fois, une seule fois, mais entièrement, sans restriction, sans pruderie, je vous le jure, à une femme; et cette femme l'a trahie pour moi.

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«Je fis une exclamation.

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«--Ce n'était pas une grande dame, ce n'était pas même une honnête femme, c'était tout simplement une courtisane, mais très-bonne, et valant cent fois mieux qu'Éliane qu'elle avait connue, je ne sais où ni comment, et dont elle était devenue, sans trop en avoir conscience, l'instrument, la confidente, le recours, à certaines heures de ces dangers auxquels les femmes qui mènent de front plusieurs intrigues sont souvent exposées.

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«Cette chère Zélia qui m'aimait, je crois, assez sincèrement, mais qui pourtant ne m'avait jamais laissé deviner ses relations mystérieuses avec Éliane, est morte il y a six mois, fort tourmentée d'une sorte d'engouement qui m'avait pris pour son amie en la voyant dans le monde. Voulant me prémunir sans doute contre les dangers qu'elle prévoyait, elle me remit à son lit, de mort le portefeuille ci-joint, en me faisant jurer de le brûler après l'avoir lu; mais on ne tient pas les serments faits aux femmes, cela ne compte pas; j'ai gardé le portefeuille, et le voici à vos ordres, si vous voulez avoir une idée nette de ce que peut être la corruption chez le beau sexe quand une fois il s'en mêle.

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«J'avoue, continua le comte, que lorsque je parcourus ces pages, qui recélaient le secret de tant d'intrigues, de perfidies, de mensonges, il me prit une violente curiosité, la maladie de notre temps, la curiosité de la dépravation. Je fus moins sage alors que je ne vous parais aujourd'hui; je voulus connaître Éliane et devenir son amant. Cela ne fut pas difficile. Elle sut à n'en pas douter que je possédais cette correspondance. Dès lors il s'engagea entre nous une lutte pleine de péripéties; elle voulait ravoir le portefeuille, moi je voulais le garder, de nous deux je fus le plus habile; elle céda sans condition, s'en rapportant à ma bonne foi, comme vous pourrez vous en convaincre dans quelques billets qu'elle n'a pas craint de m'écrire, car elle n'avait plus rien à risquer avec moi; elle jouait le tout pour le tout. Ces lettres, je les ai jointes à celle de Zélia, elles sont là aussi.

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«En ce moment on annonça le docteur. Marcel me fit signe de prendre le portefeuille. Je lui serrai la main et je sortis en silence, la mort sur les lèvres, l'enfer dans le coeur. Quand j'arrivai chez moi, je ne sais ce que j'avais pensé en route, quelle étrange confusion s'était faite dans mon cerveau, ni comment j'avais pu oublier si vite la parole du blessé, son regard convaincu, tout ce qui enfin mettait hors de doute la véracité de son récit; mais j'étais persuadé que ce qui venait de se passer ne pouvait être qu'une plaisanterie, une vengeance peut-être, exercée par Marcel, une épreuve faite sur ma crédulité, dont j'allais trouver l'explication et l'excuse dans le portefeuille.

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«Cela était bien incroyable, bien impossible assurément, mais pour moi, tout au monde était croyable, tout était possible, hormis l'avilissement d'Éliane. Je posai le portefeuille sur ma table, je le regardai longtemps d'un oeil hébété; un nuage était devant mes yeux, il me semblait que quelque chose de glacé s'était posé sur mon coeur; je ne me sentais plus ni impatience ni curiosité, je n'avais pas même peur; tous les ressorts de mon être étaient relâchés; ce grand ébranlement, ce choc inattendu avaient comme arrêté soudain en moi la vie et l'intelligence. Ce fut par un mouvement machinal que je tournai la clef dans la serrure du portefeuille, et certes si quelqu'un fût entré en ce moment et m'eût demandé ce que je faisais là, je n'aurais pas su répondre. Il y a dans la vie de l'homme des heures rapides, décisives, chargées de choses, où l'on dirait que le destin a hâte de faire son oeuvre à lui tout seul, et ne laisse ni à la volonté ni à la réflexion le temps d'agir.

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«La vue même de l'écriture d'Éliane ne me fit pas sortir de ma torpeur; je ne pouvais plus en douter, pourtant, le récit de Marcel se confirmait; j'avais bien là sous les yeux une volumineuse correspondance, dont quelques mots saisis au hasard, en tournant rapidement les feuilles, me blessaient comme des pointes aiguës. Je suis certain que ces lettres passèrent plus de vingt fois dans mes mains tremblantes, avant que j'eusse bien compris de quoi il s'agissait. Enfin un billet de date toute récente, adressé à Marcel, me causa une sensation plus vive, m'entra plus avant et d'une pointe plus acérée dans le coeur.

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«Je m'éveillai comme en sursaut; une sueur froide inonda mon visage, ma douleur éclata et je me laissai tomber à terre en poussant des cris. Je crois que je restai là plusieurs heures à pleurer et à me tordre. Je ne pense pas que tristesse plus amère ait jamais envahi plus complétement une âme aussi ouverte, aussi mal défendue; ce fut comme un flot noir qui passa tout à coup sur ma tête et qui emporta avec lui, pour ne jamais me les rendre, ma jeunesse, mon amour et mon facile bonheur. Un coup frappé à ma porte m'arracha à cette première crise de pleurs et de sanglots.

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J'allai ouvrir. C'était un billet d'Éliane qu'on m'apportait. Je le jetai sans le regarder. Mon transport s'étant un peu calmé, mon cerveau étant devenu un peu plus lucide par l'abondance de mes larmes, je me rassis, et j'eus cette fois le courage de lire jusqu'au bout la fatale correspondance. Lecture effroyable! Marcel ne m'avait pas trompé.

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«Ces lettres, écrites sans doute dans des moments où Éliane ressentait le besoin, qui saisit même les plus hypocrites, de soulever un instant le masque qui les offusque, laissaient voir à nu des vices, des turpitudes où l'oeil le plus aguerri eût hésité à plonger. Ce n'étaient pas seulement les intrigues multipliées d'une femme galante dont je trouvais les trop certains indices, c'étaient encore les raffinements d'une froide corruption et toutes les bassesses que le goût immodéré de la dépense et du faste peut faire commettre à un être sans moralité et sans autres principes que ceux d'un épouvantable égoïsme. «Vous ne pourrez jamais vous figurer, ma chère Thérèse, quel affreux ravage porta en moi cette nuit de désolation, où je ne fis que lire et relire ces lettres funestes. Quand on a acquis l'expérience du monde, on se reporte difficilement à ces heures de jeunesse où la passion libre, forte, croyante et simple, règne seule sur le coeur. À ce moment de la vie, on ne se représente jamais le mal que sous des dehors repoussants; la beauté, les grâces du corps semblent une image fidèle de la perfection de l'âme; une femme aimée est toujours un ange. On ne pourrait pas comprendre l'existence de ces êtres doués de tous les charmes et gangrenés de tous les vices, tels qu'une société vieillie dans la corruption peut seule les produire.

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J'ai quelque peine, moi-même, à me rappeler de quelle hauteur j'étais en ce moment précipité. L'excès de ma douleur était tel que je n'avais plus aucune notion ni de temps ni de lieu. Je demeurai toute la nuit et tout le jour suivant seul, enfermé dans ma chambre, l'oeil fixe et morne, sans parler, sans songer à prendre de nourriture. J'écoutais machinalement le bruit égal et régulier de ma pendule, je suivais les mouvements du balancier; il me semblait voir quelque chose de mystérieux et de terrible dans les chiffres du cadran, et quand l'aiguille les touchait, j'éprouvais une angoisse puérile. Quelquefois je me jetais à genoux, mais je me relevais tout à coup en éclatant de rire comme un insensé. Le soir venu, mon domestique, inquiet de n'avoir pas été appelé une seule fois dans la journée, vint me demander si je n'avais pas d'ordre à lui donner. Sa vue me rendit la conscience de moi et de ce qui s'était passé.

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Je pensai à Marcel et j'envoyai savoir de ses nouvelles. Au bout d'une demi-heure, on revint me dire qu'on était assez inquiet, que le comte avait passé une nuit détestable, qu'une fièvre très-forte s'était déclarée le matin, et qu'un second médecin venait d'être appelé. Les gens de la maison croyaient, ajouta mon domestique, que le chirurgien qui avait fait les premiers pansements s'était trompé, et que la blessure était bien plus grave qu'on ne l'avait craint d'abord. Un peu secoué par ces nouvelles, je voulus aller moi-même savoir l'exacte vérité, mais une défaillance de coeur me prit encore. Après avoir renvoyé mon domestique, je me laissai tomber sur mon fauteuil. «Éliane! m'écriai-je douloureusement, Éliane!...» À l'instant même, et comme si elle eût pu m'entendre, elle ouvrait ma porte et je la vis devant moi.»

-

«Frappée sans doute de ma pâleur et du bouleversement de mes traits:

-

--Qu'avez-vous, Hervé? s'écria-t-elle, m'aurait-on trompée?... Seriez-vous blessé? Pourquoi ne m'avoir pas écrit? Pourquoi n'être pas venu?

-

Cette voix si douce, ce regard qui descendait sur moi comme un rayon, me donnèrent encore un moment d'illusion, presque de bonheur. Je la contemplai sans rien dire, puis je fondis en larmes. Elle s'était approchée de moi; mon fauteuil touchait à la table sur laquelle j'avais laissé le portefeuille de Marcel tout ouvert; son châle, en frôlant cette table, fit voler en l'air quelques-unes des lettres. Il faut croire qu'elle connaissait le portefeuille, ou que, voyant sa propre écriture, elle devina à l'instant même, car elle pâlit.

-

«--Qu'est-ce que cela? me dit-elle vivement.

-

«--C'est un souvenir que me laisse Marcel, lui dis-je en attachant sur elle un regard qui l'eût tuée, si cette femme avait eu un coeur; c'est un legs; il va peut-être mourir, il ne veut pas que je puisse vivre après lui. Il m'a donné vos lettres...

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«Aussitôt, et comme pour s'assurer que je ne l'abusais pas, elle s'élança sur le portefeuille. À la façon dont elle le saisit, toutes les lettres s'en échappèrent. Elle ne put plus douter, elle était trahie, dévoilée. J'ignore ce qui se passa dans son esprit, je ne sais quel démon lui inspira subitement la seule chose qui pût la sauver, mais sans presque changer de visage et sans hésiter une minute, elle se jeta à mes genoux et joua la plus transcendante comédie qui jamais, peut-être, ait été jouée depuis que l'on se trompe et que l'on se trahit dans ce monde.

-

«Nier était impossible; expliquer, atténuer, excuser, rien de tout cela ne se pouvait; elle comprit vite, car elle avait le génie du mal.

-

«--Hervé! Hervé! s'écria-t-elle d'une voix qui eût ému le marbre, et en tenant malgré moi mes genoux embrassés, Hervé, je suis la plus misérable des créatures, la dernière des femmes! Il n'y a pas en ce monde de châtiment assez rude pour moi; je ne sais pas de parole qui me flétrisse assez; une fatalité épouvantable m'a entraînée; je suis tombée de déception en déception, d'égarement en égarement, jusqu'au plus profond de l'abîme; j'ai enfin commis le plus grand des crimes, puisque j'ai aussi trahi votre amour, votre saint et noble amour. Je ne vous demande ni pitié ni pardon. Je sais que vous ne pouvez plus aimer une femme telle que je suis devenue, malgré Dieu lui-même qui m'avait fait naître avec un noble coeur et capable peut-être de grandes vertus... Mais voyez-vous, Hervé, ne me refusez pas la dernière grâce que j'implore de vous. Je ne survivrai pas à la douleur de voir se briser si cruellement mon dernier espoir de vertu... votre amour. Mais je veux avoir eu du moins le seul courage qui me soit possible, celui d'une sincérité sans bornes; je veux que vous entendiez comme un prêtre ma confession tout entière, et peut-être prononcerez-vous sur ma tête courbée une parole de paix et de miséricorde.

-

«Elle continua ainsi longtemps; elle fut pathétique, éloquente; elle déroula à mes yeux toute une vie de dérèglements et d'hypocrisie à faire trembler. Mais telle est la puissance de l'aveu, que, à mesure qu'elle s'accusait, elle semblait se purifier et se grandir. Ce qui m'avait fait horreur à lire loin d'elle, je l'écoutais avec une sorte de terreur presque respectueuse; les actes les plus condamnables, au moment où elle s'en confessait, se paraient à mes yeux d'une beauté sinistre; elle me fascinait et me dominait en raison même de sa honte, car je ne voyais plus dans ses bassesses que son courage à me les révéler. On eût dit, à me voir pâle, frémissant, éperdu, et à l'entendre, elle, me parler d'une voix vibrante, sa belle main tenant la mienne avec force, comme si elle eût craint que je ne lui échappasse, on eût dit que j'étais le coupable et qu'elle allait m'absoudre ou me condamner. Enfin, que vous dirais-je?

-

elle était divinement belle. Il vint un moment où je n'entendis plus rien, où mon regard perdu dans le sien n'y vit plus que les flammes d'un ardent amour, où mes lèvres attachées à ses lèvres y burent le poison d'une volupté terrible, où tout disparut, tout s'abîma, tout s'anéantit dans le sentiment de cette volupté.»

-

Hervé s'interrompit. Thérèse lâcha son bras. Elle respirait à peine. Ils firent quelques pas séparés.

-

--Ne vous lassez pas de moi, dit enfin Hervé, nous approchons de la conclusion. Encore un peu de patience, et le récit de mes pitoyables faiblesses sera terminé.

-

«Je tombai dans une sorte d'assoupissement causé, je pense, par la longue tension de mes nerfs, l'abondance de mes larmes, et aussi l'absence totale de nourriture depuis vingt-quatre heures. C'était une complète prostration de forces. Je ne sais au bout de combien de temps je m'éveillais, mais il faisait sombre, les lumières étaient éteintes; je rallumai une bougie, tout en cherchant à rappeler mes esprits; je ne savais pas si je sortais d'un affreux cauchemar, d'une léthargie... Je regardai autour de moi comme pour chercher Éliane. Il n'y avait personne dans la chambre; mes yeux rencontrèrent la table; le portefeuille avait disparu.

-

«Je ne m'arrêterai pas davantage à vous peindre ma fureur et mon désespoir; la Providence avait choisi ces jours pour épuiser sur moi sa colère. Vers neuf heures du matin, on m'apporta un billet d'Éliane ainsi conçu:

-

«Le comte de Marcel est au plus mal; on s'était grossièrement trompé sur sa blessure. La fièvre et le délire ne l'ont pas quitté depuis douze heures. Il n'a plus, selon toute apparence, que très-peu d'instants à vivre. Mon coeur est brisé par ce malheur; je ne me consolerai jamais de la fin si cruelle d'un de mes meilleurs amis. Vous comprendrez, monsieur, qu'il me devienne impossible, au moins d'ici à bien longtemps, de vous recevoir chez moi.»

-

«La lecture de ce billet ne me causa presque aucune émotion, tant je les avais toutes épuisées la veille. Notre coeur est aussi impuissant pour la douleur que pour la joie. Il y a un terme que nous ne dépassons guère: au delà c'est l'abrutissement ou la défaillance. Le fond des deux calices est vite atteint; c'est un breuvage de même saveur et d'effet pareil, une lie narcotique qui engourdit l'âme et la plonge dans une stupide insensibilité.

-

«Une seule pensée me restait distincte: je voulais partir, quitter à l'instant Paris, ne plus voir un visage connu, fuir ces tristes murailles qui semblaient chargées de malédictions. Je croyais, j'étais bien jeune, qu'on se fuyait soi-même, et que, en allant loin, bien loin, au delà des monts et des mers, j'irais aussi, peut-être, au delà de ma douleur.

-

«Je m'embarquai à Marseille pour l'Amérique du sud. Pendant les huit jours que je restai là à attendre le premier vaisseau qui ferait voile pour Rio-Janeiro, j'appris deux nouvelles funestes: la mort de Marcel et le retour à Paris de son beau-frère, le marquis de R***, qui, averti par des amis charitables, avait saisi une correspondance, portait partout ses plaintes et menaçait d'un procès qui alla achever de perdre la marquise, déjà cruellement compromise par le duel et la mort de son frère, dont elle était regardée comme l'unique cause.

-

«Durant toute la traversée, je quittai à peine ma chambre, si l'on peut donner ce nom aux six pieds carrés qui contenaient mon lit et ma table.

-

J'avais d'effroyables accidents nerveux, on me prenait pour un homme frappé d'aliénation mentale; personne n'était désireux de m'aborder, mais j'avais un compagnon invisible, le sentiment constant, aigu, de mon crime, le remords, qui ne me laissait de repos ni jour ni nuit. Un reste de religion, ou peut-être tout simplement l'horreur naturelle d'une organisation robuste pour la destruction, m'empêchèrent d'attenter à ma vie. Tout ce que je fis, tout ce que je tentai pendant près de deux années pour trouver du répit fut vain. J'allais, j'allais toujours, sans m'arrêter, de ville en ville, de désert en désert; je parcourus les plus beaux pays du monde, je vis les scènes les plus grandioses de la nature; je pressai, j'entassai les images dans ma mémoire, mais ma pensée, sans se lasser non plus, franchissait tous les obstacles que j'élevais entre elle et ma faute; elle s'acharnait à sa proie; et cette proie c'était mon propre coeur que rien ne soulageait alors, que rien depuis n'a su guérir.

-

«Les émotions du jeu me tentèrent; je gagnai d'abord immensément, puis je perdis à peu près tout ce que je possédais, sans plus m'affecter de la perte que du gain. Seulement cette ruine presque totale me força de revenir en Europe et de me rapprocher de ma famille, qui ne savait ce que j'étais devenu et à laquelle je fus contraint de recourir. Ce fut une dernière misère assez vivement ressentie par mon orgueil. Je ne pus me résoudre toutefois à remettre les pieds sur le sol de la France. Je débarquai à Livourne, d'où je me rendis à Florence. Je m'étais déterminé presque machinalement à aller là plutôt qu'ailleurs, J'avais rencontré à bord un moine italien avec lequel, durant la traversée, il m'était arrivé de causer plus longuement et plus intimement que je ne l'avais fait depuis mes malheurs. Ce moine était un Dominicain, jeune encore, mais fatigué, soit, comme on le racontait, par des abstinences et des macérations volontaires, soit par une maladie des poumons gagnée dans ce voyage au Brésil, qu'il avait entrepris pour les intérêts de son ordre. Il allait tenter de se guérir en essayant les climats les plus doux de l'Italie. Il devait habiter successivement Florence, Pise et Naples. «Le père Anselme, c'est ainsi qu'on l'appelait, m'avait inspiré sinon de l'intérêt, mon coeur était mort à tous les sentiments bienveillants, du moins une respectueuse curiosité. Dès le premier jour où nous nous étions abordés, il avait paru trouver du plaisir à s'entretenir avec moi. Ces entretiens, d'abord très-vagues, avaient pris peu à peu, grâce à lui, quelque chose de plus sérieux et de plus intime.

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«Tout en gardant le silence sur son véritable nom et sur les événements de sa vie, le moine me laissa entrevoir qu'il avait traversé bien des orages, et que le monde et ses écueils ne lui étaient pas inconnus. Il s'exprimait en français avec une facilité rare; il abordait tous les sujets avec convenance et liberté. Sa parole, quoique simple, touchait toujours au fond des choses et donnait beaucoup à penser. C'était un noble esprit et un noble coeur. Un jour que, sans rien préciser, je lui avais parlé de mes ennuis, de mes courses sans but et de mon éloignement à rentrer dans ma patrie:

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«--Pourquoi ne feriez-vous pas avec moi le voyage d'Italie? me dit-il.

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«Il n'en avait pas fallu davantage pour me décider à suivre ses pas.

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Après quelques mois de séjour à Florence, il ne se trouva pas bien de l'air trop vif, et résolut de passer la mauvaise saison à Pise. Pendant tout cet hiver, je le vis sans cesse. Nous faisions ensemble des promenades le long de l'Arno, à San Rossore, dans la forêt de pins qui s'étend des cascines jusqu'à la mer, et surtout dans les galeries du Campo-Santo. Cette nature douce et triste, ces oeuvres de l'art dont je pénétrais chaque jour davantage les solennelles beautés, agissaient sur mon esprit et m'arrachaient à la constante obsession de ma misère. Il me prenait quelquefois des tressaillements subits d'admiration et d'enthousiasme. La vie rentrait en moi. J'en arrivai à éprouver le besoin de confier mes peines, et je fis au père Anselme, en déguisant les noms et les circonstances, la confession de mon indigne amour et des fautes où il m'avait entraîné. C'était un jour que nous revenions d'une course en plein midi le long de la mer; le ciel n'avait pas un nuage; la lumière inondait la grève solitaire. Le moine marchait silencieux et pensif à mes côtés. Quand je cessai de parler, il réfléchit quelques instants, puis, me regardant avec une tendresse profonde:

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«--Mon enfant, me dit-il, écoutez la parole d'un homme qui à suivi, lui aussi, les sentiers de la perdition; croyez-moi, il n'est permis à aucun de nous de désespérer de sa vie. L'irréparable aux yeux de Dieu n'existe pas. Si vous êtes poursuivi de trop cuisants remords, si vous croyez la doctrine catholique, il y a des asiles ouverts à la pénitence: faites-vous chartreux ou trappiste; si, au contraire, comme je le pense, votre coeur est moins frappé de remords que tourmenté de regrets, si vous avez moins de désespoir de vos fautes que de retours cruels vers des illusions perdues, alors, mon enfant, sachez ressaisir les rênes de votre âme. Sachez être homme. Il n'est personne ici-bas, pas même le galérien attaché à son boulet, qui ne puisse encore être bon à son semblable. Quand nous n'avons plus dans notre coeur de quoi nous rendre heureux nous-mêmes, c'est alors souvent qu'il se trouve dans notre esprit de plus riches trésors à répandre autour de nous. Vous êtes jeune; vous avez une patrie, une famille; vous avez l'humanité à aimer comme le Christ l'a aimée jusqu'à la fin. Et, tenez, ajouta-t-il en me désignant la tour penchée (nous arrivions en ce moment sur la place du Dôme), vous savez l'histoire de cette tour que le peuple regarde comme miraculeuse. Elle s'élevait sous les yeux de l'architecte, droite, fière, audacieuse, quand tout à coup, arrivée à moitié de sa hauteur, le terrain s'affaissa, et chacun pensa que l'édifice allait s'écrouler. Mais l'artiste, confiant en Dieu et en sa volonté, ne perdit pas courage. Il sut trouver le remède au moment du plus grand péril. Il étaya fortement la tour; puis, s'étant assuré que l'affaissement du sol ne pouvait dépasser une certaine profondeur qu'il calcula avec précision, il modifia ses mesures, il changea ses lignes, il acheva son campanile sur un plan incliné qui est aujourd'hui l'émerveillement de tous, et fait paraître son oeuvre bien plus belle dans sa singularité qu'elle ne l'eût été si aucun accident ne fût survenu.

-

«Ceci est un apologue, mon noble ami, poursuivit le père Anselme en souriant doucement. Notre vie, c'est la tour de Pise. Nous la commençons avec audace et certitude, nous la voulons droite et haute; mais tout à coup le terrain sur lequel nous bâtissons vient à s'effondrer. Notre volonté fait défaut, nous croyons que tout est perdu. Souvenons-nous alors de Bonanno Pisano, imitons-le: étayons d'abord notre âme, puis faisons la part de nos fautes. Mais, continuons, ne craignons pas la peine, achevons notre vie penchée; et qu'on puisse au moins douter en nous voyant s'il n'a pas mieux valu qu'elle fût ainsi, et si une perfection plus complète n'eût pas été peut-être moins admirable.

-

«Le soir même de cet entretien je reçus des lettres qui m'annonçaient la mort de mon frère aîné. Il ne laissait pas d'enfants. J'allais me trouver chef de famille, possesseur d'une grande fortune territoriale. Je crus reconnaître dans cet événement et dans cette coïncidence le doigt de Dieu. Je résolus de rentrer immédiatement en France, et d'y commencer une vie nouvelle. J'allai prendre congé du père Anselme; il parut heureux de ma détermination et me serra dans ses bras. «Mon père, lui dis-je, bénissez en moi la résignation et la volonté que vous y avez mises.»

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«Il fit, en silence, sur ma tête, le signe de la croix.

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«Nous ne nous sommes jamais revus.

-

«Le reste, vous le savez. À mon arrivée ici, d'anciens amis de ma famille me parlèrent de mariage. J'y étais assez disposé. Tout ce qui devait fixer, régler mon existence me semblait bon. Je ne devais plus y laisser de place pour le hasard. On me fit connaître la mère de Georgine, et plusieurs fois nous allâmes ensemble voir cette dernière au couvent. Je la trouvai jolie; je la savais bonne; elle était pauvre. Je me laissai séduire par la pensée de réparer une injustice du sort. Je me dis que, ne pouvant plus jouir de rien par moi-même, je jouirais du moins de tous les plaisirs de cette jeune fille élevée dans les privations et dans une austère simplicité. Je crus que cette âme à guider, cette intelligence à conduire serait un intérêt noble et constant dans ma vie. Je désirais passionnément avoir de beaux enfants, et vous voyez que le Ciel m'a exaucé. Georgine est heureuse par moi, elle le sent, elle m'aime. À chaque heure du jour, elle sait me le témoigner. J'ai la conviction d'avoir fait autour de moi un bien réel.

-

Dans ce pays, depuis huit ans que je l'habite, la misère a disparu. Le nécessaire est assuré à tous; beaucoup même ont ce modique superflu qui fait si aisément bénir l'existence à ceux qui vivent de leur travail. Je suis à la veille d'entrer dans la vie politique. J'espère alors faire plus en grand ce que je fais maintenant sur une très-petite échelle. Je ne suis pas insensible au désir d'attacher mon nom à quelque réforme utile pour mon pays.»

-

--Vous ne me dites pas ce qu'est devenue Éliane? interrompit Thérèse; l'avez-vous revue?

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--Jamais! dit Hervé. Elle avait quitté la France quand j'y suis rentré.

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On m'a dit qu'elle s'était fixée à Naples. Je n'en sais pas davantage.

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Voici la première fois, depuis huit années, que je prononce son nom.

-

Ils entraient dans la cour du château; la cloche avait depuis longtemps appelé pour le déjeuner; des domestiques étaient partis dans plusieurs directions pour avertir Hervé et Thérèse.

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--Mais arrivez donc! leur cria Georgine du plus loin qu'elle les aperçut; les enfants s'impatientent, le cuisinier se désespère; on n'a pas idée de se promener par ce temps là et à de pareilles heures.

-

Disant cela elle tendit la main à Thérèse, embrassa Hervé, et ne vit pas sur le visage de tous deux qu'un mystère venait d'être révélé, qu'un lien nouveau et secret unissait leurs coeurs; heureuse Georgine! elle ne devina pas l'orage qui grondait sur sa tête.

-

Il est sur la terre des êtres singulièrement préservés; ils passent à côté des plus graves événements sans les voir; ils se trouvent mêlés aux drames les plus terribles sans les soupçonner; ils reçoivent l'étreinte d'une main convulsive sans que rien en eux frémisse, et sourient dans la bénignité d'une ignorance tranquille aux coeurs dévastés, aux fronts qu'a touchés la foudre: ce sont de bonnes et douces natures qui vivent leur temps et s'en vont de ce monde sans y avoir fait ni mal ni bien.

-

Georgine était un peu de celles-là.

-

Les jours suivants, Hervé et Thérèse ne se parlèrent plus. Le récit d'Hervé avait bouleversé le coeur de Thérèse; lui-même se sentait profondément ébranlé. Il y a des révélations qui sont des révolutions.

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Il est des dangers contre lesquels le silence est la seule armure. Un matin Thérèse était descendue au salon un peu plus tôt que de coutume; il n'y avait personne encore. Un feu mal allumé emplissait l'âtre d'une fumée épaisse; les vitres, chargées de brume, ne laissaient pas percer le regard sur les jardins. La table était encore dans le désordre de la veille. L'ouvrage commencé de Georgine, les jouets des enfants, un volume de Walter-Scott, dont Hervé faisait le soir lecture, y étaient restés. Le piano était ouvert. Dans une corbeille, placée en face des fenêtres, quelques chrysanthèmes penchaient mélancoliquement leurs têtes violacées; je ne sais pourquoi ce salon parut à Thérèse d'une tristesse lugubre. Elle essaya de lire un journal, elle ne put; elle se mit au piano, préluda longtemps, mais aucune phrase ne s'achevait sous ses doigts; elle voulut chanter, alors les pleurs qu'elle réprimait se mirent à couler. Tout à coup elle sentit une main se poser doucement sur son épaule, elle se retourna: c'était Hervé qui la regardait avec une indicible expression de tendresse et de douleur.

-

--Vous ressemblez à Éliane, lui dit-il; seulement vous êtes beaucoup plus belle.

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En ce moment la porte s'ouvrit; c'était Georgine avec les enfants et deux voisins qui venaient s'établir à Vermont pour plusieurs jours.

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Thérèse s'échappa et fut cacher ses larmes. C'est ainsi, par un incident insignifiant, par un hasard vulgaire, que se brisent souvent, au moment où ils vont se nouer, les fils de deux destinées. Tout fut dit: la dernière parole qui devait être échangée entre Hervé et Thérèse vint se perdre dans les compliments et les lieux-communs de la politesse de province.

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Le lendemain, à sept heures du matin, un beau cheval sellé et bridé attendait devant le perron du château; sur la selle du domestique qui devait suivre, une petite valise était attachée. Hervé parut; il remit un billet au valet de chambre qui lui ouvrît la porte d'entrée.

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--Quand madame sera éveillée, vous lui donnerez cette lettre.

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Disant cela, il monta lentement en selle, traversa au pas la cour du château, puis, piquant des deux, il s'élança au galop dans la longue avenue. Au bout de quelques minutes, un détour du chemin le ramena, en vue de Vermont. Il s'arrêta, regarda longtemps une fenêtre dont les jalousies venaient de s'ouvrir:

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«Thérèse!» murmura-t-il, et il s'éloigna de toute la vitesse de son cheval.

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Sa lettre à Georgine motivait son départ. Les intérêts de son élection l'appelaient à la petite ville de B... et l'y retiendraient une huitaine de jours. Thérèse, malgré les instances de Georgine, quitta Vermont avant le retour d'Hervé. Elle demeura fort peu de temps dans sa famille et s'embarqua pour New-York. Georgine n'eut plus de ses nouvelles qu'à de rares intervalles.

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Aujourd'hui, l'océan est entre Hervé et Thérèse. Ils ne se reverront pas, ou du moins ils ne se reverront que lorsque l'âge les aura rendu méconnaissables l'un à l'autre. Ils étaient faits pour s'aimer; le devoir les sépare, et chacun d'eux, sans se l'être dit, garde au fond de son coeur un ineffaçable et cher regret. Leur histoire est celle de plusieurs d'entre nous. Passer un jour tout auprès d'un bonheur immense, le voir, croire qu'on le saisirait en étendant la main, et ne pas s'y arrêter pourtant, c'est l'héroïsme ignoré de bien des nobles coeurs. J'en sais qui se pleurent et qui s'appellent tout bas à travers l'espace. Ô mon Dieu! vous qui leur avez donné la force des grands sacrifices, donnez-leur-en du moins l'amère volupté!

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FIN DE HERVÉ

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+ + + + + + + + Hervé : ELTeC edition + Stern, Daniel [Marie d'Agoult] (1805-1876) + + encoded by + Pia Geißel + + + Original data capture + Gutenberg.org + Mireille Harmelin + Eric Vautier + + + + 15058 + + COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + + Herve + Daniel Stern + + 2008-10-10 + + Hervé + Daniel Stern + MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEURS + Paris + 1866 + + + 1843 + + + +

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ENVOI

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À M. E. DE G...

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À vous qui avez combattu seul.

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Souffert en silence,

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Triomphé sans joie.

+

À vous, qui êtes mon ami.

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+ + +
+ I +

Au mois de septembre 1832, une voiture de poste entrait à l'hôtel Meurice; une femme jeune et remarquablement belle était seule dans cette voiture. On l'attendait. En la conduisant à l'appartement retenu pour elle, le maître de l'hôtel lui remit une lettre; elle la saisit vivement, en brisa le cachet et lut ce qui suit: «Enfin te voilà donc à Paris; te figures-tu mon chagrin de n'y pas être pour te recevoir? Après une si longue absence, il me tarde tant de te presser sur mon coeur. Oh! je t'en supplie, Thérèse, viens au plus vite retrouver ta vieille amie. Je suis à Vermont, avec mon mari, qui joint ses instances aux miennes. Tu n'as fait qu'entrevoir Hervé le jour de notre mariage; c'est à peine si tu te le rappelles; mais lui, il te connaît, il t'aime pour tout ce que je lui ai dit de toi, pour les adorables lettres que je lui ai lues avec orgueil. Songe qu'il y aura bientôt huit ans que nous sommes séparées; songe à tout ce que nous aurons à nous dire, et hâte-toi de venir reprendre notre intimité, nos interminables causeries du couvent. Sois bonne comme tu l'étais alors. Souviens-toi que tu ne refusais jamais rien à ta petite Georgine. Que ferais-tu d'ailleurs à Paris dans cette saison? Il n'y a personne. Ta famille est dispersée; ta soeur est aux eaux de Toeplitz. Crois-moi, viens l'attendre à Vermont. Viens prendre ta part de ma douce vie, te réjouir de me voir heureuse auprès d'un mari que j'estime, que je vénère, que j'adore. Ne pense pas que j'exagère, Hervé est adorable. Il a fait de moi, de cette enfant gâtée que tu as connue si ignorante, si inconsidérée, si futile, une femme sérieuse, attachée à ses devoirs, une mère attentive. Il m'a sauvée de tous les écueils; il m'a corrigée de tous mes travers; il m'a rendue presque digne de lui, et cela sans une parole amère, sans un reproche, sans avoir jamais exercé sur mon esprit la moindre contrainte. Quel noble coeur qu'Hervé! Comme tu vas l'aimer tout de suite! Il y a tant de rapports entre vous deux. Mais, égoïste que je suis, je ne te parle que de moi et je ne sais pas si tu peux m'entendre sans tristesse. Tes parents m'ont bien assuré, à la vérité, que tu vivais contente à New-York; que tu dirigeais en partie les affaires de ton mari; qu'elles prospéraient; que vous aviez un établissement superbe; que tu ne regrettais point trop Paris. Ton beau-frère a même ajouté que ta tête s'était calmée et que, grâce au ciel, tu étais guérie des idées romanesques. Mais toi, tu ne m'as presque rien dit de ton intérieur; je n'ai pas su deviner non plus l'état de ton âme au ton de tes lettres qui n'était ni triste, ni gai, ni exalté, ni tout à fait calme pourtant. J'attends donc tes confidences, et je ne puis que te répéter: Viens, viens dans mes bras qui te sont ouverts; viens dans ma maison qui est la tienne.» Une larme mouilla les yeux de Thérèse, restée seule dans sa chambre. --Âme charmante! murmura-t-elle, coeur plein d'enchantements! Je l'avais bien prévu, le monde ne devait se montrer à toi que sous ses couleurs les plus séduisantes; ta lèvre ne devait goûter que le miel au bord de la coupe. Rien qu'en approchant des lieux où tu vis, je sens ta bénigne influence. Il me semble que ces huit années passées, si pesantes, si mornes, se détachent de moi. Je crois respirer de nouveau l'air libre de mon enfance. J'oublie déjà mes jours sans soleil, mes devoirs inexorables et la chaîne si courte qui m'attache à un sol aride. Mon coeur frémit d'une joyeuse impatience, j'ai comme hâte de vivre. Je crois entendre encore la voix de mes illusions perdues et le battement d'ailes de mes jeunes espérances. Ô Georgine, Georgine, quelle magie il y a encore pour moi rien que dans ton nom! Je t'ai toujours aimée, non comme mon amie, mais comme ma fille, comme mon enfant de prédilection. Si je t'avais vue toujours près de moi, si j'avais pu à toute heure contempler ton front serein et ton doux sourire, mon sort ne m'eût point semblé trop rude; je l'aurais accepté sans déchirement, peut-être même sans effort.

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Thérèse sonna et fit demander immédiatement des chevaux de poste. Puis elle écrivit, à sa soeur pour lui apprendre qu'ayant obtenu de son mari la permission de passer trois mois en France, elle allait en donner un à Georgine et rejoindrait sa famille dans le courant d'octobre.

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Le lendemain elle arrivait à Vermont. C'était une ravissante demeure, un château bâti à l'italienne sur le versant d'une colline, au bas de laquelle roulait une petite rivière. La vue s'étendait au loin sur une plaine fertile. Les abords étaient riants, les jardins plantés avec un goût exquis, le paysage avait une délicieuse fraîcheur. À mesure qu'on approchait, on se sentait plus attiré. Le murmure de la rivière, le chant de milliers d'oiseaux sous les ombrages, les tons éclatants, les riches nuances des fleurs jetées à profusion sur les tapis de verdure, les parfums qui s'en exhalaient et qui embaumaient l'atmosphère, tout révélait un séjour privilégié; il était impossible de s'en figurer les habitants autrement que comme des êtres satisfaits et paisiblement heureux. Thérèse reçut avec attendrissement cette impression d'une nature si charmante qu'elle agissait même sur les esprits les moins préparés à en être émus, et quand elle aperçut Georgine venant radieuse à sa rencontre, appuyée sur le bras d'Hervé, elle crut voir la réalisation d'un de ces romans anglais qui se plaisent aux scènes de famille, une image vivante de cette félicité paradisienne accordée dès ici-bas dans le mariage à quelques femmes que leur ange gardien n'a pas quittées.

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Les deux amies se précipitèrent dans les bras l'une de l'autre et se tinrent longtemps embrassées.

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--Fais-toi donc voir! s'écria enfin Thérèse. En vérité, je ne te reconnais plus. Tu n'étais que jolie quand je t'ai quittée; je te retrouve tout à fait belle.

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--Vous l'entendez, dit Georgine en se retournant vers Hervé, nous verrons maintenant ce qu'elle va dire des enfants. Où sont-ils donc restés? Tenez, Hervé, conduisez Thérèse; moi, je cours chercher ces chers trésors.

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Hervé offrit son bras à Thérèse. Il la remercia avec cordialité de l'empressement qu'elle avait mis à rejoindre Georgine et de la joie que sa présence allait répandre à Vermont. Puis, tournant assez court aux phrases d'usage:

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--Comment la trouvez-vous? dit-il. Avez-vous parlé vrai? vous semble-t-elle embellie?

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Thérèse lui répéta ce qu'elle venait de dire, ajoutant que le visage de Georgine, son attitude, sa démarche avaient pris un caractère noble et grave, infiniment préférable à son joli minois du couvent.

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--Eh bien! reprit Hervé, ce changement extérieur qui vous frappe est l'expression d'un changement intime bien plus marqué, bien plus complet encore. Quand vous avez connu Georgine, quand je l'ai épousée, c'était une aimable et gracieuse enfant, rien de plus; aujourd'hui, vous ne tarderez pas à vous en apercevoir, c'est une femme distinguée. Son intelligence s'est ouverte à tous les beaux sentiments. Elle me rend bien fier...

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--Et heureux? dit Thérèse en lui prenant la main.

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--Quelle question! reprit Hervé en souriant; on voit bien que vous arrivez d'Amérique. Vous avez véritablement des idées de l'autre monde; vous croyez au bonheur. Dans notre vieux monde à nous, il n'y a que les niais et les envieux qui y croient.

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En ce moment, ils entraient au château; Georgine les attendait, tenant ses enfants par la main. L'un, garçon de six à sept ans, ressemblait trait pour trait à son père; l'autre était une petite fille à la chevelure dorée, aux grands yeux bleus, au teint transparent, un chérubin du Corrége. Dès qu'ils aperçurent Hervé, ils se jetèrent sur lui, sautèrent sur ses genoux, se cramponnèrent à son cou; il n'y eut plus moyen de les en arracher.

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--Voilà une présentation bien solennelle, dit Georgine; mais que veux-tu? ce sont de petits sauvages élevés dans les bois; ils adorent leur père et ne m'écoutent plus dès qu'il est là.

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Le reste du jour se passa en entretiens affectueux et familiers. Les jours suivants, Thérèse fut initiée à tous les détails de la vie de château telle qu'on l'entendait à Vermont. Il régnait dans cet intérieur une liberté si sagement ordonnée, tant de paix; les maîtres étaient si indulgents, les serviteurs si attentifs, les enfants si joyeux, tous les visages si ouverts, Thérèse voyait surtout chez Hervé et chez Georgine un soin si constant, et qui paraissait si naturel, de se complaire, qu'elle ne pouvait se figurer la plus légère ombre à ce tableau. Le temps de son séjour était déjà presque écoulé; elle avait déjà passé trois semaines dans une intimité continuelle avec les deux époux, sans qu'un seul mot, un seul regard, un seul incident eût pu faire concevoir à sa pénétrante amitié le moindre doute sur leur bonheur à l'un et à l'autre. Seulement, de temps en temps, elle se rappelait la singulière réticence d'Hervé lorsqu'elle lui avait demandé si Georgine le rendait heureux. Involontairement elle cherchait une signification à ce qui, sans doute, n'avait été qu'une plaisanterie banale. Elle commentait de vingt façons diverses les paroles qu'il avait dites. Souvent aussi le beau front d'Hervé, déjà dépouillé au-dessus des tempes, le timbre de sa voix pénétrant et attristé, un léger pli d'ironie qu'elle surprenait à sa lèvre, même dans le sourire, la faisaient rêver et lui jetaient à l'esprit mille perplexités, mille conjectures vagues et romanesques. Mais aucune de ces conjectures ne portait atteinte à la haute opinion qu'elle avait conçue de lui. Elle admirait de plus en plus ce coeur fier et simple, cet esprit délicat qui savait ennoblir toutes les vulgarités de la vie, cet homme qui ressemblait si peu aux autres hommes, et qui, possédant tous les avantages qui excitent l'envie, exerçait en même temps toutes les vertus qui la désarment.

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Chaque jour elle lui faisait une place plus large dans son coeur, et bientôt elle n'aurait pas su discerner qui de lui ou de Georgine occupait le plus sa pensée et la retenait par de plus doux liens. Un refroidissement insensible avait même succédé à l'impétuosité des premières caresses entre les deux amies. Thérèse ayant doucement évité de répondre aux questions un peu indiscrètes de Georgine, celle-ci s'était sentie froissée, et, sans rien témoigner, elle avait, de son côté, mis fin aux épanchements, aux confidences. Occupée de ses enfants, de sa maison, d'un nombreux voisinage rendu plus animé par l'approche des élections et la candidature d'Hervé, elle ne trouvait plus de temps pour les tête-à-tête, et Thérèse semblait plutôt être devenue l'amie de son mari que la sienne. Cependant je ne sais quelle gêne subsistait entre Hervé et cette dernière. Ils étaient tous deux réservés, circonspects, et leurs entretiens, quoique familiers, n'avaient rien de véritablement intime.

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Thérèse, d'abord charmée, épanouie au sein de l'atmosphère bienveillante de Vermont, retombait peu à peu dans une sorte d'absorption et de mélancolie. Souvent elle s'échappait du château, faisait seule de longues courses; elle errait alors à l'aventure, et ne rentrait parfois qu'à l'heure des repas. Un matin, par un de ces beaux soleils d'automne qui percent lentement la brume et jettent des teintes si vives aux arbres à demi dépouillés, elle s'était éloignée plus que de coutume. D'étranges préoccupations, des rêves bizarres, avaient agité son sommeil. Elle était dans cette disposition vague et languissante à laquelle ne peuvent toujours se soustraire les natures les plus fortes. À chaque instant ses yeux s'emplissaient de larmes; tout ce que la poésie a créé d'images tendres et dangereuses lui revenait confusément à la mémoire; se parlant à elle-même, elle disait à haute voix et comme pour se soulager de ses propres pensées, des chants d'amour, des vers tendres ou passionnés. Elle se croyait seule et suivait sans contrainte le cours de sa rêverie, lorsqu'un bruit de pas sur les feuilles sèches la fit tressaillir.

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--Thérèse! dit une voix bien connue; Thérèse, répéta Hervé, car c'était lui, ne voulez-vous donc point m'entendre; je vous y prends enfin en flagrant délit de roman. La voilà donc retrouvée, cette femme sentimentale, cette poétesse de qui l'on m'avait tant parlé! Aujourd'hui, elle fait des affaires de banque et raille tout ce qui n'est pas palpable comme de l'or, positif comme de l'arithmétique; mais un beau matin elle fuit au bocage et répète aux échos d'alentour des vers amoureux.

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Disant cela, il s'approcha gaiement, prit le bras de Thérèse, le passa doucement dans le sien, serra sa main brûlante et se mit à marcher avec elle. Elle était interdite et demeurait muette.

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--Pardonnez ma sotte plaisanterie, reprit Hervé en la regardant avec surprise; je vois que je viens de heurter un sentiment intime, une disposition de l'âme que j'aurais dû respecter. C'est un nouveau malentendu ajouté à tous ceux qui sont déjà entre nous. Je vous assure, Thérèse, que je souffre de cela. Depuis près d'un mois, nous nous voyons sans cesse; vous êtes l'amie intime de ma femme; j'estime votre caractère, j'admire votre esprit. J'aimerais, ajouta-t-il avec quelque hésitation, oui, j'aimerais être aussi votre ami. Je voudrais que vous me connussiez bien, que vous pussiez aimer en moi, non pas l'homme que je parais, mais l'homme que je suis; et cependant, je le sens, nous vivons à mille lieues l'un de l'autre. Je suis un étranger pour vous, Thérèse, moi qui devrais être votre frère. Je ne sais si je puis même accepter les sentiments affectueux que vous semblez avoir pour moi... J'aurais besoin de vous parler une fois à coeur ouvert.

+

Thérèse releva la tête, son visage s'éclaira de joie; Hervé allait au-devant de son plus ardent désir; il prévenait une demande qui, bien souvent déjà, avait erré sur ses lèvres, et qu'une excessive appréhension de lui déplaire avait seule refoulée. Tout ce que Georgine lui avait dit de son mari lui semblait incomplet, insuffisant; une voix secrète lui criait qu'il y avait là un mystère à pénétrer, un de ces mystères d'amour, peut-être, dont les femmes sont toujours avides... --Hervé, dit-elle, mon ami, puisque vous devinez si bien ce que je pense, ce que je souhaite depuis le premier instant où je vous ai vu, puisque vous me jugez digne de votre confiance, à quoi bon vous dire que vous trouverez en moi un esprit recueilli, pénétré de la religion du silence, un coeur qui peut tout comprendre, car il a connu, lui aussi, le vertige de certaines heures funestes et l'effrayante fascination qu'exerce le mal sur la perversité de nos penchants. J'ai connu la curiosité et l'orgueil... C'est vous dire que j'ai côtoyé bien des abîmes.

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--Vous devinez donc que je vais avoir un triste récit à vous faire, dit Hervé, puisque vous me promettez votre indulgence?...

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--Mon indulgence, dit Thérèse; ce mot aurait-il un sens entre nous? Qui donc aurait le droit d'en gracier un autre? À mes yeux, il n'y a pas de fautes, il n'y a que des malheurs.

+

Hervé lui serra la main.

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--Écoutez-moi, reprit-il; ces heures ne se retrouveront peut-être plus. Vous exercez en ce moment sur moi une influence presque surnaturelle; vous avez le rameau miraculeux qui découvre les sources cachées; mon coeur se dilate en votre présence; mais bientôt un silence de plomb va retomber sur lui. Écoutez-moi, puis oubliez ce que je vais vous dire, car personne, non, personne au monde, n'a jamais su, ne saura jamais ce que vous allez entendre.

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--Comment? dit Thérèse, votre femme elle-même, Georgine, ignorerait-elle une seule particularité de votre vie; lui cacheriez-vous quelque chose? --Prendre sa femme pour confidente, reprit Hervé, c'est une erreur funeste. Cela ne peut et ne doit point être. L'éducation d'une jeune fille, ses préjugés, ses instincts mêmes, lui rendent ce rôle impossible. Comment attendre d'un être qui ne connaît rien de la vie, l'appréciation équitable de ce tourbillon de paroles, de pensées, d'actes contraires et inconséquents qui tourmente et entraîne la jeunesse de l'homme? L'épouse tendre et naïve sera indignée, affligée outre mesure, au récit de tant et de si vulgaires égarements; elle méprisera peut-être celui qu'elle doit avant tout respecter. Non, l'homme doit savoir porter seul le fardeau de son passé quel qu'il soit; il n'y a de dignité possible dans le mariage qu'à ce prix.

+

Un long silence se fit; ils continuaient de marcher; le ciel se couvrait de nuages, un vent froid s'était levé et sifflait dans les branches mortes; des nuées de corneilles traversaient les allées du bois en faisant entendre leur rauque croassement; je ne sais quoi de lugubre dans la nature avait succédé à la promesse d'une matinée splendide; quelque chose de morne et de sinistre semblait planer au-dessus d'Hervé et de Thérèse et les pénétrait de tristesse.

+

Hervé rompit enfin le silence et parla ainsi: «À vingt-deux ans, je devins amoureux d'une femme qui en avait plus de trente; son visage avait perdu l'éclat de la première jeunesse, mais tout ce que la grâce la plus exquise, un soin constant de plaire, un insatiable désir de captiver peuvent donner de séduction et de charme était en elle et me ravissait. Encore aujourd'hui, Thérèse, en dépit de tant d'années qui ont pesé sur mon front et ralenti le sang dans mes veines, je ne prononce pas son nom sans un pénible effort.»

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--Je comprends, dit Thérèse...

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«Quand vous aurez entendu ce que j'ai à vous dire d'elle, reprit Hervé, je crains que vous ne me compreniez plus. Mais n'importe... Continuons. Le mari d'Éliane, excellent homme, enrichi par des spéculations industrielles qui lui prenaient tout son temps, laissait à sa femme une liberté entière. Elle ne paraissait pas en avoir abusé, car sa réputation était bonne, et l'on ne tenait sur elle que très-peu de ces propos inconsidérés auxquels n'échappent pas les femmes les plus vertueuses. Éliane voyait beaucoup de monde; elle était fort recherchée à cause de son esprit et de son élégance. Il ne me vint pas en pensée qu'elle pourrait deviner seulement que je l'aimais. Je n'avais aucune expérience ni des autres ni de moi-même; je n'étais ni fat, ni présomptueux, ni pénétrant. J'étais simple et vrai dans l'exaltation la plus romanesque. Je mettais tout mon bonheur à contempler Éliane, à l'écouter, à m'enivrer de son regard, de son accent expressif, à suivre ses mouvements, ses moindres gestes, à épier les occasions d'être près d'elle; tout cela sans rien prétendre, sans rien espérer, je crois même sans un désir. J'étais si jeune, il y avait en moi une telle surabondance de vie, que mon amour était à lui-même son but et sa récompense. Éliane avait trop de pénétration pour ne pas s'apercevoir, dès l'abord, de l'empire qu'elle exerçait sur moi. Je crois qu'elle s'en applaudit et qu'elle résolut de le rendre absolu. Cela ne lui fut pas difficile. Elle parvint sans aucune coquetterie apparente, par des manières cordiales, des discours pleins de prudence, des conseils affectueux, parfois même des réprimandes enjouées, en un mot, par toute une attitude prise de soeur aînée, à me mettre en entière confiance et à éloigner en même temps de son entourage les soupçons qui auraient pu contrarier son dessein: bientôt, chose sans exemple dans le monde où elle vivait, il fut tout simple pour son mari et pour ses amis, de me voir chez elle à peu près à toute heure, tantôt à lui faire des lectures, tantôt à l'accompagner au piano, car elle chantait divinement, tantôt à lui servir de secrétaire pour sa nombreuse correspondance.

+

Depuis, en réfléchissant au pied sur lequel je me trouvais au bout de si peu de temps dans sa maison, en songeant combien cela eût été impossible à une autre femme, je suis resté confondu devant tant d'habileté et de savoir-faire; mais alors je ne réfléchissais pas, je me laissais aller au flot qui me portait. L'amour me pénétrait tout entier; Éliane s'était emparée de toutes mes facultés. Son esprit actif, son imagination vive, donnaient un continuel aliment à ma pensée; elle embrasait mes sens par des familiarités dont elle ne semblait pas soupçonner le danger, et quand, à ses heures d'abandon, elle me laissait entrevoir le fond de son âme, j'y découvrais de si nobles douleurs, de si belles révoltes contre la mesquinerie et l'inutilité de son existence, des élans si purs vers le beau et le vrai, que je me récriais contre l'injustice du sort, contre l'aveuglement d'une société ingrate qui ne tombait pas à genoux en adoration devant cet ange exilé du ciel. Six mois se passèrent ainsi dans les rapports les plus étranges qui aient peut-être jamais existé entre un homme de mon âge et une femme encore jeune. Je ne lui avais pas dit une seule fois que j'étais amoureux d'elle; elle ne paraissait pas s'en douter; il était établi que nous avions grand plaisir à être ensemble, que nous nous aimions beaucoup, et nous ne cherchions pas à définir les termes. J'étais devenu si insatiable que, non content de la voir tous les jours, je lui écrivais la nuit d'énormes lettres auxquelles elle répondait assez souvent par quelques lignes affectueuses, mais où ne se trouvait jamais, ainsi que je le compris plus tard, une phrase de sens douteux, jamais une parole qui eût pu la compromettre.

+

»Un jour que je me présentais chez elle à l'heure accoutumée, on me dit à l'antichambre qu'elle était rentrée souffrante du bal, qu'une fièvre violente s'était déclarée, et qu'elle ne pouvait me recevoir. Une semaine entière s'écoula sans qu'on me laissât parvenir jusqu'à elle. Les nouvelles devenaient de plus en plus alarmantes; le médecin paraissait soucieux et refusait de s'expliquer. Je crus que je deviendrais fou. Une continuelle obsession des pensées les plus absurdes, des résolutions les plus extravagantes, obscurcissait mon cerveau; une douleur inouïe déchirait mon coeur; Éliane souffrait et je n'étais pas près d'elle; Éliane était en danger, et je ne pouvais prier à son chevet; Éliane allait peut-être cesser de vivre et ce n'était pas moi qui recevrais la dernière étreinte de sa main adorée; ce n'était pas moi qui recueillerais son dernier soupir. Je n'étais donc rien pour cette femme si chère; rien dans sa vie, rien à l'heure de sa mort. Le hasard d'un jour nous avait rapprochés; je ne tenais à elle par aucun lien; je n'étais ni son frère, ni son mari, ni son amant. Son amant! ce mot, qui ne fit d'abord que traverser mon esprit sous la forme d'une plainte vague, y revint bientôt comme un regret, puis s'y fixa comme une espérance.

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»Je n'étais pas l'amant d'Éliane, mais je pouvais le devenir. Dès ce moment, ô puissance de la passion, ô certitude de la jeunesse! je ne doutai plus de son salut, je n'eus plus d'appréhension pour elle, il n'y eut plus de place dans mon coeur pour le découragement. L'avenir m'apparut comme un ami qui me tendait la main et qui me criait: Aie confiance. La dernière fois que j'avais vu Éliane, j'étais un enfant sans volonté, recevant passivement toutes les impressions du dehors sans réagir sur aucune; lorsque je la revis, j'avais conscience de moi; l'amertume d'une première douleur avait sevré mon âme; d'enfant j'étais devenu homme, je voulais posséder Éliane ou mourir. Enfin, je reçus un matin un billet d'elle qui ne contenait que ces mots: «Je suis sauvée, venez.»

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»Vous dire mon ivresse, mon délire quand je revis son écriture, ne serait possible dans aucune langue. Je poussais des cris, de véritables rugissements de joie. Je tenais ce billet à deux mains comme si je craignais qu'on ne me l'enlevât; je dévorais des yeux ces caractères qui rayonnaient à m'éblouir; puis je les posai sur mon coeur pour contenir des battements si violents qu'ils me causaient une souffrance aiguë; je les portai à mes lèvres brûlantes; je tombai à genoux et je rendis grâce... Si ce fut à elle, si ce fut à Dieu, je l'ignore. Tout ce que je sais, c'est qu'en ce moment j'adorai, je bénis un être puissant et bon qui me rendait heureux. Oh! pour ce seul instant, s'il pouvait renaître, pour ce seul élan, pour cette seule étincelle qu'une immense espérance fit jaillir d'un immense amour, je voudrais revivre ces années si terribles; je reprendrais la chaîne de mes misères; je subirais toutes les tortures de ce passé si douloureux; je renoncerais à la tranquillité, à la paix que j'ai reconquise; je renoncerais à l'estime des hommes, et, je vous le dis bien bas, je renoncerais à ma propre estime que j'ai reconquise aussi!»

+

Thérèse leva les yeux sur Hervé avec l'expression d'une indicible surprise.

+

--Ô Thérèse! Thérèse! ce langage vous étonne, il vous effraye presque. Vous avez cru aussi, qui ne le croirait? que j'étais un homme mort aux passions de la jeunesse, calmé par l'expérience et la réflexion. Vous avez pensé que cet empire salutaire que j'exerce sur les autres par la persuasion et l'exemple, je le devais à une sagesse voisine de la froideur, à une intelligente insensibilité. Convenez-en, vous avez pensé qu'Hervé était aujourd'hui un homme voué au culte de l'utile, absorbé par les affaires et par les honnêtes calculs d'une ambition modérée? Cela est vrai comme tout est vrai en ce monde: à moitié. Mon âme est aujourd'hui comme les terrains de formation successive; tant de couches y sont superposées qu'il m'est difficile à moi-même d'en retrouver le fond. Mais ce que je sais, ce que je sens surtout à certains jours de souffrances plus intenses, c'est qu'elle a conservé une ardente soif d'amour, un dédain complet de cet ordre, de cette régularité qui encadrent aujourd'hui ma vie; le sentiment d'un isolement profond au sein des affections les plus tendres, et l'amer, le coupable regret des orages de ma jeunesse.

+

Hervé se tut, Thérèse n'osa rompre le silence. Rien n'est plus auguste que l'aveu des misères d'une grande âme; rien d'affligeant pour l'esprit comme de pénétrer le néant des plus fortes volontés, de toucher la couronne d'épines qui ceint le front de ceux qui ont triomphé d'eux-mêmes, et d'entendre la plainte étouffée qui gronde au fond de toute satisfaction humaine. Après avoir fait quelques pas sans rien dire, Hervé reprit ainsi:

+

«--Quand j'entrai chez Éliane, elle était seule, couchée sur une chaise longue; ses longs cheveux noirs, que j'avais toujours vus bouclés avec le plus grand soin, tombaient en désordre sur ses épaules; son regard, si brillant d'ordinaire, était abattu; sa voix presque éteinte; elle paraissait avoir beaucoup souffert. Éliane, m'écriai-je en me précipitant à ses genoux et en couvrant sa main de larmes, Éliane, tu vis, tu m'es rendue! Et je relevai la tête, et mon regard s'attacha sur le sien avec âpreté, comme pour ressaisir en une minute tout le bonheur, toute la joie que j'avais perdus loin d'elle. C'était la première fois qu'il m'arrivait de la tutoyer; elle n'en parut pourtant point surprise. Elle se souleva à demi, et posant la main sur ma tête, ainsi qu'elle avait accoutumé de le faire lorsqu'elle était un peu émue:

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»--Pauvre Hervé, dit-elle, vous m'aimez beaucoup.

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»--Beaucoup? m'écriai-je, quel mot! Veux-tu savoir combien je t'aime, Éliane, laisse-moi, laisse-moi te presser, t'étreindre contre ma poitrine, tu y sentiras un coeur qui ne bat que pour toi! Et, par un mouvement soudain, avant qu'elle pût se défendre, je passai mon bras autour de sa taille et je l'attirai vers moi. Elle n'eut que le temps de cacher son visage sur mon épaule, je couvris son cou d'ardents baisers. Parvenant enfin à se dégager:

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--Hervé, me dit-elle, et il n'y avait dans son accent ni trouble, ni colère, vous savez bien que je ne m'appartiens pas, que des sentiments aussi exaltés ne sauraient entrer dans ma vie. J'ai un mari que j'estime, des enfants dont les caresses sont la récompense de mes sacrifices. Dieu bénit en eux, j'en suis certaine, le renoncement de ma jeunesse; mon coeur saigne parfois, mais mon front est sans tache, et l'orgueil d'une conscience pure est ma force dans l'affliction. Dites, Hervé, voudriez-vous me la ravir?

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«--M'aimes-tu, m'écriai-je sans lui répondre; m'aimes-tu?

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«--Hervé, ne le savez-vous pas? ne voyez-vous pas que vous êtes mon meilleur, mon plus cher ami?

+

«--Un de vos amis, repris-je avec ironie, le meilleur même de vos amis; je suis reconnaissant de la place que vous m'avez faite, mais cette place, je ne m'en sens pas digne. Si vous ne devez avoir pour moi qu'une amitié banale, il est impossible que je vous revoie. Je sais bien que vous quitter, c'est mourir, mais vivre auprès de vous d'une misérable aumône d'affection distribuée à parts égales entre vos nombreux amis, c'est à quoi je ne me résoudrai jamais. Non, non, Éliane, mon amour est trop absolu, trop profond, trop fou peut-être, pour accepter, en échange de ce qu'il vous donnerait, un sentiment bâtard, subordonné à mille calculs. Il me faut votre amour, Éliane, il me le faut tout entier, ou bien vous me voyez en ce moment pour la dernière fois.

+

«D'où m'était venue tout à coup cette énergie, cette audace? je ne saurais l'expliquer. Le développement de la force morale ne s'accomplit pas chez l'homme dans une progression régulière et continue. Il y a tel événement, telle pensée qui peut faire en une minute l'oeuvre de plusieurs années; une de ces minutes avait sonné pour moi. Éliane le comprit, car dès ce jour, je pourrais dire dès cette heure, elle changea de manière; elle quitta le ton de supériorité condescendante qu'elle avait eu jusque-là, elle se montra craintive, suppliante; elle m'avoua qu'elle m'aimait d'amour, de l'amour le plus tendre et le plus exclusif; mais elle me conjura de ne pas abuser de cet aveu, de ne pas la rendre parjure à son mari, hypocrite avec le monde, tremblante devant Dieu.

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«Son langage fit sur moi l'impression qu'elle voulait. Je n'étais point dévot, mais comme tous les hommes, même les plus corrompus, j'aimais la piété des femmes, et j'étais facilement séduit par le côté poétique de la religion. Tout en combattant l'exagération de ses idées, j'admirais la résistance d'Éliane, et j'étais si fier de sa vertu, que je ne savais plus, par moment, si je serais joyeux ou triste de la voir succomber.

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Nos tête-à-tête, qu'elle avait rendus moins fréquents, étaient devenus plus orageux. C'étaient, de mon côté, de vives supplications; des appels à ma générosité, du sien. Quelquefois les rôles changeaient; j'arrivais chez elle calme, apaisé; c'était elle alors qui semblait oublier sa résolution et qui me prodiguait des marques de tendresse inexplicables de la part d'une femme qui voulait et croyait rester fidèle.

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«Pour vous faire concevoir jusqu'où allaient la bizarrerie, l'inconséquence de nos rapports, les singuliers incidents que sa retenue et son laisser-aller, sa dévotion et son caprice amenaient dans notre liaison, je vous citerai un fait entre mille. Elle m'avait plusieurs fois exprimé la curiosité la plus vive de voir mon appartement; c'était un enfantillage, disait-elle, mais elle tenait à savoir dans quel ordre mes livres étaient rangés, si mon bureau était bien placé; où je mettais mes armes; enfin, elle disait à ce propos cent folies charmantes que j'osais à peine écouter, tant elles présentaient à mon esprit d'enivrantes images. C'était le temps des bals de l'Opéra. Son mari était absent. Elle me proposa un jour, sans aucun préambule et comme si elle m'eût dit la chose du monde la plus simple, de venir la prendre à minuit; elle ajouta qu'elle serait masquée, que nous serions censés aller au bal, et qu'au lieu de cela je la conduirais chez moi où elle resterait jusqu'au jour. Pour un homme éperdument épris, comme je l'étais, d'une femme honorée, il y avait de quoi perdre l'esprit; je me contins, dans la crainte que, si elle voyait mes transports, elle ne comprît mieux l'imprudence de sa démarche, et je la quittai aussitôt, pensant n'avoir jamais assez de temps pour dignement préparer un lieu que sa présence allait consacrer.

+

«Je n'ai jamais été prodigue, je n'ai jamais fait à aucune époque de ma vie, par vanité, où par goût du luxe, aucune dépense excessive; mais ce jour-là, pour qu'Éliane se trouvât bien chez moi pendant une heure, je dépensai en quelques minutes mon revenu de toute une année. Je passai le reste du jour à courir dans les magasins les plus célèbres, j'aurais voulu inventer des recherches nouvelles, de nouveaux raffinements de confort et d'élégance, pour lui arracher un mouvement de surprise. Mon premier soin, comme je lui connaissais la passion des fleurs, fut de faire acheter les plus magnifiques plantes, les arbustes les plus rares, et de transformer le cabinet où je travaillais en véritable bosquet. Au milieu de ce bosquet je fis placer un meuble sculpté en forme de chaise longue, recouvert d'une étoffe de l'Inde, que l'on venait d'achever pour être envoyé en Russie. Après avoir vainement cherché un tapis qui me parût assez moelleux pour son pied de fée, je fis arranger à la hâte une fourrure d'hermine, que j'étendis devant la chaise longue, en songeant avec ravissement à l'effet que feraient sur ce tapis de neige ses deux petits souliers de satin, noirs et lustrés comme l'aile d'un corbeau. Sous un grand mimosa, dont les branches flexibles la recouvraient à moitié, je fis dresser une table où il n'y avait que la place juste de deux couverts. J'ordonnai un souper fort simple en apparence, mais composé de primeurs extravagantes. Une corbeille en vermeil admirablement ciselée, contenait des fruits savoureux, dignes d'être servis à une souveraine; je remplis moi-même deux flacons de cristal d'un vin exquis, qu'un de mes oncles, vieux marin, avait rapporté des îles.

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«Je m'étais aperçu qu'Éliane aimait la bonne chère et qu'il lui arrivait de boire capricieusement plus que les femmes ne le font d'habitude. Je n'ose pas dire que j'avais comme une vague idée, un espoir confus que peut-être ce vin capiteux, bu sans défiance, porterait le désordre à son cerveau, rendrait sa raison chancelante; vous allez trouver que c'était là une pensée ignoble, bien peu digne de l'amour idolâtre qu'Éliane m'avait inspiré. Mais, Thérèse, voyez-vous, les hommes sont ainsi faits; les plus délicats ne sont pas exempts de grossièretés inqualifiables. L'image de la femme aimée n'est jamais assez isolée sur l'autel que nous lui dressons pour que d'étranges confusions ne se fassent pas dans notre esprit. Lorsque nous nous inclinons devant elle, semblables au flot qui vient saluer la rive, nous déposons à ses pieds, comme malgré nous, le limon de nos habitudes corrompues, l'écume de nos souvenirs.

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«Éliane vint chez moi le 28 février, à une heure du matin; je n'ai jamais oublié cette date.»

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+ II +

«Lorsqu'à la lueur des candélabres dont les branches sortaient du milieu d'arbustes en fleurs, elle entrevit ces apprêts de notre tête-à-tête, ce luxe fantasque prodigué à elle seule, dans un pauvre petit réduit où elle n'avait compté trouver que l'ameublement modeste d'un étudiant, elle fut surprise, sa vanité fut à tel point flattée, qu'elle ne trouva de paroles ni pour me remercier ni pour me gronder. Par un mouvement prompt, elle dénoua son masque et laissa glisser à terre son domino. En voyant son charmant visage illuminé de joie, ses épaules et ses bras nus se dégager des plis noirs du satin, j'eus un moment de vertige. Elle était si blanche, sa robe étroite et collante dessinait une taille si svelte, ses grands yeux m'éblouissaient de tant de flammes, que je crus voir une apparition, la reine des ondines ou la fée Titania. Elle s'aperçut sans doute que mon imagination s'exaltait, et que j'étais sur une pente où bientôt il ne lui serait pas facile de m'arrêter, car elle employa sa ruse habituelle pour me contenir. Elle se hâta de me parler avec vivacité, avec enjouement, et même avec une pointe d'ironie; elle poussa la cruauté jusqu'à critiquer mon tapis d'hermine, et jusqu'à prétendre qu'une plante de gardénia, qui se trouvait auprès de la chaise longue où elle s'était couchée, lui causait un mal de tête affreux. Enfin elle me tourmenta, me harcela, m'irrita, me dérouta si bien, que je ne pensais plus à lui proposer de souper, lorsque tout à coup elle s'élança de son repos, et courant s'asseoir à table elle se prit à manger avec un appétit merveilleux. Je restais là mécontent, confus de mon personnage, me sentant gauche et le devenant de plus en plus. Elle en arriva à vouloir me faire trouver notre situation plaisante, alors je ne me contins pas. Dans la disposition romanesque où je me trouvais, la raillerie m'était odieuse; nous nous disputâmes assez vivement: je me souviens de tous ces détails comme si c'était hier; enfin elle me tendit la main; nous fîmes une espèce de paix; nous achevâmes gaiement notre petit souper. Deux heures s'étaient passées dans ces conversations à demi hostiles; elle se plaignit d'une extrême fatigue, et se recouchant sur la chaise longue, elle ne tarda pas à fermer les yeux et à s'endormir.

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«Je la contemplai d'abord avec une émotion religieuse; ce sommeil si calme d'une femme que j'adorais, et qui se trouvait chez moi, loin de toute surveillance, livrée à ma merci, était la chose la plus poétique que je pusse imaginer. Toutefois mes sens étaient trop excités, ma pensée était trop troublée, pour que de violents désirs ne s'emparassent pas de moi. Je ne pus m'empêcher de déposer sur son front un long baiser. Elle ouvrit les yeux à moitié et me parla d'une voix mourante. Ce qu'elle me dit, la résistance qu'elle m'opposa, ce que j'arrachai à sa lassitude ou ce que j'obtins de son amour, je ne saurais plus, je n'ai jamais su le discerner. C'était assez pour que je pusse m'enorgueillir de ma victoire; ce n'était pas assez pour qu'elle eût à rougir de sa chute.

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«Vous pouvez imaginer combien de pareilles scènes exaspéraient ma passion et me faisaient son esclave. Ce qui vous surprendra peut-être, c'est que notre liaison fût restée secrète et que le monde, dont Éliane redoutait excessivement l'opinion, ne se jetât pas à la traverse de nos amours. Mais outre qu'elle avait des précautions inouïes, une prudence toujours éveillée, elle était si maîtresse d'elle-même, elle parlait de moi avec un si parfait aplomb, qu'il était presque impossible de rien soupçonner. D'ailleurs la piété d'Éliane, sa régularité dans l'exercice de ses devoirs religieux, son assiduité auprès des pauvres de la paroisse, lui conciliaient à tel point l'affection des ecclésiastiques et des vieilles femmes, qu'elle avait autour d'elle comme une milice sacrée toujours prête à la défendre en toute occasion.

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«Quelque temps après cette nuit étrange, un matin que j'étais chez Éliane, on annonça le comte de Marcel. C'était un homme de quarante ans environ, brave, spirituel, de la meilleure compagnie, loyal et même chevaleresque, disait-on, dans ses rapports avec les hommes, mais débauché, cynique, et sans moralité aucune quand il s'agissait des femmes qu'il affectait de mépriser. Sa présence inopinée chez Éliane, où je ne l'avais jamais rencontré, me surprit et me déplut. Ce qui me déplut bien davantage ce fut de lui voir prendre avec elle un ton léger, persifleur, et s'établir dans son salon avec une familiarité négligente qui me sembla dépasser les bornes de la liberté permise. Je donnai de fréquentes marques d'impatience pendant sa longue visite, et, lorsqu'il quitta la place, j'éclatai en indignation, presque en reproche. Je ne concevais pas comment une femme honnête pouvait recevoir un homme pareil, je n'aurais pas supposé qu'une personne qui se respectait entendît de tels propos, souffrit une manière d'être si inconvenante. Enfin je donnai un libre cours à ma colère que fomentait déjà le premier levain d'une violente jalousie. Le comte était beau, je n'avais pu m'empêcher de lui trouver du mordant, du trait dans l'esprit, une certaine élégance, un grand air jusque dans le cynisme, quelque chose enfin de supérieur, de voulu dans son laisser-aller apparent, qui me causait une irritation sourde; et je me vengeais, en le rabaissant le plus possible, de tous ces avantages dont je ne possédais aucun. Un des plus singuliers effets de la jalousie, c'est qu'elle cause tout à la fois d'imbéciles aveuglements et des divinations en quelque sorte surnaturelles. Pour la première fois depuis que j'aimais Éliane, j'observai dans ses réponses un certain embarras qui ne me parut pas d'accord avec sa franchise ordinaire. Une ombre glissa dans mon coeur; ce ne fut pas le doute, je me serais cru le dernier des hommes si j'avais hésité à la croire en ce moment; ce fut comme une lointaine et vague possibilité entrevue de ne pas la croire entièrement toujours.

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«Elle m'expliqua que, à la vérité, elle avait peu attiré M. de Marcel jusqu'ici, parce que ses principes trop connus lui inspiraient la même répulsion qu'à moi, mais elle ajouta que d'anciennes relations de famille, d'importants services rendus à ses parents, lui faisaient un devoir de l'accueillir en ami, et autorisaient jusqu'à un certain point les libertés qu'il prenait chez elle. Elle parla longtemps sur ce ton.

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Je ne répondis rien, je n'aurais pas osé avouer de la jalousie; des conseils dans ma bouche eussent été déplacés. J'en avais déjà trop dit; je me tus. Je devins pensif, et, rentré chez moi, je m'abandonnai à une grande tristesse. Un sentiment inconnu jusqu'alors envahit mon coeur.

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C'était une douleur fiévreuse, sans nom et sans objet, un chagrin dont la puérilité me faisait rougir, et dont pourtant je ne savais pas me défendre; j'étais jaloux, éperdûment jaloux; et cela à propos d'une misère, à propos de rien; jaloux de la plus vertueuse femme qu'il y eût au monde; c'était de quoi me prendre moi-même en grande pitié. «Dès ce jour commença pour moi une période de souffrance toujours croissante; je ne crois pas qu'il soit au monde de tourments plus odieux que celui d'un coeur fier aux prises avec la jalousie, cette passion basse que les poëtes ont tenté d'ennoblir, mais dont le principe est, presque toujours, dans un intérêt égoïste et brutal ou dans un amour-propre désordonné. Il est bien rare que l'amour pur, si emporté qu'on le suppose, se montre jaloux et défiant. C'est ce qu'il y a de maladif, de mauvais en nous, qui sert d'aliment aux flammes de la jalousie. J'en fis alors la triste épreuve, car, à ses premières lueurs, je découvris en moi des petitesses, des lâchetés dont je n'avais pas jusque-là soupçonné l'existence.

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«Ma passion pour Éliane, en paraissant s'accroître, changea de nature. Je n'allais plus chez elle avec simplicité et ouverture de coeur, pour jouir de sa douce présence et des épanchements de notre amour. J'y allais avec la pensée de rencontrer Marcel, avec une sorte de désir âpre de les surprendre, de rompre leur tête-à-tête. J'étais désappointé quand il ne s'y trouvait pas. Son nom me revenait sans cesse à la bouche, Éliane le prononçait-elle, au contraire, mon coeur se serrait douloureusement et mes yeux s'emplissaient de larmes. Je m'aperçus bientôt qu'Éliane évitait de me faire rencontrer avec le comte, et je crus même surprendre, quand je les voyais dans le monde, où il ne la quittait guère, des sourires d'intelligence échangés entre eux. J'en devins comme fou, et je m'oubliai un jour jusqu'à vouloir exiger d'Éliane qu'elle cesserait de le voir; je lui fis d'absurdes menaces: puis voyant que je n'obtenais rien ainsi, je me montrai faible comme un enfant; je pleurai sur son sein, je la conjurai de prendre en pitié ma souffrance. Elle me répondit qu'elle ne pouvait faire un pareil éclat, que les choses s'arrangeraient d'elles-mêmes par le prochain départ de Marcel. Elle raisonnait à perte de vue, quand moi je divaguais de la façon la plus déplorable. Aussi dans ces sortes de scènes, qui se renouvelèrent plusieurs fois, je finissais toujours par lui demander pardon; je la quittais mécontent de moi, admirant sa sagesse et maudissant ma folie. Quant au comte, il ne semblait pas s'apercevoir de ces orages. Il ne me témoignait ni éloignement ni sympathie; il était avec moi strictement poli, rien de plus, rien de moins, et ne tenait guère compte de ma présence. Moi je le haïssais; j'aurais voulu le tuer; j'épiais sans cesse un sujet de querelle. Je fus trop exaucé: j'étais réservé au plus triste des châtiments, à celui que l'homme, égaré par sa passion, rencontre dans l'accomplissement même de ses aveugles désirs. «Il y avait près de deux mois que duraient mes angoisses; je ne voyais pas d'issue à ce labyrinthe de soupçons, de reproches, d'explications, de révolte où j'étais entré. Mon cerveau fatigué n'avait plus la faculté d'envisager sainement quoi que ce soit, mon coeur se gonflait d'amertume; j'étais dans un état lamentable. Vous concevez ce que je dus éprouver, lorsqu'un jour, en entrant chez Éliane, je la vis accourir au-devant de moi, ce qu'elle ne faisait jamais, et se jeter à mon cou en fondant en larmes.

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«Depuis mes ridicules querelles, elle s'était montrée plus froide, plus réservée. Je m'attendais si peu à une démonstration pareille, que je demeurai pétrifié, en croyant à peine mes yeux.

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«--Éliane! m'écriais-je.

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«Et dans ce nom, prononcé ainsi en la serrant contre mon coeur, je retrouvai ma joie, mon espoir, mon aveugle amour.

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«--Hervé, me dit-elle, m'aimes-tu encore? me pardonnes-tu tes tristesses? les chagrins que je t'ai causés, veux-tu les oublier? Hervé! si tu savais, ah! j'en suis cruellement punie!

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«Ses sanglots lui coupèrent la parole. Troublé, ému, orgueilleux tout à coup, je la conduisis, je la portai presque jusqu'à son fauteuil, et je m'agenouillai devant elle.

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«Alors seulement je vis l'altération effrayante de ses traits; une pâleur mortelle couvrait ses joues, son oeil était ardent et sec.

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«--Que j'étais insensée, reprit-elle, de croire à un bon sentiment chez cet homme pervers! Hervé, si tu savais comme il m'a traitée!... Quel affront sanglant!...

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«--Que dites-vous? m'écriai-je. Quand, où, comment? Qu'a-t-il fait? Où se cache-t-il? Ô mon Dieu! depuis si longtemps je me contiens! La voilà donc arrivée enfin, mon heure!... Mais encore une fois, Éliane, qu'a-t-il fait?

+

«Un affront public, un outrage dont il se vante sans doute en ce moment dans tout Paris. Hier soir, à l'ambassade de Sardaigne, sa soeur, la marquise de R***, qu'il affecte d'aimer pour faire croire qu'il est capable d'aimer quelque chose, était venue s'asseoir auprès de moi; sans nous connaître autrement que de vue nous échangeâmes cependant quelques paroles. Mais tout à coup M. de Marcel, qui était à l'autre bout du salon, fendit la foule, vint droit à sa soeur, et jetant sur moi un regard impudent: «Vous n'êtes pas bien là, Marguerite, dit-il en haussant la voix, ce n'est pas là une place convenable pour vous.» Puis il lui prit le bras et l'emmena dans une autre pièce. Son intention était évidente. Soit qu'il voulût faire comprendre que sa soeur était une trop grande dame pour se commettre avec une bourgeoise, soit que dans son rôle d'homme à bonnes fortunes, il entrât de donner à croire à tous ceux qui nous entouraient qu'il était mon amant et qu'il ne voulait pas voir sa soeur auprès de sa maîtresse, toujours est-il que le coup a porté, et qu'aujourd'hui, si vous ne détournez les propos en donnant le change, je suis la fable de la ville.

+

«--Je cours lui en demander raison, m'écriai-je.

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«--Vous n'y pensez pas, reprit-elle; le comte vous recevra en fumant sa pipe; il vous dira qu'il ne sait à qui vous en avez, vous plaisantera sur l'intérêt que vous prenez à moi, et cette démarche ne servira qu'à me compromettre davantage. Non, non, j'ai pensé à tout, j'ai réfléchi toute la nuit. Il n'y a qu'un moyen, il faut lui rendre au centuple son insolence; il faut l'insulter publiquement, et cela dans la personne de sa soeur. C'est son seul endroit vulnérable; il a l'orgueil de son nom à un point inouï. Allez ce soir au bal de lord C***, vous les y trouverez, elle et lui, sans aucun doute; saisissez un moment où il sera près d'elle, trouvez moyen de lancer quelques mots railleurs sur la marquise; il répondra, cela est certain; une querelle s'engagera naturellement, et je serai doublement vengée.

+

«Cette combinaison, si habile qu'elle fût, ou peut-être à cause de son habileté, révolta tout ce qu'il y avait en moi d'honnêteté et de délicatesse.--Prenez garde, Éliane, lui dis-je, votre trop juste ressentiment vous emporte. Vous me demandez une chose impossible. Insulter une femme, qui, après tout, n'est aucunement coupable envers vous, ce serait une lâcheté.

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«--Ce ne sera point une lâcheté, interrompit Éliane, puisqu'il y aura là un homme pour la défendre. D'ailleurs je la hais, ajouta-t-elle avec un accent qui m'épouvanta.

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«--Au nom du ciel, Éliane, songez...

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«--Je songe, reprit-elle, que vous êtes bien circonspect.

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«Ce mot si blessant fit son effet. Je fus d'une pitoyable faiblesse.

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Faisant taire ma conscience, et mon honneur, je n'écoutai plus que sa colère; je promis tout ce qu'elle voulut, comptant un peu sur le hasard; mais le hasard qui sert les volontés fortes ne vient jamais en aide aux caractères faibles. La marquise de R..., qui avait eu pendant longtemps une réputation irréprochable, était cette année-là en butte à la malignité du monde. Son mari voyageait depuis près d'une année; on voyait assidûment chez elle un jeune homme fort à la mode; on remarquait qu'elle devenait triste, soucieuse; les plus téméraires dans leur méchanceté faisaient observer que sa taille svelte perdait de sa grâce, qu'elle prenait un embonpoint singulier; le mot de grossesse avait même été prononcé. Ce fut de ces honteux propos que je me souvins lorsque, étant arrivé au bal, la vue de Marcel ranima ma colère et chassa mes derniers scrupules. Je me hâtai d'engager la marquise pour une prochaine valse, et, le moment venu, je vis avec une joie vraiment féroce que son frère l'avait rejointe et qu'il ne pourrait pas ne pas entendre les impertinences que j'allais lui dire. Quand l'orchestre donna le signal je m'approchai de la marquise, et, feignant de la regarder avec inquiétude: «Voici, madame, la valse que vous avez daigné me promettre, dis-je, mais, en vérité, je me fais scrupule d'user de mon droit; vous paraissez fatiguée, souffrante même; peut-être le repos vous serait-il plus conseillable que la danse.

+

«Soit que la malheureuse femme fût réellement coupable, soit qu'elle eût connaissance des bruits qui couraient, elle rougit. Marcel, qui était derrière sa chaise, attacha sur moi un oeil interrogatif, c'était ce que je voulais.

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«--Je ne suis point lasse, monsieur, me dit-elle timidement et je danserai volontiers.

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«--J'en serais heureux, madame, continuai-je avec une détestable effronterie, mais vous respirez avec peine... Il est des circonstances, ajoutai-je en me penchant à son oreille, où la plus légère fatigue peut devenir dangereuse.

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«--De grâce, monsieur, dit la marquise d'un air suppliant et entièrement décontenancée par les sourires que ces insinuations avaient appelés sur les lèvres de ceux qui nous entouraient...

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«En ce moment Marcel se leva, et me séparant de la marquise par un mouvement brusque:

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«Vous avez raison, monsieur, me dit-il; je suis également d'avis que ma soeur ne danse pas, et, si vous le trouvez bon, nous irons pendant la valse faire un tour de jardin ensemble.

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«Je le suivis.»

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+ IV +

«En descendant les degrés du perron, Marcel me dit d'un accent bref:

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«--Le ton que vous venez de prendre avec ma soeur ne me convient pas, monsieur; j'ignore ce que vous lui avez dit et je n'ai pas souci de l'apprendre; mais votre air railleur m'a déplu et je vous prie de vouloir bien m'expliquer...

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«--Je ne donne point d'explication des airs que je puis avoir, interrompis-je, ayant hâte d'en venir à un cartel, prenez-les comme bon vous semblera.

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«--Il suffit, dit Marcel; veuilles avoir l'obligeance de rester ici une minute, un de mes amis va venir de ma part pour s'entendre avec vous.

+

«Je fis une légère inclination de tête. Un quart d'heure après, le témoin du comte et un de mes cousins, qui fit l'office de mon second, étaient convenus que le lendemain à huit heures on se battrait à l'épée, c'était l'arme à la mode cette année-là, au bois de Boulogne. Rentré chez moi, je fis, avec une solennité empressée, mes dispositions en cas de mort. J'écrivis à Éliane une lettre remplie de conseils évangéliques.

+

Je pardonnai aux ennemis que je n'avais pas, je laissai des souvenirs aux amis que je n'avais guère davantage; enfin je passai la nuit dans un accès d'héroïsme fiévreux, dans un monologue déclamatoire, dont je n'ai pu m'empêcher de sourire quelquefois depuis en y songeant.

+

«Heureusement un sommeil de quelques heures, l'air vif du matin, la présence de Marcel et des témoins me ramenèrent à un sentiment plus simple et plus calme des choses. Je puis vous le dire, aujourd'hui que certes nulle vanité rétrospective ne se mêle à ce récit, je me battis avec le sang-froid et l'adresse d'un homme consommé dans l'habitude des armes, et j'entendis Marcel, au moment où, blessé assez grièvement, il s'appuyait sur son témoin, dire ces paroles qui me semblèrent un brevet d'honneur dans la bouche d'un homme aussi réputé pour sa bravoure: «--En vérité, on ne s'est jamais battu plus galamment; cela s'appelle manier l'épée en gentilhomme.

+

«Le chirurgien déclara que la blessure de Marcel ne présentait aucun danger immédiat. J'en fus heureux. Ce duel avait tout à coup apaisé ma colère; je ne me souvenais plus d'avoir été jaloux; je ne songeais qu'à la satisfaction de m'être bien montré dans une semblable rencontre. Le plaisir d'avoir vengé Éliane ne venait même qu'en seconde ligne. Vous ne pouvez vous figurer combien on est fier, dans la jeunesse, d'acquérir la certitude qu'on est véritablement brave et qu'on sait faire bonne contenance en présence du danger. Un premier duel est une crise dans la vie d'un homme: c'est comme une initiation, comme, dans un autre ordre d'idées, un sacrement reçu: c'est une confirmation de l'honneur. «Ne pouvant me présenter chez Éliane aussi matin, je lui fis savoir l'issue de mon affaire avec M. de Marcel, et dans l'après-midi, j'allai suivant l'usage m'informer de l'état du blessé. On me dit qu'il se sentait aussi bien que possible, que le chirurgien assurait toujours que la blessure n'avait aucun caractère alarmant. Le comte avait donné l'ordre de me faire entrer si j'en témoignais le désir. J'avoue que je fus flatté de cet ordre, et je me fis immédiatement annoncer à M. de Marcel. Il me parut bien; il était à peine un peu pâli et se mouvait dans son lit sans aucune gêne apparente. Il me reçut avec une extrême politesse. Après avoir répondu brièvement à mes questions sur l'état où il se trouvait:

+

«--À mon tour, monsieur, me permettez-vous, me dit-il, de vous interroger? Je n'en ai pas le droit, et vous avez répondu à l'avance, de la pointe de votre épée, à tout ce que je pourrais vouloir d'éclaircissements sur le sujet qui a amené notre rencontre; toutefois, monsieur, j'ai près du double de votre âge, je pourrais être votre père; me direz-vous, à ce titre, comment il se peut qu'un homme d'honneur, un gentilhomme, qui a du monde et du savoir-vivre, s'attaque à une femme ainsi que vous l'avez fait hier.

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«Je demeurai un peu confus. Le comte m'avait toujours imposé malgré moi.

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En ce moment son accent était si calme, si noble, il avait si complétement raison de me parler ainsi, que pour toute réponse je balbutiai.

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«--J'ai déjà eu l'honneur de vous dire, continua-t-il, que je n'ai point entendu vos propos; je n'ai pas questionné ma soeur; je ne veux pas apprendre de vous ce que vous lui avez dit; mais enfin, monsieur, qui le saurait mieux que vous? ce n'est pas de ce ton goguenard et impertinent qu'il convient d'aborder une femme comme elle, n'est-il pas vrai?

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«--Pourquoi donc, alors, dis-je en reprenant contenance, pourquoi, vous, monsieur le comte, aviez-vous insulté la veille, au bal, une femme également digne de tous vos respects?

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«--Ah! j'en étais certain, s'écria Marcel en faisant un mouvement brusque qui lui arracha un signe de douleur, c'est cette détestable créature qui est derrière tout cela! C'est Éliane qui vous pousse...

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Mais savez-vous bien, monsieur, de qui vous parlez, quand vous l'appelez une femme respectable?

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«Je le priai avec calme, quoique la colère m'eût fait tout à coup monter le rouge au front, de ne pas s'exprimer ainsi devant moi sur le compte d'une personne qui m'était chère. Il sourit avec ironie.

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«--Écoutez, monsieur, me dit-il en reprenant son sang-froid, je n'ai aucun intérêt à calomnier madame... auprès de vous. Quoi que vous en puissiez penser, je ne dispute ses faveurs à personne. Je ne suis point jaloux de mes nombreux rivaux; mais tenez, je vais vous parler en gentilhomme, vous avez aujourd'hui gagné mon coeur par votre parfaite tenue, par votre bonne grâce à manier l'épée. Un homme qui se bat bien, qui est correct en matière d'honneur, comme nous disons, nous autres vieux du métier, a droit à toutes mes sympathies. La façon dont vous vous êtes comporté ce matin, m'a non-seulement fait vous pardonner la cause de notre querelle, mais encore (ne me trouvez pas trop singulier), elle m'a vivement intéressé à vous. Je vous le répète, je serais votre père: eh bien, laissez-moi vous donner un conseil. Vous êtes jeune, vous avez de l'avenir, ne vous empêtrez pas dans les lacs de cette femme, vous ne savez pas jusqu'à quel point cela peut vous devenir funeste.

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«Je voulus l'interrompre.

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«--Mon Dieu, je vous choque, je blesse en ce moment un sentiment exalté peut-être; vous n'êtes pas le premier qu'Éliane a séduit; c'est une véritable sirène... Maïs croyez-moi, si vous vous y abandonnez, vous ne recueillerez de cet amour qu'ennuis et dégoûts de toute sorte; peut-être même finirez-vous par faire de mauvaises actions pour lui plaire, car elle exerce un pouvoir inouï sur tout ce qui l'entoure, personne ne l'approche impunément... Moi qui vous parle, et qui ne me suis pas pris comme un enfant dans ses pièges, vous voyez pourtant que me voici puni de ne m'être pas toujours tenu à distance.

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«Le comte avait, en me parlant, un accent si vrai, si loyal, son regard était si paternel, sa parole si simple et en même temps si pleine d'autorité, qu'il m'imposa silence; il continua ainsi:

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«--Mais il ne faut pas que son triomphe soit complet; il ne faut pas que, pour une aussi vile créature, deux hommes d'honneur se méconnaissent, se prennent de haine l'un pour l'autre; il y a assez longtemps qu'elle fait des dupes. J'ai acquis le droit de la démasquer; je le ferai.

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«Je croyais, en entendant le comte parler de la sorte, que le délire m'avait pris. Je sentais le sol se dérober sous moi; j'étais comme frappé de la foudre. Marcel sonna, fit ouvrir son secrétaire, demanda un grand portefeuille à serrure qui s'y trouvait, et me le montrant:

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«--Ce portefeuille, me dit-il, contient à peu près tout le secret de la vie d'Éliane; il renferme une longue correspondance et d'autres papiers écrits de sa main, dans lesquels toute la fausseté, tout l'odieux de son caractère sont dévoilés. Elle qui a, toute sa vie, été prudente, circonspecte de telle façon que le monde, encore à l'heure qu'il est, ne soupçonne rien de ses déportements, elle a commis une faute immense: elle s'est confiée une fois, une seule fois, mais entièrement, sans restriction, sans pruderie, je vous le jure, à une femme; et cette femme l'a trahie pour moi.

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«Je fis une exclamation.

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«--Ce n'était pas une grande dame, ce n'était pas même une honnête femme, c'était tout simplement une courtisane, mais très-bonne, et valant cent fois mieux qu'Éliane qu'elle avait connue, je ne sais où ni comment, et dont elle était devenue, sans trop en avoir conscience, l'instrument, la confidente, le recours, à certaines heures de ces dangers auxquels les femmes qui mènent de front plusieurs intrigues sont souvent exposées.

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«Cette chère Zélia qui m'aimait, je crois, assez sincèrement, mais qui pourtant ne m'avait jamais laissé deviner ses relations mystérieuses avec Éliane, est morte il y a six mois, fort tourmentée d'une sorte d'engouement qui m'avait pris pour son amie en la voyant dans le monde. Voulant me prémunir sans doute contre les dangers qu'elle prévoyait, elle me remit à son lit, de mort le portefeuille ci-joint, en me faisant jurer de le brûler après l'avoir lu; mais on ne tient pas les serments faits aux femmes, cela ne compte pas; j'ai gardé le portefeuille, et le voici à vos ordres, si vous voulez avoir une idée nette de ce que peut être la corruption chez le beau sexe quand une fois il s'en mêle.

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«J'avoue, continua le comte, que lorsque je parcourus ces pages, qui recélaient le secret de tant d'intrigues, de perfidies, de mensonges, il me prit une violente curiosité, la maladie de notre temps, la curiosité de la dépravation. Je fus moins sage alors que je ne vous parais aujourd'hui; je voulus connaître Éliane et devenir son amant. Cela ne fut pas difficile. Elle sut à n'en pas douter que je possédais cette correspondance. Dès lors il s'engagea entre nous une lutte pleine de péripéties; elle voulait ravoir le portefeuille, moi je voulais le garder, de nous deux je fus le plus habile; elle céda sans condition, s'en rapportant à ma bonne foi, comme vous pourrez vous en convaincre dans quelques billets qu'elle n'a pas craint de m'écrire, car elle n'avait plus rien à risquer avec moi; elle jouait le tout pour le tout. Ces lettres, je les ai jointes à celle de Zélia, elles sont là aussi.

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«En ce moment on annonça le docteur. Marcel me fit signe de prendre le portefeuille. Je lui serrai la main et je sortis en silence, la mort sur les lèvres, l'enfer dans le coeur. Quand j'arrivai chez moi, je ne sais ce que j'avais pensé en route, quelle étrange confusion s'était faite dans mon cerveau, ni comment j'avais pu oublier si vite la parole du blessé, son regard convaincu, tout ce qui enfin mettait hors de doute la véracité de son récit; mais j'étais persuadé que ce qui venait de se passer ne pouvait être qu'une plaisanterie, une vengeance peut-être, exercée par Marcel, une épreuve faite sur ma crédulité, dont j'allais trouver l'explication et l'excuse dans le portefeuille.

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«Cela était bien incroyable, bien impossible assurément, mais pour moi, tout au monde était croyable, tout était possible, hormis l'avilissement d'Éliane. Je posai le portefeuille sur ma table, je le regardai longtemps d'un oeil hébété; un nuage était devant mes yeux, il me semblait que quelque chose de glacé s'était posé sur mon coeur; je ne me sentais plus ni impatience ni curiosité, je n'avais pas même peur; tous les ressorts de mon être étaient relâchés; ce grand ébranlement, ce choc inattendu avaient comme arrêté soudain en moi la vie et l'intelligence. Ce fut par un mouvement machinal que je tournai la clef dans la serrure du portefeuille, et certes si quelqu'un fût entré en ce moment et m'eût demandé ce que je faisais là, je n'aurais pas su répondre. Il y a dans la vie de l'homme des heures rapides, décisives, chargées de choses, où l'on dirait que le destin a hâte de faire son oeuvre à lui tout seul, et ne laisse ni à la volonté ni à la réflexion le temps d'agir.

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«La vue même de l'écriture d'Éliane ne me fit pas sortir de ma torpeur; je ne pouvais plus en douter, pourtant, le récit de Marcel se confirmait; j'avais bien là sous les yeux une volumineuse correspondance, dont quelques mots saisis au hasard, en tournant rapidement les feuilles, me blessaient comme des pointes aiguës. Je suis certain que ces lettres passèrent plus de vingt fois dans mes mains tremblantes, avant que j'eusse bien compris de quoi il s'agissait. Enfin un billet de date toute récente, adressé à Marcel, me causa une sensation plus vive, m'entra plus avant et d'une pointe plus acérée dans le coeur.

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«Je m'éveillai comme en sursaut; une sueur froide inonda mon visage, ma douleur éclata et je me laissai tomber à terre en poussant des cris. Je crois que je restai là plusieurs heures à pleurer et à me tordre. Je ne pense pas que tristesse plus amère ait jamais envahi plus complétement une âme aussi ouverte, aussi mal défendue; ce fut comme un flot noir qui passa tout à coup sur ma tête et qui emporta avec lui, pour ne jamais me les rendre, ma jeunesse, mon amour et mon facile bonheur. Un coup frappé à ma porte m'arracha à cette première crise de pleurs et de sanglots.

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J'allai ouvrir. C'était un billet d'Éliane qu'on m'apportait. Je le jetai sans le regarder. Mon transport s'étant un peu calmé, mon cerveau étant devenu un peu plus lucide par l'abondance de mes larmes, je me rassis, et j'eus cette fois le courage de lire jusqu'au bout la fatale correspondance. Lecture effroyable! Marcel ne m'avait pas trompé.

+

«Ces lettres, écrites sans doute dans des moments où Éliane ressentait le besoin, qui saisit même les plus hypocrites, de soulever un instant le masque qui les offusque, laissaient voir à nu des vices, des turpitudes où l'oeil le plus aguerri eût hésité à plonger. Ce n'étaient pas seulement les intrigues multipliées d'une femme galante dont je trouvais les trop certains indices, c'étaient encore les raffinements d'une froide corruption et toutes les bassesses que le goût immodéré de la dépense et du faste peut faire commettre à un être sans moralité et sans autres principes que ceux d'un épouvantable égoïsme. «Vous ne pourrez jamais vous figurer, ma chère Thérèse, quel affreux ravage porta en moi cette nuit de désolation, où je ne fis que lire et relire ces lettres funestes. Quand on a acquis l'expérience du monde, on se reporte difficilement à ces heures de jeunesse où la passion libre, forte, croyante et simple, règne seule sur le coeur. À ce moment de la vie, on ne se représente jamais le mal que sous des dehors repoussants; la beauté, les grâces du corps semblent une image fidèle de la perfection de l'âme; une femme aimée est toujours un ange. On ne pourrait pas comprendre l'existence de ces êtres doués de tous les charmes et gangrenés de tous les vices, tels qu'une société vieillie dans la corruption peut seule les produire.

+

J'ai quelque peine, moi-même, à me rappeler de quelle hauteur j'étais en ce moment précipité. L'excès de ma douleur était tel que je n'avais plus aucune notion ni de temps ni de lieu. Je demeurai toute la nuit et tout le jour suivant seul, enfermé dans ma chambre, l'oeil fixe et morne, sans parler, sans songer à prendre de nourriture. J'écoutais machinalement le bruit égal et régulier de ma pendule, je suivais les mouvements du balancier; il me semblait voir quelque chose de mystérieux et de terrible dans les chiffres du cadran, et quand l'aiguille les touchait, j'éprouvais une angoisse puérile. Quelquefois je me jetais à genoux, mais je me relevais tout à coup en éclatant de rire comme un insensé. Le soir venu, mon domestique, inquiet de n'avoir pas été appelé une seule fois dans la journée, vint me demander si je n'avais pas d'ordre à lui donner. Sa vue me rendit la conscience de moi et de ce qui s'était passé.

+

Je pensai à Marcel et j'envoyai savoir de ses nouvelles. Au bout d'une demi-heure, on revint me dire qu'on était assez inquiet, que le comte avait passé une nuit détestable, qu'une fièvre très-forte s'était déclarée le matin, et qu'un second médecin venait d'être appelé. Les gens de la maison croyaient, ajouta mon domestique, que le chirurgien qui avait fait les premiers pansements s'était trompé, et que la blessure était bien plus grave qu'on ne l'avait craint d'abord. Un peu secoué par ces nouvelles, je voulus aller moi-même savoir l'exacte vérité, mais une défaillance de coeur me prit encore. Après avoir renvoyé mon domestique, je me laissai tomber sur mon fauteuil. «Éliane! m'écriai-je douloureusement, Éliane!...» À l'instant même, et comme si elle eût pu m'entendre, elle ouvrait ma porte et je la vis devant moi.»

+

«Frappée sans doute de ma pâleur et du bouleversement de mes traits:

+

--Qu'avez-vous, Hervé? s'écria-t-elle, m'aurait-on trompée?... Seriez-vous blessé? Pourquoi ne m'avoir pas écrit? Pourquoi n'être pas venu?

+

Cette voix si douce, ce regard qui descendait sur moi comme un rayon, me donnèrent encore un moment d'illusion, presque de bonheur. Je la contemplai sans rien dire, puis je fondis en larmes. Elle s'était approchée de moi; mon fauteuil touchait à la table sur laquelle j'avais laissé le portefeuille de Marcel tout ouvert; son châle, en frôlant cette table, fit voler en l'air quelques-unes des lettres. Il faut croire qu'elle connaissait le portefeuille, ou que, voyant sa propre écriture, elle devina à l'instant même, car elle pâlit.

+

«--Qu'est-ce que cela? me dit-elle vivement.

+

«--C'est un souvenir que me laisse Marcel, lui dis-je en attachant sur elle un regard qui l'eût tuée, si cette femme avait eu un coeur; c'est un legs; il va peut-être mourir, il ne veut pas que je puisse vivre après lui. Il m'a donné vos lettres...

+

«Aussitôt, et comme pour s'assurer que je ne l'abusais pas, elle s'élança sur le portefeuille. À la façon dont elle le saisit, toutes les lettres s'en échappèrent. Elle ne put plus douter, elle était trahie, dévoilée. J'ignore ce qui se passa dans son esprit, je ne sais quel démon lui inspira subitement la seule chose qui pût la sauver, mais sans presque changer de visage et sans hésiter une minute, elle se jeta à mes genoux et joua la plus transcendante comédie qui jamais, peut-être, ait été jouée depuis que l'on se trompe et que l'on se trahit dans ce monde.

+

«Nier était impossible; expliquer, atténuer, excuser, rien de tout cela ne se pouvait; elle comprit vite, car elle avait le génie du mal.

+

«--Hervé! Hervé! s'écria-t-elle d'une voix qui eût ému le marbre, et en tenant malgré moi mes genoux embrassés, Hervé, je suis la plus misérable des créatures, la dernière des femmes! Il n'y a pas en ce monde de châtiment assez rude pour moi; je ne sais pas de parole qui me flétrisse assez; une fatalité épouvantable m'a entraînée; je suis tombée de déception en déception, d'égarement en égarement, jusqu'au plus profond de l'abîme; j'ai enfin commis le plus grand des crimes, puisque j'ai aussi trahi votre amour, votre saint et noble amour. Je ne vous demande ni pitié ni pardon. Je sais que vous ne pouvez plus aimer une femme telle que je suis devenue, malgré Dieu lui-même qui m'avait fait naître avec un noble coeur et capable peut-être de grandes vertus... Mais voyez-vous, Hervé, ne me refusez pas la dernière grâce que j'implore de vous. Je ne survivrai pas à la douleur de voir se briser si cruellement mon dernier espoir de vertu... votre amour. Mais je veux avoir eu du moins le seul courage qui me soit possible, celui d'une sincérité sans bornes; je veux que vous entendiez comme un prêtre ma confession tout entière, et peut-être prononcerez-vous sur ma tête courbée une parole de paix et de miséricorde.

+

«Elle continua ainsi longtemps; elle fut pathétique, éloquente; elle déroula à mes yeux toute une vie de dérèglements et d'hypocrisie à faire trembler. Mais telle est la puissance de l'aveu, que, à mesure qu'elle s'accusait, elle semblait se purifier et se grandir. Ce qui m'avait fait horreur à lire loin d'elle, je l'écoutais avec une sorte de terreur presque respectueuse; les actes les plus condamnables, au moment où elle s'en confessait, se paraient à mes yeux d'une beauté sinistre; elle me fascinait et me dominait en raison même de sa honte, car je ne voyais plus dans ses bassesses que son courage à me les révéler. On eût dit, à me voir pâle, frémissant, éperdu, et à l'entendre, elle, me parler d'une voix vibrante, sa belle main tenant la mienne avec force, comme si elle eût craint que je ne lui échappasse, on eût dit que j'étais le coupable et qu'elle allait m'absoudre ou me condamner. Enfin, que vous dirais-je?

+

elle était divinement belle. Il vint un moment où je n'entendis plus rien, où mon regard perdu dans le sien n'y vit plus que les flammes d'un ardent amour, où mes lèvres attachées à ses lèvres y burent le poison d'une volupté terrible, où tout disparut, tout s'abîma, tout s'anéantit dans le sentiment de cette volupté.»

+

Hervé s'interrompit. Thérèse lâcha son bras. Elle respirait à peine. Ils firent quelques pas séparés.

+

--Ne vous lassez pas de moi, dit enfin Hervé, nous approchons de la conclusion. Encore un peu de patience, et le récit de mes pitoyables faiblesses sera terminé.

+

«Je tombai dans une sorte d'assoupissement causé, je pense, par la longue tension de mes nerfs, l'abondance de mes larmes, et aussi l'absence totale de nourriture depuis vingt-quatre heures. C'était une complète prostration de forces. Je ne sais au bout de combien de temps je m'éveillais, mais il faisait sombre, les lumières étaient éteintes; je rallumai une bougie, tout en cherchant à rappeler mes esprits; je ne savais pas si je sortais d'un affreux cauchemar, d'une léthargie... Je regardai autour de moi comme pour chercher Éliane. Il n'y avait personne dans la chambre; mes yeux rencontrèrent la table; le portefeuille avait disparu.

+

«Je ne m'arrêterai pas davantage à vous peindre ma fureur et mon désespoir; la Providence avait choisi ces jours pour épuiser sur moi sa colère. Vers neuf heures du matin, on m'apporta un billet d'Éliane ainsi conçu:

+

«Le comte de Marcel est au plus mal; on s'était grossièrement trompé sur sa blessure. La fièvre et le délire ne l'ont pas quitté depuis douze heures. Il n'a plus, selon toute apparence, que très-peu d'instants à vivre. Mon coeur est brisé par ce malheur; je ne me consolerai jamais de la fin si cruelle d'un de mes meilleurs amis. Vous comprendrez, monsieur, qu'il me devienne impossible, au moins d'ici à bien longtemps, de vous recevoir chez moi.»

+

«La lecture de ce billet ne me causa presque aucune émotion, tant je les avais toutes épuisées la veille. Notre coeur est aussi impuissant pour la douleur que pour la joie. Il y a un terme que nous ne dépassons guère: au delà c'est l'abrutissement ou la défaillance. Le fond des deux calices est vite atteint; c'est un breuvage de même saveur et d'effet pareil, une lie narcotique qui engourdit l'âme et la plonge dans une stupide insensibilité.

+

«Une seule pensée me restait distincte: je voulais partir, quitter à l'instant Paris, ne plus voir un visage connu, fuir ces tristes murailles qui semblaient chargées de malédictions. Je croyais, j'étais bien jeune, qu'on se fuyait soi-même, et que, en allant loin, bien loin, au delà des monts et des mers, j'irais aussi, peut-être, au delà de ma douleur.

+

«Je m'embarquai à Marseille pour l'Amérique du sud. Pendant les huit jours que je restai là à attendre le premier vaisseau qui ferait voile pour Rio-Janeiro, j'appris deux nouvelles funestes: la mort de Marcel et le retour à Paris de son beau-frère, le marquis de R***, qui, averti par des amis charitables, avait saisi une correspondance, portait partout ses plaintes et menaçait d'un procès qui alla achever de perdre la marquise, déjà cruellement compromise par le duel et la mort de son frère, dont elle était regardée comme l'unique cause.

+

«Durant toute la traversée, je quittai à peine ma chambre, si l'on peut donner ce nom aux six pieds carrés qui contenaient mon lit et ma table.

+

J'avais d'effroyables accidents nerveux, on me prenait pour un homme frappé d'aliénation mentale; personne n'était désireux de m'aborder, mais j'avais un compagnon invisible, le sentiment constant, aigu, de mon crime, le remords, qui ne me laissait de repos ni jour ni nuit. Un reste de religion, ou peut-être tout simplement l'horreur naturelle d'une organisation robuste pour la destruction, m'empêchèrent d'attenter à ma vie. Tout ce que je fis, tout ce que je tentai pendant près de deux années pour trouver du répit fut vain. J'allais, j'allais toujours, sans m'arrêter, de ville en ville, de désert en désert; je parcourus les plus beaux pays du monde, je vis les scènes les plus grandioses de la nature; je pressai, j'entassai les images dans ma mémoire, mais ma pensée, sans se lasser non plus, franchissait tous les obstacles que j'élevais entre elle et ma faute; elle s'acharnait à sa proie; et cette proie c'était mon propre coeur que rien ne soulageait alors, que rien depuis n'a su guérir.

+

«Les émotions du jeu me tentèrent; je gagnai d'abord immensément, puis je perdis à peu près tout ce que je possédais, sans plus m'affecter de la perte que du gain. Seulement cette ruine presque totale me força de revenir en Europe et de me rapprocher de ma famille, qui ne savait ce que j'étais devenu et à laquelle je fus contraint de recourir. Ce fut une dernière misère assez vivement ressentie par mon orgueil. Je ne pus me résoudre toutefois à remettre les pieds sur le sol de la France. Je débarquai à Livourne, d'où je me rendis à Florence. Je m'étais déterminé presque machinalement à aller là plutôt qu'ailleurs, J'avais rencontré à bord un moine italien avec lequel, durant la traversée, il m'était arrivé de causer plus longuement et plus intimement que je ne l'avais fait depuis mes malheurs. Ce moine était un Dominicain, jeune encore, mais fatigué, soit, comme on le racontait, par des abstinences et des macérations volontaires, soit par une maladie des poumons gagnée dans ce voyage au Brésil, qu'il avait entrepris pour les intérêts de son ordre. Il allait tenter de se guérir en essayant les climats les plus doux de l'Italie. Il devait habiter successivement Florence, Pise et Naples. «Le père Anselme, c'est ainsi qu'on l'appelait, m'avait inspiré sinon de l'intérêt, mon coeur était mort à tous les sentiments bienveillants, du moins une respectueuse curiosité. Dès le premier jour où nous nous étions abordés, il avait paru trouver du plaisir à s'entretenir avec moi. Ces entretiens, d'abord très-vagues, avaient pris peu à peu, grâce à lui, quelque chose de plus sérieux et de plus intime.

+

«Tout en gardant le silence sur son véritable nom et sur les événements de sa vie, le moine me laissa entrevoir qu'il avait traversé bien des orages, et que le monde et ses écueils ne lui étaient pas inconnus. Il s'exprimait en français avec une facilité rare; il abordait tous les sujets avec convenance et liberté. Sa parole, quoique simple, touchait toujours au fond des choses et donnait beaucoup à penser. C'était un noble esprit et un noble coeur. Un jour que, sans rien préciser, je lui avais parlé de mes ennuis, de mes courses sans but et de mon éloignement à rentrer dans ma patrie:

+

«--Pourquoi ne feriez-vous pas avec moi le voyage d'Italie? me dit-il.

+

«Il n'en avait pas fallu davantage pour me décider à suivre ses pas.

+

Après quelques mois de séjour à Florence, il ne se trouva pas bien de l'air trop vif, et résolut de passer la mauvaise saison à Pise. Pendant tout cet hiver, je le vis sans cesse. Nous faisions ensemble des promenades le long de l'Arno, à San Rossore, dans la forêt de pins qui s'étend des cascines jusqu'à la mer, et surtout dans les galeries du Campo-Santo. Cette nature douce et triste, ces oeuvres de l'art dont je pénétrais chaque jour davantage les solennelles beautés, agissaient sur mon esprit et m'arrachaient à la constante obsession de ma misère. Il me prenait quelquefois des tressaillements subits d'admiration et d'enthousiasme. La vie rentrait en moi. J'en arrivai à éprouver le besoin de confier mes peines, et je fis au père Anselme, en déguisant les noms et les circonstances, la confession de mon indigne amour et des fautes où il m'avait entraîné. C'était un jour que nous revenions d'une course en plein midi le long de la mer; le ciel n'avait pas un nuage; la lumière inondait la grève solitaire. Le moine marchait silencieux et pensif à mes côtés. Quand je cessai de parler, il réfléchit quelques instants, puis, me regardant avec une tendresse profonde:

+

«--Mon enfant, me dit-il, écoutez la parole d'un homme qui à suivi, lui aussi, les sentiers de la perdition; croyez-moi, il n'est permis à aucun de nous de désespérer de sa vie. L'irréparable aux yeux de Dieu n'existe pas. Si vous êtes poursuivi de trop cuisants remords, si vous croyez la doctrine catholique, il y a des asiles ouverts à la pénitence: faites-vous chartreux ou trappiste; si, au contraire, comme je le pense, votre coeur est moins frappé de remords que tourmenté de regrets, si vous avez moins de désespoir de vos fautes que de retours cruels vers des illusions perdues, alors, mon enfant, sachez ressaisir les rênes de votre âme. Sachez être homme. Il n'est personne ici-bas, pas même le galérien attaché à son boulet, qui ne puisse encore être bon à son semblable. Quand nous n'avons plus dans notre coeur de quoi nous rendre heureux nous-mêmes, c'est alors souvent qu'il se trouve dans notre esprit de plus riches trésors à répandre autour de nous. Vous êtes jeune; vous avez une patrie, une famille; vous avez l'humanité à aimer comme le Christ l'a aimée jusqu'à la fin. Et, tenez, ajouta-t-il en me désignant la tour penchée (nous arrivions en ce moment sur la place du Dôme), vous savez l'histoire de cette tour que le peuple regarde comme miraculeuse. Elle s'élevait sous les yeux de l'architecte, droite, fière, audacieuse, quand tout à coup, arrivée à moitié de sa hauteur, le terrain s'affaissa, et chacun pensa que l'édifice allait s'écrouler. Mais l'artiste, confiant en Dieu et en sa volonté, ne perdit pas courage. Il sut trouver le remède au moment du plus grand péril. Il étaya fortement la tour; puis, s'étant assuré que l'affaissement du sol ne pouvait dépasser une certaine profondeur qu'il calcula avec précision, il modifia ses mesures, il changea ses lignes, il acheva son campanile sur un plan incliné qui est aujourd'hui l'émerveillement de tous, et fait paraître son oeuvre bien plus belle dans sa singularité qu'elle ne l'eût été si aucun accident ne fût survenu.

+

«Ceci est un apologue, mon noble ami, poursuivit le père Anselme en souriant doucement. Notre vie, c'est la tour de Pise. Nous la commençons avec audace et certitude, nous la voulons droite et haute; mais tout à coup le terrain sur lequel nous bâtissons vient à s'effondrer. Notre volonté fait défaut, nous croyons que tout est perdu. Souvenons-nous alors de Bonanno Pisano, imitons-le: étayons d'abord notre âme, puis faisons la part de nos fautes. Mais, continuons, ne craignons pas la peine, achevons notre vie penchée; et qu'on puisse au moins douter en nous voyant s'il n'a pas mieux valu qu'elle fût ainsi, et si une perfection plus complète n'eût pas été peut-être moins admirable.

+

«Le soir même de cet entretien je reçus des lettres qui m'annonçaient la mort de mon frère aîné. Il ne laissait pas d'enfants. J'allais me trouver chef de famille, possesseur d'une grande fortune territoriale. Je crus reconnaître dans cet événement et dans cette coïncidence le doigt de Dieu. Je résolus de rentrer immédiatement en France, et d'y commencer une vie nouvelle. J'allai prendre congé du père Anselme; il parut heureux de ma détermination et me serra dans ses bras. «Mon père, lui dis-je, bénissez en moi la résignation et la volonté que vous y avez mises.»

+

«Il fit, en silence, sur ma tête, le signe de la croix.

+

«Nous ne nous sommes jamais revus.

+

«Le reste, vous le savez. À mon arrivée ici, d'anciens amis de ma famille me parlèrent de mariage. J'y étais assez disposé. Tout ce qui devait fixer, régler mon existence me semblait bon. Je ne devais plus y laisser de place pour le hasard. On me fit connaître la mère de Georgine, et plusieurs fois nous allâmes ensemble voir cette dernière au couvent. Je la trouvai jolie; je la savais bonne; elle était pauvre. Je me laissai séduire par la pensée de réparer une injustice du sort. Je me dis que, ne pouvant plus jouir de rien par moi-même, je jouirais du moins de tous les plaisirs de cette jeune fille élevée dans les privations et dans une austère simplicité. Je crus que cette âme à guider, cette intelligence à conduire serait un intérêt noble et constant dans ma vie. Je désirais passionnément avoir de beaux enfants, et vous voyez que le Ciel m'a exaucé. Georgine est heureuse par moi, elle le sent, elle m'aime. À chaque heure du jour, elle sait me le témoigner. J'ai la conviction d'avoir fait autour de moi un bien réel.

+

Dans ce pays, depuis huit ans que je l'habite, la misère a disparu. Le nécessaire est assuré à tous; beaucoup même ont ce modique superflu qui fait si aisément bénir l'existence à ceux qui vivent de leur travail. Je suis à la veille d'entrer dans la vie politique. J'espère alors faire plus en grand ce que je fais maintenant sur une très-petite échelle. Je ne suis pas insensible au désir d'attacher mon nom à quelque réforme utile pour mon pays.»

+

--Vous ne me dites pas ce qu'est devenue Éliane? interrompit Thérèse; l'avez-vous revue?

+

--Jamais! dit Hervé. Elle avait quitté la France quand j'y suis rentré.

+

On m'a dit qu'elle s'était fixée à Naples. Je n'en sais pas davantage.

+

Voici la première fois, depuis huit années, que je prononce son nom.

+

Ils entraient dans la cour du château; la cloche avait depuis longtemps appelé pour le déjeuner; des domestiques étaient partis dans plusieurs directions pour avertir Hervé et Thérèse.

+

--Mais arrivez donc! leur cria Georgine du plus loin qu'elle les aperçut; les enfants s'impatientent, le cuisinier se désespère; on n'a pas idée de se promener par ce temps là et à de pareilles heures.

+

Disant cela elle tendit la main à Thérèse, embrassa Hervé, et ne vit pas sur le visage de tous deux qu'un mystère venait d'être révélé, qu'un lien nouveau et secret unissait leurs coeurs; heureuse Georgine! elle ne devina pas l'orage qui grondait sur sa tête.

+

Il est sur la terre des êtres singulièrement préservés; ils passent à côté des plus graves événements sans les voir; ils se trouvent mêlés aux drames les plus terribles sans les soupçonner; ils reçoivent l'étreinte d'une main convulsive sans que rien en eux frémisse, et sourient dans la bénignité d'une ignorance tranquille aux coeurs dévastés, aux fronts qu'a touchés la foudre: ce sont de bonnes et douces natures qui vivent leur temps et s'en vont de ce monde sans y avoir fait ni mal ni bien.

+

Georgine était un peu de celles-là.

+

Les jours suivants, Hervé et Thérèse ne se parlèrent plus. Le récit d'Hervé avait bouleversé le coeur de Thérèse; lui-même se sentait profondément ébranlé. Il y a des révélations qui sont des révolutions.

+

Il est des dangers contre lesquels le silence est la seule armure. Un matin Thérèse était descendue au salon un peu plus tôt que de coutume; il n'y avait personne encore. Un feu mal allumé emplissait l'âtre d'une fumée épaisse; les vitres, chargées de brume, ne laissaient pas percer le regard sur les jardins. La table était encore dans le désordre de la veille. L'ouvrage commencé de Georgine, les jouets des enfants, un volume de Walter-Scott, dont Hervé faisait le soir lecture, y étaient restés. Le piano était ouvert. Dans une corbeille, placée en face des fenêtres, quelques chrysanthèmes penchaient mélancoliquement leurs têtes violacées; je ne sais pourquoi ce salon parut à Thérèse d'une tristesse lugubre. Elle essaya de lire un journal, elle ne put; elle se mit au piano, préluda longtemps, mais aucune phrase ne s'achevait sous ses doigts; elle voulut chanter, alors les pleurs qu'elle réprimait se mirent à couler. Tout à coup elle sentit une main se poser doucement sur son épaule, elle se retourna: c'était Hervé qui la regardait avec une indicible expression de tendresse et de douleur.

+

--Vous ressemblez à Éliane, lui dit-il; seulement vous êtes beaucoup plus belle.

+

En ce moment la porte s'ouvrit; c'était Georgine avec les enfants et deux voisins qui venaient s'établir à Vermont pour plusieurs jours.

+

Thérèse s'échappa et fut cacher ses larmes. C'est ainsi, par un incident insignifiant, par un hasard vulgaire, que se brisent souvent, au moment où ils vont se nouer, les fils de deux destinées. Tout fut dit: la dernière parole qui devait être échangée entre Hervé et Thérèse vint se perdre dans les compliments et les lieux-communs de la politesse de province.

+

Le lendemain, à sept heures du matin, un beau cheval sellé et bridé attendait devant le perron du château; sur la selle du domestique qui devait suivre, une petite valise était attachée. Hervé parut; il remit un billet au valet de chambre qui lui ouvrît la porte d'entrée.

+

--Quand madame sera éveillée, vous lui donnerez cette lettre.

+

Disant cela, il monta lentement en selle, traversa au pas la cour du château, puis, piquant des deux, il s'élança au galop dans la longue avenue. Au bout de quelques minutes, un détour du chemin le ramena, en vue de Vermont. Il s'arrêta, regarda longtemps une fenêtre dont les jalousies venaient de s'ouvrir:

+

«Thérèse!» murmura-t-il, et il s'éloigna de toute la vitesse de son cheval.

+

Sa lettre à Georgine motivait son départ. Les intérêts de son élection l'appelaient à la petite ville de B... et l'y retiendraient une huitaine de jours. Thérèse, malgré les instances de Georgine, quitta Vermont avant le retour d'Hervé. Elle demeura fort peu de temps dans sa famille et s'embarqua pour New-York. Georgine n'eut plus de ses nouvelles qu'à de rares intervalles.

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Aujourd'hui, l'océan est entre Hervé et Thérèse. Ils ne se reverront pas, ou du moins ils ne se reverront que lorsque l'âge les aura rendu méconnaissables l'un à l'autre. Ils étaient faits pour s'aimer; le devoir les sépare, et chacun d'eux, sans se l'être dit, garde au fond de son coeur un ineffaçable et cher regret. Leur histoire est celle de plusieurs d'entre nous. Passer un jour tout auprès d'un bonheur immense, le voir, croire qu'on le saisirait en étendant la main, et ne pas s'y arrêter pourtant, c'est l'héroïsme ignoré de bien des nobles coeurs. J'en sais qui se pleurent et qui s'appellent tout bas à travers l'espace. Ô mon Dieu! vous qui leur avez donné la force des grands sacrifices, donnez-leur-en du moins l'amère volupté!

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FIN DE HERVÉ

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+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + Bibliothèque électronique du Québec, , @@ -31,24 +30,14 @@ , . - - - - , - - , - - . - - + 1878 , , - + . - - +

@@ -64,7 +53,7 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 cf Initial TEI version. @@ -1621,4 +1610,4 @@

- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA04001_Verne.xml b/level1/FRA04001_Verne.xml index 614bcc7..7ac50b7 100644 --- a/level1/FRA04001_Verne.xml +++ b/level1/FRA04001_Verne.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,30 +16,24 @@ 124725 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + 2008 , , . - - + source - - + 1878 - - +

@@ -53,14 +49,14 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 Initial TEI version. -

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@@ -1902,7 +1898,7 @@

« L'Afrique ! L'Afrique équatoriale ! L'Afrique des traitants et des esclaves ! »

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@@ -3383,7 +3379,7 @@
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+

[1] Types : sauterelles, grillons, etc.

[2] Types : fourmis-lions, libellules.

[3] Types : abeilles, guêpes, fourmis.

@@ -3420,4 +3416,4 @@
- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA04002_Verne.xml b/level1/FRA04002_Verne.xml index 5db8d37..d9cdf51 100644 --- a/level1/FRA04002_Verne.xml +++ b/level1/FRA04002_Verne.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,32 +16,26 @@ 55614 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + 2005 , , . - - + source , texte écrit par Jules Verne en 1898, version modifiée par Michel Verne, publiée en 1910. - - + 1898 (version de 1910) - - +

@@ -55,7 +51,7 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 Initial TEI version. @@ -1675,4 +1671,4 @@

- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA04101_Erckmann.xml b/level1/FRA04101_Erckmann.xml index 73ae7a5..b104867 100644 --- a/level1/FRA04101_Erckmann.xml +++ b/level1/FRA04101_Erckmann.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,30 +16,24 @@ 23489 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + 2008 , , . - - + source - - + 1873 - - +

@@ -53,7 +49,7 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 Initial TEI version. @@ -594,4 +590,4 @@

- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA04102_Erckmann.xml b/level1/FRA04102_Erckmann.xml index bf45423..a4b4d5e 100644 --- a/level1/FRA04102_Erckmann.xml +++ b/level1/FRA04102_Erckmann.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -14,30 +16,24 @@ 58842 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + 2007 , , . - - + source - - + 1863 - - +

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POURQUOI HUNEBOURG NE FUT PAS RENDU

ÉPISODE DE 1815

Le fort de Hunebourg, taillé dans le roc à la cime d'un pic escarpé, domine toute cette branche secondaire des Vosges qui sépare la Meurthe, la Moselle et la Bavière rhénane du bassin d'Alsace.

@@ -1816,7 +1812,7 @@

L'archiduc Jean d'Autriche entendait très bien le français... Il avait, de plus, un faible pour la cuisine, et comprit les scrupules de Jean-Pierre. Aussi, dès le lendemain, il remonta tranquillement la vallée de la Zorne... après avoir fait demi-tour à gauche !

Et voilà pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu.

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[1] Taupier.

[2] En avant ! en avant !

[3] Pardon, Français.

@@ -1827,4 +1823,4 @@
- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA04201_Rolland.xml b/level1/FRA04201_Rolland.xml index b222814..7fc256d 100644 --- a/level1/FRA04201_Rolland.xml +++ b/level1/FRA04201_Rolland.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -15,30 +17,24 @@ 41108 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + 2006 , , . - - + source - - + 1904 - - +

@@ -55,7 +51,7 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 Initial TEI version. @@ -629,4 +625,4 @@

- + \ No newline at end of file diff --git a/level1/FRA04202_Rolland.xml b/level1/FRA04202_Rolland.xml index 5c437d7..10347a3 100644 --- a/level1/FRA04202_Rolland.xml +++ b/level1/FRA04202_Rolland.xml @@ -1,6 +1,8 @@ - - + + @@ -15,30 +17,24 @@ 59882 - 0 + - -

+ COST Action "Distant Reading for European Literary History" (CA16204)Zenodo.org + 2007 , , . - - + source - - + 1912 - - +

@@ -55,14 +51,14 @@ - + Checked by releaseChecker script Conversion with CLIGStoELTeC stylesheet for ELTeC-1 Initial TEI version. -

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La vie passe. Le corps et l'âme s'écoulent comme un flot. Les ans s'inscrivent sur la chair de l'arbre qui vieillit. Le monde entier des formes s'use et se renouvelle. Toi seule ne passes pas, immortelle Musique. Tu es la mer intérieure. Tu es l'âme profonde. Dans tes prunelles claires, la vie ne mire pas son visage morose. Au loin de toi s'enfuient, troupeau de nuées, les jours brûlants, glacés, fiévreux, que l'inquiétude chasse, que jamais rien ne fixe. Toi seule ne passes pas. Tu es en dehors du monde. Tu es un monde, à toi seule. Tu as ton soleil, qui mène ta ronde des planètes, ta gravitation, tes nombres et tes lois. Tu as la paix des étoiles, qui tracent dans le champ des espaces nocturnes leur sillon lumineux, -- charrues d'argent que mène l'invisible bouvier.

Musique, amie sereine, ta lumière lunaire est douce aux yeux fatigués par le brutal éclat du soleil d'ici-bas. L'âme qui se détourne de l'abreuvoir commun, où les hommes pour boire remuent la vase avec leurs pieds, se presse sur ton sein et suce à tes mamelles le ruisseau de lait du rêve. Musique, vierge mère, qui portes en ton corps immaculé toutes les passions, qui contiens dans le lac de tes yeux couleur de joncs, couleur de l'eau vert-pâle qui coule des glaciers, tout le bien, tout le mal, -- tu es par delà le mal, tu es par delà le bien ; qui chez toi fait son nid vit en dehors des siècles ; la suite de ses jours ne sera qu'un seul jour ; et la mort qui tout mord s'y brisera les dents.

Musique qui berças mon âme endolorie, Musique qui me l'as rendue calme, ferme et joyeuse, -- mon amour et mon bien, -- je baise ta bouche pure, dans tes cheveux de miel je cache mon visage, j'appuie mes paupières qui brûlent sur la paume douce de tes mains. Nous nous taisons, nos yeux sont clos, et je vois la lumière ineffable de tes yeux, et je bois le sourire de ta bouche muette ; et blotti sur ton cœur, j'écoute le battement de la vie éternelle.

@@ -1059,7 +1055,7 @@
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FIN

ADIEU À JEAN-CHRISTOPHE

J'ai écrit la tragédie d'une génération qui va disparaître. Je n'ai cherché à rien dissimuler de ses vices et de ses vertus, de sa tristesse pesante, de son orgueil chaotique, de ses efforts héroïques et de ses accablements sous l'écrasant fardeau d'une tâche surhumaine ; toute une Somme du monde, une morale, une esthétique, une foi, une humanité nouvelle à refaire. -- Voilà ce que nous fûmes.

@@ -1070,7 +1066,7 @@

CHRISTOFORI FACIEM DIE QUACUMQUE TUERIS,

ILLA NEMPE DIE NON MORTE MALA MORIERIS.

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[1] Giuseppe Prezzolini, qui dirigeait alors, avec Giovanni Papini, le groupe de la Voce.

[2] Quand une chose est arrivée, même les sots la comprennent.

[3] Escroc, imposteur, simulateur, trompeur. (Note du correcteur -- ELG.)

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